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16/05/2024 | FRANCE | N°23/06116

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 3ème chbre cab a2, 16 mai 2024, 23/06116


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A

JUGEMENT N° 2024/
du 16 Mai 2024


Enrôlement : N° RG 23/06116 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3KYA


AFFAIRE :Mme [R] [Y] ( Me Isabelle ANSALDI)
C/ M. [N] [E] (Me Naïma BELARBI)




DÉBATS : A l'audience Publique du 15 Février 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats

Président : Madame Marion POTIER, Vice Présidente

Greffier : Madame Michelle SARTORI, Greffier


A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée

au 16 Mai 2024


PRONONCE : Par mise à disposition au greffe le 16 Mai 2024

Par Madame Marion POTIER, Vice Présidente

Assistée de Madame Michelle...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A

JUGEMENT N° 2024/
du 16 Mai 2024

Enrôlement : N° RG 23/06116 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3KYA

AFFAIRE :Mme [R] [Y] ( Me Isabelle ANSALDI)
C/ M. [N] [E] (Me Naïma BELARBI)

DÉBATS : A l'audience Publique du 15 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats

Président : Madame Marion POTIER, Vice Présidente

Greffier : Madame Michelle SARTORI, Greffier

A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au 16 Mai 2024

PRONONCE : Par mise à disposition au greffe le 16 Mai 2024

Par Madame Marion POTIER, Vice Présidente

Assistée de Madame Michelle SARTORI, Greffier

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [R] [Y]
née le 29 Mars 1948 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant et domiciliée [Adresse 6]

représentée par Maître Isabelle ANSALDI, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDEUR

Monsieur [N] [E]
demeurant et domicilié [Adresse 3]

représenté par Maître Naïma BELARBI, avocat au barreau de MARSEILLE

* * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Madame [R] [Y] est propriétaire depuis le 14 décembre 1990 d’un immeuble à usage d’entrepôt situé sur une parcelle cadastrée [Adresse 9] – Section H numéro [Cadastre 1], sise [Adresse 5] à [Localité 8].

Cette parcelle est limitrophe de celle appartenant à Monsieur [N] [E] cadastrée n°[Cadastre 4] et comprenant un hangar et un cagibi, située au [Adresse 2], acquise par acte notarié du 30 novembre 2016.

Suite à son acquisition, Monsieur [E] a souhaité faire démolir le hangar présent sur son fonds pour édifier un immeuble à usage d’habitation.

Un permis de construire lui a été délivré à cette fin par arrêté du 30 janvier 2017 et les travaux ont été réalisés.

En 2018, Madame [Y] s’est plainte du fait que la construction nouvellement édifiée par Monsieur [E] avait obstrué deux des fenêtres présentes sur son mur pignon en y apposant des plaques métalliques et qu’une descente des eaux pluviales avait été déplacée dans le cadre des travaux, entraînant des infiltrations dans son immeuble au niveau de la toiture.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 31 juillet 2018, elle l’a mis en demeure de remettre les lieux en état, sans succès.

Par assignation délivrée le 10 avril 2019, Madame [Y] a assigné Monsieur [E] devant le juge des référés aux fins qu’il soit condamné sous astreinte à remettre les lieux dans leur état d’origine, c’est-à-dire de procéder ou à faire procéder à la remise en état de la descente d’eaux pluviales, à l’enlèvement des plaques métalliques apposées sur les fenêtres et à faire déboucher le tout à l’égout.

Par ordonnance du 8 novembre 2019, le juge des référés a dit qu’y avoir lieu à référé sur les demandes de Madame [Y] et a ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur [G].

L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 26 mai 2022.

Par acte de commissaire de justice en date du 7 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Madame [Y] a fait citer Monsieur [E] au fond devant le tribunal judiciaire de Marseille aux fins de :

- Homologuer le rapport d’expertise de Monsieur [G] rendu le 26 mai 2022 ;
- Condamner Monsieur [E] [N] et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à procéder ou faire procéder à l’enlèvement des plaques métalliques apposées sur les fenêtres appartenant à la requérante et empêchant leur ouverture ;
- Condamner Monsieur [E] [N] à payer à Madame [R] [Y] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêt du préjudice subi du fait de l’obstruction desdites fenêtres ;
- Condamner Monsieur [E] à payer à Madame [R] [Y] la somme de 18.308,07 €, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir, au titre des frais de réparation de la toiture ;
- Condamner Monsieur [E] à payer à Madame [R] [Y] la somme globale et forfaitaire de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel subi du fait de la perte du mobilier ;
- Condamner Monsieur [E] à Madame [R] [Y] la somme de 4.496 € en remboursement des frais d’expertise et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- Condamner le requis à payer Madame [Y] la somme de 3.500 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance.

L’affaire a été enrôlée sous le numéro RG 23/06116.

Aux termes de ses conclusions en défense régulièrement notifiées au RPVA le 21 juillet 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Monsieur [E] demande au tribunal, au visa notamment des articles 640, 678, 681, 1240 et 1315 du code civil de :

- Juger qu’il n’existe aucune servitude de vue acquise par prescription trentenaire par bénéfice de Madame [Y]
- Juger que Madame [Y] a l’obligation, au titre de l’article 671 du Code Civil de prendre en charge l’évacuation des eaux pluviales provenant de sa toiture ;
- Juger que Monsieur [E] n’a pas à prendre à sa charge les travaux de réfection du toit vétuste et l’évacuation des eaux pluviales de Madame [Y] dont il lui appartient de prendre en charge ;
- Juger qu’aucun préjudice n’est justifié et fondé en droit et en fait
Par conséquent :
- Rejeter l’ensemble des demandes formulées par Madame [Y] à l’encontre de Monsieur [E] ;
- Condamner sous astreinte de Madame [Y] de 500 € par jour de retard à obstruer par un mur les 3 fenêtres implantées dans le mur pignon à la propriété de Monsieur [E], ainsi que le retrait des volets vétustes et la reprise de l’enduit de la façade afin de rendre le mur homogène
- Condamner Madame [Y] à payer à Monsieur [E] la somme de 20.000 € au titre de son préjudice moral au titre de la procédure abusive.

En tout état de cause :
- Ecarter l’exécution provisoire de droit en raison des conséquences excessives que celle-ci aurait pour Monsieur [E] ;
- Condamner Madame [Y] à payer à Monsieur [E] à la somme de 2.400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 15 février 2024.

La décision a été mise en délibéré au 16 mai 2024.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes visant à « dire », « juger » ou « dire et juger », tout comme les demandes de « constater » ou de « donner acte», dès lors qu’elles ne visent pas à obtenir une décision sur un point précis en litige, ne sont pas susceptibles d’être qualifiées de prétentions au sens des articles 4, 5, 31, 768 et 954 du code de procédure civile, mais constituent de simples moyens et arguments au soutien des véritables prétentions.

Il y a par ailleurs lieu de rappeler qu’il ne peut y avoir lieu à « homologation d'un rapport d'expertise », qui constitue seulement un élément de preuve, le technicien étant commis pour éclairer le juge sur une question de fait et ses constatations ou ses conclusions ne liant pas celui-ci.

Le tribunal ne statuera donc pas sur ces points.

Sur les demandes concernant l’obstruction des fenêtres

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Par ailleurs, en vertu de l’article 678 du code civil, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.

Enfin, l’article 690 du code civil énonce que les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans.

Pour solliciter l’enlèvement sous astreinte des plaques posées devant les fenêtres du mur pignon de son entrepôt par Monsieur [E], Madame [Y] fait valoir que ces ouvertures existent sans avoir été modifiées depuis 1972 au moins, et se prévaut ainsi d’une servitude de vue qu’elle aurait acquise par prescription trentenaire et qui justifierait leur remise en état.

Il ressort des pièces versées aux débats que trois ouvertures sont situées sur le mur pignon de l’immeuble appartenant à Madame [Y], au niveau du premier étage. Ces ouvertures, qui comportent des volets en bois, donnent directement sur le fonds appartenant à Monsieur [E]. Celui-ci ne nie pas avoir apposé, devant deux de ces ouvertures donnant directement sur sa terrasse, des plaques métalliques afin de les obstruer.

Il résulte par ailleurs du dossier qu’avant les travaux entrepris par le défendeur et la démolition du hangar alors édifié sur son fonds, les ouvertures litigieuses donnaient sur le toit aveugle de cette construction, ce qui ressort clairement des photographies versées aux débats et notamment d’un cliché aérien figurant au procès-verbal de constat de commissaire de justice en date du 16 avril 2018.

Il apparait dès lors que contrairement à ce que prétend Madame [Y], elle n’a pu prescrire aucune servitude de vue au titre de ces trois ouvertures dès lors qu’elles donnaient jusqu’en 2017, date de la démolition du hangar de Monsieur [E], sur un toit aveugle.

Il est en effet constant que l’existence de fenêtres donnant uniquement sur le toit voisin dépourvu d’ouvertures n’implique aucune possession utile pour prescrire puisqu’elles ne permettent aucun risque d’indiscrétion.

Dans ces conditions, la demanderesse ne peut arguer de l’existence d’une telle servitude pour solliciter l’enlèvement des plaques posées par Monsieur [E] devant les ouvertures existant sur son mur pignon.

Il ne peut par ailleurs être contesté, au regard du rapport d’expertise judiciaire et des photographies produites, que depuis les travaux réalisés par le défendeur, ces ouvertures sont de nature à créer des vues droites et directes sur sa propriété, et notamment sur la terrasse et la piscine nouvellement construites.

Il est également indiscutable que les fenêtres litigieuses ne respectent pas les distances prescrites par l’article 678 du code civil puisqu’elles sont ouvertes dans le mur situé en limite de propriété de Monsieur [E] et qui donne directement sur son fonds.

Il en résulte que ces ouvertures sont irrégulières.

Il importe à cet égard peu que les fenêtres litigieuses aient préexisté à l’acquisition de son fonds par Monsieur [E], ce qui n’est pas de nature à leur conférer un caractère régulier, étant rappelé que la demanderesse n’a prescrit préalablement aucune servitude de vue compte tenu de l’ancienne configuration des lieux.

En outre, le défendeur démontre par un constat d’huissier en date du 19 novembre 2013 qu’au moins une de ces fenêtres, située au centre du mur pignon, était obstruée à cette époque par un mur de briques. Le procès-verbal de constat en date du 16 avril 2018 produit par Madame [Y] confirme que la fenêtre centrale était, encore à cette date, comblée de l’intérieur par des agglos recouverts d’un enduit en ciment, ce qui est également corroboré par la photographie du 20 mai 2018 communiquée par le défendeur.

L’expert judiciaire n’a toutefois pu constater que la trace de ce mur en maçonnerie dans l’encadrement de la fenêtre centrale au cours de son premier accédit en date du 15 juin 2020.

Il est par ailleurs prouvé par la production de l’acte de vente relatif au fonds appartenant aujourd’hui à la requérante que les précédents propriétaires de son bien s’étaient engagés, en 1958, à obstruer lesdites ouvertures.

Ces différents éléments démontrent ainsi que la fenêtre centrale au moins était bouchée par un mur avant l’acquisition de son fonds par Monsieur [E], conformément à l’engagement pris par les auteurs de Madame [Y], puis que ce mur a été démoli entre mai 2018 et juin 2020.

La requérante reste silencieuse sur ce point et sur les circonstances dans lesquelles le mur obstruant la fenêtre centrale a été détruit.

Elle ne peut dès lors prétendre qu’elle n’a pas modifié ces ouvertures et n’a effectué aucun acte positif générant les vues.

Ce point est en tout état de cause indifférent puisque l’article 678 du code civil n’exige aucunement la démonstration d’une faute de la part du propriétaire du fonds depuis lequel s’exercent les vues, le non-respect des distances minimales prescrites suffisant à rendre les ouvertures irrégulières.

Dès lors, les demandes de Madame [Y] visant à condamner le défendeur à procéder sous astreinte à l’enlèvement des plaques apposées sur les fenêtres et à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de cette obstruction seront rejetées puisqu’elle ne peut invoquer aucune servitude de vue acquise par prescription et que les ouvertures existant sur son mur sont illicites. Elle sera au contraire reconventionnellement condamnée à supprimer les vues irrégulières existant depuis son fonds.

Sur ce point, Monsieur [E] sollicite que ces ouvertures soient obstruées par un mur, que les volets en bois soient retirés et que l’enduit du mur soit repris afin de le rendre homogène. Madame [Y] ne formule aucune remarque sur cette demande reconventionnelle et sur le procédé à utiliser pour permettre la cessation des vues.

Dans ces conditions et au regard du fait qu’au moins une des fenêtres était précédemment déjà obstruée par un mur en maçonnerie qui a été détruit, il y a lieu de faire droit aux prétentions de Monsieur [E] et de condamner Madame [Y] à obstruer les trois ouvertures par un mur, à retirer les volets en bois compte tenu de leur caractère vétuste relevé par l’expert judiciaire et du risque de chute mis en évidence sans que la requérante ne justifie de leur dépose effective suite à la demande de l’expert, et à effectuer une reprise de l’enduit en façade pour rendre le mur homogène.

Cette condamnation sera assortie d’une astreinte afin de s’assurer de sa bonne exécution, dans les conditions précisées au dispositif.

Sur les demandes de Madame [Y] concernant l’évacuation des eaux pluviales et les infiltrations en toiture

Madame [Y] sollicite par ailleurs la condamnation de Monsieur [E] à l’indemniser du coût de la reprise d’infiltrations d’eau survenues dans son local qui proviendraient de travaux réalisés par ce dernier.

Le fondement juridique de sa demande n’est pas précisé mais il peut être déduit de ses écritures qu’elle recherche la responsabilité délictuelle de son voisin.

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, la matérialité des infiltrations d’eau subies par la requérante n’est pas contestée.

L’expert judiciaire a constaté sur ce point que la poutre située à la base de la toiture, dans la partie arrière de l’entrepôt immédiatement mitoyenne de la nouvelle construction de Monsieur [E], était rongée par l’humidité et cassée en son extrémité. Lors du deuxième accédit, cette poutre menaçait de s’écrouler. La charpente était ainsi très altérée par les venues d’eau. L’humidité ambiante du local, qui se manifestait par la présence de rouille et d’humidité sur les murs et les poutres, a également été pointée. Une bâche était par ailleurs en place pour protéger le mobilier.

La réalité des désordres affectant le local de Madame [Y] est ainsi indéniable.

S’agissant de leur origine, l’expert judiciaire a indiqué que les venues d’eau en partie basse sont dues à la suppression de la descente d’eau pluviale côté extension mitoyenne, à la mise en charge du chéneau et à un écoulement intérieur.

Il a précisé qu’en partie centrale du rampant, le dévoiement de la descente de la toiture de l’étage a entrainé des infiltrations visibles sur les pièces bois. Elles sont liées au dévoiement du réseau d’eau pluviale lors de la construction de la maison de Monsieur [E] et à la suppression de la descente d’eau initiale qui se déversait sur sa parcelle. Ce dévoiement a renvoyé, par l’intermédiaire d’un tuyau PVC rampant positionné sur la toiture inférieure du local de Madame [Y], les eaux pluviales depuis la gouttière supérieure à l’angle extrémité arrière du local en contrebas. Ce dévoiement est selon l’expert affecté d’un défaut de conception et n’est pas conforme aux règles de l’art.

L’expert a par ailleurs noté qu’il ne peut être fait abstraction de la vétusté des locaux qui a occasionné dans le temps une usure des structures que sont la charpente et la gouttière originales. Il a ainsi précisé que la descente pluviale dévoyée par Monsieur [E] en 2017 « a contribué à augmenter les désordres ».

Il a toutefois parallèlement conclu que le détournement de la descente des eaux pluviales a eu pour conséquence d’importantes infiltrations dans l’angle arrière du hangar qui ont altéré la charpente de manière très importante, de sorte qu’il a considéré cet évènement comme la cause prépondérante des désordres. Il a d’ailleurs fixé leur apparition à la date de réalisation des travaux par Monsieur [E].

Enfin, il a indiqué que le chéneau en extrémité de la toiture basse du local de Madame [Y] était obstrué par la végétation de la propriété adjacente (appartenant à un tiers au litige) ce qui aggravait le phénomène d’infiltration sous toiture.

Il résulte ainsi de ces constatations que trois causes distinctes ont été mises en évidence par l’expert comme étant à l’origine des infiltrations affectant le local de Madame [Y] :
- le dévoiement de la conduite des eaux pluviales lors des travaux réalisés par Monsieur [E], qui est selon lui la cause principale des infiltrations sous toiture et de l’altération d’une partie de la charpente ;
- la vétusté des locaux due au temps ;
- le bouchage du chéneau, qui ne peut être imputé à Monsieur [E].

Le défendeur ne conteste pas avoir modifié la descente d’eau pluviale existante au cours des travaux réalisés sur son fonds.

Il soutient cependant, d’une part, qu’il n’a fait que rétablir le système d’évacuation des eaux pluviales qui existait antérieurement, et d’autre part, qu’il ne peut être tenu de recueillir sur son fonds les eaux pluviales provenant du fonds voisin, de sorte qu’il était fondé à détourner la canalisation de Madame [Y] qui se déversait sur son terrain, sans qu’il ne puisse être responsable des infiltrations engendrées par ce dévoiement.

Il convient de rappeler à cet égard qu’en vertu de l’article 681 du code civil, tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin.

La photographie numéro 6 du constat d’huissier du 19 novembre 2013, précédemment cité, témoigne du fait qu’à cette date, une descente d’eau pluviale était présente à l’extrémité de l’entrepôt de Madame [Y], et était dirigée depuis son toit vers son propre terrain, conformément à l’article précité. Le cliché montre ainsi clairement la présence d’une canalisation qui descend du toit de son entrepôt et forme un coude pour se poursuivre en direction de la toiture inférieure de son local, restant sur son fonds.

Il est également démontré qu’au moment des travaux réalisés sur sa propriété par Monsieur [E], ce système d’évacuation d’eau pluviale n’était plus en place et que les eaux du toit de Madame [Y] se déversaient directement sur le terrain acquis par le défendeur, ce qui ressort en particulier de la photographie en date du 16 décembre 2017 produite par ce dernier.

Ce système n’était de toute évidence pas conforme aux dispositions de l’article 681 du code civil.

Pour autant, aucun élément ne vient établir dans quelles circonstances la descente d’eaux pluviales qui existait précédemment et qui était visible sur le constat d’huissier de 2013 a été modifiée, ni par qui. Il n’est ainsi pas démontré que Madame [Y] aurait volontairement détourné sa canalisation pour la faire aboutir sur le fonds voisin comme l’affirme Monsieur [E].

Par ailleurs, si ce dernier était légitime à se plaindre du déversement des eaux pluviales provenant du toit de Madame [Y] sur son fonds, et à solliciter qu’elle y mette fin en installant une gouttière et un système d’évacuation adapté dirigé vers sa propre propriété, il ne lui appartenait pas en revanche de faire réaliser lui-même un dévoiement de la canalisation existante vers la toiture basse du local de la requérante, au surplus sans respecter les règles de l’art et sans s’assurer que le système mis en place n’était pas de nature à lui causer un préjudice.

Monsieur [E] ne démontre aucunement que Madame [Y] l’aurait sollicité pour réaliser ces travaux.

Il n’établit pas davantage qu’il aurait demandé à sa voisine de faire installer elle-même un système d’évacuation de ses eaux pluviales adapté, au besoin par le biais d’une action en justice, ce qui ne ressort d’aucune des pièces produites.

Ainsi, il a indéniablement commis en faute en faisant installer lui-même, sans l’accord de Madame [Y] et sur son fonds, une canalisation détournant ses eaux pluviales pour les faire aboutir directement sur la toiture inférieure de son local, sans qu’aucune précaution ne soit prise.

L’expert a établi que ce système contraire aux règles de l’art avait généré d’importantes infiltrations à l’intérieur de l’entrepôt de Madame [Y], bien qu’il ait également relevé que la structure de ce local était déjà vétuste auparavant et que des difficultés liées au bouchage du chéneau, en amont du fonds de Monsieur [E] et sans lien avec ce dernier, avaient également aggravé le phénomène.

Dans ces conditions, Monsieur [E] est bien en partie responsable des désordres d’infiltrations d’eau subis par Madame [Y] à l’intérieur de son local, pour avoir fait installer sans autorisation une canalisation non adaptée débouchant directement sur sa toiture.

Compte tenu des autres causes des désordres mises en évidence par l’expert, il y a lieu d’estimer la part de responsabilité du défendeur dans les désordres subis par la requérante à 60 %.
Il y a lieu par conséquent de condamner ce dernier à prendre en charge 60 % du coût des travaux de reprise de ces désordres, qui a été estimé dans le cadre de l’expertise à la somme totale de 18308,07 euros TTC, montant non discuté. Monsieur [E] sera donc condamné à payer à Madame [Y] la somme de 10.984,84 euros à ce titre.

S’agissant d’une condamnation à payer une somme d’argent, il n’y a pas lieu de l’assortir d’une astreinte au stade du jugement.

Concernant enfin les autres préjudices invoqués par la requérante en lien avec ces désordres, l’expert judiciaire a estimé que le préjudice matériel de Madame [Y] était incontestable, en lien notamment avec les dégradations subies par le mobilier qui était entreposé dans son local.

Pour autant, le tribunal ne peut que constater que la requérante ne verse aucun élément de nature à établir précisément la nature du mobilier endommagé et le quantum de son préjudice. Elle ne produit notamment aucun inventaire détaillé des biens dégradés ni aucune estimation précise de leur valeur, l’attestation du brocanteur « Souvenirs d’Autrefois » versée aux débats étant particulièrement générale et vague et ne respectant par ailleurs pas les formes prescrites par le code procédure civile.

Le défendeur souligne en outre à juste titre que Madame [Y] ne produit pas d’attestation d’assurance couvrant son local, ni de déclaration de sinistre faisant suite aux infiltrations, de sorte qu’il n’est pas possible pour le tribunal de savoir si une prise en charge a été accordée par son assureur au titre de ce mobilier dégradé, ni à quelle hauteur.

Dans ces conditions, la demande formée au titre de son préjudice matériel en lien avec les infiltrations ne peut qu’être rejetée.

Sur les demandes au titre du préjudice moral et de l’abus de procédure

Les deux parties formulent dans le cadre du présent litige des demandes visant à indemniser leur préjudice moral lié aux tracas causés par le présent litige et la procédure judiciaire.

En application de l’article 1240 du Code civil, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

La mauvaise appréciation par une partie de ses droits ne traduit pas nécessairement une faute susceptible de caractériser les conditions d'application de l'article 1240 du code civil.

Chacune des parties ayant été accueillie dans une partie de ses prétentions, principales ou reconventionnelles, et parallèlement déboutée du surplus, il y a lieu de rejeter ces demandes dès lors qu’aucun abus de procédure n’est démontré.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Aux termes de l’article 700 (1°) du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Chacune des parties succombant partiellement dans le cadre du présent litige, il y a lieu de dire que les dépens seront partagés par moitié entre elles, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

Les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront parallèlement rejetées.

Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, l’exécution provisoire est de droit et il n’y a pas lieu de l’écarter, aucun élément n’étant produit de nature à démontrer qu’elle aurait des conséquences excessives.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, mis à disposition des parties au greffe,

Dit n’y avoir lieu à homologuer le rapport d’expertise de Monsieur [G] rendu le 26 mai 2022 ;

Déboute Madame [R] [Y] de sa demande de condamnation de Monsieur [N] [E] à retirer les plaques apposées devant les ouvertures situées sur le mur pignon de son entrepôt ;

Déboute Madame [R] [Y] de sa demande de dommages et intérêts en lien avec l’obstruction de ces ouvertures ;

Condamne reconventionnellement Madame [R] [Y] à obstruer les trois ouvertures situées sur le mur pignon de son entrepôt par un mur, à en retirer les volets en bois et à reprendre l’enduit en façade pour rendre le mur homogène, et ce sous astreinte provisoire d’un montant de 100 euros par jour de retard qui commencera à courir passé un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, et pendant un délai de trois mois ;

Condamne Monsieur [N] [E] à payer à Madame [R] [Y] la somme de 10.984,84 euros au titre du coût des travaux de reprise des désordres affectant la toiture de son local en lien avec les infiltrations d’eau provenant du détournement de sa canalisation de descente d’eau pluviale ;

Dit n’y avoir lieu à assortir cette condamnation au paiement d’une somme d’argent d’une astreinte à ce stade ;

Déboute Madame [R] [Y] de sa demande formée au titre de son préjudice matériel en lien avec ces désordres ;

Déboute Madame [R] [Y] de sa demande formée au titre de son préjudice moral ;

Déboute Monsieur [N] [E] de sa demande formée au titre de son préjudice moral ;

Rejette les demandes formées par les parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens de l’instance seront partagés par moitié entre chacune des parties, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire de Monsieur [G] qui constituent des dépens ;

Rejette toute demande plus ample ou contraire ;

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de plein droit de la présente décision.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe de la troisième chambre civile section A du tribunal judiciaire de Marseille le seize mai deux mille vingt quatre

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 3ème chbre cab a2
Numéro d'arrêt : 23/06116
Date de la décision : 16/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-16;23.06116 ?
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