TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 22/00666 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZNMN
AFFAIRE :
S.C.I. PR INVEST (Me Olivier MANENTI)
C/
Mme [U] [P], [G] [Y] (la SELARL AVOCATS JURIS CONSEIL)
Rapport oral préalablement fait
DÉBATS : A l'audience Publique du 21 Mars 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré
Président : Monsieur Alexandre BERBIEC, Juge
Greffier : Madame Sylvie PLAZA, lors des débats
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 16 Mai 2024
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 16 Mai 2024
PRONONCE en audience publique par mise à disposition au greffe le 16 Mai 2024
Par Monsieur Alexandre BERBIEC, Juge
Assisté de Madame Sylvie PLAZA, Greffier
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
S.C.I. PR INVEST
représentée par Monsieur [V] [O]
dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant pour avocat postulant Me Olivier MANENTI, avocat au barreau de MARSEILLE
Ayant pour avocat plaidant Me Corinne BAYLAC du Cabinet ENVERGURE, avocat au barreau de TOURS
C O N T R E
DEFENDERESSES
Madame [U] [P], [G] [Y]
née le 01 Janvier 1948, de nationalité française
demeurant [Adresse 1]
représentée par Maître Anne-Laure PITTALIS de la SELARL AVOCATS JURIS CONSEIL, avocats au barreau de MARSEILLE
S.A.R.L. CASTELLAS IMMOBILIER
dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Philippe CORNET de la SELARL C.L.G., avocats au barreau de MARSEILLE
EXPOSE DU LITIGE :
Madame [U] [Y] est propriétaire d'une maison sise [Adresse 1].
Les 12 avril 2018, puis 20 septembre 2019, Madame [U] [Y] a régularisé auprès de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, agence immobilière, deux mandats de vente de sa maison. Aucun de ces deux mandats de vente n'a abouti, durant la période de validité de chacun d'eux, à la conclusion d'une vente menée à terme : Madame [U] [Y] s'est rétractée suite à offre, dans le cadre du premier mandat, et aucune offre n'a été acceptée dans le cadre du second mandat.
Toutefois, ces mandats, bien que n'ayant pas donné lieu à une vente, ont permis à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER d'avoir connaissance de l'existence du bien immobilier de la société civile immobilière PR INVEST et des réflexions de celle-ci sur l'éventualité de vendre ce bien.
Dans le cadre de son activité, la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER offre également à des acquéreurs potentiels la possibilité de lui confier des mandats de recherche de bien immobiliers aux fins d'acquisition.
Le 17 mai 2021, la société civile immobilière PR INVEST et la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER ont passé ensemble un mandat de recherche concernant un bien immobilier. La société civile immobilière PR INVEST ayant été mise en contact avec Madame [U] [Y] par la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, la société civile immobilière PR INVEST a fait parvenir à Madame [U] [Y] « lettre d'intention d'achat » pour son bien immobilier, également le 17 mai 2021. Ce document mentionnait la nécessité, même en cas de signature, de passation d'un acte de vente sous seing privé.
Cette « lettre d'intention d'achat » a été signée par Madame [U] [Y] le 20 mai 2021.
Par e-mel du 1er juin 2021, Madame [U] [Y] a fait connaître à la société civile immobilière PR INVEST son refus de signer l'acte sous seing privé de vente du bien immobilier.
Par courriers recommandés avec accusé de réception des 29 juin et 12 juillet 2021, la société civile immobilière PR INVEST a mis en demeure Madame [U] [Y] d'avoir à signer l'acte sous seing privé de vente. Madame [U] [Y] s'y est refusée.
Par acte d’huissier en date du 6 décembre 2021, la société civile immobilière PR INVEST a assigné Madame [U] [Y] devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE, aux fins notamment de voir déclarer parfaite la vente à la date du 20 mai 2021 entre Madame [U] [Y] et la société civile immobilière PR INVEST, de voir ordonner, aux conditions fixées dans la promesse synallagmatique de vente signée entre les parties le 20 mai 2012 et qui sera annexée à la décision à venir, de l'immeuble situé à [Adresse 1].
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de rôle RG 22/666.
Par acte d'huissier en date du 25 avril 2022, Madame [U] [Y] a assigné la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE aux fins, notamment, de voir, à titre principal, venir la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER concourir au débouté de la société civile immobilière PR INVEST, ou à titre subsidiaire, condamner la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER à relever et garantir Madame [U] [Y] de toutes les condamnations financières mises à sa charge.
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de rôle RG 22/4100.
Par ordonnance du juge de la mise en état du 2 janvier 2023, la procédure RG 22/4100 a été jointe à la procédure RG 22/666.
Aux termes de ses conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats le 29 novembre 2023, au visa des articles 1217 à 1231-7 du code civil, 1590 du même code, et du décret n°55-1350 du 14/10/1955, modifié par n°2012-1462, 26 déc.2012, art.36,1°, la société civile immobilière PR INVEST sollicite de voir :
- juger la vente parfaite à la date du 20/05/2021 sans condition suspensive entre Madame [U] [Y] en qualité de venderesse d’une part, et la SCI PR INVEST en qualité d’acquéreur d’autre part ;
- ordonner la vente forcée, au prix et aux conditions fixées dans la promesse synallagmatique de vente signée entre les parties le 20/05/2012 et qui sera annexée à la décision à intervenir, de l’immeuble situé à [Adresse 1] et dont la désignation suit :
Désignation : Une maison d’habitation avec une annexe de type F2
Située Commune de [Adresse 1]
Cadastré Section [Cadastre 4] pour 1032 M2,
Origine de propriété : Acte de vente du 23/10/1998 publié au 3 ème bureau des hypothèques de [Localité 5] sous les références : 1998 P n°9965
- ordonner que soit fait injonction à Madame [U] [Y] de se présenter devant Maitre [K], Notaire à [Localité 6], avec, le cas échéant, l’assistance du notaire de son choix, dans le délai de trente jours à compter du jugement à intervenir, l’acte définitif de vente qui sera rédigé aux conditions fixées dans la promesse ;
- juger que passé ce délai de trente jours, et sur simple attestation de Maitre [K], Notaire, constatant la carence de la venderesse, le présent jugement vaudra vente et devra être publié au service de publicité foncière de la situation de l’immeuble, conformément aux dispositions de l’article 28 du décret n°55-1350 du 14/10/1955, modifié par .n°2012-1462, 26 déc.2012 ;
- juger que le prix de vente devra être consigné entre les mains Maitre [K] au plus tard le jour de la signature de l’acte en son étude ;
- débouter Madame [U] [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner [U] [Y] à verser à la Société civile immobilière PR INVEST la somme de 20.000 € (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de « 8000,00 Euros (CINQ mille euros) » (sic) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
- condamner [U] [Y] aux entiers dépens, ainsi qu’aux frais éventuels d’exécution.
Au soutien de ses prétentions, la société civile immobilière PR INVEST affirme que la rencontre de volonté entre l'offre et son acceptation est intervenue, de sorte que la vente est parfaite au sens de l'article 1589 du code civil. L'absence de mention manuscrite de la part de la défenderesse est sans importance. Et d'ailleurs, Madame [U] [Y] a manifesté son refus de poursuivre la vente par un mail dans lequel elle indique se « rétracter », ce qui confirme que son consentement avait bien été donné.
Il n'existe aucun vice du consentement de Madame [U] [Y]. L'absence de mandat entre la défenderesse et l'agence immobilière au moment de la passation de l'accord est sans effet, puisque la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER a agi en qualité de mandataire de la société civile immobilière PR INVEST, au titre d'un mandat de recherche.
De même, la promesse synallagmatique de vente n'est pas caduque. En effet, il n'existait aucune condition suspensive dans l'accord de la société civile immobilière PR INVEST et Madame [U] [Y]. C'est la vendeuse qui s'est rétractée, de sorte que l'absence de versement du prix à la date fixée, d'ordinaire cause de caducité, ne peut être retenue. La vente n'avait pas été subordonnée par les parties à la passation d'un acte authentique. La vendeuse n'a pas davantage sollicité le report de la vente au- delà du terme prévu. L'acte ne prévoyait pas que l'immeuble soit libre de toute occupation au jour de la vente. En somme, aucune des causes admises en jurisprudence pour la caducité de la promesse n'est caractérisée.
La défenderesse fait preuve d'une résistance abusive qui justifie l'indemnisation de la demanderesse à hauteur de 20.000 €. En effet, les associés de la société civile immobilière PR INVEST souhaitaient prendre leur retraite près de la Côte d'Azur : c'était la raison de l'acquisition souhaitée du bien immobilier de Madame [U] [Y]. Or, depuis deux ans, ils n'ont pu réaliser ce souhait et ont dû bloquer les sommes correspondantes.
S'agissant des frais irrépétibles, la demanderesse est bien fondée à solliciter la somme de « 8000,00 Euros (HUIT Mille euros) ».
Aux termes de ses conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats le 30 novembre 2023, au visa des articles 1137 et 1138, 1583 et 1589 et suivants, et 1240 du code civil, Madame [U] [Y] sollicite de voir :
A titre principal :
- prononcer la nullité de la lettre d’intention d’achat de biens immobiliers pour vice du consentement et notamment dol ;
A titre subsidiaire :
- dire et juger que la vente n’est pas parfaite ;
- prononcer la caducité de la lettre d’intention d’achat de biens immobiliers ;
« A titre principal toujours : »
- rejeter la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formulée par PR INVEST à l’encontre de Madame [Y] ;
A titre subsidiaire :
- condamner la société CASTELLAS IMMOBILIER à relever et garantir Madame [U] [Y] de toutes les condamnations financières pouvant être mises à sa charge ;
Et en tout état de cause :
- rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés PR INVEST et CASTELLAS IMMOBILIER ;
- condamner in solidum la société PR INVEST et la société CASTELLAS IMMOBILIER au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral de Madame [U] [Y] ;
- condamner la société CASTELLAS IMMOBILIER et la société PR INVEST au paiement de la somme de 6.000 € chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
- dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Au soutien de ses prétentions, Madame [U] [Y] fait valoir à titre principal qu'elle a été victime d'un dol. Suite aux deux mandats précédemment confiés à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, elle était en confiance à l'égard de M. [J], représentant cette agence. Madame [U] [Y] est née en 1948, elle ne s'est pas méfiée. La société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER lui a transmis un document au titre illisible, simplement intitulé « LIA ». Contrairement à des documents similaires transmis à l'occasion des mandats pour vendre précédemment confiés par Madame [U] [Y] à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, la mention « lettre d'intention d'achat » est absente. Il y a donc eu manœuvres dolosives facilitées par l'âge et la fragilité psychologique de la concluante. Ces manœuvres dolosives sont également caractérisées par l'examen du mandat de recherche confié par la société civile immobilière PR INVEST à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER. Un mandat de recherche indique normalement le type de bien recherché, une catégorie. Or, dans le mandat passé entre la demanderesse et la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, n'est visé que le bien immobilier de Madame [U] [Y]. Le mandat de recherche vise donc un bien immobilier que la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER n'avait plus en portefeuille au moment de sa signature.
Le courriel de Madame [U] [Y] par lequel celle-ci s'excuse est simplement la manifestation d'une forme de politesse et non la reconnaissance d'un engagement juridique.
Madame [U] [Y] avait fait connaître dès février 2021 à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER sa volonté de retirer le bien de la vente, ce qui caractérise a fortiori la volonté de tromper son consentement en lui envoyant, en mai 2021, un document sans titre dont elle ignorait la portée juridique.
Si la nullité n'était pas admise, subsidiairement, la défenderesse fait valoir que la lettre d'intention d'achat est devenue caduque. En effet, la lettre prévoyait que le compromis par acte sous seing-privé devait être signé avant le 25 juin. Or, tel n'a pas été le cas en l'espèce. Il s'agissait d'une date butoir pour la signature du compromis et donc pour la validité de l'accord passé par la signature de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER le 20 mai 2021. Dès le 1er juin 2021, Madame [U] [Y] fait part de ce qu'elle n'a plus l'intention de vendre. En réalité, ce n'est pas du seul fait de Madame [U] [Y] que résulte l'absence de signature du compromis, mais de l'inaction de l'ensemble des parties : ce n'est que postérieurement à l'expiration du délai de caducité que la société civile immobilière PR INVEST s'est soudainement manifestée, en prétendant avoir acheté.
Par ailleurs, la vente n'a pas un caractère parfait. La société civile immobilière PR INVEST n'a signé qu'une lettre d'intention d'achat, ce qui constitue une invitation à signer et non un accord des parties. Il n'y a pas d'offre au sens juridique du terme.
Puisque la vente ne saurait prospérer, il ne saurait y avoir de condamnation de la concluante à des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Subsidiairement, Madame [U] [Y] sollicite d'être relevée et garantie de toute condamnation financière à son égard par la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER. Celle-ci a sa responsabilité engagée sur le fondement de la responsabilité civile extra-contractuelle : alors que la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER savait que le bien n'était plus à la vente, elle a contacté Madame [U] [Y] et lui a fait signer un document sans titre à l'impression de mauvaise qualité, pour désormais prétendre que cette signature caractérise une vente parfaite.
Au surplus, Madame [U] [Y] a subi un préjudice moral dont elle sollicite l'indemnisation. Les documents médicaux versés aux débats attestent des pathologies de Madame [U] [Y].
Aux termes de ses conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats le 29 novembre 2023, au visa des articles 1113, 1114, 1121, 1137, 1191 et 1353 du code civil, la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER sollicite de voir :
- rejeter toutes les demandes formulées à l’encontre de la société CASTELLAS IMMOBILIER ;
- condamner Madame [U] [Y] à verser la somme de 2.500 € à la société CASTELLAS IMMOBILIER au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Au soutien de ses prétentions, la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER fait valoir que l'offre d'achat formulée par la société civile immobilière PR INVEST le 20 mai 2021 contenait tous les éléments essentiels du contrat, ainsi que sa volonté d'être liée en cas d'acquisition.
Madame [U] [Y] confirme d'ailleurs dans ses propres conclusions, qu'à l'occasion de négociations précédentes, avec d'autres acquéreurs potentiels, il lui avait été présenté des documents au formalisme similaire valant offre d'achat.
Au surplus, la lecture de l'intitulé de l'acte demeurait possible malgré la mauvaise qualité de l'impression. La signature a eu lieu après un délai de réflexion de trois jours. Seule la signature et non la mention « bon pour accord » lie les parties.
Contrairement à ce que Madame [U] [Y] affirme dans ses conclusions, elle avait toujours l'intention de vendre le bien encore en 2022 : elle avait passé une annonce de vente auprès de l'agence ASTONE IMMOBILIER.
Contrairement à ce qu'affirme Madame [U] [Y], il n'y a pas eu caducité du document signé, puisque c'est elle-même qui a refusé de passer le compromis avant le 25 juin. Ce ne sont pas les parties dans leur ensemble qui ont renoncé à la vente, mais Madame [U] [Y] seule.
S'agissant de l'appel en garantie opéré par la défenderesse principale, la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER n'a commis aucune faute. Madame [U] [Y] n'a subi aucun préjudice moral. Il n'existe aucun lien de causalité entre la chute alléguée par Madame [U] [Y] et les faits litigieux : la chute est survenue dix-sept jours après le refus par Madame [U] [Y] de signer le compromis de vente.
Concernant la résistance abusive et les dommageset-intérêts sollicités par la demanderesse à l'égard de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, seule la résistance opposée par Madame [U] [Y] serait éventuellement fautive : la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER ne peut donc pas la relever et garantir d'une condamnation de ce chef.
Dans un souci de lisibilité du jugement, les mentions du dispositif des conclusions demandant au tribunal de donner acte, constater, dire, dire et juger, rappeler qui ne s'analyseraient pas comme des demandes au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais comme des moyens n'appelant pas de décision spécifique n'ont pas été rappelées dans l'exposé des demandes des parties.
Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Tribunal entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la nullité de la lettre d'intention d'achat :
Madame [U] [Y] fait état d'un dol ayant vicié son consentement lors de la signature du document litigieux le 20 mai 2021.
A ce titre, elle fait état de différentes attitudes de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER qui l'auraient conduite à méconnaître la portée du document signé : relation de confiance antérieure entre Madame [U] [Y] et M. [J], agent de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER ; caractère illisible de l'intitulé du document ; mandat passé entre la société civile immobilière PR INVEST et la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER, visant spécifiquement le bien immobilier de Madame [U] [Y] ; recours à un document similaire à ceux déjà présentés à Madame [U] [Y] dans le cadre de précédentes négociations, sans indiquer à Madame [U] [Y] la portée exacte d'une signature de sa part.
Toutefois, en tout état de cause, il est constant en jurisprudence que le dol ne peut être caractérisé que si les manœuvres alléguées émanent du cocontractant et non pas d'un tiers. Or, c'est avec la société civile immobilière PR INVEST que l'acte a été signé, et non pas avec la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER.
Au surplus, l'ensemble des moyens invoqués par Madame [U] [Y] ne caractérise pas de « manœuvres » de nature à établir un dol, dès lors que :
- la défenderesse, qui fait état de son âge lors de la signature, n'était pas placée sous un régime de protection des majeurs ;
- les stipulations de l'acte signé étaient précises et claires, de sorte que l'absence de titre lisible du document n'empêche pas la compréhension intégrale de celui-ci ;
- il n'est pas allégué qu'une quelconque partie au litige aurait menti à Madame [U] [Y] ou aurait transformé la réalité, afin de la conduire à signer l'acte litigieux : l'argument selon lequel Madame [U] [Y] n'en a pas compris la portée ne caractérise pas pour autant de manœuvre chez ses interlocuteurs.
Dès lors, Madame [U] [Y] sera déboutée de sa prétention tendant à prononcer la nullité de la lettre d’intention d’achat de biens immobiliers.
Sur la perfection de la vente :
L'acte litigieux signé par Madame [U] [Y] et par la société civile immobilière PR INVEST stipule : « ce document commercial doit (note du juge : en gras dans le texte) faire l'objet, en cas d'accord, d'un acte sous seing privé ultérieur soumis au délai de rétractation. »
L'acte stipule également : « la vente, si elle intervient, aura lieu aux conditions ordinaires et de droit. En cas d'acceptation de la présente proposition, un acte sous-seing privé sera établi pour préciser les modalités de la vente : elle sera notamment soumise aux conditions suspensives suivantes :
l'état hypothécaire du bien objet de la présente ne devra pas révéler d'inscription d'un montant supérieur au prix de vente stipulé sauf au vendeur à en apporter mainlevée ;le certificat d'urbanisme ne devra pas révéler de servitude grave pouvant déprécier la valeur du bien vendu ;sans condition suspensive d'un emprunt immobilier ;l'indemnité du séquestre déposé chez le notaire est fixée à trente mille euros (30.000€) ;la réitération de l'acte authentique interviendra au plus tard le 15 janvier 2022. »
Plusieurs choses sont à relever.
D'abord, le document litigieux met en exergue, en plaçant le mot en gras, que même en cas de signature de ce document, la signature d'un acte sous seing privé devra être faite.
Cette mention en gras doit être rapprochée de la mention plus bas : « la vente, si elle intervient, aura lieu... ».
Il résulte donc de la lecture conjuguée de ces deux mentions que les parties ont entendu reporter la réalisation effective de la vente à la passation d'un acte sous seing privé, nonobstant l'accord sur la chose et le prix.
Cette intention est confirmée par d'autres mentions encore. Ainsi, la vente, si elle avait été passée par acte sous seing privé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aurait tout de même été soumise à des conditions suspensives. Or, il n'est ni prétendu ni établi par la société civile immobilière PR INVEST que ces conditions auraient été réalisées. D'ailleurs, la liste des conditions suspensives n'est pas exhaustive dans le document signé : il mentionne « notamment » les « conditions suspensives suivantes ». Madame [U] [Y] et la société civile immobilière PR INVEST auraient donc très bien pu, dans le cadre d'un compromis de vente, ajouter d'autres conditions suspensives, y compris des conditions au bénéfice de Madame [U] [Y], vendeuse potentielle.
Il ne saurait donc être retenu qu'avant même la définition détaillée des conditions suspensives, avant même la réalisation de ces mêmes conditions pas encore définies, en présence d'un acte imposant dès sa première phrase la passation d'un contrat sous seing privé postérieur, et parlant de la vente au conditionnel (« si la vente intervient), l'acte du 20 mai 2021 vaudrait vente parfaite au sens de l'article 1589 du code civil.
Au surplus, Madame [U] [Y] fait valoir que l'intitulé du document, « lettre d'intention d'achat », n'était pas lisible, ce qui l'a trompée sur la portée de la signature de celui-ci.
La société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER fait au contraire valoir que cette mention était lisible, et qu'en tout état de cause, lors de précédentes négociations, Madame [U] [Y] s'était vue présenter de semblables documents, de sorte qu'elle ne pouvait que connaître la portée de celui-ci.
Sur ce point, le juge relève que c'est à bon droit que Madame [U] [Y] fait valoir que l'intitulé du document était illisible : la version produite devant le présent Tribunal en atteste. Mais quand bien même elle aurait été lisible, il y a lieu de rappeler que, sauf à ce qu'elle manifeste clairement l'intention des parties de passer la vente dès la signature, une lettre d'intention d'achat n'est que la déclaration unilatérale d'une « intention », comme son nom l'indique. Elle ne constitue pas, sauf volonté des parties résultant de la lecture des termes de l'acte, une offre au sens juridique du terme, valant vente si elle est acceptée par le destinataire de cette déclaration d'intention.
Dès lors, si la mention litigieuse avait été parfaitement lisible, ce qui n'est pas le cas, elle aurait encore davantage caractérisé le fait que ce document ne constituait pas, même en cas de signature, une vente parfaite.
La société civile immobilière PR INVEST et la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER font valoir que, dans un mail, Madame [U] [Y] s'excuse de se « rétracter », ce qui constituerait la reconnaissance implicite par Madame [U] [Y] de son engagement antérieur.
Toutefois, il résulte de la lecture de ce mail que Madame [U] [Y], profane, manifeste uniquement le regret d'avoir fait perdre du temps à ses interlocuteurs et s'excuse de ce chef. Ce mail est une manifestation de la courtoisie de la défenderesse. Madame [U] [Y] énonce se « rétracter de cette affaire », ce qui peut parfaitement renvoyer à l'interruption des pourparlers entre les parties.
En réalité, l'acte litigieux, du fait de son imprécision, a subordonné l'existence même de la vente à la rédaction d'un acte sous seing privé ultérieur. De ce chef, l'acte du 20 mai 2021 s'analyse comme un contrat intervenu dans le cadre de pourparlers contractuels (voir par exemple cas similaire, C. cass., 3ème civ., 11 mai 2023, n°22-11.287).
Il y a donc lieu de retenir que le contrat du 20 mai 2021 ne constitue pas une vente parfaite.
Sur la caducité de la lettre d'intention d'achat :
Madame [U] [Y] a signé la lettre d'intention d'achat le 20 mai 2021. Dès lors, celle-ci n'a pas pu devenir caduque. Si elle ne constitue pas juridiquement une vente, elle n'en demeure pas moins valable et Madame [U] [Y] sera déboutée de sa prétention relative à la caducité.
Sur la vente forcée :
Puisque l'acte du 20 mai 2021 ne constitue pas une vente parfaite, la société civile immobilière PR INVEST sera déboutée de sa prétention tendant à voir ordonner la vente forcée du bien immobilier sis à [Adresse 1].
La demanderesse sera subséquemment déboutée de ses prétentions tendant à :
- ordonner que soit fait injonction à Madame [U] [Y] de se présenter devant Maitre [K], Notaire à [Localité 6], avec, le cas échéant, l’assistance du notaire de son choix, dans le délai de trente jours à compter du jugement à intervenir, l’acte définitif de vente qui sera rédigé aux conditions fixées dans la promesse ;
- juger que passé ce délai de trente jours, et sur simple attestation de Maitre [K] Notaire constatant la carence de la venderesse, le présent jugement vaudra vente et devra être publié au service de publicité foncière de la situation de l’immeuble, conformément aux dispositions de l’article 28 du décret n°55-1350 du 14/10/1955, modifié par .n°2012-1462, 26 déc.2012 ;
- juger que le prix de vente devra être consigné entre les mains Maitre [K], au plus tard, le jour de la signature de l’acte en son étude.
Sur la résistance abusive :
Le document signé entre les parties n'ayant jamais eu valeur de vente et la société civile immobilière PR INVEST ne formant aucune prétention subsidiaire, notamment indemnitaire, du fait du refus de Madame [U] [Y] de passer l'acte sous seing privé, c'est à bon droit que Madame [U] [Y] fait valoir qu'elle n'a pas abusivement résisté aux prétentions de la société civile immobilière PR INVEST.
La société civile immobilière PR INVEST sera déboutée de sa prétention tendant à voir condamner Madame [U] [Y] à lui verser la somme de 20.000 € au titre de la résistance abusive.
Sur le préjudice moral de Madame [U] [Y] :
Madame [U] [Y] n'établit la preuve d'aucune faute de la part de la société civile immobilière PR INVEST, ni de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER. Le juge ne comprend pas le lien que la défenderesse entend faire entre sa chute du 11 juin 2021 et le fait qu'elle a signé un document le 20 mai 2021.
Par ailleurs, c'est bien Madame [U] [Y] qui a signé un document dans le cadre de pourparlers, puis s'est ensuite rétractée de ces négociations en faisant valoir que, tous comptes faits, elle avait mal évalué précédemment les contraintes que pourrait entraîner pour elle la poursuite du processus contractuel.
La défenderesse est donc particulièrement mal fondée à solliciter l'indemnisation d'un préjudice moral pour lequel elle ne démontre aucune faute de la part de ses interlocuteurs, préjudice d'ailleurs sans lien établi avec les fautes prétendues, et ce alors que l'existence même de la présente procédure résulte de la signature trop hâtive par Madame [U] [Y] d'un document dans le cadre de tractations.
Elle sera déboutée de sa prétention au titre du préjudice moral.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Il y a lieu de condamner la société civile immobilière PR INVEST, déboutée de ses demandes, aux entiers dépens.
La société civile immobilière PR INVEST, déboutée de ses prétentions, sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [U] [Y], qui est bien fondée dans sa défense, n'en a pas moins un rôle dans la survenance de la présente procédure : elle a signé le document litigieux, avant de s'en rétracter au motif qu'elle en avait mal évalué les possibles conséquences. Cette responsabilité dans l'existence du litige, quand bien même la défenderesse est bien fondée dans sa résistance, est à prendre en considération dans l'évaluation des frais irrépétibles que la société civile immobilière PR INVEST devra lui verser.
Il y a lieu de condamner la société civile immobilière PR INVEST à verser à Madame [U] [Y] la somme de 1.500 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aucune condamnation n'est mise à la charge de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER. C'est donc à tort qu'elle a été attraite devant le présent Tribunal par Madame [U] [Y]. Toutefois, la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER affirme, à tort, que la vente était parfaite et soutient activement dans ses conclusions les prétentions mal fondées de la société civile immobilière PR INVEST. La défenderesse, professionnelle de l'immobilier, énonce que l'acte signé le 20 mai 2021, qu'elle a elle-même soumis à Madame [U] [Y], vaudrait vente, alors que tel n'est manifestement pas le cas au regard de la lecture de ses clauses. L'ambiguïté des stipulations du document fourni par la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER à la société civile immobilière PR INVEST et Madame [U] [Y] pour signature joue également un rôle causal dans l'existence du présent litige. Dès lors, ce rôle partiel de la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER dans la survenance d'un litige doit être pris en compte dans l'évaluation du montant des frais irrépétibles que la défenderesse peut se voir allouer.
Il y a lieu de condamner Madame [U] [Y] à verser à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire :
L’article 514 du code de procédure civile dispose que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. »
La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition de la décision au greffe après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort :
DEBOUTE Madame [U] [Y] de sa prétention tendant à voir prononcer la nullité de la lettre d’intention d’achat de biens immobiliers ;
DIT que le document signé par Madame [U] [Y] le 20 mai 2021 ne constitue pas une vente parfaite ;
DEBOUTE Madame [U] [Y] de sa prétention tendant à voir déclarer caduque la lettre d'intention de vente ;
DEBOUTE la société civile immobilière PR INVEST de sa prétention tendant à voir ordonner la vente forcée du bien immobilier sis à [Adresse 1] ;
DEBOUTE la société civile immobilière PR INVEST de sa prétention tendant à voir « ordonner que soit fait injonction à Madame [U] [Y] de se présenter devant Maitre [K], Notaire à [Localité 6], avec, le cas échéant, l’assistance du notaire de son choix, dans le délai de trente jours à compter du jugement à intervenir, l’acte définitif de vente qui sera rédigé aux conditions fixées dans la promesse » ;
DEBOUTE la société civile immobilière PR INVEST de sa prétention tendant à voir « juger que passé ce délai de trente jours, et sur simple attestation de Maitre [K] Notaire constatant la carence de la venderesse, le présent jugement vaudra vente et devra être publié au service de publicité foncière de la situation de l’immeuble conformément aux dispositions de l’article 28 du décret n°55-1350 du 14/10/1955, modifié par .n°2012-1462, 26 déc.2012 » ;
DEBOUTE la société civile immobilière PR INVEST de sa prétention tendant à voir « juger que le prix de vente devra être consigné entre les mains Maitre [K] au plus tard le jour de la signature de l’acte en son étude » ;
DEBOUTE la société civile immobilière PR INVEST de sa prétention à la somme de 20.000 € au titre de la résistance abusive de Madame [U] [Y] ;
DEBOUTE Madame [U] [Y] de sa prétention à la somme de 20.000 € au titre du préjudice moral ;
CONDAMNE la société civile immobilière PR INVEST aux entiers dépens ;
DEBOUTE la société civile immobilière PR INVEST de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société civile immobilière PR INVEST à verser à Madame [U] [Y] la somme de mille cinq cents euros (1.500 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Madame [U] [Y] à verser à la société à responsabilité limitée CASTELLAS IMMOBILIER la somme de mille cinq cents euros (1.500 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire ;
REJETTE les prétentions pour le surplus.
Ainsi jugé et prononcé les jour, mois et an susdits.
LA GREFFIERELE PRESIDENT