REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
POLE SOCIAL
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 2]
[XXXXXXXX01]
JUGEMENT N°24/02289 DU 14 Mai 2024
Numéro de recours: N° RG 23/01712 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3ODR
AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [S] [T]
né le 04 Août 1960 à
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Christine SOUCHE-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
C/ DEFENDERESSE
Organisme CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA SNCF
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Mme [V] (Inspecteur) muni d’un pouvoir spécial
DÉBATS : A l'audience Publique du 26 Mars 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : MEO Hélène
Assesseurs : HERAN Claude
MOLINA Sébastien
Greffier lors des débats : AROUS Léa,
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 14 Mai 2024
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Le 4 juin 2015, la [10] (ci-après [10]) a régularisé une déclaration d’accident du travail pour le compte de son salarié, M. [S] [T], exerçant au moment des faits la profession de correspondant de sécurité du personnel, mentionnant les circonstances suivantes :
« Date de l’accident : 28.05.15 ; Heure : 16h40 ; Lieu de l’accident : [Localité 9] ; Circonstances précises de l’accident : […] quand je suis sorti du bureau, je me suis assis sur ma chaise et j’ai senti un très violent mal de tête. [N] et [K] [F] sont venues et je leur ai dit que j’ai très mal à la tête et j’avais du mal à parler ; Nature des lésions : AVC ; Siège des lésions : la tête ».
Le certificat médical initial établi le 28 mai 2015 par le Dr [X] [D] du service neurologie des hôpitaux de [8] à [Localité 9], a constaté un « AVC ischémique thalamique gauche [terme illisible] avec troubles [terme illisible] et cognitifs » justifiant des soins et un arrêt de travail jusqu’au 31 juillet 2015.
Par décision du 5 avril 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a reconnu le caractère professionnel de cet accident.
Suivant décision du 20 octobre 2022 notifiée le 3 novembre 2022, la commission spéciale des accidents du travail de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (ci-après la CPR), statuant en matière médicale, a définitivement fixé, suite au recours amiable formé par M. [S] [T], la date de consolidation de l’état de santé de ce dernier au 18 avril 2018.
Selon courrier du 15 novembre 2022, la CPR a notifié à M. [S] [T] l’attribution d’une rente calculée sur la base d’un taux d’incapacité permanente partielle de 30 %.
Par deux courriers du 14 décembre 2022, M. [S] [T] a de nouveau saisi la commission spéciale des accidents du travail de la CPR statuant en matière médicale d’un recours à l’encontre de cette décision.
Par requête en date du 4 mai 2023 reçue au greffe le 15 mai, M. [S] [T] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d’un recours à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission spéciale des accidents du travail de la CPR.
Selon décision du 29 septembre 2023, le pôle social a ordonné la réalisation d’une consultation médicale et désigné le Docteur [E] [A] pour y procéder.
Suivant courrier du 17 octobre 2023, la commission spéciale des accidents du travail de la CPR, statuant en matière médicale, a notifié à M. [S] [T] la révision de son taux d’incapacité permanente partielle à hauteur de 60 %.
Par courrier du 24 octobre 2023, la CPR a notifié à M. [S] [T] le nouveau montant de sa rente, calculé sur la base du taux révisé.
Le Docteur [A] a déposé son rapport de consultation médicale le 22 novembre 2023 et préconisé la révision du taux d’incapacité permanente partielle à hauteur de 90 %.
Les parties ayant été régulièrement convoquées, l’affaire a été appelée à l’audience du 26 mars 2024.
En demande, M. [S] [T] représenté à l’audience par son conseil, reprend oralement les termes de ses dernières écritures et sollicite le tribunal aux fins de :
- Déclarer son recours recevable et bien fondé ;
- Constater ses séquelles indemnisables telles que décrites par le Docteur [A] désigné par le tribunal pour pratiquer l’examen médical ;
- Fixer son taux d’incapacité à 90 % au titre du taux médical et 8 % au titre du taux professionnel, soit 98 % ;
- Ordonner la régularisation de la rente sur la base du taux d’incapacité nouvellement fixé à effet de la date de consolidation ;
Subsidiairement et avant-dire droit :
- Ordonner une expertise et désigner à cet effet tel expert qu’il plaira au tribunal parmi les experts spécialisés en matière de sécurité sociale sur les listes des experts judiciaires selon mission telle que décrite dans ses conclusions afin de se prononcer sur son taux d’incapacité au titre du taux médical et du taux professionnel ;
- Dire que l’expertise aura lieu aux frais avancés de la caisse ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens ;
- Et tout autre que le tribunal pourrait prononcer.
Au soutien de ses prétentions, M. [S] [T] fait principalement valoir que le médecin consultant n’a pas pris en compte, dans son évaluation, les répercussions de son accident sur sa situation professionnelle.
En défense, la CPR, représentée par sa directrice déléguée à la protection sociale dûment mandatée, reprend oralement les termes de ses dernières écritures et demande au tribunal de bien vouloir :
- Confirmer le taux d’incapacité permanente partielle de 60 % à la date de consolidation du 18 avril 2018 ;
- Rejeter la demande d’attribution d’un taux professionnel ;
- Débouter M. [S] [T] de l’ensemble de ses demandes.
Au soutien de ses prétentions, la CPR fait principalement valoir que les séquelles présentées par M. [S] [T] ne justifie pas l’application d’un taux d’incapacité permanente partielle supérieur à 60 %.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs moyens et prétentions.
L'affaire a été mise en délibéré au 14 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le taux d’incapacité permanente partielle
Aux termes de l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, le taux d’incapacité permanente résultant d’un accident ou d’une maladie professionnelle est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité annexé audit code.
Aux termes des principes généraux de ce barème, les quatre premiers éléments de l'appréciation concernent donc l'état du sujet considéré, du strict point de vue médical.
Le dernier élément concernant les aptitudes et la qualification professionnelle est un élément médico-social et il appartient au médecin chargé de l'évaluation, lorsque les séquelles de l'accident ou de la maladie professionnelle lui paraissent devoir entraîner une modification dans la situation professionnelle de l'intéressé, ou un changement d'emploi, de mettre en relief ce point susceptible d'influer sur l'estimation globale.
S’agissant du calcul du taux médical, en cas d’infirmités multiples c’est-à-dire intéressant des membres ou des organes différents, le barème dispose que lorsque les lésions portant sur des membres différents intéressent une même fonction, les taux estimés doivent s'ajouter, sauf cas expressément précisés au barème.
Pour des infirmités multiples ne portant pas sur une même fonction, il y a lieu d'estimer en premier, l'une des incapacités. Le taux ainsi fixé sera retranché de 100 (qui représente la capacité totale) : on obtiendra ainsi la capacité restante. Sauf cas particulier prévu au barème, l'infirmité suivante sera estimée elle-même, puis rapportée à la capacité restante. On obtiendra ainsi le taux correspondant à la deuxième séquelle : l'incapacité globale résultera de la somme des deux taux, ainsi calculés. Celle-ci sera la même quel que soit l'ordre de prise en compte des infirmités.
Cette façon de calculer l'incapacité globale résultant de lésions multiples ne revêt qu'un caractère indicatif. Le médecin chargé de l'évaluation peut toujours y apporter des modifications ou adopter un autre mode de calcul à condition de justifier son estimation.
En l'espèce, M. [S] [T] sollicite la revalorisation de son taux d’Incapacité permanente partielle à hauteur de 98 % avec revalorisation du taux médical à 90 % et application d’un taux professionnel de 8 %.
S’agissant du taux médical, le rapport initial du médecin conseil de la caisse, le Dr [H] [C], décrit l’état de santé de M. [T] au 10 avril 2018 en ces termes : « aspect usé ; marche difficile, élargissement du polygone de sustentation ; troubles de l’élocution, perte de la mémoire immédiate, fausse route, perte d’urines. ».
Au 20 décembre 2021, il constate : « Ralentissement psychomoteur ; Aspect usé ; Marche difficile ; Elargissement du polygone de sustentation ; Accroupissement précautionneux ; Appui monopodal incertain des 2 côtés […] Importante souffrance psychologique rendant l’évaluation cognitive difficile ; troubles de l’élocution, perte de la mémoire immédiate ; date de consolidation : 18 octobre 2021 ; Taux d’IPP : 30 % ; Motif : syndrome anxiodépressif ».
Le Dr [S] [P], médecin conseil de recours de M. [T], a fait valoir les observations suivantes à l’analyse du rapport du Dr [C] : « J’ai lu le rapport de ma consœur le Docteur [C]. Je comprends donc que dans les suites d’un accident vasculaire cérébral, un taux de 30 % de séquelle est retenu pour des troubles anxieux, sans aucune analyse neurocognitive, malgré la perturbation de l’élocution, de l’examen neurologique, des doléances témoignant de nécessité de surveillance du fait d’une désorientation temporospatiale, chez un patient qui ne conduit pas, ne peut pas se livrer à des activités de façon totalement autonome, sans supervision ou en tout cas vérification de sécurisation. Effectivement, il existe en outre des difficultés de déambulation toutefois sans impératif de port de cannes anglaises […].
Je suis parfaitement d’accord avec le taux retenu de 30 % pour cette seule composante [la souffrance anxiodépressive] en écho à l’état séquellaire neurologique (un syndrome psychiatrique ou une névrose post-traumatique justifie à peu près un taux de 20 à 40 %) mais, d’autre part, tiens à rappeler que le barème prévoit ici pour les difficultés objectives à la marche avec élargissement du polygone de sustentation, troubles de l’élocution, perturbation de la concentration, manque du mot, perte d’initiative, mise en danger potentielle par exemple sur la surveillance de son traitement (stable depuis 2018), d’un taux de globalement 60 %.
Selon le barème d’invalidité de l’Union des caisses nationales d’assurance-maladie, c’est bien un taux de 90 % que j’aurais retenu à la date de stabilité lésionnelle en 2018, sur un état qui n’a pas du tout évolué jusqu’en 2021. ».
Pour relever le taux d’incapacité permanente partielle de M. [S] [T] à hauteur de 60 %, la commission statuant en matière médicale de la CPR a noté : « Compte tenu de l’existence de troubles neurologiques séquellaires à type de troubles de l’élocution, des troubles moteurs statiques avec élargissement du polygone de sustentation, des difficultés locutoires associés à des troubles anxiodépressifs nécessitant un traitement spécifique toujours en cours actuellement, la Commission considère que le taux d’IPP peut être porté à 60 % dont 30 % pour les troubles neurologiques et 30 % pour le syndrome anxiodépressif conformément au barème indicatif d’invalidité en accident du travail et maladies professionnelles (chapitre 4). »
Dans le cadre du présent recours, le tribunal a consulté le Docteur [E] [A] qui a conclu à l’existence de séquelles multiples intéressant des membres différents mais concernant une même fonction et proposé un taux de 90 % au motif d’un « taux d’IPP de 30 % maintenu pour le syndrome anxiodépressif, taux d’IPP de 60 % pour l’ensemble des séquelles physiques : troubles de la marche, troubles de l’élocution, ralentissement idéomoteur avec troubles de la mémoire et de l’attention ».
La CPR s’oppose à l’entérinement du rapport du médecin consultant au motif, d’une part, que celui-ci se serait référé au barème relatif aux maladies professionnelles en lieu et place de celui concernant les accidents du travail, et, d’autre part, que, s’agissant de séquelles multiples ne portant pas sur une même fonction et non de séquelles multiples concernant une même fonction, les taux ne doivent pas s’additionner mais être retranchés à la capacité restante selon la règle de Balthazard.
Le tribunal relève cependant que, si le barème auquel se réfère le médecin consultant est effectivement erroné, les taux préconisés par les deux barèmes sont sensiblement identiques s’agissant des séquelles concernées de sorte que le moyen est inopérant.
En outre, dès lors que les séquelles présentées par M. [S] [T] sont toutes causées par l’altération de ses fonctions cérébrale, il y a lieu de considérer que le médecin consultant était bien fondé à procéder à l’addition des taux respectifs des différentes incapacités constatées.
Le tribunal rappelle au demeurant que l’application de la règle de Balthazard ne constitue pas une obligation pour le médecin chargé de l’évaluation.
S’agissant du taux professionnel, M. [S] [T] sollicite une majoration de 8% du taux retenu par le médecin consultant au motif qu’il n’a jamais été en mesure de reprendre son emploi après son accident, ni même aucune autre activité professionnelle et qu’il a été placé à la retraite de manière anticipée.
La CPR soutient pour sa part que M. [T] a été réformé sans décote de sorte qu’il n’a subi aucun préjudice dans le calcul de sa pension ou perte de salaire.
Le tribunal constate que le médecin consultant n’a pas jugé pertinent, dans son évaluation globale de la situation de M. [S] [T], de proposer l’application d’un coefficient professionnel.
M. [S] [T] ne verse aux débats aucun élément justifiant d’écarter l’avis du médecin consultant et d’appliquer le coefficient professionnel sollicité compte-tenu par ailleurs de la précision apportée par l’employeur.
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, le rapport du docteur [A] sera entériné et le taux d’incapacité permanente partielle de M. [S] [T] sera fixé à 90 %.
Ce dernier sera renvoyé devant la caisse pour être rempli de ses droits à compter de la notification du présent jugement.
Sur les demandes accessoires
En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la CPR, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens de l’instance.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics par jugement contradictoire et en premier ressort mis à disposition au greffe,
DECLARE recevable et bien fondé le recours de M. [S] [T] ;
FIXE le taux d’incapacité permanente partielle de M. [S] [T] résultant de l’accident du travail dont il a été victime le 28 mai 2015 à hauteur de 90 % ;
CONDAMNE la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF à revaloriser la rente de M. [S] [T] en application d’un taux d’incapacité permanente partielle de 90 % à compter de la date de consolidation le 18 avril 2018;
RAPPELLE que la présente décision a vocation à se substituer aux décisions de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF ;
CONDAMNE la caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire aux dépens de l’instance ;
Conformément aux dispositions de l'article 538 du code de procédure civile, et sous peine de forclusion, les parties disposent pour d'un délai d’un mois pour interjeter appel à compter de la notification de la présente décision.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE