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07/05/2024 | FRANCE | N°21/01403

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 07 mai 2024, 21/01403


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]


JUGEMENT N°24/01880 du 07 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01403 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YZ2O

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [W] [L]
né le 06 Avril 1959 à [Localité 8] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Adresse 3]
représentée par Mme [H] (Inspecteur)




DÉBATS : Ã

€ l'audience publique du 01 Février 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PAWLOWSKI Anne-Sophie, Vice-Présidente

Asse...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]

JUGEMENT N°24/01880 du 07 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01403 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YZ2O

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [W] [L]
né le 06 Avril 1959 à [Localité 8] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Adresse 3]
représentée par Mme [H] (Inspecteur)

DÉBATS : À l'audience publique du 01 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PAWLOWSKI Anne-Sophie, Vice-Présidente

Assesseurs : DEODATI Corinne
CASANOVA Laurent

L’agent du greffe lors des débats : AROUS Léa,

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 07 Mai 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

[P] [Z] a travaillé en qualité de :
- manœuvre pour le compte des chantiers navals de [Localité 7] du 13 septembre 1982 au 31 octobre 1986 ;
- technicienne atelier au sein de la société [5] du 21 août 1989 au 14 octobre 1991.

La caisse régionale d’assurance maladie du Sud-Est lui a attribué une allocation des travailleurs de l’amiante à compter du 01er février 2010.

Elle est décédée le 15 juillet 2019 d’une insuffisance respiratoire liée à une infiltration pleurale.

[W] [L], a déclaré, pour le compte de sa concubine, [P] [Z], une maladie professionnelle le 07 août 2019 du 04 décembre 2018 faisant mention de « pleurésie droite + plèvre multi nodulaire, exposition amiante, pas de tabac, suspicion de mésothéliome thoracique le 12/12/2018, AEG marquée, amaigrissement, chimiothérapie systématique ».

L’affection n’étant pas désignée dans un tableau de maladies professionnelles, la caisse primaire centrale d’assurance maladie (CPCAM) des Bouches du Rhône a transmis le dossier de [P] [Z] au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour examen.

Par avis du 22 janvier 2021, le CRRMP de la région PACA Corse a rejeté l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie de [P] [Z] et son travail habituel.

Par courrier du 28 janvier 2021, la CPCAM a notifié à [W] [L] cet avis défavorable.

Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception expédié le 26 mai 2021, [W] [L] a, par l’intermédiaire de son avocate, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de contester la décision de la commission de recours amiable de la CPCAM des Bouches du Rhône du 30 mars 2021 ayant rejeté son recours contre l’avis défavorable du CRRMP.

Par ordonnance du 17 janvier 2023, le président du pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a, dans le cadre de l’instruction de l’affaire, désigné un second CRRMP (région Grand Est) avec pour mission de :
- dire si l’affection présentée par [P] [Z], décédée, a été essentiellement et directement causée par son travail habituel,
- dire si cette affection devait être prise en charge sur la base de la législation relative aux maladies professionnelles, hors tableau.

Le CRRMP région Grand Est a rendu son avis le 04 septembre 2023.

L’affaire a été retenue à l’audience du 01er février 2024.

Par voie de conclusions soutenues oralement par son avocate, [W] [L] demande au tribunal de :

A titre principal :
- dire et juger que la pathologie dont était atteint et dont est décédée [P] [Z] a été directement et essentiellement causée par son travail habituel et doit faire l’objet d’une prise en charge au titre de la législation professionnelle,
- lui accorder en conséquence le bénéfice de la législation sur les maladies professionnelles/accident du travail,

A titre subsidiaire :
- dire que les avis des CRRMP de la région PACA et de la région Grand Est sont irréguliers en raison de l’absence de consultation de l’avis du médecin du travail,
- annuler par conséquent les avis des CRRMP de la région PACA et de la région Grand Est en application des dispositions de l’article D 461-29 du code de la sécurité sociale, dans sa version antérieure au décret n°2019-356 du 23 avril 2019,
- ordonner la saisine par la CPAM d’un premier CRRMP, en application de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale, avec pour mission de dire si la pathologie dont est atteint [P] [Z] a été directement et essentiellement causée par son travail habituel,
- enjoindre à la CPAM de transmettre au CRRMP désigné l’avis d’un médecin du travail ou, à défaut, de justifier qu’elle a été dans l’impossibilité de le faire,

En tout état de cause :
- condamner la CPAM à verser aux ayants droits de [P] [Z] la somme de 2 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par voie de conclusions soutenues oralement par une inspectrice juridique, la CPCAM des Bouches du Rhône conclut au rejet de l’ensemble des demandes de [W] [L] et sollicite, à titre reconventionnel, sa condamnation au paiement d’une somme de 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et leurs moyens.

L’affaire a été mise en délibéré au 07 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’affection et le travail habituel

Aux termes de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, peut être reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

La caisse primaire reconnaît alors l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Par avis du 22 janvier 2021, le CRRMP de la région PACA Corse a rejeté le lien de causalité direct et essentiel entre la pathologie déclarée et l’exposition professionnelle incriminée aux motifs suivants :
« Le comité est interrogé au titre du 7ème alinéa pour affection non inscrite dans un tableau de maladies professionnelles et entraînant le décès en date du 15/07/2019.
La nature de l’affection est confirmée par le compte rendu anatomo-pathologique du 12/12/2018 indiquant ‘cytologie en faveur d’une localisation pleurale métastatique d’un adénocarcinome’, par l’échographie endoscopie bilio-pancréatique du 07/01/2019, l’IRM pancréatique du 11/01/2019 et l’IRM pelvienne du 14/01/2019.

La profession exercée du 25/02/1980 au 14/10/1991 est celle de manœuvre et technicienne d’atelier pour les chantiers navals.

Selon la déclaration de la fille de l’intéressée ‘elle sciait et découpait des matériaux contenant de l’amiante et elle travaillait à côté de tous corps de métiers (peintres, ouvriers), elle inhalait tous types de poussières dont de l’amiante. Elle effectuait des travaux de maintenance effectués sur des matériels dans des locaux et annexes revêtus pouvant contenir des matériaux à base d’amiante’.
La salariée a été exposée à l’amiante durant sa carrière professionnelle. Cependant dans la mesure où dans le dossier transmis au CRRMP, il n’a pas été mis en évidence de cancer primitif, le comité ne retient pas un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et la profession exercée.».

Par avis du 04 septembre 2023, le CRRMP région Grand Est a également rejeté l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie présentée et l’activité professionnelle réalisée aux motifs suivants :
« Monsieur [L] [W], ayant droit de Madame [Z] [P], décédée le 15/07/2019, a rédigé le 18/06/2020 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle hors tableau au titre de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale pour une pathologie tumorale pleurale et péritonéale à type de carcinome, appuyée par un certificat médical initial établi le 04/12/2018.

L’intéressée fut manœuvre et technicienne d’atelier pour les chantiers navals de 1980 à 1991. Son activité consistait probablement à fabriquer des circuits. La description apportée, à ce titre par l’une de ses collègues de travail, ne mentionne pas d’exposition avérée à l’amiante.
Le deuxième témoignage évoque une exposition passive (flocage des locaux à l’amiante) considérée comme non significative, en raison de l’absence d’intervention directe sur celui-ci (flocage).

En conséquence, les membres du CRRMP estiment qu’un lien direct et essentiel ne peut être établi entre la maladie présentée et l’activité professionnelle exercée ».

La CPCAM sollicite l'homologation de ces deux avis.

[W] [L] demande, quant à lui, à ce qu’ils soient écartés. Il considère en effet qu’il rapporte la preuve d’un lien direct et essentiel entre la pathologie dont est décédée [P] [Z] et son travail habituel.

Conformément aux dispositions de l'alinéa 7 de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale sus-mentionné, la maladie déclarée par [P] [Z], dès lors qu’il n’est pas contesté qu’il s’agit d’une maladie « hors tableau » - ne peut être reconnue d'origine professionnelle que s'il est établi qu'elle est directement et essentiellement causée par le travail habituel de la victime.

Les deux CRRMP ont rendu des avis défavorables sur ce point.

Néanmoins, dans la mesure où le tribunal n’est pas lié par ces derniers, il lui appartient de déterminer si la pathologie dont souffrait [P] [Z] présentait un lien direct et essentiel avec son travail habituel.

[P] [Z] a travaillé en qualité de :
- manœuvre pour le compte des chantiers navals de [Localité 7] du 13 septembre 1982 au 31 octobre 1986 ;
- technicienne atelier au sein de la société [5] du 21 août 1989 au 14 octobre 1991.

Il ressort du témoignage de sa fille recueillie dans le cadre de l’enquête administrative réalisée par la caisse que [P] [Z] « effectuait des travaux de découpe et de ponçage sur les chantiers navals » et qu’elle « utilisait des scies, ponceuses, marteau, tout matériel nécessaire à la découpe et à la maintenance ».

[W] [L] verse aux débats deux témoignages d’anciens collègues qui décrivent ses conditions de travail en ces termes :
« J’ai travaillé dans la même entreprise [4] et ensuite (…) dans l’atelier ou effectuer la fabrication de circuits imprimés pneumatiques dont la matière première était le plexiglas. Les opérations se faisaient de A à Z, scie à panneaux, gravures sur panthographe, mise en cire des (…) ponçage à main sur des tables avec aspiration et (…) suivi d’un collage de 3 plaques pour former un circuit cette colle était un produit très fort ça se faisait sur une table avec des extracteurs et un (…) des lunettes car les yeux nous piquaient, l’étape suivante était le perçage sur des machines et passe dans une étuve pendant 24 H à 90°. Pour évacuer la cire, suivi d’un ponçage AVT la peinture au pistolet, devant un rideau d’O et un masque. Ensuite, finition et (…). Tout ça dans des locaux amiantés, le nettoyage c’était avec le balais et la soufflette pour les recoins ». [S] [N] complète son témoignage dans le cadre de la présente procédure en indiquant : « l’amiante se trouvait en particulier dans les étuves locales où l’on mettait les circuits imprimés la veille avec température 100° pour pouvoir les laver une fois que la cire obstruant les canaux des circuits se fondait ».

[F] [J] ajoute : « Nous avons été soumis à un environnement dans lequel l’amiante était présente. Nous étions au service dans les ateliers dont les plafonds étaient floqués d’amiante. On travaillait sans masque de protection et dans l’ignorance des consignes de sécurité. Evidemment nous n’avions pas été avertis des dangers de l’amiante ».

Ces éléments établissent l’exposition de [P] [Z] à l’amiante ; exposition qu’a par ailleurs reconnu le CRRMP de la région PACA Corse dans son avis.

Ce comité justifie l’absence de lien direct et essentiel par le fait qu’il n’ait pas été mis en évidence de cancer primitif mais ce critère n’est pas pertinent en l’espèce dès lors que [P] [Z] ne présentait aucun facteur de risque extra-professionnel.

Par ailleurs, l’argument retenu par le CRRMP de la région Grand Est selon lequel l’exposition à l’amiante n’ait été que « passive » n’est pas établi, [P] [Z] ayant été exposée à l’inhalation de poussières d’amiante du fait de sa présence dans les étuves dans une atmosphère contenant de l’amiante et sans matériel de protection.

Au regard de ces éléments, il convient de considérer que la pathologie de [P] [Z] se trouve en lien direct et essentiel avec son travail habituel.

Par conséquent, il sera fait droit à la demande de [W] [L] et le caractère professionnel de la pathologie de [P] [Z] sera reconnu.

Sur les demandes accessoires

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens seront laissés à la charge de la CPCAM des Bouches du Rhône.

L’issue du litige comme l’équité ne justifient pas qu’il soit fait droit aux demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire ne sera pas ordonnée car inopportune.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience publique par mise à disposition au secrétariat, par jugement contradictoire et en premier ressort,

FAIT DROIT au recours introduit par [W] [L] et reconnaît le caractère professionnel de la maladie de [P] [Z] décédée le 15 juillet 2019 ;

RENVOIE [W] [L] devant la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône afin qu'il soit rempli de ses droits ;

LAISSE les dépens à la charge de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône ;

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire.

DIT que tout appel de la présente décision doit être formé, à peine de forclusion, dans le délai d’un mois à compter de sa notification, conformément aux dispositions de l'article 538 du Code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 21/01403
Date de la décision : 07/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-07;21.01403 ?
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