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06/05/2024 | FRANCE | N°20/02682

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 06 mai 2024, 20/02682


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 2]


JUGEMENT N°24/02128 du 06 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 20/02682 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YBBL

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [G] [P]
né le 23 Janvier 1962 à [Localité 10] (NORD)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
comparant en personne assisté de Me Patrice HUMBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Amaury AYOUN, avocat au barreau de MARSEILLE


c/ DEFENDERESSE
S.A.R.L. [11]<

br>[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 1]
représentée par Me Laurence NASSI-DUFFO, avocat au barreau de MARSEILLE


Appelées en la cause:
...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 2]

JUGEMENT N°24/02128 du 06 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 20/02682 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YBBL

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [G] [P]
né le 23 Janvier 1962 à [Localité 10] (NORD)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
comparant en personne assisté de Me Patrice HUMBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Amaury AYOUN, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.A.R.L. [11]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 1]
représentée par Me Laurence NASSI-DUFFO, avocat au barreau de MARSEILLE

Appelées en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 3]
dispensée de comparaître

S.A. [8]
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Laurence NASSI-DUFFO, avocat au barreau de MARSEILLE

DÉBATS : À l'audience publique du 10 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente
Assesseurs : DUNOS Olivier
MITIC Sonia

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 13 Mars 2024, prorogé au 06 Mai 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [G] [P] a été embauché en qualité de chef d'atelier par la société [11] à compter du 13 septembre 2000.

Le 30 janvier 2017, Monsieur [G] [P] a adressé une déclaration de maladie professionnelle à la caisse primaire centrale d'assurance maladie (ci-après la CPCAM) des Bouches-du-Rhône y joignant un certificat médical initial établi le 3 janvier 2017 par le Docteur [U] [O] faisant état d'une " chirurgie ce jour du canal carpien gauche ".

Le 20 février 2017, Monsieur [G] [P] a adressé une déclaration de maladie professionnelle à la CPCAM des Bouches-du-Rhône y joignant un certificat médical initial établi le 3 janvier 2017 par le Docteur [U] [O] faisant état d'une " infiltration canal carpien droit ce jour ".

Par deux courriers distincts du 3 avril 2017, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a pris en charge ces deux maladies au titre de la législation sur les risques professionnels sur la base du tableau des maladies professionnelles n° 57.

L'état de santé de Monsieur [G] [P] a été déclaré consolidé avec séquelles indemnisables :
s'agissant du syndrome du canal carpien gauche : en date du 16 mai 2017 avec un taux d'incapacité permanente partielle (ci-après taux d'IPP) de 4%, porté à 10 % suite à la rechute consolidée au 30 juin 2022 de cette affection ; s'agissant du syndrome du canal carpien droit : en date du 22 juin 2018 avec un taux d'IPP de 5 % incluant un taux professionnel de 2 %.
Monsieur [G] [P] a sollicité auprès de la CPCAM des Bouches-du-Rhône la mise en œuvre de la procédure de conciliation prévue dans le cadre d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 29 avril 2020 par la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 octobre 2020, Monsieur [G] [P] a, par l'intermédiaire de son conseil, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11].

Après une phase de mise en état, l'affaire a été retenue à l'audience de plaidoirie du 10 janvier 2024.

Monsieur [G] [P], représenté par son conseil à l'audience, demande au tribunal, par voie de conclusions oralement soutenues, de :
dire et juger que la société [11] a commis une faute inexcusable ;fixer à son maximum la majoration de l'indemnité en capital ou de la rente à laquelle il peut prétendre ;ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluer l'indemnisation de ses préjudices corporels comportant les chefs de mission tels que précisés dans les conclusions ;fixer à 800 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert et dire que la CPAM des Bouches-du-Rhône devra faire l'avance de cette somme ;se voir allouer la somme de 5.000 € à titre de provision sur la réparation de ses préjudices corporels ;dire que la CPAM des Bouches-du-Rhône pourra récupérer auprès de l'employeur les sommes avancées par elle ;condamner la société [11] au paiement des frais d'expertise ainsi qu'aux entiers dépens et à la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
À l'appui de ses prétentions, Monsieur [G] [P] soutient que la maladie professionnelle aurait pu être évitée si l'employeur avait respecté les dispositions relatives au repos compensateur et s'il avait tenu compte des recommandations d'aménagement du poste par la médecine du travail, et ce d'autant plus qu'il bénéficie du statut de travailleur handicapé depuis le 21 mai 1997.

En réponse aux moyens adverses, il indique s'en rapporter à l'appréciation du tribunal sur la prescription invoquée du syndrome du canal carpien gauche mais que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur n'est pas prescrite pour le syndrome du canal carpien droit.

À ce titre, il fait également valoir qu'il est étonnant que l'employeur conteste le caractère professionnel des maladies déclarées alors qu'il ne l'a pas fait lors de leur reconnaissance par la CPCAM des Bouches-du-Rhône et critique les éléments produits par l'employeur à l'appui de cette demande de rejet du caractère professionnels des deux maladies litigieuses.

La société [11] représentée par son conseil à l'audience, demande au tribunal, par voie de conclusions oralement soutenues, de :
À titre principal :
rejeter le caractère professionnel de la maladie dont se prévaut Monsieur [G] [P] au titre des affections de la main gauche et de la main droite car il ne rapporte pas la preuve de l'exposition au risque prévue par le tableau n° 57 des maladies professionnelles ;dire et juger prescrite à la date du 15 mai 2019 l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur s'agissant du syndrome du canal carpien du poignet gauche ;dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable s'agissant du syndrome du canal carpien du poignet droit ;débouter Monsieur [G] [P] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions en ce y compris les mesures expertales ;condamner Monsieur [G] [P] à lui payer la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;ordonner, si besoin, la désignation d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ;À titre subsidiaire, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur :
juger que l'action récursoire de la CPAM au titre de la majoration sera limitée au seul taux d'IPP opposable à l'employeur ;débouter Monsieur [G] [P] de sa demande tendant à voir ordonner une expertise selon la nomenclature DINTHILLAC ;ordonner une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices indemnisables de Monsieur [G] [P] tels que décrits dans les conclusions et comportant les chefs de mission tels que précisés dans les conclusions ;juger qu'il appartiendra à la CPAM de faire l'avance des sommes allouées à Monsieur [G] [P] résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable.
Au soutien de ses prétentions, à titre liminaire, elle soutient que l'action en reconnaissance de l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable est prescrite pour l'affection portant sur le côté gauche.

Elle soutient également que le caractère professionnel des deux maladies déclarées par Monsieur [G] [P] n'est pas établi et que les pièces versées aux débats démontrent qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable.

À titre subsidiaire, elle soutient que si sa faute inexcusable était reconnue, il conviendrait de limiter l'expertise médicale aux seuls préjudices prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et aux seuls autres préjudices personnels non déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

La société [8], assureur de la société [11], était représentée à l'audience par le conseil de cette dernière, et s'associe à ses demandes.

Par voie de conclusions régulièrement portées à la connaissance des autres parties, la CPAM des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparaître, demande au tribunal de dire irrecevable l'action de Monsieur [G] [P] en reconnaissance de la faute inexcusable relative au syndrome du canal carpien gauche car elle considère qu'elle est prescrite. Elle s'en rapporte à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, elle demande que la société [11] soit condamnée à lui rembourser les conséquences financières de cette faute inexcusable.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.

L'affaire est mise en délibéré au 13 mars 2024, prorogé au 6 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable

Il résulte des dispositions de l'article L. 431-2, dans sa version applicable au litige, et de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale que les droits de la victime aux prestations et indemnités accidents du travail ou maladies professionnelles se prescrivent par deux ans à dater soit du jour de l'accident, soit au jour de la cessation du paiement de l'indemnité journalière, et dans le cas d'une maladie professionnelle à la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle.

L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Le délai de prescription biennale de l'action du salarié en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ne peut commencer à courir qu'à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle.

Ce délai de prescription est interrompu entre le jour où le salarié effectue une demande de conciliation auprès de la caisse primaire et la date où lui est transmis le procès-verbal de non-conciliation par la caisse.

En l'espèce, le caractère professionnel de la pathologie portant sur le syndrome du canal carpien côté gauche a été reconnu par la CPCAM des Bouches-du-Rhône le 3 avril 2017 et Monsieur [G] [P] a bénéficié d'indemnités journalières au titre de cette pathologie jusqu'au 16 mai 2017, date à laquelle son état de santé a été déclaré consolidé.

L'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur au titre de cette pathologie était donc possible jusqu'au 15 mai 2019.

Or, d'une part, la demande de conciliation de Monsieur [G] [P] auprès de la CPCAM des Bouches-du-Rhône n'a été faite que par courrier de son conseil en date du 28 janvier 2020, soit au-delà du délai de prescription de sorte qu'aucune interruption de la prescription n'est intervenue ; et, d'autre part, il n'a introduit l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur que le 22 octobre 2020 auprès du tribunal de céans, soit bien au-delà de la fin du délai de prescription biennale.

Il convient donc de dire et juger que Monsieur [G] [P] n'est pas recevable à demander la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11], au titre du syndrome du canal carpien gauche.

En revanche, Monsieur [G] [P] ayant perçu des indemnités journalières au titre du syndrome du canal carpien droit jusqu'au 22 juin 2018 et le délai de prescription ayant été interrompu entre la date de demande de conciliation le 28 janvier 2020 et la date à laquelle le procès-verbal de non-conciliation a été établie et transmis aux parties, le 29 avril 2020, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur au titre du syndrome du canal carpien droit n'est pas prescrite et demeure recevable.

Sur le caractère professionnel du syndrome du canal carpien droit

L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dispose qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur suppose que le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie soit reconnu, soit préalablement au recours en reconnaissance de faute inexcusable qui a été introduit, soit concomitamment.

Il est constant qu'en vertu de l'indépendance des rapports entre la CPAM et l'employeur et entre la victime et l'employeur, l'employeur n'est pas recevable à soulever l'inopposabilité à son égard de la prise en charge de la maladie par la caisse dans le cadre d'une instance ouverte par un salarié en demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

En revanche, l'employeur peut soutenir, en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime, que la maladie n'a pas d'origine professionnelle.

***

En l'espèce, la société [11] conteste le caractère professionnel de la pathologie déclarée par Monsieur [G] [P] et prise en charge par la CPCAM des Bouches-du-Rhône. Elle ne conteste ni la désignation de la maladie, ni le délai de prise en charge de cette maladie mais seulement le fait que Monsieur [G] [P] ne remplit pas la condition relative à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer les maladies.

L'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur au titre du syndrome du canal carpien gauche étant prescrite, le tribunal ne se prononcera que sur la pathologie du côté droit.

Cette pathologie est prévue par le tableau n° 57 C des maladies professionnelles afférentes aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail. Pour être reconnue d'origine professionnelle le salarié doit effectuer les travaux suivants : " Travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d'extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main ".

Afin d'étayer sa demande, la société [11] verse aux débats deux procès-verbaux de constat d'un huissier de justice, Maître [F] [K], l'un du 21 novembre 2023 et l'autre du 28 novembre 2023.

Dans le procès-verbal du 21 novembre 2023, Maître [F] [K] a pu recueillir le témoignage de deux salariés de la société, Messieurs [D] et [Z], qui lui ont indiqué que " le travail est très varié et qu'il n'y a pas de tâches répétitives surtout au poste de Monsieur [P] où il n'y a que très peu de manutention ".

Monsieur [D] a déclaré " qu'en tout il y avait 9 personnes dans l'atelier y compris Monsieur [G] [P] " et que " s'il y avait besoin de faire une manutention quelconque, il y avait du monde autour qui leur portait assistance.". Il a ensuite décrit les tâches qu'il accomplissait en compagnie de Monsieur [G] [P].

Le constat d'huissier de justice du 28 novembre 2023 décrit les différentes façons de travailler dans les locaux de l'entreprise. L'huissier a constaté la présence d'un engin de levage de marque CLARCK dans l'atelier réception et trois de ces appareils dans l'atelier montages travaux basse pression.
L'huissier a également constaté que ce jour-là, le plus gros carton pesait 21 kilos mais l'employeur lui a indiqué qu'il pouvait arriver exceptionnellement de manipuler un carton de 30 kilos maximum.

Toutefois, les constatations faites par l'huissier de justice ne peuvent refléter fidèlement les conditions de travail existant sur la période 2000-2018 pendant laquelle Monsieur [G] [P] travaillait au sein de la société [11].

Ces constats ne permettent également pas de prouver que les équipements et mesures de sécurité décrits et visibles sur les photos existaient durant les années d'exposition de Monsieur [G] [P].

En outre, Monsieur [Z] n'a travaillé avec Monsieur [G] [P] que de septembre 2015 à novembre 2017 de sorte qu'il n'était pas toujours présent lors de l'exercice professionnel de Monsieur [G] [P] du 13 septembre 2000 au 2 octobre 2018.

Enfin, il ressort du questionnaire employeur complété par la société [11] qu'elle a déclaré que Monsieur [G] [P] faisait des mouvements de flexion et d'adduction du poignet droit tant en zone de confort qu'en zone d'inconfort, qu'il saisissait avec ses mains et ses doigts avec des prises en pinces, des prises palmaires et des prises en crochet et qu'il effectuait aussi des petits mouvements répétés des doigts.

La condition tenant à la liste limitative des travaux du tableau n° 57 C des maladies professionnelles est donc bien remplie.

En conséquence, la maladie de Monsieur [G] [P] au titre d'un syndrome du canal carpien droit présente bien un caractère professionnel et ce moyen sera rejeté.

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité ; le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il ressort des dispositions de l'article 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile qu'il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et de prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions.

Il appartient donc au salarié qui souhaite voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de sa maladie d'établir que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle du salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Enfin, la conscience du danger exigée de l'employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d'autres termes, il suffit de constater que l'auteur " ne pouvait ignorer " celui-ci ou " ne pouvait pas ne pas [en] avoir conscience " ou encore qu'il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s'apprécie au moment où pendant la période de l'exposition au risque.

***

À l'appui de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, Monsieur [G] [P] soutient que la maladie professionnelle aurait pu être évitée si l'employeur avait respecté les dispositions relatives au repos compensateur et s'il avait tenu compte des recommandations d'aménagement du poste par la médecine du travail, et ce d'autant plus qu'il bénéficie du statut de travailleur handicapé depuis le 21 mai 1997.

Afin de démontrer ses allégations, il verse aux débats :
un jugement du conseil de prud'homme d'Aix-en-Provence du 10 décembre 2019 ayant condamné la société [11] à lui payer la somme de 6.386,06 € brut à titre de compensation financière du repos compensateur non pris entre le 2 octobre 2015 et le 2 octobre 2018 ;un décompte des heures supplémentaires qu'il affirme avoir faites de 2001 à 2017 ;plusieurs décisions de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 21 mai 1997 au 25 mai 2005 puis du 23 février 2018 au 31 janvier 2021 ;des avis de la médecine du travail du 22 février 2017 (pièce n° 13), du 18 mai 2017 (pièces n° 3, 14, 15 et 25), du 11 juin 2018 (pièce n° 6) et du 28 juin 2018 (pièce n° 7), qui indiquent que Monsieur [G] [P] " doit être aidé pour le port de charge et les efforts de préhension de façon définitive " (pièces n° 3, 13, 14 et 25), qu'il " pourrait effectuer des tâches sans manutentions de charges, sans efforts de préhension et gestes répétées des 2 mains " (pièce n° 6) et qu'il " pourrait effectuer des tâches sans manutention de charges, sans intervention sur l'atelier (découpe, sertissage, …) " et " des tâches de type administratif (informatique, accueil, …) " (pièce n° 7).
Toutefois, si le jugement du conseil de prud'homme d'Aix-en-Provence et le décompte des heures supplémentaires établi par Monsieur [G] [P] tendent à démontrer qu'il a accompli un grand nombre d'heures de travail, ce dernier n'établit pas le lien entre le nombre d'heures de travail et la maladie professionnelle dont il a été victime.

En outre, les avis de la médecine du travail sont tous postérieurs à la déclaration de maladie professionnelle au titre d'un syndrome du canal carpien droit intervenu le 20 février 2017 de sorte qu'avant le 22 février 2017, Monsieur [G] [P] était totalement apte à exercer son emploi de chef d'atelier comme le démontre les fiches d'aptitude de la médecine du travail du 30 avril 2002, du 5 mai 2004, du 17 mai 2005, du 18 mai 2006, du 10 mars 2011 et du 26 juin 2015 versées aux débats par l'employeur.

Enfin, Monsieur [G] [P] ne démontre pas qu'il s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé de façon ininterrompue sur la période contractuelle avec la société défenderesse, soit du 13 septembre 2000 au 2 octobre 2018, ni que l'employeur a commis un quelconque manquement inhérent à cette qualité pendant la relation contractuelle.

L'ensemble de ces éléments est donc insuffisant à rapporter la preuve qui incombe à Monsieur [G] [P] de l'imputabilité de la maladie aux conditions de travail au sein de la société [11], ni la preuve de la conscience du danger de cette dernière, ni la preuve de l'absence de mesure prise par l'employeur pour le préserver d'un danger.

Monsieur [G] [P] sera en conséquence débouté de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et de l'ensemble des demandes y afférentes.

Sur les demandes accessoires

L'équité et la situation des parties commandent de ne prononcer aucune condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur [G] [P], qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux dépens.

En application des dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

DÉCLARE irrecevable pour cause de forclusion le recours de Monsieur [G] [P] en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11], au titre du syndrome du canal carpien gauche ;

DÉCLARE recevable le recours de Monsieur [G] [P] en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11], au titre du syndrome du canal carpien droit ;

DÉBOUTE Monsieur [G] [P] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [11], ainsi que de toutes ses demandes subséquentes ;

DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [G] [P] aux dépens ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit ;

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois suivant la réception de sa notification, en application des dispositions de l'article 538 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 20/02682
Date de la décision : 06/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-06;20.02682 ?
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