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18/04/2024 | FRANCE | N°22/00914

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab2, 18 avril 2024, 22/00914


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/ DU 18 Avril 2024


Enrôlement : N° RG 22/00914 - N° Portalis DBW3-W-B7G-ZTB3

AFFAIRE : S.A.S. [Adresse 12] FRANCE( la SCP TGA AVOCATS)
C/ Me [G] [A] et Me [E] [K] (la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS) - SARL [J] LUBERON


DÉBATS : A l'audience Publique du 15 Février 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (Juge ra

pporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BERARD Béatrice

Vu le rapport fait à...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 18 Avril 2024

Enrôlement : N° RG 22/00914 - N° Portalis DBW3-W-B7G-ZTB3

AFFAIRE : S.A.S. [Adresse 12] FRANCE( la SCP TGA AVOCATS)
C/ Me [G] [A] et Me [E] [K] (la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS) - SARL [J] LUBERON

DÉBATS : A l'audience Publique du 15 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (Juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BERARD Béatrice

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 18 Avril 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

S.A.S. [Adresse 12] FRANCE, immatriculée au RCS de Manosque sous le n° 539 176 271 prise en la personne de son Président en exercice domicilié es qualité audit siège, dont le siège social est [Adresse 12]

représentée par Maître Olivier DE PERMENTIER de la SCP TGA AVOCATS, avocats au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE,
substitué l’audience par Me Stéphanie CAREL, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDEURS

Maître [G] [A], Notaire
de nationalité Française, demeurant [Adresse 7]

représenté par Maître Thomas D’JOURNO de la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, avocats plaidant au barreau de NIMES

Maître [E] [K], Notaire
de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]

représenté par Maître Thomas D’JOURNO de la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS, avocats au barreau de MARSEILLE,

S.A.R.L. [J] IMMOBILIER LUBERON, immatriculée au RCS D’AVIGNON sous le n° 850 321 241, prise en la personne de son gérant en exercice M. [N] [J], dont le siège social est [Adresse 13]

représentée par Maître François ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE,

EXPOSE DU LITIGE

La SAS [Adresse 12] FRANCE, propriétaire d’un domaine comprenant un mas d’habitation, une ancienne chapelle transformée en habitation, une écurie et une piscine avec terrain attenant de 14 ha, sur des parcelles cadastrées A [Cadastre 1] à [Cadastre 2] et [Cadastre 3] à [Cadastre 4] et les parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sises sur la commune de [Localité 11], a confié un mandat de vente sans exclusivité à la SARL [J] IMMOBILIER-LUBERON selon acte du du 5 septembre 2019 renouvelé le 14 janvier 2021 pour un prix de 2.895.000 euros.
Une offre d’achat a éte souscrite par [W] [O] à [Localité 9] le 22 février 2021 sous diverses conditions suspensives pour un montant de 2.650.000 euros.
Cette offre d’achat prévoyait qu’un avant-contrat devrait être signé au plus tard “mi-mars”, et le versement de la somme de 265.000 € lors de la signature de l’avant contrat.

Une promesse unilatérale de vente a été souscrite par la SAS [Adresse 12] au profit de Monsieur [W] [O] le 15 avril 2021, avec l’intervention de Maître [G] [A], Notaire, pour Monsieur [O] et Maître [E] [K], Notaire, pour la SAS [Adresse 12] FRANCE, sous diverses conditions suspensives. Cette promesse prévoyait une indemnité d’immobilisation d’un montant de 265.000 euros que devait déposer Monsieur [O] entre les mains du Notaire avant le 27 avril 2021.

Par courrier du 25 avril 2021, l’acheteur s’est rétracté

Par actes en date des 19 et 26 janvier 2022, la SAS [Adresse 12] FRANCE a fait assigner Maître [K], Maître [A] et la SARL [J] LUBERON afin d’obtenir leur condamnation à réparer ses préjudices.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, la SAS [Adresse 12] FRANCE demande au Tribunal de :
- débouter Maître [K], Maître [A] et la SARL [J] LUBERON de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- ordonner avant-dire droit à Maître [A] et à Maître [K] la production de l’original de la lettre de notification et de l’original de la lettre de rétractation sous astreinte de 500 € par jour de retard,
- dire et juger que la responsabilité des notaires et de l’agence immobilière est engagée pour défaut de conseil,
- condamner solidairement Madame [G] [A], Madame [E] [K] et la SARL [J] LUBERON à lui payer la somme de 265.000 € en dédommagement de l’acompte dont elle a été privée,
- condamner solidairement Madame [G] [A], Madame [E] [K] et la SARL [J] LUBERON à lui payer la somme de 15.000 € en dédommagement de la régularisation administrative qui lui a été imposée,
- condamner solidairement Madame [G] [A], Madame [E] [K] et la SARL [J] LUBERON à lui payer la somme de 30.000 € en dédommagement des troubles de toutes natures qui lui ont été imposés,
- condamner solidairement Madame [G] [A], Madame [E] [K] et la SARL [J] LUBERON à lui payer la somme de 6.600 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement Madame [G] [A], Madame [E] [K] et la SARL [J] LUBERON aux entiers dépens,
- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Elle soutient que l’offre d’achat était ferme, ne contenait pas de condition suspensive de l’obtention d’un prêt et prévoyait la signature d’un avant-contrat; que les deux notaires ont proposé la signature d’une promesse de vente, or une promesse de vente n’est pas un avant-contrat, puisque l’acquéreur peut librement, s’il le souhaite, renoncer à la vente ; que l’offre d’achat signée stipulait que l’acompte de 265.000 € serait payable à la signature de l’avant-contrat, or la promesse signée le 15 avril 2021 reporte ce paiement à l’expiration du délai de rétractation de dix jours; qu’ainsi, les notaires ne l’ont pas correctement conseillée; qu’il en va de même de l’agent immobilier, qui aurait du veiller à ce qu’un avant-contrat soit signé comme le stipulait l’offre de vente rédigée par elle ; qu’elle ignorait la différence fondamentale entre les deux formes d’acte et les conséquences défavorables pour elle; qu’elle n’est pas un professionnel de l’immobilier, il s’agissait d’un immeuble d’habitation et la forme de SAS n’est qu’une forme conseillée par les experts comptables et les gestionnaires de patrimoine pour des raisons fiscales, et Madame [I] et Monsieur [U], seuls associés, ne sont en rien des professionnels de l’immobilier; qu’elle a ainsi été privée du versement de 265.000 € car si un compromis avait été signé, elle aurait obtenu le versement immédiat de l’acompte de 265.000 € et elle aurait gardé cet acompte en cas de défaillance de l’acquéreur; qu’en outre, seuls les notaires et l’agence immobilière étaient informés du fait que la piscine, les travaux sur l’écurie et les travaux sur la chapelle n’avaient pas fait l’objet de déclarations de travaux préalables ou de permis de construire, et leur révélation à l’autorité préfectorale est constitutive d’une faute lui ayant causé un préjudice; que c’est en effet Maître [A] qui a interrogé la commune sur l’existence des autorisations d’urbanisme et a commis ainsi une faute en ne tenant pas compte de la volonté de ses clients.
Elle ajoute qu’elle n’a jamais été destinataire de la notification de la promesse au promettant faisant courir le délai de dix jours, et qu’elle sollicite avant dire droit la production de l’original de la lettre de notification et de la lettre de rétractation pour les faire expertiser.
Elle affirme avoir fait l’objet d’une cabale orchestrée par Monsieur [R], l’ancien propriétaire, Monsieur [C], l’agent immobilier, et le maire de la commune de [Localité 11]; que les associés ont entamé une procédure pénale pour dénoncer l'attitude du maire et la présomption de corruption, de collusion et de concussion.

En défense, dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mai 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, la SARL [J] IMMOBILIER - LUBERON demande au Tribunal de :
- débouter la SAS [Adresse 12] FRANCE de toutes ses demandes et prétentions,
- condamner la SAS [Adresse 12] FRANCE à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamner la SAS [Adresse 12] FRANCE à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de1’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de la présente instance,
- écarter l’exécution provisoire de droit.

Elle fait valoir que la demanderesse est un professionnel de l’immobilier, s’agissant d’une société commerciale dont l’objet est l'acquisition d’immeubles et de terrains, leur administration et leur exploitation par bail; que dans son courrier du 26 avri12021, 1e vendeur reconnaît qu’il n'a pas sollicité d’autorisation de travaux pour certains aménagements telle que la piscine; qu’il reconnait ainsi avoir commis une infraction pénale et ne saurait en reporter les conséquences sur l’agent immobilier.
Elle rappelle qu’elle n’est pas le rédacteur de la promesse unilatérale de vente, et que la demanderesse représentée par son notaire a validé le choix de la rédaction d’une promesse unilatérale de vente; qu’en tout état de cause, la forme de 1’avant-contrat n’aurait rien changé puisque Monsieur [O] aurait pu également se rétracter sans frais; que la promesse stipule expréssement que l’acheteur devait faire son affaire personnelle du fait que certaines constructions effectuées sur le terrain objet de 1'acte n’avaient pas fait 1’objet de déclarations préalables de travaux ou de permis de construire, et le fait qu'au cours de 1’opération immobilière, la préfecture aurait appris l’existence de ces constructions non autorisées et aurait imposé au vendeur de régulariser la situation est sans incidence sur le présent litige.
Elle conclut qu’elle n’a pas commis de faute et a parfaitement rempli son obligation d’information, et que les dommages invoqués sont sans fondement au regard des conditions acceptées de part et d’autre dans la promesse notariée unilatérale signée par les parties.
Elle souligne que le notaire des vendeurs a expréssement demandé au notaire des acquéreurs de ne pas la mettre en copie des échanges de courriels, ce qui traduit un manque de transparence et la mauvaise foi la SAS [Adresse 12] FRANCE; qu’elle dispose de 13 agences et de plus de 70 collaborateurs avec un réseau international “Knight Frank” d’une réputation mondialement reconnue dansl’immobilier “haut de gamme” et défend une éthique de professionnalisme, d'honnêteté et de transparence; que les demandes de la société [Adresse 12] sont empreintes de mauvaise foi, et justifient l’allocation de dommages-intérêts.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 juin 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, Maître [E] [K] demande au Tribunal de :
- débouter la société [Adresse 12] FRANCE de l’intégralité de ses demandes comme étant infondées,
- condamner la société [Adresse 12] FRANCE à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de la présente instance,
- condamner la société [Adresse 12] FRANCE à lui payer la somme de 15.000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle indique que si un compromis de vente avait été signé, le délai de rétractation aurait été notifié à l’acquéreur, et ce dernier aurait donc pu se rétracter de la même manière dans les dix jours suivant la notification, et le dépôt de garantie qui aurait été prévu dans le compromis n’aurait pas été versé à la société SAINT MAURIN FRANCE, qui n’aurait pas non plus pu poursuivre l’acquéreur en réalisation forcée de la vente.
Elle précise avoir eu connaissance de la rétractation de Monsieur [O] le 26 avril 2021 et en avoir informé la société [Adresse 12] FRANCE dès le 28 avril2021, n’ayant elle-même reçu la lettre de rétractation que postérieurement.
Elle rappelle que n’étant ni chargée de la notification de l’acte rédigé par Maître [A] ni destinataire de la lettre de rétraction, elle ne saurait être condamnée à une quelconque astreinte pour production de ces documents.
Elle ajoute que la promesse prévoyait que l’acheteur devait faire son affaire personnelle du fait que certaines constructions effectuées sur le terrain objet de l’acte n’avaient pas fait l’objet de déclarations préalables de travaux ou de permis de construire; qu’au cours de l’opération immobilière, la préfecture a appris l’existence de ces constructions non autorisées et a imposé à la demanderesse de régulariser la situation, et la société demanderesse sous-entend que ce serait les notaires et l’agence immobilière qui auraient révélé à l’autorité préfectorale les travaux irréguliers, or Maître [A] verse aux débats un courriel qui lui a été adressé par la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence qui indique que l’enquête concernantl’irrégularité des travaux entrepris a été ouverte à l’initiative de la mairie de [Localité 11]; que les demandes de la société [Adresse 12] FRANCE sont empreintes de mauvaise foi et justifient l’allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 juin 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, Maître [G] [A] demande au Tribunal de débouter la société [Adresse 12] de toutes ses demandes fins et conclusions et de la condamner à lui payer la somme de 5.000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile et la somme de 5.000 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et aux entiers dépens.

Elle soutient que le choix de la forme d’une promesse de vente n’entraîne aucun préjudice, puisque la promesse unilatérale et le compromis de vente sont deux types d’avant-contrat qui ouvrent tous les deux un délai de rétractation à l’acquéreur; que l’acquéreur se serait désisté dans les mêmes conditions et les mêmes délais s’il avait été lié par un compromis; que même si l’acquéreur avait versé le dépôt de garantie d’un montant de 265.000 € lors de la signature de la promesse de vente, la société [Adresse 12] aurait été dans l’obligation de restituer la somme en conséquence de la rétractation; qu’elle n’a jamais contacté les services de la préfecture, cette dernière ayant diligenté une enquête à la demande du maire de la commune de [Localité 11] après avoir appris l’existence des travaux non autorisés; qu’en tout état de cause, il est normal que le notaire, en sa qualité d’officier public et de conseil de l’acquéreur, puisse poser la question de la légalité de la construction dans le cas de son devoir d’investigation et de conseil; qu’en outre, la partie demanderesse ne rapporte pas la preuve d’une quelconque injonction de la part de la préfecture de faire réaliser les travaux; qu’elle produit le recto-verso de la copie scannée du courrier de la rétractation en date du 25 avril 2021, duquel il ressort que le délai de dix jours a bien été respecté; que la société [Adresse 12] a reconnu que la propriété avait été vendue le 21 février 2022, moyennant un prix de 2.588.200€, et dès lors il n’existe aucun préjudice puisque le prix de vente est quasiment similaire au prix offert par Monsieur [O].

La procédure a été clôturée à la date du 23 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La présente instance, fondée à l’encontre du notaire sur les dispositions de l’article 1240 du Code civil, implique la démonstration d’une faute commise par l’officier public ministériel, ayant directement causé un préjudice au demandeur.
Il incombe au notaire, professionnel du droit et officier ministériel, de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il instrumente. Son rôle est de veiller, à titre préventif, aux différends susceptibles de naître, notamment en les empêchant dans toute la mesure du possible.
Le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu’il authentifie.
La faute du notaire est appréciée in abstracto, par comparaison avec le comportement qu’aurait adopté un officier public normalement prudent, diligent et compétent.

La SAS [Adresse 12] FRANCE reproche aux deux notaires de lui avoir proposé la signature d’une promesse de vente, alors que l’offre d’achat prévoyait la signature d’un avant-contrat.

Selon elle, la promesse de vente n’est pas un avant-contrat, et leurs effets sont différents.

Il est cependant acquis que tant la promesse unilatérale de vente que la promesse synallagmatique de vente constituent des avant-contrats. La demanderesse procède par voie d’affirmation sans fournir aucun élément doctrinal ou jurisprudentiel de nature à remettre en cause cette qualification.

L’offre d’achat prévoyait la signature d’un avant-contrat, ce que les notaires ont effectivement proposé à la venderesse.

La SAS [Adresse 12] FRANCE affirme qu’un compromis de vente aurait dû être signé, ce qui n’aurait pas permis à l’acquéreur de renoncer à la vente, sauf en cas de non réalisation d’une condition suspensive. Elle soutient que ce manquement à l’obligation de conseil lui a causé un préjudice, constitué par le fait qu’elle n’a pas pu garder l’acompte de 265.000 euros.

Or aux termes des dispositions de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation, «Pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte.
Cet acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.
Lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret.
Lorsque le contrat constatant ou réalisant la convention est précédé d'un contrat préliminaire ou d'une promesse synallagmatique ou unilatérale, les dispositions figurant aux trois alinéas précédents ne s'appliquent qu'à ce contrat ou à cette promesse. (...) ».

Tous les avant-contrats sont ainsi soumis au délai de rétractation.

Par ailleurs, l’article L271-2 du même Code prévoit que : «Lors de la conclusion d'un acte mentionné à l'article L. 271-1, nul ne peut recevoir de l'acquéreur non professionnel, directement ou indirectement, aucun versement à quelque titre ou sous quelque forme que ce soit avant l'expiration du délai de rétractation, sauf dispositions législatives expresses contraires prévues notamment pour les contrats ayant pour objet l'acquisition ou la construction d'un immeuble neuf d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation et les contrats préliminaires de vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière. Si les parties conviennent d'un versement à une date postérieure à l'expiration de ce délai et dont elles fixent le montant, l'acte est conclu sous la condition suspensive de la remise desdites sommes à la date convenue.
Toutefois, lorsque l'un des actes mentionnés à l'alinéa précédent est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, un versement peut être reçu de l'acquéreur s'il est effectué entre les mains d'un professionnel disposant d'une garantie financière affectée au remboursement des fonds déposés. Si l'acquéreur exerce sa faculté de rétractation, le professionnel dépositaire des fonds les lui restitue dans un délai de vingt et un jours à compter du lendemain de la date de cette rétractation.
Lorsque l'acte est dressé en la forme authentique, aucune somme ne peut être versée pendant le délai de réflexion de dix jours. »

Ainsi, quelque soit l’avant-contrat, le droit de rétractation est gratuit et discrétionnaire, le vendeur n'ayant aucun moyen de contraindre l'acquéreur à lui indiquer les raisons pour lesquelles il préfère renoncer à son projet, pas plus qu'il ne lui est possible de prétendre à une quelconque indemnité.

La SAS [Adresse 12] FRANCE ne peut donc valablement soutenir que le choix de la signature d’une promesse de vente lui a fait perdre une chance de garder l’acompte de 265.000 euros.

La SAS [Adresse 12] FRANCE se plaint de ne pas avoir été destinataire de la notification de la promesse au promettant faisant courir le délai de dix jours, et de n’avoir obtenu qu’une copie de la lettre de rétractation.

La promesse de vente prévoit que le promettant constitue pour son mandataire l’office notarial à [Localité 10] aux fins de recevoir la notification de l’exercice éventuel de cette faculté de rétractation.
Elle indique également que le délai de dix jours pour l’envoi de ce courrier se compte de la manière suivante : le premier jour commence le lendemain de la première présentation du courrier recommandé, le dernier jour est le dixième suivant, un jour commence à zéro heure et se termine à vingt-quatre heures, le courrier recommandé de rétractation ou l’acte d’huissier doit être envoyé au plus tard le dernier jour du délai, et en vertu de l’article 642 du Code de procédure civile, le délai expirant un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.

Maître [A] produit une copie du courrier de rétractation daté du 25 avril 2021, qui lui a été adressé le 26 avril 2021, ainsi qu’en attestent les mentions portées par la poste néerlandaise.

Le courrier de notification de la promesse au promettant n’est pas produit; cependant, cette production ne s’avère pas nécessaire, puisque même à supposer que la promesse ait été notifiée dès le jour de sa signature, soit le 15 avril 2021, l’acquéreur disposait pour se rétracter d’un délai finissant au plus tard le 25 avril 2021 ; s’agissant d’un dimanche, le délai a été reporté d’un jour, soit le 26 avril 2021, conformément à l’article 642 du Code de procédure civile.

Le courrier de rétractation a donc été envoyé le dernier jour du délai, respectant ainsi les termes de la promesse.

La production de l’original du courrier de rétractation n’est pas plus nécessaire, la demanderesse ne fournissant aucun élément de nature à remettre en cause l’authenticité de la copie produite, et n’en tirant en tout état de cause aucune conséquence.

S’agissant de l’agence immobilière, la SAS [Adresse 12] FRANCE soutient que sa responsabilité civile contractuelle est engagée sur le fondement de l’article 1217 du Code civil, lui reprochant un manquement à son obligation de conseil, en ne veillant pas à ce qu’elle signe un compromis et non une promesse de vente.

Sur ce point, il convient de se référer aux développements ci-dessus, desquels il résulte que la forme de 1’avant-contrat n’aurait rien changé à la rétractation sans frais de Monsieur [O], étant rappelé par ailleurs que la SARL [J] IMMOBILIER-LUBERON n’était pas la rédactrice de la promesse unilatérale de vente.

En conséquence, la société [Adresse 12] FRANCE sera déboutée de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 265.000 euros en dédommagement de l’acompte dont elle a été privée.

La société [Adresse 12] FRANCE reproche également aux défenderesses d’avoir révélé à l’autorité préfectorale la présence sur son terrain de constructions non autorisées, entraînant une obligation de régulariser la situation.

Elle rappelle que la promesse de vente indiquait que l’acheteur devait faire son affaire personnelle du fait que la piscine, les travaux sur l’écurie et les travaux sur la chapelle n’aient pas fait l’objet de déclarations de travaux préalables ou de permis de construire.

Elle soutient qu’il ressort d’un courrier du 28 décembre 2021 de la société MMA, assureur de Maître [A] et de Maître [K], que c’est bien Maître [A] qui a interrogé la commune sur l’existence des autorisations d’urbanisme.

En réalité, ce courrier indique que Maître [A] a contacté la mairie de [Localité 11] à la demande de l’acquéreur, pour savoir si des procédures étaient en cours, et ajoute que ce serait à la suite de la visite du vendeur à la mairie que cette dernière a saisi les services de la préfecture afin de connaître l’ampleur des travaux réalisés sans permis.

Maître [A] verse aux débats un courriel de [M] [Z], adjoint au chef du bureau et chef de l’urbanisme de la préfecture des Alpes de Haute Provence, en date du 5 mai 2023, qui indique que la préfecture a été initialement saisie par la commune de [Localité 11] par courrier du maire adressé au Préfet en date du 1er mars 2021, sur des travaux et aménagements réalisés en infraction au domaine de [Adresse 12], et qu’à la suite d’un contrôle réalisé sur cette propriété le 26 mai 2021 une enquête a été diligentée et une procédure ouverte à l’encontre de Monsieur [X] [U].
Il confirme ne pas avoir reçu de demande d’enquête de la part de Maître [A] ni de l’agence immobilière, ni de communication concernant ce dossier avant l’échange de ce jour.

L’offre d’achat signée le 22 février 2021 ne prévoyait aucune mention quant à l’absence d’autorisation d’urbanisme pour une partie des biens immobiliers visés dans l’offre; elle n’indiquait nullement que l’acheteur devait faire son affaire personnelle du fait que la piscine, les travaux sur l’écurie et les travaux sur la chapelle n’aient pas fait l’objet de déclarations de travaux préalables ou de permis de construire.

Il ne peut donc être reproché au Notaire conseil de l’acquéreur de s’être renseigné auprès de la mairie.

Aucun manquement n’est donc établi à ce titre. La demande de condamnation des défenderesses au paiement de la somme de 15.000 euros en dédommagement de la régularisation administrative imposée sera donc rejetée.

La société [Adresse 12] FRANCE sollicite encore la condamnation de Maître [A], Maître [K] et la SARL [J] LUBERON à lui payer la somme de 30.000 euros en dédommagement des troubles de toutes natures qui lui ont été imposés; elle fait état dans de longs développements d’une collusion frauduleuse entre différents protagonistes, arguant d’une véritable cabale orchestrée par l’ancien propriétaire, l’agent immobilier et le maire de la commune.
Elle ne fournit cependant aucun élément au soutien de cette argumentation qui ne repose que sur ses seules affirmations.

Sa demande doit donc être rejetée.

En conséquence, la SAS [Adresse 12] FRANCE sera déboutée de l’intégralité de ses demandes.

La SARL [J] IMMOBILIER-LUBERON, Maître [G] [A] et Maître [E] [K] sollicitent la condamnation de la la SAS [Adresse 12] FRANCE à leur payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, respectivement à hauteur de 10.000, 5.000 et 15.000 euros.

L’exercice du droit d’ester en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.

En l’espèce, les défenderesses ne démontrent pas la particulière mauvaise foi dont aurait fait preuve la SAS [Adresse 12] FRANCE en agissant en justice. Elles seront donc déboutées de leurs demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

La SAS [Adresse 12] FRANCE, qui succombe, sera condamnée aux dépens, qui  pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SARL [J] IMMOBILIER - LUBERON l’intégralité des frais irrépétibles qu’elle a exposés ; la SAS [Adresse 12] FRANCE sera donc condamné à lui payer la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de cet article au profit de Maître [A] et de Maître [K].

Le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

Déboute la SAS [Adresse 12] FRANCE de l’intégralité de ses demandes,

Condamne la SAS [Adresse 12] FRANCE aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,

Condamne la SAS [Adresse 12] FRANCE à payer la SARL [J] IMMOBILIER - LUBERON la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Déboute la SARL [J] IMMOBILIER-LUBERON de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Déboute Maître [G] [A] et Maître [E] [K] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, et de leur demande formée en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 18 AVRIL 2024.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab2
Numéro d'arrêt : 22/00914
Date de la décision : 18/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-18;22.00914 ?
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