La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2024 | FRANCE | N°20/01039

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 16 avril 2024, 20/01039


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]


JUGEMENT N°24/01664 du 16 Avril 2024

Numéro de recours: N° RG 20/01039 - N° Portalis DBW3-W-B7E-XNI3

AFFAIRE :
DEMANDEURS
Madame [V] [K] veuve [C]
née le 08 Avril 1944 à [Localité 13] (VAL-DE-MARNE)
[Adresse 7]
[Localité 12]
représentée par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE


Madame [L] [C] épouse [G]
née le 26 Mars 1966 à [Localité 12] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 3]
[Adresse 3

]
[Localité 12]
représentée par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE


Madame [D] [C] épouse [N]
née le 08 Janvier 1991 à [Locali...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]

JUGEMENT N°24/01664 du 16 Avril 2024

Numéro de recours: N° RG 20/01039 - N° Portalis DBW3-W-B7E-XNI3

AFFAIRE :
DEMANDEURS
Madame [V] [K] veuve [C]
née le 08 Avril 1944 à [Localité 13] (VAL-DE-MARNE)
[Adresse 7]
[Localité 12]
représentée par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [L] [C] épouse [G]
née le 26 Mars 1966 à [Localité 12] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 12]
représentée par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [D] [C] épouse [N]
née le 08 Janvier 1991 à [Localité 12] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 4]
[Localité 12]
représentée par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [A] [S]
née le 31 Janvier 1992 à [Localité 12] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 12]
représentée par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [I] [N]
né le 03 Août 1996 à [Localité 15] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 4]
[Localité 12]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDEUR
Maître [F] [O], mandataire ad hoc de la SA [11]
[Adresse 2]
[Localité 8]
non comparant, ni représenté

Appelés en la cause:
Organisme FIVA
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jean-Baptiste LE MORVAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 6]
dispensée de comparaître

DÉBATS : À l'audience publique du 07 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PASCAL Florent, Vice-Président

Assesseurs : LARGILLIER Bernard
MITIC Sonia

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 16 Avril 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [J] [C] a été employé par la société [11] (ci-après la société [11]), établissement de [Localité 12], du 6 mai 1963 au 3 janvier 1987, en qualité de chef d'équipe.

Le 31 mars 2016, la société [11] a fait l'objet d'une radiation d'office du registre du commerce et des sociétés de Paris.

Par ordonnance en date du 30 mars 2017, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné la SELAFA [14], représentée par Maître [F] [O], en qualité de mandataire judiciaire de la société [11] et ce pour toutes les actions intentées à son encontre avant le 31 décembre 2020.

Le 19 août 2018, M. [J] [C] a adressé à la caisse primaire centrale d'assurance maladie (ci-après la CPCAM) des Bouches-du-Rhône une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d'un certificat médical initial établi le 9 août 2018 par le Docteur [R] [U] mentionnant un "mésothéliome droit chez un patient reconnu en asbestose en maladie professionnelle".

La CPCAM des Bouches-du-Rhône a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle par décision du 27 décembre 2018. Un taux d'incapacité permanente de 100 % a été retenu et une rente mensuelle a été attribuée à M. [J] [C] à compter du 1er mai 2018 pour un montant de 1.543,33 euros.

M. [J] [C] est décédé le 20 mai 2019 et, par décision du 26 août 2019, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a reconnu l'imputabilité du décès à la maladie professionnelle déclarée. Une rente trimestrielle d'un montant de 3.526,74 euros a été attribuée à Mme [V] [K] veuve [C] à compter du 1er juin 2019.

Par courrier du 9 décembre 2019, les consorts [C] ont saisi, par l'intermédiaire de leur conseil, la CPCAM des Bouches-du-Rhône d'une demande de conciliation relative à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [11] dans la survenance de l'affection et du décès de M. [J] [C].

Par courrier du 15 janvier 2020, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a constaté l'absence d'existence juridique de la société [11] du fait de sa radiation et l'impossibilité subséquente d'envisager une conciliation.

Par requête expédiée le 13 mars 2020, les consorts [C] ont, par l'intermédiaire de leur conseil, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d'une action visant à faire reconnaître la faute inexcusable de la société [11] dans la survenance de l'affection et du décès de M. [J] [C].

Les consorts [C] ont saisi le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (ci-après le FIVA) et ont accepté les deux offres d'indemnisation proposées par ce dernier le 19 septembre 2023.

Après mise en état et ordonnance de clôture intervenue avec effet différé au 19 juin 2023, l'affaire a été appelée et retenue à l'audience de plaidoirie du 7 février 2024.

Par voie de conclusions soutenues oralement à l'audience par leur conseil, les consorts [C] sollicitent du tribunal de :
déclarer recevable leur recours ;juger que la maladie professionnelle dont était atteint et est décédé M. [J] [C] est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la société [11] ;au titre de l'action successorale, accorder le bénéfice de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;dire que la CPCAM des Bouches-du-Rhône sera tenue de faire l'avance de ces sommes ;ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Au soutien de leurs prétentions, les consorts [C] font valoir qu'au cours de son contrat de travail, M. [J] [C] a été massivement exposé à l'inhalation de poussières d'amiante et qu'il n'a jamais été avisé des risques encourus pour sa santé ni bénéficié de protection individuelle ou collective de sorte que la faute inexcusable de son employeur doit être retenue.

Bien que régulièrement convoquée par courrier recommandé reçu le 13 octobre 2023, la SELAFA [14] n'est ni présente ni représentée à l'audience. Elle a fait parvenir à la juridiction un courrier expliquant qu'en raison de l'impécuniosité de la société [11], elle s'est trouvée dans l'impossibilité de faire assurer sa représentation et de participer au suivi de la procédure.

Le FIVA, partie intervenante à la procédure et représenté par son conseil à l'audience, demande au tribunal de bien vouloir :
déclarer recevable la demande formée par les consorts [C], dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur;déclarer sa propre demande recevable en tant que subrogé dans les droits des ayants droit de M. [C] ;dire que la maladie professionnelle dont est atteint M. [J] [C] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [11] prise en la personne de Maître [O], son mandataire ad hoc ;fixer à son maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L. 452-3 alinéa 1er du code de la sécurité sociale, soit un montant de 18.520 euros (valeur au 01/04/2018) et dire que cette indemnité sera versée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône à la succession de M. [C] ;fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et dire que cette majoration sera directement versée à ce conjoint survivant par la CPCAM des Bouches-du-Rhône ;fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [C] (action successorale) comme suit :souffrances morales : 21.400 euros ;souffrances physiques : 10.700 euros ;préjudice d'agrément : 10.700 euros ;préjudice esthétique : 2.000 euros ;Total : 44.800 euros
fixer l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit de M. [J] [C] comme suit :Mme [C] [V] (veuve) : 32.600 euros ;Mme [C] [D] (enfant) : 8.700 euros ;Mme [C] [L] (enfant) : 8.700 euros ;Mme [C] [A] (petit-enfant) : 3.300 euros ;M. [N] [I] (petit-enfant) : 3.300 euros ;Total : 56.600 euros
dire que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article L. 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, soit un total de 101.400 euros ;condamner la partie succombant aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Le FIVA expose essentiellement les raisons de droit et de faits justifiant les indemnités dont devraient bénéficier M. [J] [C] et ses ayants droit.

La CPCAM des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparaître à l'audience, indique dans ses écritures s'en rapporter à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [11]. Dans l'hypothèse où celle-ci serait reconnue, elle demande au tribunal de :
prendre acte qu'elle s'en rapporte quant à la majoration de la rente d'ayant droit et le bénéfice de l'indemnité forfaitaire ;limiter le règlement maximal à intervenir entre les mains du FIVA des préjudices moraux des ayants droit à M. [J] [C] à hauteur de 56.600 euros ;ramener les demandes des consorts au titre des préjudices personnels aux montants proposés par le FIVA et seulement pour les préjudices moral, physique et esthétique soit la somme totale de 34.100 euros ;débouter les consorts [C] de la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément de feu M. [J] [C].
La CPCAM des Bouches-du-Rhône soutient principalement que les consorts [C] ne rapportent pas la preuve de l'exercice par M. [J] [C] d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieur à la maladie justifiant l'existence d'un préjudice d'agrément.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties à l'audience reprenant l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.

L'affaire a été mise en délibéré au 16 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité

La recevabilité de l'action introduite par les consorts [C] n'est pas contestée.

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation légale de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie du salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié ou à ses ayants droit de rapporter la preuve que les éléments constitutifs de la faute inexcusable sont réunis à savoir la conscience du danger et l'absence de mise en place des mesures nécessaires pour l'en préserver et ce quand bien même la caisse aurait reconnu le caractère professionnel de la maladie ou du décès.

En vertu de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur l'exposition au risque

En ce qui concerne l'exposition à l'amiante, la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué.
Après avoir pu admettre que seules la fabrication et l'utilisation de l'amiante comme matière première étaient susceptibles d'engager la faute inexcusable de l'employeur, il est désormais acquis que l'exposition au risque peut résulter de l'utilisation de matériels fabriqués avec de l'amiante ou de la simple inhalation de poussières dans les locaux de l'entreprise.

La Cour de cassation a, par ailleurs, posé le principe selon lequel l'exposition doit être habituelle et non pas permanente et continue.

En l'espèce, les ayants droit de M. [J] [C] font valoir qu'il a travaillé en qualité de chef d'équipe pour le compte de la société [11] du 6 mai 1963 au 3 janvier 1987 et que ce poste l'a directement exposé à l'inhalation de poussières d'amiante.

Au soutien de leurs prétentions, les consorts [C] versent aux débats l'attestation de M. [P] [Y], accompagnée d'un certificat de travail établi à son nom par la [11] et justifiant d'une période d'activité en qualité de manœuvre puis de soudeur du 2 février 1971 au 10 janvier 1988.
M. [Y] atteste en ces termes : " J'ai travaillé dans la même entreprise ([11]) et dans les mêmes services bord et atelier soudure que M. [C] depuis le mois de février 1971 et jusqu'en janvier 1988.
Nous devions souder dans des lieux exigus à bord et tronçons fermés en atelier à des cadences imposées. Nous suivions des horaires postés et faisions 8 heures de travail en continu par tout temps froid ou chaleur excessive en plein été.
A bord nous étions dans une ambiance confinée, saturée de poussière d'amiante et autres et de fumée de soudure. Les lieux de travaux étaient faiblement ventilés par des aspirateurs qui recrachaient la pollution dans le même environnement. Nous n'avions aucunes protections, masques ou combinaisons susceptibles de nous protéger des poussières d'amiante et fumée.
Nous n'étions aucunement informés des risques importants que nous encourions à travailler dans ces conditions ".

Les consorts [C] produisent également l'attestation de M. [X] [E], accompagnée d'un certificat de travail établi par la [11] et justifiant d'une période d'activité en qualité de chef d'atelier du 1er février 1961 au 30 septembre 1988.
M. [W] témoigne en ces termes : " Nous étions ensemble sur tous les éléments concernant les navires (préfabrication en atelier, à bord sur du neuf ou de la réparation mais aussi transformations). Nous étions en contact permanent avec les poussières d'amiante. Notre travail pouvait concerner les ballasts, cofferdams, machine, parties techniques, aménagement et quelquefois en transformations, il nous était demandé d'enlever les plaques d'amiante.
Tous ces travaux étaient effectués sans aucune protection et nous avons respiré toutes ces poussières sans avoir été informés du danger qu'elles représentaient pour notre santé ".

Le colloque médico-administratif de la CPCAM des Bouches-du-Rhône a retenu que l'exposition au risque de M. [J] [C] telle que prévue au titre du tableau n° 30 était prouvée.

La société [11] a par ailleurs été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

Aucun élément versé aux débats n'est de nature à contredire ces éléments précis et concordants.

En conséquence, il y a lieu de considérer que M. [J] [C] a été exposé directement et durant plusieurs années à l'inhalation de poussières d'amiante au cours de son contrat de travail au sein de la société [11], et que cette exposition a généré un risque élevé de développer une pathologie grave.

Sur la conscience du danger de l'employeur

L'amiante, qui est du silicate de calcium et de magnésium, utilisé notamment en raison de ses qualités de résistance à la chaleur, est constituée de filaments présentant des particules volatiles, dont les effets toxiques sur la santé humaine ont été mis en évidence par des publications scientifiques fort nombreuses à partir des années 1930.

La société [11], si elle ne fabriquait ni ne transformait de l'amiante, en utilisait couramment dans les chantiers navals, et ne pouvait ignorer les dangers de ce produit dans la mesure où :
il existait dès la loi des 12 et 13 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs et le décret du 10 juillet 1913, une législation de portée générale sur les poussières, reprises dans le code du travail, mettant à la charge des employeurs des obligations de nature à assurer la sécurité de leurs salariés ;concernant spécifiquement l'amiante, le risque sanitaire provoqué par ce matériau a été reconnu par l'ordonnance du 3 août 1945 créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles à propos de la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières enfermant de la silice ou de l'amiante, et que cette reconnaissance a été confirmée par le décret du 31 août 1950, puis par celui du 3 octobre 1951 créant le tableau n° 30 propre à l'asbestose, fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante ;ce risque d'asbestose a été identifié dès le début du XXe siècle et de nombreuses études scientifiques ont été publiées sur les conséquences de l'inhalation des poussières d'amiante avant même la publication du décret du 17 août 1977.
Compte-tenu de son importance, de son activité et de son organisation, la société [11] ne pouvait ignorer ces informations.

Il s'ensuit que la société [11] avait, ou à tout le moins, aurait dû avoir conscience du danger auquel elle exposait ses salariés à l'époque où M. [J] [C] était employé, ainsi que des risques sanitaires graves liés aux poussières d'amiante.

Sur l'absence de mesures prises pour la protection du salarié

Ayant nécessairement eu conscience de la toxicité de l'amiante, il incombait donc à la société [11] d'évaluer le risque induit par l'inhalation de poussières d'amiante par ses salariés et de prendre des dispositions pour le prévenir.

En l'espèce, il n'est pas établi que M. [J] [C] a bénéficié dans les temps suivants son embauche d'une formation de sensibilisation aux risques de l'amiante.

Il n'est pas davantage établi qu'il a été doté d'équipements de protection individuelle spécifiques à l'amiante, et les attestations versées aux débats par les consorts [C] confirment cet état de fait.

Il n'est pas justifié enfin de mesures répétées de contrôle de la concentration en fibres d'amiante dans l'air.

Il s'ensuit que l'employeur ne justifie pas de mesures de prévention et de protection de ses salariés, et spécifiquement de M. [J] [C], contre les risques auxquels ils étaient exposés du fait de leurs conditions de travail.

Il ressort des développements qui précèdent que la maladie professionnelle dont était atteint et est décédé M. [J] [C] est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [11].

Sur les conséquences de la faute inexcusable

Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Sur l'indemnité forfaitaire

Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que si la victime est atteinte avant son décès d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

En l'espèce, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a notifié par courrier du 20 février 2019 à M. [J] [C] un taux d'incapacité permanente de 100 %, soit avant son décès intervenu le 20 mai 2019.

Il convient donc d'allouer aux consorts [C] l'entier bénéfice de l'indemnité forfaitaire qui leur sera versée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Sur la majoration de la rente du conjoint survivant

Le décès de M. [J] [C] étant directement imputable à la faute inexcusable de l'employeur, la rente servie au conjoint survivant, Mme [V] [K] veuve [C], sera majorée conformément aux dispositions de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et cette majoration lui sera versée directement par la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Sur l'indemnisation des préjudices personnels de M. [J] [C]

Conformément à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu des dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément, du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, ainsi que de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du dit code.

M. [J] [C] est décédé le 20 mai 2019 des suites d'un mésothéliome malin de la plèvre diagnostiqué un an plus tôt.

L'état de santé de M. [J] [C] s'est donc dégradé très rapidement, de sorte que l'indemnisation de ses préjudices sera fixée de la manière suivante :

* Souffrances morales : M. [J] [C] est atteint d'un mésothéliome pleural malin, maladie due à une exposition à l'amiante et dont il n'ignorait ni la gravité ni le caractère irréversible. Ses souffrances morales seront réparées à hauteur de 21.400 euros.

* Souffrances physiques : Il ressort des pièces médicales versées aux débats par le FIVA que la maladie dont a souffert M. [J] [C] a entraîné une perte de capacité respiratoire irréversible, et que celui-ci a dû subir des traitements invasifs tels qu'une biopsie par thoracoscopie. Il a été contraint de subir un traitement par radiothérapie ainsi qu'un traitement médicamenteux particulièrement lourd, avec de l'oxygène en permanence. Ses souffrances physiques seront indemnisées à hauteur de 10.700 euros.

* Préjudice d'agrément : L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose de rapporter la preuve de l'exercice d'une activité spécifique de loisir ou sportive antérieure à la maladie afin de démontrer que les souffrances invoquées ne sont pas déjà réparées par la rente au titre du déficit fonctionnel permanent.
En l'espèce, ni le FIVA ni les consorts [C] ne rapportent la preuve de l'exercice par M. [J] [C] d'une activité spécifique de loisir ou sportive antérieure à la maladie.

Dans ces conditions, la demande du FIVA d'indemnisation du préjudice d'agrément de M. [J] [C] sera rejetée.

* Préjudice esthétique : M. [J] [C] a fait l'objet d'un changement physique (cicatrice, épuisement, perte d'appétit et de poids). Il devait également porter un appareil d'oxygénothérapie et se munir d'une canne. Son préjudice esthétique sera indemnisé à hauteur de 2.000 euros.

Par conséquent, la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra verser directement au FIVA la somme de 34.100 euros correspondant au montant de l'indemnité globale lui étant allouée en sa qualité de créancier subrogé.

Sur l'indemnisation des préjudices personnels des ayants droit de M. [J] [C]

S'agissant des ayants droit, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale dispose qu'en cas d'accident suivi de mort, d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

En l'espèce, M. [J] [C] est décédé à l'âge de 77 ans. Il était marié à [V] [K] depuis 55 ans. Le préjudice moral de celle-ci, résultant de la perte de la personne avec laquelle elle a partagé sa vie, n'est pas contestable, ni celui de leurs deux enfants et deux petits-enfants, qui ont accompagné la victime dans sa maladie.

Les préjudices moraux ont été indemnisés par le FIVA comme suit :
Mme [C] [V] (veuve) : 32.600 euros ;Mme [C] [D] (enfant) : 8.700 euros ;Mme [C] [L] (enfant) : 8.700 euros ;Mme [C] [A] (petit-enfant) : 3.300 euros ;M. [N] [I] (petit-enfant) : 3.300 eurossoit un total de 56.600 euros.

Le montant des indemnisations versées par le FIVA aux consorts [C] correspond à une juste évaluation des préjudices subis, tenant compte en particulier de la gravité de la pathologie et de l'âge de la victime au moment de l'apparition de celle-ci.

La CPCAM des Bouches-du-Rhône ne conteste pas l'évaluation des préjudices des consorts [C] telle que retenue par le FIVA.

Il convient donc sur ces points de faire aux demandes du FIVA selon les modalités prévues au dispositif de la présente décision, et de dire que ces sommes lui seront versées en sa qualité de créancier subrogé par la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Sur l'action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône

Il résulte du dernier alinéa de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que la réparation des préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

La société [11] a toutefois fait l'objet d'une radiation du registre des commerces et des sociétés le 31 mars 2016.

Elle n'a donc plus d'existence juridique de sorte que la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne dispose plus d'action récursoire à son encontre.

Sur les demandes accessoires

La société [11] n'ayant plus d'existence légale, les dépens de l'instance resteront à la charge de l'État.

Compte-tenu de l'ancienneté des faits et de la nature du litige, il y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement par application des dispositions de l'article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

DÉCLARE recevable l'action des consorts [C] ;

DÉCLARE recevable l'action du FIVA ;

DIT que la maladie professionnelle dont a été atteint M. [J] [C] est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [11] ;

ORDONNE la majoration de la rente servie par la CPCAM des Bouches-du-Rhône à Mme [V] [K] veuve [C] à son taux maximum;

ACCORDE le bénéfice de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale aux ayants droit de M. [J] [C] ;

FIXE l'indemnisation des préjudices personnels de M. [J] [C] à la somme totale de 34.100 euros, se décomposant comme suit :
souffrances morales : 21.400 euros ;souffrances physiques : 10.700 euros ;préjudice esthétique : 2.000 euros ;
FIXE l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit de M. [J] [C] à la somme de 56.600 euros, se décomposant comme suit :
Mme [C] [V] (veuve) : 32.600 euros ;Mme [C] [D] (enfant) : 8.700 euros ;Mme [C] [L] (enfant) : 8.700 euros ;Mme [C] [A] (petit-enfant) : 3.300 euros ;M. [N] [I] (petit-enfant) : 3.300 euros ;
DIT que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra directement verser la somme de 90.700 euros au FIVA, subrogé dans les droits de la succession ainsi que dans les droits des ayants droit de M. [J] [C] ;

DIT que l'action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne pourra être exercée à l'encontre de la société [11], compte-tenu de sa disparition ;

DIT que les dépens de l'instance resteront à la charge de l'État ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision ;

DIT que tout appel de la présente décision doit être formé, sous peine de forclusion, dans le délai d'un mois à compter de la réception de sa notification.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition le 16 avril 2024.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 20/01039
Date de la décision : 16/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-16;20.01039 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award