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16/04/2024 | FRANCE | N°19/06130

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 16 avril 2024, 19/06130


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]


JUGEMENT N°24/01663 du 16 Avril 2024

Numéro de recours: N° RG 19/06130 - N° Portalis DBW3-W-B7D-W4GC

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [R] [B]
né le 29 Avril 1979 à [Localité 9] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Stéphane AUBERT, avocat au barreau de MARSEILLE


c/ DEFENDERESSE
S.A.S. [8]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Denis FERRE, avocat

au barreau de MARSEILLE substitué par
Me Myriam BENDAFI, avocat au barreau de MARSEILLE


Appelées en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RH...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 5]

JUGEMENT N°24/01663 du 16 Avril 2024

Numéro de recours: N° RG 19/06130 - N° Portalis DBW3-W-B7D-W4GC

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [R] [B]
né le 29 Avril 1979 à [Localité 9] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Stéphane AUBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.A.S. [8]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par
Me Myriam BENDAFI, avocat au barreau de MARSEILLE

Appelées en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 6]
dispensée de comparaître

S.A.S. [13]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me Yves MORAINE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par
Me Sandrine LEONCEL, avocat au barreau de MARSEILLE

DÉBATS : À l'audience publique du 07 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PASCAL Florent, Vice-Président

Assesseurs : LARGILLIER Bernard
MITIC Sonia

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 16 Avril 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat de mission temporaire en date du 16 février 2018, Monsieur [R] [B], salarié de SAS [8], a été mis à disposition de la SAS [13] en qualité de nettoyeur pour la période du 19 février 2018 au 25 février 2018 inclus.

Il a été victime d'un accident du travail le 21 février 2018 alors qu'il se trouvait au sein de l'entreprise utilisatrice.

La société [8] a déclaré cet accident le jour même, en précisant que la culasse que le salarié était en train de nettoyer était tombée sur sa main, ce qui lui a écrasé et sectionné l'index de la main droite.

Le certificat médical initial, établi le 21 février 2018 par un médecin de l'Hôpital [11] de [Localité 12] mentionne " amputation distale P3 D2 main droite zone 2 ".

La caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

La caisse a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [R] [B] à 7 %, et lui a attribué une indemnité en capital à compter du 15 janvier 2019.

Par courrier recommandé expédié le 21 octobre 2019, Monsieur [R] [B] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de voir reconnaître que l'accident de travail dont il a été victime le 21 février 2018 est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [8].

Une rechute de l'accident du travail du 21 février 2018 a été constatée par certificat médical du 3 mars 2020, et prise en charge par la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Les parties ont été convoquées à une audience de mise en état le 16 novembre 2022, au cours de laquelle un calendrier de procédure a été établi, puis les débats ont été clôturés par ordonnance en date du 1er mars 2023.

Le 3 avril 2023, la société [8] a sollicité l'intervention forcée de l'entreprise utilisatrice, la société [13].

À l'audience de plaidoirie du 7 février 2024, Monsieur [R] [B], représenté par son conseil soutenant oralement ses conclusions, demande au tribunal de :
constater que l'accident de travail du 21 février 2018 est constitutif d'une faute inexcusable de l'employeur ;condamner la société [8] à verser la somme de 7.500 euros à titre de provision ;désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec pour mission habituelle en pareille matière et notamment de fournir tout élément d'appréciation pour évaluer l'entier préjudice de la victime ;dire que l'expert désigné pourra s'attacher les services de tout sapiteur de son choix ;ordonner le doublement de l'indemnité forfaitaire accident du travail versée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône ;condamner la société [8] à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La SAS [8], représentée à l'audience par son conseil soutenant oralement ses conclusions, sollicite pour sa part du tribunal de :
juger son recours en garantie à l'encontre de la société [13] recevable et non prescrit ;débouter la société [13] de sa fin de non-recevoir ;sur le fond, à titre principal, lui donner acte qu'elle s'associera à la position de l'entreprise utilisatrice à l'encontre de Monsieur [R] [B] s'agissant de l'existence d'une faute inexcusable ;débouter Monsieur [R] [B] de l'ensemble de ses demandes,à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue, juger que la faute inexcusable a été commise par l'entreprise utilisatrice, la société [13] substituée dans la direction de la société [8] au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;condamner en conséquence la société [13] à la relever et à la garantir de toutes les conséquences financières qui résulteraient de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur y compris le surcoût des cotisations accident du travail, tant en principal qu'en intérêts et frais ; juger conformément aux jurisprudences de la Cour de cassation qu'en tout état de cause, la CPCAM des Bouches-du-Rhône sera condamnée à faire l'avance des condamnations ordonnées ;à titre infiniment subsidiaire, juger que l'expertise éventuellement ordonnée sera limitée aux préjudices prévus par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;rejeter toutes autres demandes ;en tout état de cause, condamner Monsieur [R] [B] au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [13], représentée à l'audience par son conseil soutenant oralement ses écritures, demande quant à elle au tribunal de :
juger prescrite l'action en garantie initiée par la société [8] à son encontre ;en conséquence, débouter la société [8] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;à titre subsidiaire, juger que la présomption de faute inexcusable n'est pas applicable en l'espèce dès lors qu'il n'est pas établi que le poste de travail de Monsieur [R] [B] présentait des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité ;juger par ailleurs que Monsieur [R] [B] n'apporte pas la preuve de la commission d'une faute inexcusable ;en conséquence, débouter Monsieur [R] [B] de sa demande tendant à voir juger que l'accident du travail qu'il a subi résulte d'une faute inexcusable et le débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;juger dès lors sans objet les demandes de la société [8] à son encontre ;à titre encore plus subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal devait retenir le principe de la faute inexcusable, limiter la mission de l'expert judiciaire désigné aux postes de réparation complémentaires visés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et exclure notamment les postes de préjudice déjà réparés même forfaitairement par ailleurs, à savoir les souffrances physiques ou morales endurées post-consolidation, les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ;laisser les dépens à la charge du demandeur.
La CPCAM des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparaître, s'en rapporte à l'appréciation du tribunal sur le mérite de l'action introduite quant à la reconnaissance de la faute inexcusable et demande, le cas échéant, de :
dire qu'elle majorera l'indemnité en capital ;constater qu'elle ne s'oppose pas à la mise en place d'une expertise afin de déterminer les préjudices indemnisables ;constater qu'elle s'en rapporte quant à la demande de provision ;condamner l'employeur à lui rembourser les conséquences financières de cette faute inexcusable (majoration du capital-préjudices-expertise).
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties à l'audience pour un exposé plus ample de leurs moyens et prétentions.

L'affaire a été mise en délibéré au 16 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture des débats

Par courriel du 9 juin 2023, la CPCAM des Bouches-du-Rhône, partie intervenante à la présente procédure, a sollicité le rabat de l'ordonnance de clôture rendue le 1er mars 2023, et la prise en compte de ses conclusions transmises le même jour.

La société [8] et la société [13] ont également transmis leurs dernières conclusions postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Dans ces conditions, et en l'absence d'opposition des parties à la demande formulée par la caisse, il y a lieu d'ordonner la révocation de l'ordonnance du 1er mars 2023.

Sur la prescription de l'action récursoire de l'employeur

Il est constant que l'action récursoire dont dispose l'entreprise de travail temporaire à l'encontre l'entreprise utilisatrice auteur de la faute inexcusable n'est pas soumise à la prescription biennale prévue par l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, et se prescrit par cinq ans conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil (Civ. 2e, 19 dec. 2019, n°18-24.213 - Civ. 2e, 21 avr. 2022, no 20-20.976).

En l'espèce, Monsieur [R] [B] a saisi le tribunal de céans le 21 octobre 2019 d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8].

Cette dernière a mis en cause la société [13], entreprise utilisatrice, par requête expédiée le 3 avril 2023.

L'action récursoire exercée par la société [8] à l'encontre de la société [13] n'est donc pas prescrite et sera déclarée recevable.

Sur la faute inexcusable de l'employeur

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne tant les accidents du travail que les maladies professionnelles.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La faute inexcusable de l'employeur ne se présume pas et il appartient à la victime ou à ses ayants droit d'en rapporter la preuve.

Ces principes sont aménagés en matière de travail temporaire. Les dispositions de l'article L. 4154-3 du code du travail précisent en effet que la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L. 4154-2.

Sur la faute inexcusable présumée

Il est constant que le jour de l'accident, le 21 février 2018, Monsieur [R] [B] exerçait une mission d'intérim au sein de la société [13].

Pour bénéficier du régime de la faute inexcusable présumée, il incombe à ce dernier d'établir qu'il était affecté à un poste de travail présentant un risque particulier pour sa santé ou sa sécurité, et qu'il n'a pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L. 4154-2.

En l'espèce, il ressort du contrat de mission produit que Monsieur [R] [B] occupait un poste de nettoyeur ne figurant pas sur la liste des postes à risques prévue par l'article L. 4154-2.

Le poste de nettoyeur ne fait pas partie des postes énumérés par l'article R. 4624-23 du code du travail, comme présentant un risque particulier.

Un poste de travail présente des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés s'il implique, d'une part, des travaux dangereux nécessitant une certaine qualification (travaux de maintenance, travaux sur machines dangereuses) ou des travaux exposant à certains risques (travaux en hauteur ; produits chimiques ; substances telles que l'amiante ; nuisances : bruit - niveau sonore - vibrations) ou, d'autre part, des travaux pour lesquels une formation particulière est prévue par la réglementation.

Or, classiquement, le poste de nettoyeur n'implique pas des travaux dangereux et n'expose pas le travailleur à des risques particuliers.

Monsieur [R] [B] indique que, dans le cadre de ses fonctions de nettoyeur pour la société [13], il était " susceptible de travailler sur des pièces mécaniques lourdes et dangereuses ".

Il ne précise pas toutefois davantage ni ne justifie des risques auxquels il était éventuellement exposé.

En conséquence, il y a lieu de considérer que le poste auquel était affecté Monsieur [R] [B] ne présente pas de risques particuliers au sens de l'article L. 4154-3 du code du travail, de sorte que la faute inexcusable de son employeur ne peut être présumée.

Sur la faute inexcusable prouvée

Il incombe au demandeur de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur et qu'aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

En l'espèce, Monsieur [R] [B] fonde son recours sur le régime de la faute inexcusable présumée, et n'apporte aucun élément de nature à établir que son employeur avait conscience du danger auquel il aurait été exposé et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Monsieur [R] [B], qui échoue à démontrer que son l'accident de travail dont il a été victime le 21 février 2018 est imputable à la faute inexcusable de son employeur, sera en conséquence débouté de l'intégralité de ses prétentions.

Il résulte de l'absence de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur que le surplus des demandes des parties est sans objet.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur [R] [B], qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance.

L'équité et la situation économique respective des parties ne justifient pas de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

ORDONNE la révocation de l'ordonnance de clôture du 1er mars 2023 ;

DÉCLARE recevable l'action récursoire de l'entreprise de travail temporaire, la SAS [8], à l'encontre de la société utilisatrice, la SAS [13];

DÉBOUTE Monsieur [R] [B] de l'intégralité de ses demandes et prétentions ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE Monsieur [R] [B] aux dépens de l'instance ;

DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 538 du code de procédure civile, tout appel de la présente décision doit être formé dans le délai d'un mois suivant la réception de sa notification.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 19/06130
Date de la décision : 16/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-16;19.06130 ?
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