REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
JUGEMENT N°24/01046 du 09 Avril 2024
Numéro de recours: N° RG 18/02365 - N° Portalis DBW3-W-B7C-VLQQ
AFFAIRE :
DEMANDERESSE
S.A.S [6]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS
c/ DEFENDERESSE
Organisme URSSAF PACA
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Mme [W] [M], inspectrice juridique de l’organisme munie d’un pouvoir régulier
DÉBATS : À l'audience publique du 06 Février 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : PASCAL Florent, Vice-Président
Assesseurs : LEVY Philippe
ZERGUA Malek
L’agent du greffe lors des débats : GRIB Assya
À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 09 Avril 2024
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
RG N°18/02365
EXPOSE DU LITIGE
La société [6] a fait l'objet d'un contrôle sur l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires pour la période des années 2014 à 2016 par des inspecteurs du recouvrement de l'Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales de Provence-Alpes-Côte d'Azur (ci-après URSSAF PACA), ayant donné lieu à une lettre d'observations du 6 octobre 2017, puis à une mise en demeure n°63427452 du 18 décembre 2017 pour un montant total de 26.454 € au titre des cotisations sociales régularisées et des majorations de retard.
Par requête expédiée le 20 avril 2018, la société [6], représentée par son conseil, a formé un recours contentieux auprès du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône à l'encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de l'URSSAF PACA saisie de sa contestation de trois des chefs de redressement.
Par décision du 28 novembre 2018, la commission de recours amiable de l'URSSAF PACA a fait droit à la contestation de l'employeur relative à une transaction suite à licenciement pour faute grave (chef n°4 d'un montant de 1.111 €), mais a maintenu le redressement pour les deux autres chefs contestés :
- le n°1 relatif aux éléments de salaires passés en perte : IJSS (pour un montant de 1.599 €),
- le n°3 relatif à une transaction suite à un départ à la retraite : sommes ayant la nature de rémunérations (pour un montant de 9.323 €).
L'affaire a fait l'objet, par voie de mention au dossier, d'un dessaisissement au profit du Pôle social du Tribunal judiciaire de Marseille, en vertu de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle.
L'affaire a été retenue à l'audience au fond du 6 février 2024.
La société [6], représentée par son conseil soutenant oralement ses conclusions, demande au tribunal de :
- dire et juger que la procédure de redressement est irrégulière du fait du non-respect du principe du contradictoire lié à l'absence de réponse des inspecteurs dans la lettre du 27 novembre 2017 à l'ensemble des arguments de contestation soulevés par la société dans sa lettre du 7 novembre 2017 ;
- annuler en conséquence la mise en demeure du 18 décembre 2017 ;
- sur le fond, annuler les chefs de redressement n°1 et 3 et les majorations de retard afférentes ;
- condamner l'URSSAF PACA à lui régler la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
L'URSSAF PACA, représentée par une inspectrice juridique soutenant oralement ses conclusions, sollicite pour sa part du tribunal de :
- dire et juger que la procédure de redressement est parfaitement régulière ;
- débouter la société cotisante de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;
- dire et juger que les chefs de redressement n°1 et 3 sont bien fondés dans leur principe et leur montant ;
- constater que la société a procédé au paiement de la mise en demeure afférente audit redressement ;
- condamner la société [6] à lui payer à la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il convient de se reporter aux conclusions déposées par les parties à l'audience, reprenant l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
L'affaire a été mise en délibéré au 9 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la régularité de la procédure de contrôle et de recouvrement
En application de l'article R.243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige :
" A l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. (…).Il indique également au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations et qu'il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix.
(...)
Lorsque la personne contrôlée répond avant la fin du délai imparti, l'agent chargé du contrôle est tenu de répondre. Chaque observation exprimée de manière circonstanciée par la personne contrôlée fait l'objet d'une réponse motivée. Cette réponse détaille, par motif de redressement, les montants qui, le cas échéant, ne sont pas retenus et les redressements qui demeurent envisagés. "
En l'espèce, la lettre d'observations de l'URSSAF PACA du 6 octobre 2017 comporte régulièrement les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant de chacun des redressements, par année et par chef, ainsi que leur fondement juridique.
L'employeur a été informé du délai de trente jours dont il disposait pour procéder à ses propres observations, ce que la société [6] a fait par courrier du 7 novembre 2017.
Les inspecteurs ont répondu à la contestation de l'employeur par courrier du 27 novembre 2017, soit avant la délivrance de la mise en demeure du 18 décembre 2017.
La société reproche aux inspecteurs de l'URSSAF de ne pas avoir répondu avec pertinence à ses observations.
Il résulte toutefois de l'examen de la réponse à la contestation que chaque motif de redressement est parfaitement distingué par les inspecteurs, avec leur montant respectif, et qu'une réponse circonstanciée et motivée est développée pour chacun des chefs contestés.
La réponse d'un inspecteur du recouvrement n'est soumise à aucun formalisme particulier, et elle n'a pas pour objet d'emporter la conviction du cotisant qui pourra toujours en contester les fondements par ses recours ultérieurs.
Il s'ensuit que peu important la pertinence de la motivation des inspecteurs, ceux-ci ayant explicité leur position pour chacun des chefs de redressement pour lesquels la société a formulé des observations et ayant indiqué, à chaque fois, s'ils maintenaient ou non le redressement dans son principe et son montant, la réponse des inspecteurs du recouvrement aux observations de la société redressée est motivée au sens de l'article R.243-59 du Code de la sécurité sociale.
En conséquence, le grief formulé par la société [6] à ce titre n'est pas fondé.
Sur éléments de salaires passés en perte : acomptes, prêts, IJSS
Les constatations des inspecteurs ont mis en évidence que la société a versé à ses salariés des indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS) via la paie alors que les montants n'ont pas été indemnisés par la caisse primaire d'assurance maladie.
La société estimant ne plus être en mesure de récupérer ces sommes, elle les passe en pertes dans un compte de charges.
Pour les inspecteurs, les montants en cause versés en net aux salariés perdent la nature d'IJSS et sont assimilés à du salaire.
La société rappelle les dispositions de l'article R.323-11 du Code de la sécurité sociale selon lesquelles lorsque le salaire est maintenu en totalité au bénéfice du salarié malade, l'employeur est subrogé de plein droit à l'assuré dans les droits de celui-ci aux indemnités journalières qui lui sont dues, ainsi que les dispositions de l'article L.241-2 selon lesquelles ne sont pas comprises dans la rémunération, les prestations de sécurité sociale versées au bénéfice du salarié.
Elle explique qu'une toute petite partie des créances d'IJSS est passée en débit sur sa comptabilité, mais que pour autant le seul fait qu'elles soient comptabilisées en débit ne modifie pas la nature des sommes avancées qui demeurent des indemnités journalières de sécurité sociales non soumises à cotisation.
Elle considère que dès lors que l'URSSAF, qui entend remettre en cause la qualification juridique des sommes versées, échoue à démontrer que les IJSS non remboursées par l'assurance maladie n'étaient effectivement pas dues, ces sommes ne peuvent constituer des éléments de rémunération soumis à cotisations.
L'URSSAF réplique que le fait générateur des cotisations est l'inscription des avances faites aux salariés au débit d'un compte de charges exceptionnelles en contrepartie du crédit du compte de tiers. Elle précise, d'une part, que dès lors que la société n'a pas justifié des relevés adressés à la caisse primaire d'assurance maladie, il ne peut pas être vérifié que les avances inscrites en comptabilité avec les versements de l'assurance maladie ont effectivement la nature d'indemnités journalières de sécurité sociale, et d'autre part, que dès lors que ces avances sont passées en comptabilité en débit du compte charges exceptionnelles, il est établi que la société n'attend plus de remboursement de l'assurance maladie, de sorte qu'il ne s'agit pas d'IJSS mais d'avances non récupérées qui n'entrent plus dans le cadre de l'exonération.
Aux termes de l'alinéa 4 de l'article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, ne seront pas comprises dans la rémunération les prestations de sécurité sociale versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par l'entremise de l'employeur.
En l'espèce, il résulte de la lettre d'observations du 6 octobre 2017, que les inspecteurs du recouvrement ont constaté que la société soldait par écritures d'opérations diverses des comptes relatifs à des indemnités journalières de sécurité sociale, celles-ci ayant été versées via la paie alors même que les montants n'ont pas été indemnisés par la sécurité sociale, de sorte que ces montants ne peuvent pas être qualifiés d'IJSS mais doivent être assimilés à du salaire.
Dès lors que devant la juridiction, la société ne justifie ni du remboursement des avances faites aux salariés à titre d'IJSS par la caisse d'assurance maladie, ni que ces avances demeurent en attente de remboursement de l'organisme de sécurité sociale suite à l'envoi par la société d'un relevé d'IJSS à la caisse d'assurance maladie, et qu'au contraire, les sommes avancées au titre d'IJSS ont été inscrites en débit du compte de charges exceptionnelles et non pas en crédit du compte de tiers, alors la nature d'indemnités journalières de sécurité sociale des sommes versées aux salariés concernés n'est pas établie par la société.
Il s'ensuit que ces sommes versées aux salariés par leur employeur sans qu'elles puissent être qualifiées de prestations de sécurité sociale, doivent être réintégrées dans l'assiette des cotisations.
La contestation de l'employeur à ce titre sera rejeté et le chef de redressement maintenu.
Sur la transaction : sommes ayant la nature de rémunérations
L'article L.242-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que tout avantage en argent ou en nature versé en contrepartie ou à l'occasion du travail doit être soumis à cotisations.
Il est constant que l'indemnité transactionnelle versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail n'est pas au nombre de celles limitativement énumérées à l'article 80duodecies du Code général des impôts, auquel renvoie l'article L.242-1 susvisé, et qui sont exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, de sorte qu'elle est soumise à cotisations, à moins que l'employeur rapporte la preuve qu'elle concourt, pour tout ou partie de son montant, à l'indemnisation d'un préjudice.
En l'espèce, il ressort de la lettre d'observations du 6 octobre 2017 que les inspecteurs du recouvrement ont constaté qu'une indemnité transactionnelle a été versée à une salariée, Mme [H], suite son départ à la retraite, et ont considéré que le litige en cause portait sur l'exécution du contrat de travail et que les sommes versées dans ce cadre visaient à compenser les salaires non-perçus par la salariée durant sa carrière en raison de son absence d'évolution professionnelle.
Les montants alloués au titre de l'exécution du contrat de travail ayant la nature de salaires, ils ne pouvaient pas être exonérés de cotisations.
Dès lors que l'indemnité transactionnelle est conclue pour une somme globale et forfaitaire, il appartient au juge du fond de rechercher, nonobstant la qualification retenue par les parties, si ce montant n'inclut pas des éléments de rémunération légaux ou conventionnels.
La charge de la preuve du caractère exclusivement indemnitaire des sommes versées en exécution d'une transaction incombe à l'employeur.
Or, il ressort du protocole d'accord transactionnel signé le 5 mai 2015 par Mme [H] que la société a accepté de lui verser une somme d'un montant brut de 25.000 € à titre d'indemnité transactionnelle, forfaitaire, globale et définitive, destinée à compenser le préjudice moral, financier et professionnel que la salariée estime avoir subi dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail.
Il est précisé en préambule que la salariée reproche à son employeur son absence d'évolution professionnelle pendant ses 34 ans de travail alors qu'elle a pu constater, sur la même période, que seuls ses collègues hommes avaient évolué sur des postes d'agent de maîtrise, et que son professionnalisme attesté par ses évaluations annuelles lui permettait d'y prétendre.
Il est encore indiqué que l'indemnité versée est destinée à compenser l'ensemble des préjudices subis dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et à l'occasion de la rupture de celui-ci, et que la salariée renonce expressément à toute autre prétention à titre de " salaires, primes, commissions, bonus (…), et plus généralement à toute somme et indemnité de quelque nature que ce soit à l'égard de la société ".
Il s'ensuit que, la somme versée ayant un caractère à la fois indemnitaire et salarial, et que son caractère global et forfaitaire empêchant de distinguer ce qui relève de l'un ou de l'autre, elle doit être réintégrée en son entier dans l'assiette des cotisations.
La contestation de la société [6] est en conséquence insuffisamment fondée, et le chef de redressement sera maintenu.
Sur les demandes accessoires
Les dépens de l'instance sont à la charge de la partie qui succombe, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile.
Les considérations tirées de l'équité ne justifient pas toutefois de condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
DECLARE recevable, mais mal fondé, le recours de la société [6] à l'encontre de la décision de rejet de la commission de recours amiable de l'URSSAF PACA saisie de sa contestation de la mise en demeure n°63427452 du 18 décembre 2017 ;
DEBOUTE la société [6] de ses demandes et prétentions ;
CONSTATE que la société a procédé au paiement de la mise en demeure du 18 décembre 2017 et que les causes du litige sont soldées ;
DIT n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société [6] aux dépens de l'instance.
Conformément aux dispositions de l'article 538 du Code de procédure civile, tout appel de la présente décision doit être formé, à peine de forclusion, dans le délai d'un mois à compter de sa notification.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
Notifié le :