TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 22/03849 - N° Portalis DBW3-W-B7G-Z4VW
AFFAIRE :
S.A.S. MILCI (Me Arnaud CHAVALARIAS)
C/
S.A. ALLIANZ IARD (Me Bernard MAGNALDI)
Rapport oral préalablement fait
DÉBATS : A l'audience Publique du 08 Février 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré
Président : Monsieur Alexandre BERBIEC, Juge
Greffier : Madame Sylvie PLAZA, lors des débats
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 28 Mars 2024, puis prorogée au 04 Avril 2024
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024
PRONONCE en audience publique par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024
Par Monsieur Alexandre BERBIEC, Juge
Assisté de Madame Sylvie PLAZA, Greffier
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
La société MILCI (S.A.S.)
Immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le N° 821 641 362
dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant pour avocat postulant Me Arnaud CHAVALARIAS, avocat au barreau de MARSEILLE
Ayant pour avocat plaidant Maître Morgan JAMET de la SELARL ARST AVOCATS,
représentée par la SELEURL MJ Avocat, avocat au Barreau de PARIS
C O N T R E
DEFENDERESSES
La compagnie ALLIANZ IARD (S.A.)
Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le N° 542 110 291
dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son Directeur Général, Monsieur [B] [N], domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Me Bernard MAGNALDI, avocat au barreau de MARSEILLE
S.A. L’ABEILLE
Immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le N° B055 807 531
dont le siège social est sis [Adresse 3], , prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Jean DE VALON de l’ASSOCIATION DE VALON / PONTIER DE VALON, avocats au barreau de MARSEILLE
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte du 15 septembre 2016, la société anonyme L’ABEILLE a donné à bail commercial à la société par actions simplifiée MILCI un local à usage commercial sis [Adresse 2]). Le bail susvisé a été consenti pour y exploiter l’activité de « restauration rapide sur place et à emporter » à l’exclusion de tout autre activité, le tout sous l’enseigne « O’Tacos ».
La société par actions simplifiée MILCI a souscrit auprès de la société anonyme ALLIANZ IARD un contrat multirisque dont le numéro de police est le 57673961 et intitulé « Allianz ProfilPro » en date du 13 mars 2017.
Par acte d’huissier en date du 12 avril 2022, la société par actions simplifiée MILCI a assigné la société anonyme ALLIANZ IARD et la société anonyme L’ABEILLE devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE, aux fins notamment de voir à titre principal condamner la société ALLIANZ IARD à lui verser la somme de 10.840 €, au titre des travaux de remise en état et de 21.439 €, au titre de la perte de chiffre d'affaires durant la fermeture de son local, ou subsidiairement de voir condamner la société L’ABEILLE à lui verser les sommes de 12.487,84 €, au titre de l'ensemble des prestations de débouchage supportées par la société MILCI depuis 2017, de 21.439 € au titre de la perte de chiffre d'affaires durant la fermeture de son local, de juger non écrit l'article 25 du bail litigieux, de condamner la société L’ABEILLE à lui verser la somme de 5.000 € à titre de réparation du préjudice de jouissance subi, et de condamner la société L’ABEILLE à lui verser la somme de 5.000 € au titre du préjudice moral subi.
Aux termes de ses conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats le 1er juin 2023, au visa des articles 606, 1104, 1170, 1240,1231-1 1719, 1755 du code civil, R 145-35 du code de commerce, la société par actions simplifiée MILCI sollicite de voir :
A titre principal :
- débouter la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D à payer à la société Milci la somme de 10.840,00 euros HT au titre du remboursement des travaux de remise en état consécutifs au dégât des eaux, en application de la police d’assurance numéro 57673961 ;
- condamner la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D à payer à la société Milci la somme de 21.439,00 euros, au titre de la perte du chiffre d’affaires subie pendant la période de fermeture du local en cause ;
A titre subsidiaire :
- débouter la société L’Abeille de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société L’Abeille à payer à la société Milci la somme totale de 12.487,84 € H.T correspondant au coût de l’ensemble des prestations de débouchages supportés par la société Milci depuis 2017, au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi ;
- condamner la société L’Abeille à payer à la société Milci la somme de 21.439,00 €, au titre titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de la perte de chiffre d’affaires pendant la période de fermeture du local exploité par la société Milci, pendant la réalisation des travaux de réfection de la cuisine et des sanitaires, consécutifs au dégât des eaux résultant de l’engorgement de la conduite d’évacuation des eaux usées, au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi ;
- juger qu’est réputé non-écrit l’article 25 - « travaux- réparations - entretien » - des conditions générales du bail en cause ;
- condamner la société L’Abeille à payer à la société Milci la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice de jouissance subi ;
- condamner la société L’Abeille à payer à la société Milci la somme de 5.000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;
Et en tout état de cause :
- condamner la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D ainsi que la société L’Abeille à payer, chacun, à la société Milci la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code procédure civile, outre les entiers dépens ;
- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie.
Au soutien de ses prétentions, la société par actions simplifiée MILCI affirme que depuis le courant de l’année 2017, la demanderesse a subi d’importants désordres résultant de l’engorgement régulier de la canalisation du réseau commun servant à l’évacuation des eaux usées de son établissement. Cette situation l’a contrainte à faire intervenir régulièrement des sociétés de débouchage. Le coût de ces interventions, au nombre de huit, réalisées entre les années 2017 et 2019, a systématiquement été pris en charge par la société MILCI. Le 5 janvier 2020, la demanderesse a par ailleurs subi un important dégât des eaux résultant de l’engorgement du réseau d’évacuation des cuisine et sanitaires de son établissement O’Tacos. Compte tenu de l’ampleur du sinistre et du contexte de crise sanitaire, la société par actions simplifiée MILCI a été contrainte de faire réaliser, en urgence, des travaux de réfection de la cuisine et des sanitaires, qui ont nécessité la fermeture de l’établissement pour une durée de dix jours.
Le total des réparations a coûté 10.840 € hors taxes, et l'interruption de l'activité pendant dix jours est estimée à 21.439 €.
Concernant l'assureur, la demanderesse fait valoir qu'il est constant en jurisprudence que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise extra-judiciaire réalisée à l'initiative de l'assureur.
Le contrat d'assurance vise bien les dégâts des eaux comme cause de préjudice, et également les pertes financières consécutives à un tel sinistre.
La date du fait dommageable est clairement fixée par le rapport d'expertise d'assureur au 5 janvier 2020. La police d'assurance entrée en vigueur le 15 avril 2017 a vocation à s'appliquer.
Concernant le bailleur, celui-ci est tenu de procéder aux travaux importants. Il doit garantir le locataire des préjudices subis du fait des manquements du bailleur. En l'espèce, le bailleur connaissait la vétusté de la canalisation litigieuse depuis 2017 et n'a pas procédé aux travaux de remise en état. Les travaux de réfection de canalisation relèvent des grosses réparations visées à l’article 606 du code civil.
Aux termes de ses conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats le 26 décembre 2022, au visa des articles 1104 et 1353 du code civil, L124-1 et L124-15 du code des assurances, la société anonyme ALLIANZ IARD sollicite de voir :
- rejeter toutes les prétentions de la société par actions simplifiée MILCI.
Au soutien de ses prétentions, la société anonyme ALLIANZ IARD fait valoir que la demanderesse n'a jamais formellement déclaré son sinistre, sinon par courrier de son conseil du 15 février 2022. Les conditions générales du contrat prévoyaient une obligation de déclaration du sinistre dans le délai de cinq jours. Or, il résulte de l'assignation et des pièces versées que les divers dégâts des eaux évoqués par la demanderesse sont survenus entre 2017 et 2020. Plus encore, le contrat n'a pris effet que le 15 avril 2017. Or, il semble résulter des échanges versés aux débats entre les établissements O'TACOS, le bailleur de celle-ci et les établissements FARINA, qu'un passage de technicien relatif au sinistre était prévu le 22 mars 2017. Le sinistre serait donc né avant l'entrée en vigueur du contrat d'assurance, les sinistres ultérieurs étant la manifestation du sinistre initial dans une autre amplitude.
Les dommages allégués sur les installations sont sans lien direct avec le sinistre. Au niveau contractuel, les réparations de l’origine du dégât des eaux n'ont pas vocation à être prise en charge au titre des dommages matériels, pas plus que les pertes financières en découlant.
Aux termes de ses conclusions communiquées par le réseau privé virtuel des avocats le 18 octobre 2023, au visa des articles 1241, 1719 et 1720 du code civil, la société anonyme L’ABEILLE sollicite de voir :
- débouter la société par actions simplifiée MILCI de ses prétentions dirigées contre la société anonyme L’ABEILLE ;
- condamner la société par actions simplifiée MILCI à verser à la société anonyme L’ABEILLE la somme de 5.000 € de dommages et intérêts ;
- condamner la société par actions simplifiée MILCI à verser à la société anonyme ABEILLE la somme de 5.000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement :
- condamner la compagnie ALLIANZ à relever et garantir la société anonyme L’ABEILLE de toutes les condamnations qui seraient mises à sa charge ;
Et en tout état de cause :
- ne pas ordonner l'exécution provisoire.
Au soutien de ses prétentions, la société anonyme L’ABEILLE fait valoir que sa locataire ne s'est manifestée auprès d'elle, concernant le sinistre, qu'en 2021. Elle a fait réaliser des travaux de réparation depuis 2017, au fur et à mesure, sans en avertir la bailleresse, en violation des stipulations du bail.
L'expert diligenté par l'assureur ne retient pas de lien de causalité entre le sinistre et les dommages aux installations allégués.
La demanderesse ne prouve pas la faute de la bailleresse. A contrario, celle-ci a respecté ses obligations, au titre du bail. Le curage de canalisation constitue une dépense d'entretien et non une « grosse réparation », au sens de l'article 606 du code civil.
Les travaux d'amélioration du bailleur entrepris en 2021 sont sans rapport avec le sinistre allégué, et ne constituent pas une reconnaissance de responsabilité.
Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Tribunal entend se référer, pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l'indemnisation par la société ALLIANZ IARD des travaux de remise en état :
La société anonyme ALLIANZ IARD affirme que la société par actions simplifiée MILCI ne rapporte pas la preuve d'avoir déclaré le sinistre dans le délai de cinq jours suivant sa survenance, de sorte que la datation du sinistre serait impossible.
Or, est versé aux débats un rapport d'expertise extra-judiciaire, réalisée à sur mandement de la société anonyme ALLIANZ IARD, rapport daté du 16 février 2021. Ce rapport, dans la catégorie « circonstances » du sinistre, indique : « le 5 janvier 2020, Monsieur [U] déclare un sinistre dégât des eaux affectant son local ».
La défenderesse fait en outre valoir que la demanderesse ne rapporte la preuve d'une déclaration de sinistre que, au plus tôt, par courrier du 15 février 2022. Sur ce point, la défenderesse n'explique donc pas comment elle a pu mandater un expert le 16 février 2021 pour un sinistre que la société par actions simplifiée MILCI ne lui aurait, selon elle, déclaré que le 15 février 2022.
Il n'y a donc pas lieu de faire application de la sanction de déchéance de garantie prévue à la page 50 des conditions générales du contrat d'assurance, en cas de défaut de déclaration du sinistre dans le délai de cinq jour.
Le contrat d'assurance litigieux garantit notamment, quant aux dégâts des eaux (p. 6 des conditions générales du contrat), le risque de « refoulement ou l’engorgement des égouts et des conduites souterraines » et la garantie des « frais occasionnés (…) de remise en état à l’intérieur des locaux assurés, consécutive à un évènement garanti occasionnant des frais et dégradations ».
La société par actions simplifiée MILCI expose que le préjudice qu'elle a subi et pour lequel elle verse aux débats deux factures datées des 20 janvier 2020 et 20 avril 2020.
La réalité du dégât des eaux du 5 janvier 2020 n'est pas contestée par la société anonyme ALLIANZ IARD, et n'est pas remise en cause par le rapport d'expertise extra-judiciaire.
Toutefois, il convient de relever que le contrat d'assurance ne permet d'indemniser que les dégâts qui sont la conséquences des sinistres qu'il garantit. Il convient de relever qu'au titre de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe au demandeur à la présente procédure de rapporter la preuve du bien fondé de sa prétention. Il incombe donc à la société par actions simplifiée MILCI, assurée et demanderesse à la présente procédure, de rapporter la preuve que les travaux dont elle sollicite l'indemnisation ont eu pour cause le dégât des eaux du 5 janvier 2020.
Or, la demanderesse se borne à verser aux débats, quant à la preuve du sinistre et de sa causalité :
- des photographies, qui par nature, ne permettent pas de porter une analyse technique sur l'enchaînement causal du sinistre ;
- le rapport d'expertise extra-judiciaire du 16 février 2021.
Ce rapport d'expertise souligne que les réparations visées par les factures versées aux débats par la société par actions simplifiée MILCI ne peuvent pas concerner des dommages résultant d'un dégât des eaux. Ainsi, ces factures visent le remplacement de plaques de placoplâtre mural : l'expert relève que « les refoulements, à moins d'avoir entraîné une mise en charge sur plus de quinze centimètres de hauteur, n'ont théoriquement pas pu endommager les murs du local ».
Les factures concernent également le remplacement du carrelage : l'expert relève que « le carrelage d'origine de la cuisine est, selon les photos consultées, conforme à la réglementation CE 852/2004 et de ce fait insensible à l'eau, et théoriquement posé sur un complexe d'étanchéité complet ».
Les factures concernent aussi des travaux de plomberie : l'expert relève « les installations de plomberie ne peuvent être affectées par un refoulement d'eaux usées ».
Enfin, les factures sont relatives au changement de l'installation électrique : le rapport indique que « les installations électriques, conformément aux dispositions de la norme NFC 15-100, ne peuvent se situer dans une zone exposée aux aspersions d'eau, à moins d'être compatibles avec un indice IP minimum de 55, ce qui les rendraient insensibles à ce type de problématique ».
Le rapport d'expertise extra-judiciaire exclut donc l'existence d'un lien de causalité entre le sinistre subi par la société par actions simplifiée MILCI et les travaux, dont elle sollicite l'indemnisation auprès de l'assurance.
La société par actions simplifiée MILCI fait valoir qu'« il est de jurisprudence constante que le juge ne peut fonder sa décision que sur le seul rapport d’expertise non judiciaire, réalisée à la demande de l’assureur et non corroborée par d’autres éléments de preuve, même si l’expertise a été réalisée en présence des parties. » Les décisions de justice rendues par la Cour de cassation et citées par le demandeur au soutien de cette affirmation sont rendues au visa de l'article 16 du code de procédure civile, qui impose le respect du principe du contradictoire. Il est toutefois constant, en jurisprudence, qu'un rapport d'expertise non-contradictoire peut revêtir valeur probante, s'il est ensuite contradictoirement versé à des débats judiciaires pour être librement discuté, et qu'il est corroboré par d'autres éléments (voir par exemple en ce sens C. Cass., 1ère civ, 9 septembre 2020, n° 19-13.755).
Il résulte clairement des stipulations particulières du contrat d'assurance litigieux que l'assurée est la société par actions simplifiée MILCI.
Or, le rapport du 16 février 2021 sus-cité mentionne que le locataire est « Monsieur [K] [U] », qui est également, dans ce rapport, désigné comme « assuré ». Non seulement cette indication sur le rapport est fausse, l'assuré n'étant pas une personne physique mais la société par actions simplifiée MILC,I mais en outre, il résulte de l'extrait K-bis de la société par actions simplifiée MILCI versé aux débats que son Président est Monsieur [F] [R].
L'expertise n'a eu lieu qu'en présence de Monsieur [U], dont la société anonyme ALLIANZ n'établit pas le lien avec la société par actions simplifiée MILCI.
L'expertise du 16 février 2021 n'a donc pas de caractère contradictoire à l'égard de la société par actions simplifiée MILCI. Ces conclusions ne sont corroborées par aucune autre pièce versée au dossier. Les conclusions de ce rapport exposées plus haut sont donc dépourvues de valeur probante.
Toutefois, comme indiqué plus haut, puisque la société par actions simplifiée MILCI est demanderesse à la présente procédure, c'est à elle qu'il incombe de rapporter la preuve d'un lien causal entre le sinistre qu'elle a subi, et les travaux qu'elle a effectués. En effet, c'est elle qui demande l'indemnisation de ces travaux au titre de la prise en charge du sinistre par l'assureur.
Les observations qui précèdent sur l'absence de caractère contradictoire du rapport d'expertise conduisent simplement le Tribunal à ne pas fonder sa décision sur ce rapport, mais il n'en demeure pas moins que la société par actions simplifiée MILCI a tout de même la charge de prouver qu'il existe un lien causal entre le sinistre et les travaux.
Or, la demanderesse ne verse aux débats aucun élément en ce sens, sinon des photographies insuffisantes pour établir ce lien causal.
La société par actions simplifiée MILCI sera donc déboutée de sa prétention tendant à voir condamner la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D à lui payer la somme de 10.840,00 euros HT.
Sur l'indemnisation par la société anonyme ALLIANZ IARD de la perte de chiffre d'affaires :
L'indemnisation de la perte de chiffre d'affaires par la société par actions simplifiée MILCI est demandée au titre de la garantie des « frais occasionnés (…) de remise en état à l’intérieur des locaux assurés, consécutive à un évènement garanti occasionnant des frais et dégradations » visée à l'article 6 des conditions générales d'assurance.
Or, comme cité ci-dessus, les frais ne peuvent être indemnisés que s'ils sont « consécutifs à un événement garanti ».
Il a déjà été relevé plus haut que la société par actions simplifiée MILCI, demanderesse sur qui pèse la charge de la preuve de ses prétentions, et donc la charge de prouver que les sommes dont elle réclame le paiement sont consécutives au dégât des eaux, échoue à rapporter cette preuve.
Si la demanderesse ne prouve pas de manière suffisante que les travaux de rénovation de la cuisine sont la conséquence du dégât des eaux, elle ne prouve donc pas que la fermeture de son établissement pour réaliser ces travaux a eu pour cause le dégâts des eaux.
La demanderesse sera donc déboutée de sa prétention de ce chef.
Sur le caractère non-écrit de l'article 25 du contrat de bail :
L'article R145-35 du code de commerce dans sa rédaction applicable au bail unissant la société par actions simplifiée MILCI et la société anonyme L’ABEILLE dispose que « ne peuvent être imputés au locataire :
1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;
2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu'ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l'alinéa précédent ; »
Cet texte est d'ordre public de sorte que toute stipulation contraire est nulle.
L'article 25 du contrat de bail met à la charge du preneur l'entretien des lieux loués, et notamment, les travaux relatifs aux canalisations « même découlant de la vétusté, usure et force majeure », « à l'exception des grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ».
La demanderesse expose que cet article 25 est nul pour contrariété à l'article R145-35. Plus spécifiquement, la demanderesse indique : « l’article R.145-35 du code de commerce, applicable aux contrats conclus ou renouvelés depuis le 5 novembre 2014, interdit expressément au bailleur, de transférer au preneur, la charge des dépenses relatives aux grosses réparations visées à l’article 606 du Code civil, ainsi que celles ayant pour objet de remédier à la vétusté, si elles relèvent des grosses réparations ». Cette affirmation de la demanderesse déforme le texte de l'article R145-35. Ce texte n'exclut pas de la charge du preneur les travaux relatifs aux grosses réparations et les travaux relatifs à la vétusté. Ce qui est illicite, au titre de cette disposition légale, c'est de mettre à la charge du locataire les travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté, si ces travaux relèvent des grosses réparations. Afin que la clause soit illicite, il est donc nécessaire qu'elle remplisse ces deux critères de manière cumulative : mise à la charge du locataire de travaux 1) remédiant à la vétusté 2) qui relèvent des grosses réparations.
Or, très précisément, l'article 25 du contrat litigieux ne met à la charge de la société par actions simplifiée MILCI, les travaux relatifs aux canalisations, même découlant de la vétusté, que lorsque ces travaux ne relèvent pas des grosses réparations.
Il n'y a donc aucune contradiction entre l'article 25 du contrat litigieux et l'article R145-35 du code de commerce, invoqué par la demanderesse.
La société par actions simplifiée MILCI sera déboutée de sa prétention de ce chef.
Sur l'indemnisation des prestations de débouchage depuis 2017 :
A titre préliminaire, il convient de relever qu'au soutien de ses prétentions, la société par actions simplifiée MILCI verse aux débats un ensemble de factures. Or, la qualité d'impression des copies de certaines de ces factures, seuls exemplaires produits devant le Tribunal, rend celles-ci proprement illisibles. Il ne sera donc pas tenu compte de ces pièces illisibles, à savoir, au sein de la pièce n°7 de la demanderesse, les pages 4, 6 et 11.
Sur le fond, il convient de relever que la société par actions simplifiée MILCI sollicite la condamnation de la société anonyme L’ABEILLE sur le fondement des articles 1719, 1720 et 1755 du code civil, ainsi que de l'article 1240 du même code.
Concernant l'article 1240, il est applicable en l'absence de contrat unissant les parties à l'instance ou, du moins, lorsque le dommage est survenu à l'occasion d'un fait extérieur à la relation contractuelle. Or, en l'espèce, les dommages allégués résultent, selon la société par actions simplifiée MILCI, preneuse à bail, de la mauvaise exécution du bail par la bailleresse, la société anonyme L’ABEILLE. L'article 1240 n'est donc pas applicable.
Concernant les articles 1719, 1720 et 1755, la demanderesse les invoque en faisant état du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrer les lieux en bon état de réparations et de les maintenir tels.
A titre préliminaire, il convient de relever qu'une partie des sommes réclamées par la société par actions simplifiée MILCI de ce chef, à l'égard de la société anonyme L’ABEILLE, sont identiques à celles sollicitées à l'égard de la société anonyme ALLIANZ IARD : il s'agit des factures de janvier et avril 2020.
Plus encore, le raisonnement développé par la société par actions simplifiée MILCI, concernant le paiement de ces factures par sa bailleresse est très similaire à celui développé contre la société anonyme ALLIANZ IARD. La demanderesse expose que le sinistre du 5 janvier 2020 (sinistre qu'elle impute aux manquements de sa bailleresse à l'obligation de délivrance et d'entretien de celle-ci) a rendu nécessaires les travaux de janvier et d'avril 2020.
Sur ce point, le Tribunal relève qu'avant même de s'interroger sur la question de savoir si le dégât des eaux du 5 janvier 2020 a eu pour cause le manquement par la société anonyme L’ABEILLE à ses obligations contractuelles, il incombe alors à la demanderesse de démontrer, comme précédemment, que les factures de janvier et avril 2020 ont bien tendu à réparer les conséquences de ce dégât des eaux.
En effet, si (par hypothèse à ce stade), la société anonyme L’ABEILLE avait mal entretenu le local, causant ainsi le dégât des eaux, mais que la société par actions simplifiée MILCI ne pouvait pas démontrer que c'est ce dégât des eaux qui engendre les factures de janvier et avril 2020, alors, dans tous les cas, la responsabilité de la société anonyme L’ABEILLE ne pourrait pas être engagée afin de la voir condamner au paiement desdites factures.
Or, il a déjà été établi précédemment que la société par actions simplifiée MILCI ne rapporte pas la preuve du lien de causalité, entre les dépenses visées par ces factures, et le sinistre du 5 janvier 2020. Notamment, la société par actions simplifiée MILCI n'établit pas de lien de causalité entre les réparations sur les murs, le carrelage et l'installation électrique d'une part, et le dégât des eaux d'autre part.
S'agissant du cas particulier des réparations de canalisation, incluses dans les factures, en revanche, la question juridique se pose différemment à l'égard de la société anonyme L’ABEILLE qu'à l'égard de la société anonyme ALLIANZ IARD. En effet, indépendamment de la question de savoir si la réparation des canalisations est imputable au sinistre du 5 janvier 2020, la société par actions simplifiée MILCI fait cette fois valoir que la nécessité de cette réparation ne résulte pas seulement du sinistre, mais plus largement du défaut d'entretien des canalisations depuis 2017 par la bailleresse.
La société par actions simplifiée MILCI doit donc être déboutée des sommes qu'elle réclame dans les factures des 20 janvier et 20 avril 2020 concernant :
- le carrelage de sol (1.520 €) ;
- la chape couscous (660 €)
- l'électricité (800 €)
- la cloison placo (800 €)
- la pose de carrelage mural (2.160 €)
- la peinture du mur de la cuisine (540 €)
- le déplacement de meubles (250 €)
lesquelles apparaissent sans rapport établi avec le dégât des eaux, dégât que la demanderesse impute aux manquements de la bailleresse à ses obligations contractuelles.
Pour le surplus, la société par actions simplifiée MILCI sollicite l'indemnisation de travaux tendant au débouchage de canalisations. Au titre de l'article 25 du contrat de bail, ces travaux sont à sa charge et ce, même quand ils résultent de la vétusté (en vertu d'une clause explicite du bail passé entre les parties), sauf pour elle à démontrer que ces travaux étaient relatifs à de grosses réparations, au sens de l'article 606 du code civil.
Or, la demanderesse ne démontre pas (étant rappelé que la charge de la preuve lui incombe) que ces travaux constitueraient de « grosses réparations » au sens de l'article 606. Il n'est pas démontré qu'ils concerneraient la structure de l'immeuble, ni sa solidité, ni une portion importante de celui-ci.
Le montant total des travaux strictement affectés au débouchage des canalisations s'est élevé, entre 2017 et 2020, au vu des pièces lisibles produites par la demanderesse, à la somme totale de 3.650 €. Ce montant n'apparaît pas d'une importance telle qu'il suffise à qualifier les travaux de débouchage (étalés sur quatre années) de « grosses réparations ». D'ailleurs, plusieurs des interventions ne s'élèvent qu'à 200 ou 400 € pour le strict débouchage, étant relevé que le premier débouchage a même consisté à retirer une masse importante de serviettes hygiéniques des canalisations, ce qui ne saurait sérieusement être qualifié de « grosse réparation affectant la structure de l'immeuble »...
L'ensemble des pièces de la demanderesse ne démontre donc pas que les travaux de débouchage réalisés relèveraient des grosses réparations, à la charge de la bailleresse.
La demanderesse invoque deux arrêts de cassation au titre desquels, selon elle, la jurisprudence retiendrait que les travaux sur canalisation constituent, par principe, de grosses réparations.
D'une part, un arrêt de la 3ème chambre civile, 13 juillet 2005, n° 04-13.764. Le Tribunal relève que la demanderesse, qui cite pourtant le texte de l'arrêt, en dénature totalement la portée. La Cour de cassation ne dit pas que la réparation des canalisations seule constitue une grosse réparation : elle énonce que « les travaux de remise en état de l'immeuble après les inondations, les travaux qui tendaient à empêcher ou à limiter le risque d'inondation, les travaux de mise en conformité de toitures et de réfection de l'installation électrique, la reprise de la fuite d'eau en cave, la réparation d'une canalisation détruite par le gel en raison d'un manque de calorifugeage et la remise en état de la couverture de l'appentis concernaient la structure et la préservation de l'immeuble ».
C'est donc un ensemble extrêmement lourd de travaux, parmi lesquels se trouvait notamment la réparation d'une canalisation, qui a constitué une grosse réparation, et non pas seulement un tuyau à déboucher.
D'autre part, un arrêt de la 3ème chambre civile du 26 mars 2020, 19-10.415. Ici, la Cour de cassation infirme un arrêt d'appel pour avoir mis à la charge du locataire la réparation d'une canalisation vétuste. Toutefois, la Cour de cassation n'infirme pas l'arrêt au titre de la nature de la réparation (une canalisation), mais au titre du fait que, dans le bail, aucune clause ne prévoyait que les travaux occasionnés par la vétusté seraient à la charge du preneur.
La Cour ne dit donc pas que la réparation d'une canalisation vétuste est par nature une grosse réparation. Elle énonce simplement que, si une canalisation doit être réparée pour cause de vétusté, cette réparation n'est à la charge du preneur que si une clause explicite du bail le prévoit.
Or, très précisément, dans le cas d'espèce, et contrairement au litige visé par l'arrêt du 26 mars 2020, le bail entre la société par actions simplifiée MILCI et la société anonyme L’ABEILLE prévoit une clause mettant à la charge du locataire les travaux causés par la vétusté (hors grosses réparations).
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société par actions simplifiée MILCI doit être déboutée en totalité de sa prétention tendant à voir la société anonyme L’ABEILLE condamnée à lui verser la somme de 12.487,84 € hors taxes, correspondant au coût des prestations de débouchage.
Sur le préjudice financier causé par la fermeture du local durant les travaux :
Les travaux litigieux ayant entraîné une fermeture étaient, au titre du bail, à la charge de la société par actions simplifiée MILCI, preneuse à bail.
Elle ne saurait donc prétendre à une indemnisation de la part de sa bailleresse pour les pertes occasionnées par ces travaux.
La société par actions simplifiée MILCI sera déboutée de sa prétention à hauteur de 21.439 €.
Sur le préjudice de jouissance :
La société par actions simplifiée MILCI fonde sa prétention à la somme de 5.000 € au titre du préjudice de jouissance sur le manquement par la société anonyme L’ABEILLE à ses obligations contractuelles.
Or, il a été retenu plus haut que les travaux de débouchage et l'entretien des canalisations étaient contractuellement à la charge de la société par actions simplifiée MILCI.
Ce n'est donc pas du fait de la société anonyme L’ABEILLE que la société par actions simplifiée MILCI a subi le préjudice allégué.
La société par actions simplifiée MILCI sera déboutée de sa prétention de ce chef.
Sur le préjudice moral :
Comme précédemment, le préjudice invoqué par la société par actions simplifiée MILCI ne peut être imputé à des manquements de la société anonyme L’ABEILLE à ses obligations contractuelles. La demanderesse sera donc déboutée de sa prétention à la somme de 5.000 €.
Sur la demande reconventionnelle aux dommages et intérêts :
La société anonyme L’ABEILLE sollicite reconventionnellement la condamnation de la société par actions simplifiée MILCI à lui verser la somme de 5.000 €. Cette prétention est insuffisamment motivée ; le préjudice n'est pas établi par les preuves versées aux débats.
La société anonyme L’ABEILLE en sera déboutée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Il y a lieu de condamner la société par actions simplifiée MILCI, déboutée de ses demandes, aux entiers dépens.
La société anonyme ALLIANZ IARD ne forme aucune prétention sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société par actions simplifiée MILCI sera déboutée de sa prétention sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de condamner la société par actions simplifiée MILCI à verser à la société anonyme L’ABEILLE la somme de 3.000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire :
L’article 514 du code de procédure civile dispose que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. »
La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition de la décision au greffe après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort :
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention tendant à voir condamner la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D à lui payer la somme de 10.840,00 euros HT au titre des travaux effectués ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention tendant à voir condamner la compagnie d’assurance Allianz I.A.R.D à lui payer la somme de 21.439,00 euros au titre de la perte du chiffre d’affaires ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention tendant à voir réputer non-écrit l'article 25 du contrat de bail litigieux ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention tendant à voir la société anonyme L’ABEILLE condamnée à lui verser la somme de 12.487,84 € hors taxes, correspondant au coût des prestations de débouchage ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention dirigée contre la société anonyme L’ABEILLE à la somme de 21.439 € au titre du préjudice financier durant la fermeture du local ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention dirigée contre la société anonyme L’ABEILLE à la somme de 5.000 € au titre du préjudice de jouissance ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de sa prétention dirigée contre la société anonyme L’ABEILLE à la somme de 5.000 € au titre du préjudice moral ;
DEBOUTE la société anonyme L’ABEILLE de sa prétention tendant à voir la société par actions simplifiée MILCI condamnée à lui verser la somme de 5.000 € au titre des dommages et intérêts :
CONDAMNE la société par actions simplifiée MILCI aux entiers dépens ;
DEBOUTE la société par actions simplifiée MILCI de ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société par actions simplifiée MILCI à verser à la société anonyme L’ABEILLE la somme de trois mille euros (3.000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire ;
REJETTE les prétentions pour le surplus.
Ainsi jugé et prononcé les jour, mois et an susdits.
LA GREFFIERELE PRESIDENT