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04/04/2024 | FRANCE | N°21/10069

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab2, 04 avril 2024, 21/10069


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/ DU 04 Avril 2024


Enrôlement : N° RG 21/10069 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZIRU

AFFAIRE : M. [B] [S] ET Mme [P] [H] ( la SARL ATORI AVOCATS)
C/ Fondation HOPITAL [16] (la SELARL ABEILLE & ASSOCIES) - M. [R] [O] (Me SIGNOURET Charlotte) - CPAM DES [Localité 11] et Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] (SCP BBLM Avocats) - Mutuelle CYBELE SOLIDARITE


DÉBATS : A l'audience Publique du 01 Février 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Préside

nt : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 04 Avril 2024

Enrôlement : N° RG 21/10069 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZIRU

AFFAIRE : M. [B] [S] ET Mme [P] [H] ( la SARL ATORI AVOCATS)
C/ Fondation HOPITAL [16] (la SELARL ABEILLE & ASSOCIES) - M. [R] [O] (Me SIGNOURET Charlotte) - CPAM DES [Localité 11] et Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] (SCP BBLM Avocats) - Mutuelle CYBELE SOLIDARITE

DÉBATS : A l'audience Publique du 01 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 04 Avril 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

réputé contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

Monsieur [B] [S], agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de sa fille mineur [A] [S], née le [Date naissance 4] 2017 à [Localité 14]
né le [Date naissance 5] 1979 à [Localité 14]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]

Madame [P] [H], agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de sa fille mineur [A] [S], née le [Date naissance 4] 2017 à [Localité 14]
née le [Date naissance 9] 1979 à [Localité 14]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]

Tous deux représentés par Maître Yves SOULAS de la SARL ATORI AVOCATS, avocats au barreau de MARSEILLE,

C O N T R E

DEFENDEURS

Fondation HOPITAL [16], dont le siège social est sis [Adresse 6]

représentée par Maître Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE,

Monsieur [R] [O]
né le [Date naissance 1] 1961
de nationalité Française, demeurant [Adresse 10]

représenté par Me Charlotte SIGNOURET de la SELARL ENSEN AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE,

Organisme CPAM DES [Localité 11], dont le siège social est sis [Adresse 7]

représentée par Maître Gilles MARTHA de la SCP BINISTI-BOUQUET-LASSALLE-MAUREL, avocats au barreau de MARSEILLE,

CAISSE COMMUNE DE SECURITE SOCIALE DES [Localité 13], venant aux droits et obligations de la Caisse Primaire d’Assurance maladie des [Localité 13] et de la Caisse Primaire d’Assurance Malaide des [Localité 11], prise en la persone de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître Gilles MARTHA de la SCP BINISTI-BOUQUET-LASSALLE-MAUREL, avocats au barreau de MARSEILLE,

Mutuelle CYBELE SOLIDARITE, dont le siège social est sis [Adresse 2]

défaillant

EXPOSE DU LITIGE

[P] [H], suivie dans le cadre de sa quatrième grossesse par le Docteur [E], s’est présentée aux urgences de l’hôpital [16] le 15 septembre 2017 à 06h50 au terme de 40 semaines d’aménorrhée pour des métrorragies récentes survenues à domicile qu’elle décrivait comme abondantes.
A 7h25, elle a été vue par une sage-femme qui a avisé le Docteur [Y], obstétricien de garde de nuit, et elle a été hospitalisée pour surveillance des métrorragies et du rythme cardiaque foetal.
A 8h11, Madame [H] a été réexaminée par une sage-femme, qui a constaté des métrorragies modérées et non abondantes avec quelques petits caillots à l’entrée, un toucher vaginal avec un col post court souple à deux doigts, une présentation céphalique appliquée, un doigtier sanglant, des mouvements actifs fœtaux et bruits du cœur présents.
La patiente a été également placée sous monitoring de 7h50 à 8h20 qui était normal. L’échographie a mis en évidence un placenta antérieur haut sans décollement visible et les résultats du doppler ombilical étaient normaux.
A 8h30, il est noté dans le dossier « traces de sang sur la protection ».
A 11h15, il est noté « petite trace de sang sur la protection ». Un nouvel examen gynécologique a été effectué par la sage-femme, à la demande du Docteur [O] qui a remplacé l’obstétricien de garde de nuit. Il est noté que le col est postérieur mi-long, plus ou moins tonique, perméable à deux doigts, avec une présentation céphalique appliquée et des traces de sang sur le doigtier.
Le Docteur [O] a préconisé un déclenchement au Syntocinon, mais compte tenu de l’absence de place en salle de naissance, le déclenchement a du être différé, et Madame [H] a été transféré dans une chambre dans l’unité de grossesse à haut risque de l’établissement (GHR).
Madame [H] a, à nouveau, été placée sous monitoring de 11h15 jusqu’à 11h50 qui était également normal.
A 15h40, une sage-femme du service de GHR a rappelé le bloc pour faire descendre la patiente mais il n’y avait toujours pas de place au bloc obstétrical. Il est noté « va bien, MAF perçus, pas de contraction, traces de sang sur la protection, indication de refaire un ERCF vers 17h30 ».
Vers 16h15, Madame [H] a marché avec son conjoint dans l’établissement, et à 17h09, elle a appelé la sage-femme pour métrorragies et saignement abondant.
A 17h12, il est noté dans le dossier « pas de bruit du cœur fœtal au monitoring », et à 17h15, un appel au bloc pour descente en urgence en salle de réveil. Une échographie a été réalisée en SSPI relevant une bradycardie fœtale.
La patiente est entrée au bloc pour une césarienne en urgence, et l’enfant [A] est née à 17h25, avec un APGAR à 0, sans fréquence cardiaque, ni respiration, avec hypotonie et pâleur intense.
L’enfant a été prise en charge par le SAMU à 18h14 avant d’être transférée en service de réanimation néonatale de l’hôpital [15].
Elle a quitté le service de réanimation à J+8 et de néo-natalité à J+13, avec une récupération progressive de l’état respiratoire, hémodynamique et neurologique, mais garde des séquelles.

Par acte en date du 3 décembre 2018, [P] [H] et [B] [S], agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille mineure [A], ont fait assigner en référé l’hôpital [16], le Docteur [R] [O] et la CPAM des [Localité 11] devant le Président du Tribunal de grande instance de Marseille afin d’obtenir notamment une mesure d’expertise médicale.

Par ordonnance en date du 3 avril 2019, une expertise a été ordonnée, confiée au Docteur [I], remplacé par la suite par le Docteur [L] [M] qui s’est adjoint un sapiteur pédiatre, le Professeur [F] [K].

Le rapport définitif été déposé le 19 janvier 2021.

Par acte en date du 20 octobre 2021, [B] [S], et [P] [H], agissant en leur nom propre, et en qualité d'administrateurs légaux de leur enfant mineure [A] [S] ont fait assigner l’hôpital [16], le Docteur [O], la CPAM des [Localité 11] et la mutuelle CYBELE SOLIDARITE devant le Tribunal judiciaire de Marseille afin d’obtenir la condamnation in solidum des deux premiers au règlement d’une somme provisionnelle de 400.000 euros à valoir sur le préjudice subi par [A], et d’une somme provisionnelle de 50.000€ chacun à valoir sur leur préjudice moral.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2022 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, ils demandent au Tribunal de :
- juger que l’hôpital privé [16] et le Docteur [O] sont tous deux pleinement responsables du retard de prise en charge de Madame [H], lui-même à l’origine de la souffrance neurologique sévère présentée par [A],
- juger que la souffrance fœtale de l’enfant est la cause des lésions qu’elle a présentées, et des troubles du développement qui en ont découlé,
- juger que l’hôpital privé [16] et le Docteur [O] doivent être tenus pour responsables de la souffrance fœtale aigue de [A], et les condamner in solidum à indemniser l’entier préjudice en découlant,
- condamner in solidum l’hôpital privé [16] et le Docteur [O] à verser à Madame [H] et Monsieur [S], en qualité de représentants légaux de [A], une provision de 400.000 €,
- condamner in solidum l’hôpital privé [16] et le Docteur [O] à verser respectivement à Madame [H] et Monsieur [S] la somme provisionnelle de 50.000 € à valoir sur le préjudice moral subi,
- débouter le Docteur [O] et l’hôpital privé [16] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- les condamner in solidum au paiement de la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens distrait au profit de Maître Yves SOULAS, sous son affirmation de droit.

Ils reprochent à l’hôpital [16] un défaut d’organisation consistant dans l’absence de réalisation du déclenchement demandé par le Docteur [O] à 11h15.
Ils soutiennent que le personnel de l’établissement a commis une faute d’une particulière gravité en ne respectant pas les indications données par l’obstétricien, qui avait ordonné de déclencher la parturiente, et en ne le prévenant pas que le déclenchement n’avait pu être réalisé; qu’il revenait aux sages-femmes du bloc opératoire d’organiser la répartition des salles de naissance en fonction des urgences, et d’accueillir Madame [H] dont l’accouchement ne pouvait être différé; que la sage-femme du GHR aurait dû rappeler pour avoir des informations sur la disponibilité des salles de naissance.
Ils exposent que la sage-femme n’aurait jamais dû recommander à Madame [H] de déambuler après l’avoir examinée vers 15h40, alors que la patiente avait été admise pour métrorragies, sans étiologie retrouvée.
Ils reprochent encore à l’hôpital une absence de surveillance du rythme cardiaque fœtal conformément aux prescriptions du Docteur [Y], aucun enregistrement du RCF n’ayant été effecté après 11h50.
S’agissant du Docteur [O], ils soutiennent qu’en tant qu’obstétricien de garde, il aurait dû mettre en place une surveillance renforcée, et vérifier la bonne exécution des consignes données, d’autant plus qu’il s’agissait d’une parturiente présentant des métrorragies abondantes à domicile dont l’étiologie n’était pas posée; qu’il lui incombait de se tenir informé de l’évolution du travail, et de contrôler les tâches réalisées par les sages-femmes de son service; qu’il ne s’est même pas déplacé pour examiner cette patiente, qui n’a donc été examinée par aucun gynécologue entre 7h25 à 17h12.
Ils rappellent que l’état de [A] et que son préjudice n’est pas évaluable à ce stade, ce qui justifie l’octroi d’une provsision de 400.000 €; qu’en outre, la vie de ses deux parents se trouvent également bouleversée depuis le15 septembre 2017, s’étant sentis abandonnés par les sages-femmes et l’obstétricien de garde, et vivant désormais dans la crainte continuelle de l’évolution de l’état de [A] et de son avenir, et cet état nécessitant une attention particulière, ayant ébranlé l’équilibre de la famille.

En défense, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 juillet 2022 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, l’hôpital [16] de [Localité 14] demande au Tribunal de :
- débouter Monsieur [S] et Madame [H], agissant tant en leurs noms personnels qu’en qualité de représentants légaux de leur fille [A], de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.
- débouter la CPAM de l’intégralité de ses demandes.
- les condamner au règlement d’une somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Bruno ZANDOTTI qui y a pourvu.

Il expose que [A] a été victime d’une hémorragie de Benckiser, qui est est une complication exceptionnelle, inévitable et qui conduit à la mort du bébé dans 70 % à 100 % des cas; que le caractère modéré des saignements constatés à partir de l’entrée de Madame [H] à l’hôpital [16] est mentionné à plusieurs reprises dans le dossier, et il est donc constant qu’il n’existait à compter de 7h15 et jusqu’à 17h09 aucune hémorragie, mais de simples traces de sang physiologiques, ce qui ne correspond pas à une situation d’urgence; que d’ailleurs, l’indication de déclenchement n’a été posée par l’obstétricien qu’à 11h15, sans qu’il ne soit fait mention d’une quelconque urgence, et le Docteur [O], tenu informé de l’absence de place et de l’impossibilité de déclenchement, ainsi qu’il l’a lui-même indiqué au cours de la réunion d’expertise, n’a pris aucune décision, ce qui démontre que la situation obstétricale de Madame [H] ne la plaçait pas dans une situation d’urgence; que d’ailleurs, le monitoring réalisé à ce moment-là est satisfaisant; qu’un nouvel examen a été réalisé par les sages-femmes à 15h40, et il était prévu de réaliser un nouvel enregistrement du rythme cardiaque fœtal à 17h30; qu’aucun élément du dossier n’établit que suite à cet examen réalisé par la sage-femme à 15h40, il aurait été conseillé à Madame [H] de déambuler dans les couloirs, et de toute façon, il n’existait pas de contre-indication à ce que Madame [H] puisse marcher dans l’hôpital; que le dossier de l’hôpital [16] est un dossier informatisé qui ne peut faire l’objet d’aucune modification a posteriori sans que cela ne soit tracé; que l’indisponibilité des salles d’accouchement est établie, et il n’y a pas lieu à se livrer à des hypothèses sur le point de savoir si telle ou telle parturiente aurait pu être « sortie de salle d’accouchement » plus rapidement; que la surveillance du rythme cardiaque fœtal a été réalisée à trois reprises et face à des enregistrements ne présentant pas de risque d’acidose, il n’existe aucune recommandation d’en faire plus; qu’il est établi que l’activité obstétricale était très élevée ce jour-là ne permettant pas le déclenchement de l’accouchement de Madame [H] en salle d’accouchement, et l’indication du déclenchement ne s’inscrivait pas dans un contexte d’urgence ou de semi urgence maternelle, fœtale ou obstétricale, le risque d’hémorragie de Benckiser n’étant pas prévisible dans ce cas; que les consignes données à 11h15 par le Docteur [O] ont été respectées ; qu’il n’y avait aucune contre-indication à ce que Madame [H] déambule en présence de son conjoint dans les locaux de la maternité, ce qui est conforme aux recommandations professionnelles de l’HAS.
Il ajoute qu’il n’est pas démontré que si le déclenchement de l’accouchement était intervenu en fin de matinée ou en début d’après-midi, l’enfant n’aurait pas subi ces lésions, et au contraire, selon le Professeur [J], il n’est pas possible de rattacher l’hémorragie maternelle survenue à domicile à l’hémorragie de Benckiser survenue à 17h09; que le fait que seule la membrane choriale (sans rupture des deux membranes choriale et amniotique) se soit spontanément rompue (créant la lésion du vaisseau fœtal) explique le fait que [A] ne soit pas décédée; qu’en effet, le débit du saignement fœtal a ainsi pu être réduit par la pression intra-amniotique exercée par la quantité stable de liquide amniotique, ce qui ne serait pas survenu si la rupture des membranes avait été complète, entraînant de ce fait l’écoulement franc de liquide hors de la cavité utérine (par voie vaginale) et par conséquent, la baisse brutale de la pression intra utérine ; que les quelques minutes de « perte de chance » que retiennent les experts, du seul fait que cette lésion vasculaire fœtale soit survenue à l’étage d’hospitalisation des « grossesses pathologiques » et non en salle d’accouchement contiguë de la salle de césariennes, ont très largement été compensées par la réduction du débit sanguin de l’hémorragie fœtale permise par l’absence de rupture des membranes dans ce dossier où les délais « appel de la sage-femme par la patiente, diagnostic de la bradycardie par la sage-femme, transfert en SSPI, confirmation par l’échographie, installation sur la table opératoire, anesthésie générale, incision césarienne, naissance de l’enfant et prise en charge par le pédiatre» ne dépasse pas le délai préconisé pour la seule étape décision césarienne – naissance en code rouge initiée en salle d’accouchement ; que l’expert indique clairement que la réactivité de l’équipe a été salvatrice pour l’enfant et que même si Madame [H] avait été mise en salle de naissance et en cas d’hémorragie brutale, le délai d’extraction n’aurait pas été inférieur à ce délai.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, le Docteur [R] [O] demande au Tribunal de :
- débouter Monsieur [S] et Madame [H] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,
- débouter la CPAM des [Localité 11], et le cas échéant, l’organisme de mutuelle, de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions telles que dirigées à l’encontre du Docteur [O],
- condamner Monsieur [S] et Madame [H] à lui payer la somme de 1.500€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
- dire et juger que l’exécution provisoire est incompatible avec la nature de l’affaire et ne pas l’ordonner,
- condamner les consorts [S]-[H] aux dépens de l’instance.

Il relève qu’aucune faute n’est établie par les demandeurs, le rapport d’expertise ayant considéré que sa prise en charge avait été conforme aux règles de l’art; qu’ainsi, l’expert valide l’indication de déclenchement posé à 11h15, et précise qu’il n’y avait pas d’urgence obstétricale, ni d’indication pour la réalisation d’une césarienne avant 17h12.
Il ajoute que seules des métrorragies modérées et non abondantes ont été constatées depuis l’arrivée de Madame [H] à la maternité, et qu’il a préconisé un déclenchement au Syntocinon à 11h15, mais qu’averti de de l’absence de place en salle de naissance, il a demandé à ce qu’elle soit redescendue pour le déclenchement dès que cela serait possible; qu’aucun manquement à son devoir de surveillance n’est établi, puisqu’il n’existait aucune urgence immédiate à procéder au déclenchement, et la surveillance par monitoring a été suffisante, étant rappelé que les 2 ERCF de 7h50 à 8h20 et de 11h15 à 11h50 étaient strictement normaux et qu’un 3ème ERCF était prévu pour 17h30; que l’expert a conclu que son attitude avait été parfaitement diligente dans l’indication et la prise de décision de césarienne, et que sa rapidité et sa technicité a permis d’éviter une issue catastrophique pour le bébé.
Il rappelle que l’hémorragie dite de « Benckiser » est très rare et très difficile à diagnostiquer, qu’aucun lien de causalité entre sa prise en charge et les préjudices invoqués n’est établie, et et que si Madame [H] avait été déclenchée plus tôt, la mise en travail n’aurait pas empêché la survenue de l’hémorragie de Benckiser mais l’aurait même aggravée, entraînant une section complète des vaisseaux fœtaux sans contre pression intra-utérine exercée sur ceux-ci du fait de la fuite du liquide amniotique par voie vaginale, selon une analyse du Professeur [Z] [J], Chef du service de gynécologie-obstétrique au CHU de [Localité 12].

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 7 avril 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des [Localité 11] demandent au Tribunal de :
- recevoir la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] en son intervention volontaire,
- prononcer la mise hors de cause de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Bouches-du Rhône,
-fixer la créance provisoire de la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] à la somme de 6.465,49 €,
- condamner l’hôpital [16] et Monsieur [O], in solidum, à verser à la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] la somme totale de 41 723,49 € au titre de ses débours avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,
- condamner l’hôpital [16] et Monsieur [R] [O], in solidum, à verser à la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] la somme de 1.162 € au titre de l’indemnité forfaitaire de l’article L. 376-1 alinéa 9 du Code de la sécurité sociale,
- prendre acte que la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] entend réclamer au responsable le remboursement de l’ensemble des prestations qu’elle a servies à la victime à la suite des faits litigieux,
- réserver expressément les droits de la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] dans l’attente de la détermination du montant définitif de sa créance,
- condamner l’hôpital [16] et Monsieur [O], in solidum, à verser à la Caisse Commune de Sécurité Sociale des [Localité 13] la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner l’hôpital [16] et Monsieur [O], in solidum, aux entiers dépens de l’instance.

Assignée par remise de l’acte à personne habilitée, la mutuelle CYBELE SOLIDARITE n’a pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée à la date du12 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il y a lieu de déclarer recevable l’intervention volontaire de la Caisse Commune d’Assurance Maladie des des [Localité 13]. En effet, elle établit qu’elle vient désormais aux droits et obligations de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des [Localité 13] en vertu de l’arrêté du 10 septembre 2021 portant création d’une caisse commune de sécurité sociale dans le département des [Localité 13], qui elle-même venait aux droits et obligations de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des [Localité 11], en vertu d’une Convention relative à l’activité Recours contre tiers et d’une décision du Directeur Général de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie prise en application de l’article L. 221-3-1 du Code de la sécurité sociale et de la décision actualisée du 1er janvier 2020 relative à l’organisation du réseau en matière d’exercice des recours subrogatoires, publiée au BO Santé, Protection sociale, Solidarité n° 2020/01 du 15 janvier 2020.

Aux termes de l’article L.1142-1 du Code de la santé publique :
« I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. »

Les consorts [S]/[H] reprochent à l’hôpital [16] de ne pas avoir respecté les indications données par l’obstétricien, qui avait ordonné de déclencher l’accouchement de Madame [H] à 11h15. Ils soutiennent qu’il appartenait aux sages-femmes du bloc obstétrical d’organiser la répartition des salles de naissance en fonction des urgences. Selon eux, les cas de Madame [H] revêtait un caractère d’urgence et son accouchement ne pouvait être différé.

L’expert confirme que le bloc obstétrical est doté de six salles d’accouchement, de six salles de pré-travail et de deux salles de césarienne.
Les pièces justifiant l’occupation des salles de naissance ont été produites et annexées au rapport d’expertise.
L’expert indique que l’attitude du Docteur [O] de déclencher était justifiée mais sans aucune urgence obstétricale, et que devant l’absence de place dans la salle de naissance, il n’avait d’autre choix que de mettre la patiente en service de grossesse à haut risque.
Il relève que la traçabilité de l’utilisation de la salle de naissance confirme l’absence de place, donc l’impossibilité de déclenchement.

Madame [H] a bénéficié d’un examen clinique, d’un examen du rythme cardiaque foetal, d’une échographie par les sage-femmes dès son arrivée, et d’un bilan biologique à 7h32 montrant des hématies à 41M160 et une hémoglobine 10.3 g/dl, soit un bilan qui ne correspond pas à une métrorragie très abondante selon l’expert.
L’expert précise que l’indication d’un déclenchement de Madame [S] était parfaitement justifié, après un examen clinique qui ne semblait pas au moment de cette décision montrer une urgence vitale pour l’enfant.
L’expert rappelle que les sage-femmes ont la responsabilité d’organiser la rotation dans les salles de travail en fonction des nécessités immédiates, le chef de garde supervise les pathologies dans toute la maternité, et lors du choix de déclenchement de Madame [H], ils n’étaient pas face à une priorité de prise en charge devant ces saignements modérés qui sont parfaitement courant en obstétrique.

Ainsi, compte tenu de l’affluence en salle d’accouchement ce jour-là, et de l’absence d’urgence présentée par le cas de Madame [H], aucune faute n’est caractérisée dans le fait de ne pas avoir déclenché l’accouchement à 11h15.

Par la suite, à 15h40, une sage-femme du service des grossesses à haut risque a rappelé le bloc pour faire descendre la patiente mais il n’y avait toujours pas de place au bloc obstétrical. Il est noté « va bien, MAF perçus, pas de contraction, traces de sang sur la protection, indication de refaire un ERCF vers 17h30 ».

A ce stade, il n’y avait toujours aucun caractère d’urgence, et l’absence de place en salle d’accouchement est encore établie.

L’expert expose que dans ce contexte clinique, aucun gynécologue et ou sage-femme n’aurait pu évoquer une hémorragie de Benckiser qu’il qualifie de « piège obstétrical», et pour laquelle il précise que le diagnostic ne peut être compris et confirmé qu’a posteriori après analyse du dossier et surtout après avoir noté la paleur extrême de l’enfant.

L’expert rappelle dans son rapport que l’hémorragie de Benckiser est une hémorragie d’origine fœtale qui est due à la dilacération d’un ou de plusieurs vaisseaux sanguins parcourant les membranes, lors de la rupture de ces dernières ou lors du passage du mobile fœtal, et précise : « Même si cette hémorragie n’est pas systématique, puisque les vaisseaux sanguins peuvent s’écarter sans se rompre lors du passage de la présentation, comme l’a montré [N], elle est gravissime.
En effet, cette hémorragie incoercible est mortelle pour le fœtus dans 75 à 100% des cas.
Une telle hémorragie peut être suspectée devant une souffrance fœtale aigüe avec altération du RCF durant la grossesse, mais surtout lors du travail, par un rythme sinusoïdal et pouvant alterner avec un rythme plat. Les ralentissements variables atypiques peuvent être des signes d’une hémorragie de Benckiser. Un écoulement de liquide le plus souvent clair, puis se teintant de sang et rapidement suivi d’hémorragie de sang rouge, sans retentissement maternel, ni signes de choc ni de douleurs.
Cette hémorragie très rare ne fait pas partie des premières étiologies suspectées, et est souvent confondue avec une rupture utérine, un placenta bas inséré, un hématome rétroplacentaire, une rupture du sinus marginal, ou une pathologie du col utérin, le placenta circumvallata, méléna intra-utérin, (...) sachant que chaque gynécologue ou sage-femme a une possibilité de se retrouver face à une hémorragie de Benckiser dans toute sa carrière qui est de l’ordre de 1/2000 à 1/6000 accouchements ».

Cette hémorragie n’était donc pas prévisible ni détectable. En présence de métrorragies modérées, il n’y avait pas lieu de transférer Madame [H] en urgence.

Il n’est pas possible d’affirmer que certaines patientes et notamment celle de la salle 10, auraient du sortir plus tôt, et l’expert relève d’ailleurs sur ce point que cela revient à méconnaître complètement les aléas de l’obstétrique.
Les décisions sont prises au fur et à mesure des arrivées des parturientes en fonction de critères cliniques analysés de façon prospective et non pas rétrospective, et le temps passé en salle de naissance dépend de l’état de la mère et de l’enfant.

Le fait de savoir si le Docteur [O] avait été informé de l’absence de déclenchement, et à quel moment, n’est pas déterminant, puisqu’en tout état de cause, ce déclenchement ne relevait d’aucune urgence.

Les demandeurs considèrent encore comme un manquement le “conseil” qui aurait été donné par la sage-femme du GHR à 15h40 de déambuler dans le couloir.
Il n’est pas contesté cependant qu’il s’agit d’une pratique habituelle dans les maternités, pendant la phase de pré-travail, qui est bénéfique à l’analgésie et à la dynamique de l’accouchement, et conforme aux aux recommandations professionnelles (CNGOF 2017) et de l’HAS (HAS 2017 et 2018) relatives au déclenchement du travail et à la surveillance des femmes enceintes dans un parcours physiologique.

En outre, l’examen clinique était normal et il n’existait aucune contre-indication à ce que Madame [H] déambule pour soulager ses douleurs.

L’absence de surveillance du rythme cardiaque fœtal après 11h50 reproché par les demandeurs est également sans incidence.
En effet, l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal effectué de 7h50 à 8h20, de même que celui fait entre 11h15 et 11h50, était normal, et il était prévu d’en refaire un à 17h30.
L’expert n’a pas considéré que la surveillance par monitoring n’avait pas été suffisante, et les demandeurs ne précisent pas les conséquences de cette absence de réalisation d’un nouvel ERCF.

Par ailleurs, face à des métrorragies modérées et un tableau clinique normal, il ne peut être reproché au Docteur [O] de ne pas s’être déplacé pour voir Madame [H] ni de ne pas avoir vérifié la bonne exécution des consignes données.

Dès la survenue de saignements abondants, la sage-femme a procédé à un examen et constatant l’absence d’activité cardiaque, un code rouge a été déclenché à 17h12, qui a conduit à la réalisation d’une césarienne.

L’expert conclut que l’attitude du Docteur [O] est parfaitement diligente dans l’indication et la prise de décision de césarienne, et souligne que le temps mis entre la décision de code rouge et l’extraction de l’enfant est de 16 minutes, ce qui a réduit fortement le temps d’anoxie cérébrale.
Il précise que si Madame [H] avait déjà été installée en salle de naissance lors de la survenue de l’hémorragie, le délai d’extraction de l’enfant en code rouge n’aurait pas été inférieur.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’aucun manquement fautif n’est établi ni de la part du Docteur [O], ni de la part de l’hôpital [16].

En conséquence, [B] [S] et [P] [H], agissant en leur nom propre, et en qualité d'administrateurs légaux de leur enfant mineure [A] [S], seront déboutés de l’intégralité de leurs demandes et la Caisse Commune d’Assurance Maladie des des [Localité 13] sera déboutée de son recours subrogatoire et des ses autres demandes formées à l’encontre de l’hôpital [16] et du Docteur [O].

Succombant, [B] [S] et [P] [H] seront condamnés in solidum aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l’hôpital [16] et du Docteur [O] l’intégralité des frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer. [B] [S] et [P] [H] seront donc condamnés in solidum à leur payer à chacun la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le présent jugement est exécutoire à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS
                                                                
Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort,

Déclare recevable l’intervention volontaire de la Caisse Commune d’Assurance Maladie des des [Localité 13],

Déboute [B] [S] et [P] [H], agissant en leur nom propre, et en qualité d'administrateurs légaux de leur enfant mineure [A] [S], de l’intégralité leurs demandes,

Déboute la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des [Localité 13] de l’intégralité des demandes,

Condamne in solidum [B] [S] et [P] [H] à payer à l’hôpital [16] et au Docteur [O] la somme de 1.500 euros chacun, en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum [B] [S] et [P] [H] aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 4 AVRIL 2024.
LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab2
Numéro d'arrêt : 21/10069
Date de la décision : 04/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-04;21.10069 ?
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