TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 23/09469 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3ZBX
AFFAIRE :
Mme [X] [D] (Maître Jean-Raphaël FERNANDEZ de la SELARL FERNANDEZ GUIBERT & ASSOCIES)
C/
M. [T] [K]
Rapport oral préalablement fait
DÉBATS : A l'audience Publique du 08 Février 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré
Président : Monsieur Alexandre BERBIEC, Juge
Greffier : Madame Sylvie PLAZA, lors des débats
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 28 Mars 2024
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2024
PRONONCE en audience publique par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2024
Par Monsieur Alexandre BERBIEC, Juge
Assisté de Madame Sylvie PLAZA, Greffier
NATURE DU JUGEMENT
réputée contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [X] [D]
née le 27 Juin 1985 à [Localité 5], de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
représentée par Maître Jean-Raphaël FERNANDEZ de la SELARL FERNANDEZ GUIBERT & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
C O N T R E
DEFENDEURS
Monsieur [T] [K]
demeurant [Adresse 1]
défaillant
La société CONTROLE AUTO SECUR (S.A.S.)
Immatriculée au RCS de PONTOISE sous le N° 822 316 097
dont le siège social est sis [Adresse 7], prise en la personne de son gérant légal en exercice Monsieur [O] [S], domicilié en cette qualité audit siège
défaillante
EXPOSE DU LITIGE :
Par actes d’huissier en date des 31 août et 5 septembre 2023, Madame [X] [D] a assigné Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE, aux fins de voir, au visa des articles 1240 et 1641 du code civil, 514 et 515 du code de procédure civile, à titre principal :
- prononcer la résolution de la vente et le remboursement du prix ;
- condamner Monsieur [K] et la SAS CONTROL AUTO SECUR, solidairement, à rembourser à l'acquéreur 20.000 € ;
- condamner Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR, solidairement, à rembourser à l'acquéreur la somme de 63.680,57 € au titre des frais accessoires liés au préjudice subi, somme à parfaire le temps de la procédure au fond pour les préjudices qui continuent à courir;
- condamner les requis au paiement de la somme de 7.000 €, sur le fondement des dispositions de l'article 700 outre les entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, Madame [X] [D] affirme que le 15 août 2021, elle a acquis un véhicule d'occasion auprès de Monsieur [T] [K] en échange d'un véhicule dont elle était elle-même propriétaire. Un procès-verbal de contrôle technique réalisé par la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR a été présenté à la demanderesse, ne révélant que des défaillances mineures. Celle-ci a donc conclu la vente. Toutefois, le véhicule a immédiatement présenté des difficultés. Le garage des TERMES, sis à [Localité 6], examninant le véhicule, a alors réalisé un diagnostic accablant sur l'état de celui-ci. Madame [X] [D] a donc fait réaliser un nouveau contrôle technique auprès de la société JCP AUTO, toujours à [Localité 6]. Il en résulte deux défaillances critiques, sept défaillances majeures et cinq défaillances mineures. Le 15 septembre 2021, la demanderesse a fait appel à un expert automobile. Le rapport de celui-ci indique que le véhicule est inapte à circuler. Madame [X] [D] a saisi le juge des référés, lequel, par ordonnance du 30 novembre 202, a désigné un expert judiciaire. Le rapport du 3 juillet 2023 conclut à une inaptitude du véhicule à circuler dans des conditions normales. Le rapport identifie les défaut antérieurs à la vente.
La demanderesse invoque donc le régime des vices cachés à l'égard de son vendeur, Monsieur [T] [K], afin d'obtenir la résolution de la vente et la restitution du prix. Elle fait par ailleurs valoir que la responsabilité du contrôleur technique est engagée, sur le fondement de l'article 1240 du code civil en ce qu'il n'a pas signalé un certain nombre de vices que son expertise aurait dû lui permettre d'identifier.
Monsieur [T] [K], cité dans les formes de l'article 659 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.
La société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR, citée à sa personne, n'a pas constitué avocat.
Dans un souci de lisibilité du jugement, les mentions du dispositif des conclusions demandant au tribunal de donner acte, constater, dire, dire et juger, rappeler qui ne s'analyseraient pas comme des demandes au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais comme des moyens n'appelant pas de décision spécifique n'ont pas été rappelées dans l'exposé des demandes des parties.
Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Tribunal entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le vice caché :
A titre préalable, il convient de noter que Madame [X] [D], qui se réfère dans son assignation aux conclusions de l'expert judiciaire, ne verse pas le rapport d'expertise judiciaire aux débats. Son bordereaux de pièces, en dernière page de son assignation, ne le vise pas. Il ne figure pas parmi les documents communiqués au Tribunal lors de l'audience de plaidoirie.
Figure en revanche aux débats le rapport d'expertise de l'expert extra-judiciaire diligenté par l'assureur de Madame [X] [D]. Ce rapport est non contradictoire. Il est constant en jurisprudence, qu'un rapport d'expertise non-contradictoire peut revêtir valeur probante, s'il est ensuite contradictoirement versé à des débats judiciaires pour être librement discuté et qu'il est corroboré par d'autres éléments (voir par exemple en ce sens C. Cass., 1ère civ, 9 septembre 2020, n° 19-13.755).
Outre le rapport d'expertise amiable réalisé non contradictoirement (mais versé contradictoirement aux débats devant le présent Tribunal), Madame [X] [D] verse aux débats un procès verbal de contrôle technique antérieur à la transaction, daté du 19 avril 2021, ainsi qu'un procès verbal postérieur à la transaction, daté du 31 août 2021.
Ces éléments viennent corroborer les conclusions du rapport d'expertise extra-judiciaire réalisé non-contradictoirement, conférant à ces pièces ensembles force probante.
Toujours à titre préalable, il convient également de relever que Madame [X] [D] évoque le contrat avec Monsieur [T] [K] comme un contrat de vente. Au titre de l'article 12 du code de procédure civile, il incombe au juge de restituer aux faits litigieux leur exacte qualification. Madame [X] [D] indique elle-même dans ses conclusions qu'elle a obtenu le véhicule litigieux, en cédant en retour à Monsieur [T] [K], un véhicule AUDI dont elle était propriétaire.
Le contrat passé entre eux n'est donc pas une vente, mais un échange au sens de l'article 1702 du code civil.
La qualification d'échange ne fait toutefois pas obstacle, sur le principe, à l'application du régime des vices cachés prévu aux articles 1641 et suivants du code civil, en ce que l'article 1707 du même code rend applicable au contrat d'échange, les dispositions applicables au contrat de vente.
Il convient aussi de relever que la demanderesse ne verse aux débats aucun certificat de cession. En revanche, elle verse aux débats un accusé d'enregistrement de changement de titulaire du véhicule litigieux, un LAND ROVER de modèle RANGE ROVER immatriculé [Immatriculation 4]. Cet accusé date l'enregistrement du changement de titulaire du 17 août 2021. A défaut d'autre élément probant (à l'exception de documents ne résultant que de déclarations de Madame [X] [D]), cette date sera retenue comme étant celle de la vente.
Il résulte du rapport d'expertise extra-judiciaire qu'au regard du kilométrage parcouru par le véhicule entre le contrôle technique du 19 avril 2021 (antérieur de plusieurs mois à la vente) et celui du 31 août 2021 (postérieur à la vente de quelques jours), les défaillances majeures identifiées sur le véhicule par le contrôle du 31 août étaient déjà présentes lors du contrôle du 19 avril 2021. Or, comme le souligne l'expert amiable, ces défaillances n'ont pas été signalées lors du contrôle technique du 19 avril 2021.
L'expert amiable souligne que le véhicule n'est pas apte à circuler en l'état, et le présent Tribunal, sans être expert automobile, relèvera que sept « défaillances majeures » et deux « défaillances critiques » constituent manifestement des vices empêchant un véhicule de remplir sa fonction.
Les défaillances critiques et majeures mentionnées par le procès-verbal du 31 août sont relatives à la garniture ou aux plaquettes de frein, au manque d'étanchéité des conduites, à l'état des amortisseurs... Il sera retenu que ces éléments étaient, par nature, cachés aux yeux de Madame [X] [D], acquéreur profane.
Les conclusions de l'expert amiable attestent que ces vices sont antérieurs à la vente, puisque celle-ci a eu lieu au plus tard le 17 août et que l'expert affirme que de tels défauts ne pouvaient qu'être existants, dès le contrôle technique du 19 avril 2021.
Les conditions du régime des vices cachés sont donc remplies.
Sur la résolution de l'échange:
Il sera prononcé la résolution de l'échange du véhicule LAND ROVER immatriculé [Immatriculation 3]; réalisé entre Madame [X] [D] et Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR.
Sur le remboursement du prix :
Il convient de relever qu'en cas de résolution d'un contrat, chaque partie peut exiger de l'autre la restitution de ce qui avait été transféré au titre de ce contrat.
Or, alors que la demanderesse admet elle-même qu'elle a échangé le véhicule LAND ROVER litigieux contre son propre véhicule AUDI, ce qui signifie qu'il ne s'agit pas d'une vente, elle sollicite la restitution d'un prix, 20.000 €, dont elle ne justifie aucunement. Aucune des pièces versées aux débats n'atteste que le prix du véhicule AUDI était de 20.000 € ; l'absence de contrat d'échange ou de vente versé aux débats ne permet pas de vérifier un quelconque prix du véhicule LAND ROVER. Et surtout, le contrat litigieux, étant manifestement un contrat d'échange, Madame [X] [D] ne peut pas solliciter la restitution d'une somme d'argent qu'elle n'a pas versée, en premier lieu. Elle ne peut solliciter, éventuellement, que la restitution de ce qu'elle a effectivement remis à Monsieur [T] [K] : un véhicule.
Madame [X] [D] ne forme aucune prétention tendant à la restitution d'un véhicule AUDI.
Madame [X] [D] sera donc déboutée de sa prétention tenant à la restitution de la somme de 20.000 €, tant à l'égard de Monsieur [T] [K] que de la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR.
Sur les frais accessoires :
Au titre de l'article 1240 du code civil, il est manifeste que la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR a manqué à ses obligations professionnelles, ce qui a nécessairement causé à Madame [X] [D] l'ensemble des préjudices résultant du dysfonctionnement du véhicule obtenu par échange avec Monsieur [T] [K].
La société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR, professionnel du contrôle technique, a émis un avis techniquement insuffisant, ce qui a trompé Madame [X] [D] lors de l'échange.
La société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR est donc juridiquement tenue d'indemniser Madame [X] [D] de l'ensemble des préjudices causés par ce manquement.
En revanche, concernant Monsieur [T] [K], au titre de l'article 1645 du code civil, le vendeur n'est tenu à des dommages et intérêts en supplément du prix, que si l'acheteur démontre que le vendeur avait connaissance des vices de la chose vendue.
S'agissant du prix, comme vu plus haut, Madame [X] [D] ne démontre pas la réalité du prix dont elle réclame la restitution.
La demanderesse indique, dans son assignation, que Monsieur [T] [K] est professionnel de l'automobile : aucune pièce versée aux débats n'en rapporte la preuve. Monsieur [T] [K] est d'ailleurs assigné à une adresse qui constitue, selon les constats de l'huissier, un immeuble d'habitation et non pas un garage automobile.
Il ne saurait donc être appliqué à Monsieur [T] [K] la présomption de connaissance du vice affectant le véhicule vendu.
Madame [X] [D] sera donc déboutée de toutes ses prétentions indemnitaires complémentaires dirigées contre Monsieur [T] [K].
Madame [X] [D] verse aux débats une facture de location d'un véhicule à hauteur de 7.080 €, pour la période du 20 août 2021 au 31 décembre 2022. Elle évoque une plus grosse somme (8.496 €) justifiée devant l'expert judiciaire mais, là encore, il convient de relever que la demanderesse ne verse pas l'expertise judiciaire aux débats.
Madame [X] [D] justifie avoir exposé 44.706 € de frais de gardiennage pour le véhicule litigieux, par la production des factures correspondantes.
Elle justifie également avoir exposé 478,5 7€ de réparations sur le véhicule litigieux.
Enfin, la demanderesse expose avoir subi un préjudice de jouissance et un préjudice moral liés à l'indisponibilité du véhicule. Le préjudice moral est insuffisamment exposé et justifié. Il ne sera pas pris en compte. Quant au préjudice de jouissance, il sera retenu une estimation du préjudice à hauteur de 200 € par mois. Toutefois, la demanderesse sollicite déjà la somme de 7.080 €, au titre du véhicule de remplacement jusqu'au 31 décembre 2022. Elle ne peut donc prétendre avoir subi un préjudice de jouissance lié à l'absence d'un véhicule, alors qu'elle se fait déjà indemniser au titre du remplacement temporaire de ce dit véhicule. Le préjudice de jouissance ne sera donc retenu qu'à compter du mois de janvier 2023. Le préjudice sera donc estimé à la somme de 3.000 €, pour la période de janvier 2023 à mars 2024, date du présent jugement.
Il convient donc de condamner la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR à verser à Madame [X] [D] la somme de 55.264,57 €.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Il y a lieu de condamner in solidum Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR, qui succombent en tout ou partie aux demandes de Madame [X] [D], aux entiers dépens.
Il y a lieu de condamner in solidum Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR à verser à Madame [X] [D] la somme de 2.000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire :
L’article 514 du code de procédure civile dispose que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. »
La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition de la décision au greffe après débats en audience publique, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort :
PRONONCE la résolution de l'échange du véhicule LAND ROVER immatriculé [Immatriculation 3] réalisé entre Madame [X] [D] et Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR ;
DEBOUTE Madame [X] [D] de sa prétention tendant à la restitution de la somme de 20.000 €, dirigée contre Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR ;
DEBOUTE Madame [X] [D] de sa prétention à la somme de soixante-trois mille six cent quatre 63.680,57 €, dirigée contre Monsieur [T] [K] ;
CONDAMNE la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR à verser à Madame [X] [D] la somme totale de cinquante-cinq mille deux cent soixante-quatre euros et cinquante-sept centimes (55.264,57 €) au titre des préjudices causés par ses manquements professionnels, lors du contrôle technique du 19 janvier 2021 sur le véhicule litigieux ;
CONDAMNE in solidum Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR aux entiers dépens ;
CONDAMNE in solidum Monsieur [T] [K] et la société par actions simplifiée CONTROLE AUTO SECUR à verser à Madame [X] [D] la somme de deux mille euros (2.000 €), au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire ;
REJETTE les prétentions pour le surplus.
Ainsi jugé et prononcé les jour, mois et an susdits.
LA GREFFIERELE PRESIDENT