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26/03/2024 | FRANCE | N°20/02759

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 26 mars 2024, 20/02759


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]


JUGEMENT N°24/01439 du 26 Mars 2024

Numéro de recours: N° RG 20/02759 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YB6U

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [J] [G]
née le 10 Janvier 1974
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Delphine CARRIERE, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.A.R.L. [9]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 2]>représentée par Me Fabien ARRIVAT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité ...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]

JUGEMENT N°24/01439 du 26 Mars 2024

Numéro de recours: N° RG 20/02759 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YB6U

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [J] [G]
née le 10 Janvier 1974
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Delphine CARRIERE, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.A.R.L. [9]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me Fabien ARRIVAT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 4]
représentée par Madame [U] [A] (Inspecteur juridique), munie d’un pouvoir spécial

DÉBATS : À l'audience publique du 31 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : GOSSELIN Patrick, Vice-Président

Assesseurs : CAVALLARO Brigitte
ZERGUA Malek

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 26 Mars 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [J] [G] a été employée par la SARL [9], en qualité de docteur-ingénieur de recherche, selon contrat à durée indéterminée en date du 10 avril 2008 avec effet à compter du 1er août 2008.

Selon déclaration d'accident du travail établie le 4 août 2014, Madame [J] [G] a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 8 juillet 2014, rédigée en ces termes : " Convocation réunion informelle. Menaces de l'employeur en présence du co-gérant, M. [Y]. Mise à la porte ".

Le certificat médical initial établi le 10 juillet 2014 fait état d'un " syndrome anxio dépressif ".

Selon courrier du 30 octobre 2014, la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône lui a notifié la prise en charge de l'accident survenu le 8 juillet 2014 au titre de la législation sur les risques professionnels.

Selon courrier du 26 novembre 2014, la société [9] a contesté le caractère professionnel de l'accident et saisi la commission de recours amiable de la caisse.

Selon décision du 30 juin 2015, la commission de recours amiable a considéré que " la réalité du fait accidentel déclaré par Mme [G] comme lui étant survenue le 8 juillet 2014 n'est pas établie ".

Par requête reçue le 5 novembre 2020, Madame [J] [G], par l'intermédiaire de son conseil, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille pour voir reconnaître que l'accident du travail dont elle déclare avoir été victime le 8 juillet 2014 est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la SARL [9].

L'affaire a été appelée à l'audience dématérialisée de mise en état du 6 septembre 2023, puis la clôture des débats a été ordonnée avec effet différé au 17 janvier 2024 et les parties ont été convoquées à l'audience de plaidoirie du 31 janvier 2024.

Madame [J] [G], représentée par son conseil qui reprend oralement ses conclusions, demande au tribunal de :
juger son action recevable et bien fondée ;juger que son accident du travail résulte de la faute inexcusable de la société [9] ;En conséquence :
condamner la société [9] à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement distinct à l'obligation de sécurité ;fixer au maximum la majoration du capital et/ou des rentes perçus ;nommer un expert médical avec missions habituelles en ce compris l'évaluation du déficit fonctionnel permanent ;condamner la société [9] à une provision d'un montant de 15.000 euros ;dire et juger que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône fera l'avance des sommes allouées et des frais d'expertise ;condamner la société [9] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;débouter la société [9] de l'ensemble de ses demandes en ce compris sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Madame [J] [G] s'oppose aux demandes de sursis à statuer formulées in limine litis par la société [9] concernant la procédure pénale initiée avec la plainte de Monsieur [M] [P], co-gérant de la société, et celle initiée devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence à la suite du jugement de départage du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 22 août 2022. Sur le fond, elle fait valoir que le 8 juillet 2014 elle a été convoquée par Messieurs [N] [Y] et [M] [P], co-gérants de la société, à un entretien informel au cours duquel elle a subi des violences verbales, injures et menaces. Elle précise que la violence des propos et des menaces proférées l'ont conduit à consulter ses médecins, le 10 juillet 2018, lesquels l'ont immédiatement placée en arrêt de travail pour accident du travail compte-tenu de son état de choc post-traumatique. Elle considère avoir souffert de conditions de travail délétères, d'une pression managériale menée par l'entreprise quant aux objectifs à réaliser l'obligeant à effectuer de nombreuses heures supplémentaires non-rémunérées. Elle considère avoir été victime de harcèlement moral de la part des co-gérants de la société et les avoir alertés à plusieurs reprises sur la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé sans qu'aucune mesure ne soit jamais prise. Elle précise que l'employeur n'a pas mis en œuvre des mesures pour éviter le risque psychologique auquel elle a été soumise, et qu'il a au contraire contribué à créer ce risque par le harcèlement moral managérial auquel elle a été exposée. Elle indique enfin qu'à la suite de son accident du travail, son état de santé n'a cessé de se dégrader et fournit notamment son dossier médical.

La société [9], représentée à l'audience par son conseil, soutient oralement ses écritures en sollicitant du tribunal de :
In limine litis et avant tout débat au fond :
prononcer le sursis à statuer de la présente instance pendante devant le tribunal judiciaire de Marseille et opposant Madame [J] [G] à la société [9], dans l'attente de la fin de la procédure pénale initiée par la plainte de Monsieur [M] [P] en date du 16 février 2016, et portant le numéro de parquet 19255000036 ;prononcer également le sursis à statuer de la présente instance pendante devant le tribunal judiciaire de Marseille et opposant Madame [J] [G] à la société [9] dans l'attente de la décision définitive à intervenir dans le cadre du litige pendant devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre sociale 4-2, RG 22/11991, concernant la revendication par Madame [J] [G] de l'existence de faits de harcèlement moral prétendument commis par la société [9];À titre subsidiaire :
juger qu'aucun accident du travail n'est intervenu au temps et au lieu de travail de Madame [J] [G] ;juger qu'il n'existe aucun fait traumatique ni aucune lésion survenus le 8 juillet 2014 ;juger que Madame [J] [G] ne rapporte pas la preuve de la survenance d'un accident d'origine professionnelle le 8 juillet 2014 ;juger que Madame [J] [G] n'a été victime d'aucun accident du travail ;juger que les arrêts de travail de Madame [J] [G] n'ont aucune origine professionnelle ;juger en conséquence que Madame [J] [G] ne peut valablement invoquer l'existence d'un accident du travail ;juger que les prétendus manquements de la société [9] à des obligations de prévention et de protection sont sans lien avec l'accident du travail revendiqué ;juger qu'en l'absence d'accident d'origine professionnelle subi par Madame [J] [G], la société [9] n'a commis aucune faute inexcusable ;À titre infiniment subsidiaire :
juger que la matérialité de l'accident du travail invoqué n'est pas établie ;juger qu'il est impossible de caractériser l'origine exacte de l'affection subie par Madame [J] [G] ;juger à titre subsidiaire que Madame [J] [G] n'a subi aucun fait de harcèlement moral ;juger que Madame [J] [G] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une situation de danger dont aurait dû avoir conscience la société [9] ;juger en outre que, faute de connaissance et de conscience de quelque situation de danger que ce soit de Madame [J] [G], la société [9] ne pouvait pas avoir à prendre des mesures de prévention et de protection spécifique ;juger dès lors que Madame [J] [G] ne rapporte pas la preuve que la société [9] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée le 8 juillet 2014 ;juger que la société [9] n'a manqué aucune obligation de prévention ou de sécurité en lien avec l'accident d'origine professionnelle invoqué ;juger que la société [9] n'a commis aucune faute inexcusable à l'encontre de Madame [J] [G] ;En tout état de cause :
débouter Madame [J] [G] de sa demande de condamnation à des dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros pour manquement distinct à l'obligation de sécurité ;débouter Madame [J] [G] de sa demande de fixation de la rente qu'elle perçoit à son maximum ;débouter Madame [J] [G] de sa demande d'expertise ;débouter Madame [J] [G] de sa demande de provision à hauteur de 15.000 euros ;débouter Madame [J] [G] de toutes ses demandes ;condamner Madame [J] [G] au paiement de la somme de 7.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;la condamner aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société [9] sollicite in limine litis qu'il soit sursis à statuer sur la demande de reconnaissance de faute inexcusable dans l'attente de l'issue de la procédure pénale initiée par la plainte du gérant en date du 16 février 2016 et de la décision définitive pendante devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence à la suite du jugement de départage du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 22 août 2022. Sur le fond, elle conteste le caractère professionnel de l'accident précisant que Madame [J] [G] n'a été exposée à aucun risque.

Par voie de conclusions, la CPCAM des Bouches-du-Rhône, représentée à l'audience par un inspecteur juridique, s'en rapporte à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [9]. Elle expose que l'état de Madame [J] [G] a été consolidé sans séquelles indemnisables en date du 1er septembre 2017, séquelles dont le taux d'incapacité permanente partielle a été porté à 20 % à la suite du jugement du tribunal judiciaire de Marseille en date du 15 juin 2023. Elle ajoute ne pas s'opposer aux demandes de sursis à statuer formulées par la société [9]. Elle indique que la commission de recours amiable, par décision du 30 juin 2015, a retenu que la matérialité de l'accident du 8 juillet 2014 n'était pas établie. Dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait reconnue, elle sollicite la condamnation de la société [9] à lui rembourser la totalité des sommes dont elle serait tenue d'assurer par avance le paiement.

Pour un exposé plus ample des moyens, le tribunal se réfère expressément aux écritures soutenues oralement, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'affaire est mise en délibéré au 26 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes afférentes au sursis à statuer

Aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

Il appartient au juge d'apprécier souverainement l'opportunité du sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, notamment au regard du caractère déterminant ou non sur l'issue du litige de l'événement dans l'attente duquel il lui est demandé d'ordonner un tel sursis.

L'article 4 du code de procédure pénale, après avoir dans son deuxième alinéa posé le principe que le juge civil saisi d'une action en réparation d'un dommage causé par une infraction, doit surseoir à statuer tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement, dispose, dans son dernier alinéa, que la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

La société [9] demande au tribunal de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de la procédure pénale initiée par la plainte de Monsieur [M] [P], gérant de la SARL [9], le 16 février 2016 auprès du commissariat de police d'Aix-en-Provence pour " accès frauduleux dans un système de traitement automatisé ". Il excipe d'un piratage de sa messagerie et de son système informatique pour lequel seraient mises en cause Madame [J] [G] et sa sœur.

La société sollicite par ailleurs qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la décision définitive de la cour d'appel d'Aix-en-Provence à la suite du jugement de départage rendu par le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence en date du 22 août 2022 et aux termes duquel Madame [J] [G] a été déboutée de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, fondée notamment sur l'existence de faits de harcèlement moral.

Il convient de relever que l'issue tant de la procédure pénale que celle initiée devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'est pas de nature à faire obstacle ni même à retarder l'examen de la demande de reconnaissance de faute inexcusable, le tribunal étant en mesure d'apprécier une éventuelle faute inexcusable sans qu'il soit besoin d'attendre l'issue de ces procédures.

Dans ces conditions, et compte-tenu de ce qui précède, il convient de considérer qu'il n'y a pas lieu de sursoir à statuer.

Par conséquent, la société [9] sera déboutée de ses demandes de sursis à statuer.

Sur le caractère professionnel de l'accident du 8 juillet 2014

Ainsi qu'il a été précédemment exposé, l'employeur est toujours recevable à soutenir, en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle, cette prétention devant être examinée préalablement à celle relative à la faute inexcusable dont elle subordonne la reconnaissance.

Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il résulte de ces dispositions que l'accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.

Dans ses rapports avec l'employeur, la victime doit apporter la preuve de la matérialité de l'accident, cette preuve pouvant résulter de présomptions sérieuses, graves et concordantes. Il appartient à l'employeur qui conteste le caractère professionnel de l'accident de détruire la présomption d'imputabilité qui s'attache à toute lésion survenue brusquement au temps et au lieu du travail en apportant la preuve que cette lésion a une cause totalement étrangère au travail.

Des troubles psychiques peuvent caractériser un accident du travail si leur apparition est brutale et liée au travail.

Madame [J] [G] fait valoir qu'elle a été victime d'un choc émotionnel à l'origine d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel en raison des insultes, menaces et violences verbales proférées par Messieurs [N] [Y] et [M] [P] au cours d'un entretien informel le 8 juillet 2014. Elle fait valoir que la CPCAM des Bouches-du-Rhône lui a notifié la prise en charge de l'accident survenu le 8 juillet 2014 au titre de la législation sur les risques professionnels.

La société [9] conteste le caractère professionnel de l'accident et soutient qu'aucun accident du travail n'est intervenu durant l'exécution par Madame [J] [G] de son contrat de travail. Elle précise que la commission de recours amiable, aux termes de sa décision du 30 juin 2015, a considéré que " la réalité du fait accidentel déclaré par Mme [G] comme lui étant survenue le 8 juillet 2014 n'[était] pas établie ".

En l'espèce, la déclaration d'accident du travail établie le 4 août 2014 par Madame [J] [G] est renseignée comme suit :
" Date : 08.07.2014 ; Heure : 18h00
Lieu de l'accident : Bureau de l'employeur de Monsieur [P] [M]
Activité de la victime lors de l'accident : Convocation réunion informelle
Nature de l'accident : Menaces de l'employeur en présence du co-gérant Mr [Y]
Objet dont le contact a blessé la victime : Mise à la porte
Nature des lésions : Traumatisme psychologique - choc
Accident connu le 10 juillet 2014 (1ère personne avisée : Mr [P] [M])
Sont cités en tant que tiers responsable : Mr [P] [M] et Mr [Y] [N] ".

Sur les circonstances de l'accident et le contexte dans lequel ce dernier a eu lieu, Madame [J] [G] a déclaré à la caisse :
" […] Mon employeur, M. [P], accompagné de son co-gérant, M. [Y], m'ont convoquée à un entretien informel après le départ de tous les salariés. Ils m'ont agressé verbalement, en m'indiquant qu'ils saliraient ma réputation et menacée de poursuites judiciaires, pour une soi-disant falsification de données d'analyse. A aucun moment, je n'ai été convoquée de manière formelle. Suite à cet acharnement, j'ai eu un malaise. Une fois mes esprits retrouvés, M. [P] m'a demandé expressément de quitter l'entreprise et de ne plus y revenir. J'ai contacté mon ami, M. [X], pour qu'il vienne me récupérer. Dans un état plus que délétère, je n'ai pu me rendre chez le médecin que le 10 juillet. J'ai transmis en premier lieu un arrêt de travail. Je me suis rendue chez mon avocat le 10 juillet afin d'entamer une procédure prud'hommale, qui m'a indiqué qu'il s'agissait d'un accident du travail. C'est à ce moment là que je me suis rendue au cabinet médical. Mon médecin, étant absent à ce moment, j'ai consulté un confrère. Je tiens à ajouter que je suis suivie par une psychiatre, Docteur [R] à [Localité 8] […] ".

Sur les circonstances de l'accident et le contexte dans lequel ce dernier a eu lieu, Messieurs [M] [P] et [N] [Y], co-gérants de la société [9], ont déclaré :
" […] Suite à la découverte de graves dysfonctionnements commis par Mme [J] [G] dans l'exercice de son contrat de travail, mettant notamment en cause la sécurité des autres salariés de l'entreprise, nous avons souhaité discuter avec notre salariée, avant d'engager toute procédure légale. Cet entretien informel a eu lieu le mardi 8 juillet au soir […] Elle a alors quitté la société [9] sans motif et abandonné son poste de travail le 8 juillet au soir et nous ne l'avons pas revue depuis […] ".

Messieurs [M] [P] et [N] [Y] précisaient que :
" […] L'entretien était tendu, nous lui avons signifié la gravité des faits de harcèlement psychologique -sur ses collaborateurs-, sur les falsifications de données scientifiques avec la volonté de nuire à ses collaborateurs et indirectement à la société […] ".

Il ressort de ces éléments que, le 8 juillet 2014, Messieurs [M] [P] et [N] [Y] ont eu un échange tendu avec Madame [J] [G] à la suite d'un entretien informel au cours duquel l'état de santé de Madame [J] [G] s'est brusquement détérioré de telle sorte que l'intervention de Monsieur [X], proche de la salariée, a été rendue nécessaire pour venir la récupérer devant le portail de l'entrée de la société [9].
Le certificat médical initial du 10 juillet 2014 établi par le Docteur [T] [I] vise un " syndrome anxio dépressif " justifiant un arrêt de travail et corrobore ainsi la matérialité de la lésion survenue au temps et au lieu de travail.

Il s'en déduit, ainsi qu'il ressort du certificat médical initial établi le 10 juillet 2014, des déclarations et attestations fournies que l'accident dont a été victime Madame [J] [G] est survenu au temps et au lieu de son travail.

Sur la faute inexcusable de l'employeur

Il résulte de l'application combinée des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur et le fait qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver sont constitutifs d'une faute inexcusable.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant ; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une faute intentionnelle, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il incombe néanmoins au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut ; il lui appartient en conséquence de prouver, d'une part, que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d'autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause certaine et non simplement possible de l'accident ou de la maladie.

La conscience du danger s'apprécie au moment où pendant la période de l'exposition au risque.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient aux juges d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Madame [J] [G] expose que l'employeur a gravement manqué à son obligation de sécurité résultant d'une situation harcelante de ce dernier qui a dégradé sa santé physique et mentale. Elle met en évidence les multiples alertes qu'elle a pu lancer à l'attention de certains collèges et des membres de la direction quant à son état de surmenage et son état de stress, en lien avec sa surcharge de travail. Elle soutient également que les gérants de la société l'auraient prise à partie, menacée et injuriée, lors de la réunion du 8 juillet 2014 avant de lui intimer de signer une rupture conventionnelle antidatée et de quitter l'entreprise sur le champ, avec restitution immédiate de ses clés, badge et ordinateur portable.

La société [9] objecte que Madame [J] [G] n'a été exposée à aucun risque et verse aux débats le jugement rendu par la formation de départage du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence le 22 août 2022, lequel a rejeté les demandes de Madame [J] [G] notamment la demande de reconnaissance de faits de harcèlement moral à l'encontre de son employeur.

En l'espèce, s'agissant de la situation de surcharge au travail, celle-ci ne constitue pas un fait laissant présumer l'existence d'un harcèlement étant relevé qu'aucune pièce ne permet d'affirmer que les dépassements d'horaires évoqués par Madame [J] [G] étaient justifiés par sa charge de travail objective.

En ce qui concerne le harcèlement moral subi, les attestations qu'elle verse aux débats se contentent de reprendre ses propos sans constater de faits objectifs.

En ce qui concerne enfin la nature des relations que Madame [J] [G] entretenait avec son supérieur hiérarchique, Monsieur [N] [Y], aucun élément n'étaye une attitude harcelante si ce n'est les propres déclarations de la demanderesse.

Force est de constater que Madame [J] [G] n'établit pas de faits précis et concordants pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral que ce soit de la part de Monsieur [N] [Y] ou de celle de Monsieur [M] [P].

En l'absence de la preuve de tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, Madame [J] [G] sera déboutée de sa demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de la société [9].

Sur les demandes accessoires

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Madame [J] [G] sera condamnée aux dépens.

L'issue du litige justifie de condamner Madame [J] [G] à verser 1.000 euros à la société [9] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

DÉCLARE le recours de Madame [J] [G] recevable mais mal fondé ;

REJETTE les demandes de sursis à statuer de la société [9] ;

DÉBOUTE la société [9] de sa demande tendant à contester le caractère professionnel de l'accident dont a été victime Madame [J] [G] le 8 juillet 2014 ;

DÉBOUTE Madame [J] [G] de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE Madame [J] [G] à verser à la société [9] une somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame [J] [G] aux entiers dépens ;

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 20/02759
Date de la décision : 26/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-26;20.02759 ?
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