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26/03/2024 | FRANCE | N°20/02752

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 26 mars 2024, 20/02752


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 2]


JUGEMENT N°24/01437 du 26 Mars 2024

Numéro de recours: N° RG 20/02752 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YBWX

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [Z] [T]
né le 31 Janvier 1939 à [Localité 11] (ITALIE)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDEUR
Maître [N] [K], mandataire judiciaire de la SA [10] - ETS DE [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 5]<

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Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Adresse 3]
représentée par Madame [U] [L] [Y] (Ins...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 2]

JUGEMENT N°24/01437 du 26 Mars 2024

Numéro de recours: N° RG 20/02752 - N° Portalis DBW3-W-B7E-YBWX

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [Z] [T]
né le 31 Janvier 1939 à [Localité 11] (ITALIE)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDEUR
Maître [N] [K], mandataire judiciaire de la SA [10] - ETS DE [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 5]
non comparant, ni représenté

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Adresse 3]
représentée par Madame [U] [L] [Y] (Inspecteur juridique), munie d’un pouvoir spécial

DÉBATS : À l'audience publique du 31 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : GOSSELIN Patrick, Vice-Président

Assesseurs : CAVALLARO Brigitte
ZERGUA Malek

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 26 Mars 2024

NATURE DU JUGEMENT

réputé contradictoire et en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Z] [T] a été embauché par la société [10] (ci-après la société [10]), établissement de [Localité 4], en qualité de soudeur du 3 février 1958 au 25 avril 1963, puis du 12 septembre 1963 au 28 avril 1968, et enfin du 2 février 1976 au 14 septembre 1989.

La SELAFA [9], représentée par Me [N] [K], a été désignée par le président du tribunal de commerce de Paris en qualité de mandataire de justice chargé de représenter la société [10], ayant fait l'objet d'une radiation d'office du registre du commerce et des sociétés le 31 mars 2016, dans le cadre des procédures diligentées par les anciens salariés ou leurs ayants droit en vue d'obtenir des dommages et intérêts, pour la durée de la procédure et des actions s'y rapportant, pour autant que ces dernières soient intentées avant le 31 décembre 2020.

Le 9 mars 2019, un scanner thoracique réalisé dans le cadre d'une exposition à l'amiante a révélé que Monsieur [Z] [T] était atteint de " calcifications des parois de la crosse de l'aorte sans anomalie de calibre. (…) Calcifications relativement importantes des parois des artères coronaires. Sur l'examen réalisé, on met en évidence la présence d'épaississements pleuraux calcifiés se situant au niveau du segment antérieur du lobe supérieur droit et gauche mesurant respectivement 11 et 14 mm ainsi qu'un épaississement pleura de siège postéro inférieur droit mesurant 11 mm (…) ". La conclusion suivante en était tirée : " très discrets épaississements pleuraux calcifiés ".

Monsieur [Z] [T] a complété le 4 juin 2019 une déclaration de maladie professionnelle faisant état d'une " MP 30 ", accompagnée d'un certificat médical initial établi le 25 avril 2019 par le Docteur [B], pneumologue-allergologue, évoquant l'existence d'épaississements pleuraux calcifiés en faveur de plaques pleurales dans le cadre d'une exposition professionnelle à l'amiante.

Par courrier du 12 août 2019, la caisse primaire centrale d'assurance maladie (ci-après la CPCAM) des Bouches-du-Rhône a notifié à Monsieur [Z] [T] la reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie, et l'a prise en charge au titre du tableau n°30 des maladies professionnelles.

Selon courrier du 21 août 2019, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a informé Monsieur [Z] [T] que son état de santé avait été déclaré consolidé à la date du 9 mars 2019.

Elle a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de Monsieur [Z] [T] à 5 %, et une indemnité en capital lui a été attribuée à la date du 10 mars 2019.

Suivant courrier adressé par son conseil le 12 mars 2020, Monsieur [Z] [T] a saisi la CPCAM des Bouches-du-Rhône d'une demande de conciliation dans le cadre de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par requête expédiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le 3 novembre 2020, Monsieur [Z] [T] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, par l'intermédiaire de son conseil, aux fins de voir reconnaître que la maladie dont il est atteint est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [10].

Après une phase de mise en état, l'affaire a été appelée et retenue à l'audience de plaidoirie du 31 janvier 2024.

Par voie de conclusions oralement soutenues par son conseil, Monsieur [Z] [T] demande au tribunal de :
déclarer son recours recevable et bien-fondé ;dire et juger que la maladie professionnelle dont il est atteint est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la société [10] ;En conséquence :
À titre principal :
ordonner la majoration à son maximum de son indemnité en capital et dire qu'elle suivra l'augmentation du taux d'IPP en cas d'aggravation ultérieure de son état de santé en lien avec sa maladie professionnelle ;fixer la réparation des préjudices extra-patrimoniaux comme suit : en réparation de sa souffrance physique : 5.000 euros ;en réparation de sa souffrance morale : 15.000 euros ;en réparation de son préjudice d'agrément : 5.000 euros ;dire que la CPCAM des Bouches-du-Rhône sera tenue de faire l'avance des sommes allouées ;À titre subsidiaire :
ordonner une expertise aux fins de déterminer l'évaluation des préjudices de Monsieur [Z] [T] ; dire que l'expert désigné devra notamment statuer sur les préjudices suivants : déficit fonctionnel permanent à compter de la date de consolidation et le préjudice d'agrément ; dire que les frais d'expertise seront pris en charge par la caisse; lui allouer une provision de 12.000 euros à valoir sur les indemnités définitives dont la caisse primaire d'assurance maladie fera l'avance.En tout état de cause :
ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.
À l'appui de ses prétentions, Monsieur [Z] [T] soutient qu'en qualité de soudeur entre 1958 et 1989, il a été directement exposé à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave. Il ajoute que la société [10] ne pouvait ignorer le danger inhérent aux missions qu'un tel poste exigeait et a sciemment méconnu les obligations qui lui étaient imparties. Il précise en outre que l'employeur n'a pris aucune mesure pour protéger ses salariés des risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante. Il en déduit que ses demandes d'indemnisation sont justifiées.

La société [10], n'ayant plus d'existence juridique, Me [N] [K] a été régulièrement attraite dans la cause en qualité de mandataire judiciaire. Par courrier du 20 septembre 2023, ce dernier a informé le tribunal qu'il serait dans l'impossibilité de faire représenter cette société et de suivre la procédure compte tenu de l'impécuniosité de ce dossier. Il ajoute que compte tenu du jugement rendu le 31 mars 2016 par le tribunal de commerce de Paris aucune demande en paiement ne pourra valablement prospérer, eu égard aux dispositions d'ordre public.

À l'audience, la société [10] n'est donc ni présente, ni représentée.

La CPCAM des Bouches-du-Rhône, représentée par un inspecteur juridique, a transmis des conclusions aux termes desquelles elle demande au tribunal de :
recevoir ses conclusions ;constater qu'elle s'en remet à la sagesse du tribunal de céans sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur, la société [10] ;dans l'affirmative, reconnaître et fixer les indemnisations conformément aux articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale et à la décision 2010-8 QPC du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 ;dire que Monsieur [T] peut prétendre à la majoration du capital ;ramener à de plus juste proportions l'indemnisation de la souffrance physique et morale ;débouter Monsieur [T] de sa demande d'indemnisation du préjudice d'agrément ;prendre acte que compte tenu de la disparition de l'employeur, la société [10], elle ne pourra exercer son action récursoire ;dire que les éventuelles sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas mises à sa charge, puisqu'elle n'est que mise en cause.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.

L'affaire est mise en délibéré au 26 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la qualification de la décision

Conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure civile, la présente décision est rendue en premier ressort.

Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 473 du code de procédure civile, il sera statué par jugement réputé contradictoire.

Sur la recevabilité de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

Selon l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur se prescrit par deux ans. En matière de maladie professionnelle, l'article L. 431-2 du même code indique que ce délai court à compter de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle.

Par ailleurs, l'article L. 431-2 précité ajoute que ce délai de prescription est soumis aux règles de droit commun.

Il est constant que l'initiative de la victime saisissant l'organisme de sécurité sociale d'une requête tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable équivaut à la citation en justice visée à l'article 2241 du code civil et interrompt la prescription de deux ans.

En l'espèce, Monsieur [Z] [T] a été informé le 25 avril 2019, par un certificat médical du Docteur [B], du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle.

Le délai biennal a donc commencé à courir à compter de cette date, puis a été interrompu le 12 mars 2020 par la demande en reconnaissance de la faute inexcusable présentée par Monsieur [Z] [T] dans le cadre d'une procédure de conciliation engagée devant la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Par conséquent, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduite par requête adressée le 3 novembre 2020 n'était pas prescrite, d'où il résulte que le recours de Monsieur [Z] [T] sera jugé recevable.

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation légale de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

À ce titre, quand bien même la caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie, il incombe au salarié ou à ses ayants droit de démontrer qu'il a été habituellement et de manière certaine exposé à l'inhalation des poussières d'amiante, que son employeur avait conscience du danger auquel il exposait son salarié et qu'il n'a pas pris de mesures de protection.

S'agissant de l'exposition au risque

La Cour de cassation, après avoir pu admettre que seules la fabrication et l'utilisation de l'amiante comme matière première étaient susceptibles d'engager la faute inexcusable de l'employeur, a considéré que l'exposition au risque peut résulter de l'utilisation de matériels fabriqués avec de l'amiante ou de la simple inhalation de poussières dans les locaux de l'entreprise.

La Cour de cassation a, par ailleurs, posé le principe selon lequel l'exposition doit être habituelle et non pas permanente et continue.

En l'espèce, Monsieur [Z] [T] a travaillé au sein de la société [10], établissement de [Localité 4], du 3 février 1958 au 25 avril 1963, puis du 12 septembre 1963 au 28 avril 1968 et, enfin du 2 février 1976 au 14 septembre 1989, en qualité de soudeur.

Il verse aux débats une attestation du 30 février 2019 de Monsieur [V] [R], accompagnée d'un certificat de travail, indiquant : " Je déclare sur l'honneur avoir travaillé pendant de très nombreuses années auprès de Monsieur [T] [Z] à bord des navires en construction ou réparations navale à La [10].(…)
Mon travail consistait entre autres, à installer des résistances thermiques que l'on recouvrait par des matelas en amiante que l'on manipulait à pleines mains - ces résistances servaient à chauffer des tôles ou des tuyaux afin d'être correctement soudées. M. [T] [Z] était obligé de manipuler ces résistances dont les matelas s'effritaient pour pouvoir effectuer ses soudures. Il inhalait alors toutes ces poussières d'amiante car nous ne possédions aucun masque, ni de gant, ni de combinaisons spécifiques pour nous protéger de l'amiante. A l'époque nous n'en connaissions pas la dangerosité. Ces travaux étaient souvent exécutés dans des endroits exigus dépourvus de toutes ventilation ou aspiration ".

Il produit également une attestation de Monsieur [E] [A], en date du 2 septembre 2019, accompagnée d'un certificat de travail de ce dernier, précisant: " Je soussigné [E] [A] atteste sur l'honneur que M. [S] [J] a bien été employé aux [7] puis [10] en qualité de soudeur. Tout cela à bord des navires en construction puis en réparation dans le compartiment machine " CHAUDIERES " où les poussières d'amiante était notre environnement journalier car les chaudières étaient un concentré d'amiante sans oublier toutes les tuyauteries alimentant divers auxiliaires. Tuyauteries qui elle aussi étaient toutes calorifugées avec de la toile d'amiante. Toutes ces particules se déposant sur les échafaudages se trouvaient à nouveau dans l'atmosphère au fur et à mesure des modifications et démontages de ceux-ci et tout cela sans jamais avoir été informé des dangers auxquels nous étions exposés et bien entendu sans aucune protection pour éviter l'inhalation de ces fibres volatiles ".

Ces témoignages précis et concordants de collègues de Monsieur [Z] [T] confirment la réalité de l'exposition à l'amiante par inhalation de poussières d'amiante dans l'exercice de son travail habituel de soudeur.

La société [10] a par ailleurs été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

Il résulte de ces éléments que l'exposition à l'amiante est caractérisée en l'espèce et réside dans l'inhalation habituelle de poussières.

S'agissant de la conscience du danger par l'employeur

La société [10], si elle ne fabriquait ni ne transformait de l'amiante, en utilisait couramment dans les chantiers navals, et ne pouvait ignorer les dangers de ces produits dans la mesure où :
il existait dès la loi des 12 et 13 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs et le décret du 10 juillet 1913, une législation de portée générale sur les poussières, reprises dans le code du travail mettant à la charge des employeurs des obligations de nature à assurer la sécurité de leurs salariés ;concernant spécifiquement l'amiante, ce risque sanitaire provoqué par ce matériau a été reconnu par l'ordonnance du 3 août 1945 créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles à propos de la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières enfermant de la silice ou de l'amiante, et que cette reconnaissance a été confirmée par le décret du 31 août 1950, puis par celui du 3 octobre 1951 créant le tableau numéro n° 30 propre à l'asbestose, fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante ;ce risque d'asbestose a été identifié dès le début du XXème siècle de nombreux travaux études scientifiques ont été publiés sur les conséquences de l'inhalation des poussières d'amiante avant même la publication du décret du 17 août 1977.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société [10], compte-tenu de son activité, de son importance et de son organisation, avait ou aurait dû avoir conscience du danger représenté par l'emploi de l'amiante.

S'agissant des mesures prises pour protéger les salariés des risques liés à l'amiante

Les attestations de Messieurs [V] [R] et [E] [A] concordent sur l'absence de mesures de protection contre l'inhalation de poussières d'amiante.

Elles confirment donc l'absence de mesures de protection efficaces.

En conséquence, la maladie professionnelle dont souffre Monsieur [Z] [T] sera jugée imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [10].

Sur les conséquences de la faute inexcusable

Sur la majoration de l'indemnité en capital

En vertu des dispositions de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, lorsqu'une une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte qu'il ne puisse dépasser le montant de ladite indemnité.

Seule la faute inexcusable de la victime - entendue comme une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience - est susceptible d'entraîner une diminution de la majoration du capital.

La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue à l'exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal du capital servi en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle reconnu à la victime.

En l'espèce, par courrier du 21 août 2019, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a informé Monsieur [Z] [T] que son taux d'incapacité permanente partielle était fixé à 5 %, et qu'une indemnité en capital lui était attribuée à la date du 10 mars 2019.

En vertu des dispositions précitées, il y a lieu d'ordonner sur le principe la majoration de l'indemnité en capital perçue par Monsieur [Z] [T] à son taux maximum et de dire qu'elle devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation.

Sur l'indemnisation des préjudices

Conformément à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément, du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, ainsi que de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du dit code.

Sur les souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions et hospitalisations qu'elle a subies.

L'évaluation monétaire des souffrances endurées se fait sur une échelle de 1 à 7, en fonction des valeurs dégagées par la jurisprudence pour chacun de ces degrés.

Monsieur [Z] [T] sollicite une indemnisation de 5.000 euros au titre de ses souffrances physiques et de 15.000 euros au titre de ses souffrances morales, ce qui correspond pour chacun des respectivement à des souffrances modérées (3/7) et moyennes (4/7).

Il fait valoir que son affection génère des difficultés respiratoires (dyspnée et toux sèche invalidante et douloureuse en position allongée), une fatigabilité à l'effort et des douleurs thoraciques, qui le contraignent notamment à suivre des examens et des contrôles médicaux réguliers. Il estime qu'à la douleur physique s'est ajoutée une douleur morale correspondant à une importante anxiété et un sentiment d'injustice.

Il produit une attestation non datée de Madame [G] [P], son épouse, indiquant : " Depuis que mon mari a appris qu'il est atteint d'amiante, notre vie quotidienne est devenue insupportable. Il ne parle que de mort, qu'il ne tardera pas à mourir comme ses collègues de travail, avant lui. Il ne veut plus sortir, reste des heures et des heures, enfoncé dans son fauteuil à brouiller du noir. La nuit il dort très mal, et se réveille parfois en sursaut dû au cauchemar qu'il a fait (toujours l'amiante). A certains moments, au contraire, il rentre dans une colère noire, pestant contre les haut dirigeants (…) ".

Il verse également une attestation établie le 25 septembre 2019 par Monsieur [C] [I], son ami, certifiant que " alors que nous partions souvent en voyage ensemble, que nous allions ensemble aux champignons, à la pêche, il ne participe plus à aucun loisir et ne fait que répéter que cela va accentuer sa maladie. Il reste toute la journée enfermé chez lui ou ruminant de tas de mauvais mots depuis qu'il se sait malade ".

Monsieur [Z] [T] ne verse cependant aucun élément médical intervenu depuis son diagnostic en 2019 permettant d'objectiver l'existence de souffrances physiques et morales depuis lors.

Il est également observé que Monsieur [Z] [T] est tombé malade en 2019, à l'âge de 80 ans.

Il reste toutefois que la pathologie dont souffre Monsieur [Z] [T] entraîne une perte de la capacité respiratoire irréversible, et peut engendrer des souffrances physiques liées à la fois à la maladie elle-même, ainsi qu'aux examens et traitement médicaux.
Les souffrances physiques de Monsieur [Z] [T] seront par conséquent évaluées comme étant très légères (1/7) et indemnisées à hauteur de 800 euros.

En outre, l'apparition des premiers symptômes, puis l'annonce du diagnostic d'une fibrose pulmonaire due à une exposition à l'amiante, et ses conséquences ont causé à Monsieur [Z] [T] une anxiété générée par l'attente des résultats des examens impliquant une forte probabilité de dégradation de son état de santé à tout moment. Ses souffrances morales résultent également de la prise de conscience du caractère incurable de sa maladie.

Les souffrances morales endurées par Monsieur [Z] [T] sont donc caractérisées et correspondent à un préjudice modéré (3/7). Il conviendra en conséquence de lui allouer une somme de 5.000 euros.

Sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir, antérieure à la maladie, ce qui inclut la limitation de la pratique antérieure.

Monsieur [Z] [T] sollicite une indemnisation de 5.000 euros. Il fait valoir que l'apparition de sa maladie l'a empêché de profiter de sa retraite, qu'il ressent une gêne importante dans les actes de la vie quotidienne et ne peut plus avoir de loisir dans des conditions normales. Il précise qu'il voyageait, aimait aller à la chasse, ramasser des champignons et pêcher. Ses proches confirment aux termes de leurs attestations susmentionnées que Monsieur [Z] [T] pratiquait ces loisirs spécifiques, ceci suffit à rapporter la preuve du préjudice d'agrément.

Il n'est pas contestable que du fait de son anxiété générée par sa maladie, Monsieur [Z] [T] est impacté dans sa pratique de ses anciens loisirs tels que la pêche ou la chasse.

Compte-tenu de son âge et de la place de ces activités dans sa vie, son préjudice sera évalué à 2/7 et il lui sera alloué de ce chef une somme de 2.000 euros.

Sur l'action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône

La société [10] a fait l'objet d'une radiation du registre des commerces et des sociétés le 31 mars 2016.

Elle n'a donc plus d'existence juridique de sorte que la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne dispose pas d'action récursoire à son encontre.

Sur les demandes accessoires

La société [10] n'ayant plus d'existence légale, les dépens de l'instance resteront à la charge de l'État.

Compte-tenu de l'ancienneté des faits et de la nature du litige, il y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort :

DÉCLARE recevable le recours de Monsieur [Z] [T] aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;

DIT que la maladie professionnelle n°30 dont est atteint Monsieur [Z] [T] est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la SA [10] ;

ORDONNE la majoration de l'indemnité en capital attribuée à Monsieur [Z] [T] à son maximum ;

DIT que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente de Monsieur [Z] [T] ;

FIXE l'indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [Z] [T] à la somme totale de 7.800 euros se décomposant comme suit :
souffrances physiques : 800 euros ;souffrances morales : 5.000 euros ;préjudice d'agrément : 2.000 euros ;
DIT que la CPCAM des Bouches-du-Rhône devra verser cette somme à Monsieur [Z] [T] ;

DIT que l'action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône ne pourra être exercée à l'encontre de la SA [10], compte-tenu de sa disparition ;

DIT que les dépens de l'instance resteront à la charge de l'État ;

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement ;

DIT que tout appel de la présente décision doit être formé, sous peine de forclusion, dans le délai d'un mois à compter de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 20/02752
Date de la décision : 26/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-26;20.02752 ?
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