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19/03/2024 | FRANCE | N°19/02906

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 19 mars 2024, 19/02906


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]


JUGEMENT N°24/01120 du 19 Mars 2024

Numéro de recours: N° RG 19/02906 - N° Portalis DBW3-W-B7D-WGLB

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Société [6]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 1]
représentée par Me Laurent SAUTEREL, avocat au barreau de LYON


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 3]
représentée par Mme [D] (Inspecteur)




DÉBATS : À l'audience publique du 16 Ja

nvier 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PASCAL Florent, Vice-Président

Assesseurs : CHARBONNIER Antoine
DUMAS...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]

JUGEMENT N°24/01120 du 19 Mars 2024

Numéro de recours: N° RG 19/02906 - N° Portalis DBW3-W-B7D-WGLB

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Société [6]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Adresse 1]
représentée par Me Laurent SAUTEREL, avocat au barreau de LYON

c/ DEFENDERESSE
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 3]
représentée par Mme [D] (Inspecteur)

DÉBATS : À l'audience publique du 16 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PASCAL Florent, Vice-Président

Assesseurs : CHARBONNIER Antoine
DUMAS Carole

L’agent du greffe lors des débats : AROUS Léa,

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 19 Mars 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE :

La société [6] (ci-après [6]) a effectué le 6 mai 2014 une déclaration d’accident du travail pour son salarié [S] [R] employé en qualité de docker professionnel, survenu le 5 mai 2014 à 23h00 sur son lieu de travail dans les circonstances suivantes : « en me tournant, j’ai mis le pied dans un point d’ancrage du portique et je suis tombé sur le genou et la main »

La CPAM des Bouches-du-Rhône, en l’absence de toute réserve de l’employeur, a pris en charge d’emblée l'accident du 5 mai 2014 au titre de la législation sur les risques professionnels, par décision notifiée le 16 mai 2014 à la société [6].

[S] [R] a été placé en soins puis en arrêt de travail avec prolongations successives et a perçu au titre de cet accident des indemnités journalières du 13 juin 2014 au 26 juin 2018, la date de la consolidation de son état de santé étant fixée par la CPAM au 28 septembre 2018.

A réception du relevé de son compte employeur de l'année 2014, la société [6] a constaté que son salarié a bénéficié de 567 jours d'arrêts de travail, et doutant de l'existence d'un lien direct et exclusif entre les prolongations successives d'arrêt de travail dont a bénéficié celui-ci et son accident du travail du 5 mai 2014, l'employeur a saisi le 28 novembre 2018 la commission de recours amiable de la CPAM des Bouches-du-Rhône, afin de contester la durée des arrêts et soins y afférents.

Par décision du 19 février 2019, la commission de recours amiable a rejeté la contestation de l’employeur et maintenu l'opposabilité de la décision de prise en charge des arrêts de travail au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 14 mars 2019, la société [6], représentée par son conseil, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille afin de contester cette décision, et par voie de conséquence l'opposabilité à son égard de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle, des arrêts de travail successifs et des soins médicaux consécutifs à l'accident du travail du 5 mai 2014.

L’affaire a été retenue à l’audience de fond du 16 janvier 2024.

Par voie de conclusions soutenues oralement par son conseil, la société [6] maintient ses demandes en faisant valoir l'existence d'une disproportion manifeste entre les lésions constatées après l'accident du 5 mai 2014 et la durée des soins et arrêts de travail pris en charge par la suite, en l'état des 567 jours d'arrêt prescrits pour une simple douleur située au niveau du genou, de la main, de l’épaule gauche, et du dos, sans arrêt de travail initial.
Selon l'employeur, la CPAM ne justifie pas d'une continuité de symptômes et de soins dans la prise en charge desdits arrêts, du seul fait qu'elle ne lui a pas transmis en temps utile le certificat médical initial et ceux subséquents de prolongation permettant de couvrir l'intégralité de la période d'arrêt de travail de son salarié.

La société [6] demande par conséquent au tribunal de :
A titre principal,
-constater que l’employeur a délivré sommation à la caisse primaire de communiquer les documents constituant les documents constituant le dossier de Monsieur [R] ;
-constater que la CPAM a refusé d’y donner suite et place l’employeur dans l’impossibilité d’articuler une critique argumentée à l’encontre de ses décisions de prise en charge des prestations consécutives au sinistre en cause ;
-déclarer en conséquence l’ensemble des soins, arrêts de travail et toutes autres prestations servis au titre du sinistre en cause inopposables à l’égard de [6] ;
A titre subsidiaire,
-constater l'existence d'un différend d'ordre médical portant sur l'imputabilité des soins et arrêts de travail consécutifs à l'accident en cause ;
-ordonner une expertise médicale judiciaire afin de vérifier la justification des soins et arrêts de travail prise en charge par la CPAM au titre de l'accident du 5 mai 2014.

Par voie de conclusions soutenues oralement, la CPAM des Bouches-du-Rhône réplique que la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédent soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime ; qu’il appartient en conséquence à l’employeur de rapporter la preuve de l'existence d’un état antérieur évoluant pour son propre compte ou d’une cause totalement étrangère, ce qu’il ne fait pas en l’espèce.
Par ailleurs, la caisse soutient que l’employeur ne peut exiger d’elle la transmission de pièces du dossier de Monsieur [R], en l’occurrence des certificats médicaux, lesquels sont soumis au secret médical.
La caisse ajoute enfin que la société [6] qui se contente d'émettre des doutes sur la continuité des symptômes et des soins, sans produire aucun élément probant, ne saurait solliciter une expertise judiciaire destinée à pallier sa propre carence, et ce conformément aux dispositions de l'article 146 du Code de procédure civile.

La CPAM des Bouches-du-Rhône demande par conséquent au tribunal de :
-constater que [6] ne démontre pas que tout ou partie des arrêts de travail et soins ont une cause totalement étrangère à l’accident du travail du 5 mai 2014 ;
-rejeter la demande d’expertise sollicitée par la société [6] ;
-déclarer opposable à la société [6] l’ensemble des soins et arrêts consécutifs à l'accident du travail dont [S] [R] a été victime le 5 mai 2014.

En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se reporter aux pièces et conclusions déposées par les parties à l’audience, reprenant l’exposé complet de leurs moyens et prétentions.

L’affaire a été mise en délibéré au 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la communication du dossier d’accident du travail par la caisse primaire à l’employeur

Conformément au dernier alinéa de l’article R.441-11 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable à l’espèce, ce n’est que « en cas de réserves motivées de la part de l'employeur » ou si elle l'estime nécessaire, que la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.

En dehors de cette hypothèse, le code de la sécurité sociale ne prévoit pas de communication par la caisse des éléments recueillis, ni de consultation du dossier de l’assuré par son employeur.

En l’espèce, l’employeur n’a formulé aucune réserve et la caisse n’a pas mené d’instruction dans le cadre de la déclaration d’accident du travail du 6 mai 2014.

Compte tenu des circonstances de l’accident (temps et lieu de travail), la CPAM a pris en charge d’emblée le sinistre survenu le 5 mai 2014 à [S] [R] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Comme le relève exactement la CPAM et conformément aux textes en vigueur, postérieurement à la notification de la décision de prise en charge, l’employeur ne peut exiger de la caisse la transmission des pièces du dossier de son salarié.

Les dispositions nouvelles des articles R.142-6 et 142-10 du code de la sécurité sociale invoquées par la société [6], en vigueur depuis le 1er septembre 2020, ne visent que les contestations d’ordre médical (ancien contentieux technique) relatives à l’état ou au degré d’invalidité et d’incapacité permanente de travail de l’assuré.

Ces dispositions, étrangères au présent litige, y sont manifestement inapplicables.

S’agissant de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il est acquis que les principes du contradictoire et de l'égalité des armes ne sont pas violés dès lors que les services administratifs de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ne sont pas en possession des pièces médicales sollicitées par l'employeur, ce dont il résulte que la caisse n’a pas été placée en situation de net avantage, vis-à-vis de l’employeur, dans la procédure.

Les griefs invoqués à ce titre ne sont pas fondés.
Sur la demande d’inopposabilité des arrêts de travail et des soins et la demande d’expertise

L'article L.411-1 du Code de la sécurité sociale établit une présomption d'imputabilité au travail de l'accident survenu au lieu et au temps du travail et dont il est résulté une lésion corporelle.
Par combinaison des dispositions des articles L.411-1, L.431-1 et L.433-1 du code précité, cette présomption d'imputabilité s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, ainsi qu'aux soins postérieurs destinés à prévenir une aggravation, et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident.

Dans les rapports entre la caisse et l’employeur, il incombe à l’employeur de détruire la présomption d’imputabilité s’y attachant en démontrant que les soins et arrêts consécutifs sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré, ou à un état antérieur évoluant pour son propre compte.

Par ailleurs, la présomption d'imputabilité ne fait pas obstacle à l’organisation d’une expertise médicale sur pièces si l’employeur apporte un commencement de preuve suffisant pour rendre crédible sa critique des arrêts de travail qu’il estime médicalement disproportionnés au regard des lésions initiales.

En l’espèce, la société [6] ne conteste ni la matérialité ni le caractère professionnel de l'accident du 5 mai 2014.

Dans le cadre de la présente instance, la CPAM produit un certificat médical initial, établi le 6 mai 2014 par le docteur [U] [P], médecin généraliste à [Localité 5], faisant état d’une « lombalgie avec paresthésies dont la localisation évoque une cruralgie bilatérale, exacerbation d’une scapulalgie gauche, gonalgie gauche ».

La déclaration d’accident de travail établie le 6 mai 2014 par la société [6] mentionne sur les circonstances de l’accident : «en me tournant, j’ai mis le pied dans un point d’ancrage du portique et je suis tombé sur le genou et la main », et sur le siège des lésions : « genou gauche, main gauche, épaule gauche, dos ».

Au regard de ces éléments, les lésions constatées sont en parfaite cohérence avec les circonstances de l'accident.

L’employeur prétend que la continuité des symptômes et soins n'est pas établie par la CPAM.

Or, après avoir été en soins sans arrêt de travail à compter du 6 mai 2014, le salarié a été arrêté à compter du 13 juin 2014 jusqu’au 6 avril 2018, puis du 5 juin au 26 juin 2018.

L'employeur ne fait qu'émettre des doutes sur le lien de causalité directe et exclusive entre les arrêts de prolongation et l'accident du travail du 5 mai 2014, en supposant la bénignité de la lésion initiale au regard de l’absence d’arrêt de travail initial.

Faute de production d'un quelconque élément tendant à établir l'existence d'une cause étrangère au travail, rien ne vient constituer un début de contradiction utile à la prise en charge contestée, les seules affirmations de la société [6] dans ses conclusions ne suffisant pas à y satisfaire.

L'argumentation de l'employeur, basée sur des considérations d'ordre général à partir de référentiels théoriques standard ne tenant pas compte de la situation particulière de [S] [R] n'est pas de nature à introduire une doute sérieux quant à la continuité des symptômes et des lésions, et à justifier une demande d'expertise, celle-ci n'ayant pas vocation à pallier la carence de la partie dans l'administration de la preuve qui lui incombe, conformément aux dispositions de l'article 146 du Code de procédure civile.

De même, le jugement du 3 mai 2021 de la présente juridiction ayant ramené le taux d’incapacité permanente partielle opposable à la société [6] suite à l’accident du travail du 5 mai 2014 de 25 % à 20 % ne permet pas, nonobstant la prise en compte d’un état antérieur de l’assuré, de considérer que la continuité des symptômes et soins de l’assuré ne serait pas imputable à l’accident du 5 mai 2014.

Dès lors que l’arrêt de travail initial procède de l’accident de travail reconnu et non contesté, la présomption d’imputabilité s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime.

Il y a lieu par conséquent de débouter la société [6] de sa demande en inopposabilité, et de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

Il convient enfin de laisser les dépens de la présente instance à la charge de la partie qui succombe, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et premier ressort,

Déclare recevable, mais mal fondé, le recours de la société [6] ;

Déboute la société [6] de sa demande en inopposabilité des arrêts de travail et de soins consécutifs à l'accident du travail dont a été victime le 5 mai 2014 son salarié [S] [R] ;

Dit que la société [6] ne démontre pas l'existence d'un différend d'ordre médical, en l'absence de production de tout élément de preuve de nature à introduire une doute sérieux quant à la continuité des symptômes et des soins ;

Rejette en conséquence la demande expertise médicale judiciaire formulée par l'employeur ;

Confirme la décision rendue le 19 février 2019 par la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône ;

Condamne la société [6] aux dépens de l’instance ;

Dit que tout appel de la présente décision doit être formé, sous peine de forclusion, dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification, conformément aux dispositions de l'article 538 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 19/02906
Date de la décision : 19/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-19;19.02906 ?
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