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14/03/2024 | FRANCE | N°21/07541

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab2, 14 mars 2024, 21/07541


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/ DU 14 Mars 2024


Enrôlement : N° RG 21/07541 - N° Portalis DBW3-W-B7F-Y6J5

AFFAIRE : M. [P] [N], M. [I] [N] et Mme [O] [K] ( Me Marlène YOUCHENKO)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 2]


DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Janvier 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL:

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente


Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

En présence de, Mme PORELLI Emmanuelle, Vice-Procureur, Procureur de la Républiq...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 14 Mars 2024

Enrôlement : N° RG 21/07541 - N° Portalis DBW3-W-B7F-Y6J5

AFFAIRE : M. [P] [N], M. [I] [N] et Mme [O] [K] ( Me Marlène YOUCHENKO)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 2]

DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL:

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

En présence de, Mme PORELLI Emmanuelle, Vice-Procureur, Procureur de la République

Vu le rapport fait à l’audience ;

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 14 Mars 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

Monsieur [P] [N], mineur, représenté par ses parents Mr [I] [N] et Madame [O] [K]
né le 08 Avril 2019 à [Localité 2]
de nationalité Française, domicilié : chez [Adresse 1]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 130550012021004220 du 15/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)

Monsieur [I] [N]
né le 02 Juin 1984 à [Localité 5] (TERRITOIRE PALESTINIEN), domicilié : chez [Adresse 1]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 130550012021004219 du 15/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)

Madame [O] [K] épouse [N]
née le 24 Janvier 1989 à [Localité 3] (TERRITOIRE PALESTINIEN), domiciliée : chez [Adresse 1]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 130550012021004221 du 15/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)

Tous trois représentés par Me Marlène YOUCHENKO, avocat au barreau de MARSEILLE,

C O N T R E

DEFENDERESSE

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE, près le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE en son parquet- [Adresse 4]

dispensé du ministère d’avocat

EXPOSE DU LITIGE

Le 19 juin 2020, le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Marseille a refusé à [P] [N], né le 8 avril 2019 à [Localité 2], la délivrance d’un certificat de nationalité française, aux motifs que : « Les parents de l’intéressé ne sont pas en mesure de produire des actes délivrés par l’OFPRA prouvant leur origine palestinienne. En l’état, l’enfant de peut donc prétendre à l’application des dispositions de l’article 19-1-1° du code civil. Aucun certificat de nationalité française ne peut lui être délivré ».

Par acte en date du 10 août 2021, [P] [N], représenté par ses parents [I] [N] et [O] [K], a fait assigner le Procureur de la République devant le Tribunal judiciaire de Marseille afin de voir juger qu’il est de nationalité française comme étant né en France de parents étrangers pour lequel les lois étrangères de nationalité ne permettent en aucune façon qu’il se voie transmettre la nationalité de l’un ou l’autre de ses parents et à titre subsidiaire, constater qu’il est né en France de parents apatrides.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par RPVA le 19 octobre 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des moyens, [I] [N] et [O] [K], agissant en leur nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de l’enfant [P] [N], demandent au Tribunal de :
- juger que le récépissé prévu par l'article 1043 du Code de procédure civile a été délivré,
- juger que le refus de certificat de nationalité française opposé par le le Directeur des services de greffe du Tribunal judiciaire de Marseille le 19 juin 2020 est nul et non avenu,
- juger, à titre principal, que [P] [N] est né en France de parents étrangers pour lequel les lois étrangères de nationalité ne permettent en aucune façon qu'il se voie transmettre la nationalité de l'un ou l'autre de ses parents,
- juger, à titre subsidiaire, que Monsieur [P] [N] est né en France de parents apatrides,
- juger que [P] [N] né le 8 avril 2019 à [Localité 2] d’[I] [N], né le 2 juin 1984 à [Localité 5] (territoire palestinien) et de [O] [K], née le 24 janvier 1989 à Nour Shams (territoire palestinien) est français,
- ordonner la mention prévue à l'article 28 du ode civil,
- condamner le Trésor Public à verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à Maître YOUCHENKO, Conseil des demandeurs, qui s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle,
- laisser les dépens de l’instance à la charge du Trésor public.

Ils indiquent qu’ils démontrent le lien de filiation entre les époux [N] et leur fils [P], et l’origine palestinienne des époux [N].
Ils ajoutent que le Procureur de la République ne peut exiger qu’ils obtiennent la légalisation de leurs actes d’état civil puisque l’État de Palestine n’a pas de reconnaissance officielle en France.
Ils rappellent par ailleurs que le décret du 10 novembre 2020 a été censuré tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d’État en ce qu'il était contraire au droit à un recours effectif.
Ils soutiennent que les actes produits sont parfaitement recevables, quand bien même ils ne seraient pas légalisés, et participent du faisceau d’indice permettant de conclure à l’évidence de la qualité d’apatride des époux [N] pour ce qu’ils sont d’origine palestinienne, Etat non reconnu par la communauté internationale.

Ils ajoutent que les actes d'état civil versés aux débats constituent des copies intégrales et comportent l'ensemble des mentions permettant de les qualifier d'actes d'état civil et sont par conséquent parfaitement probants.
Ils exposent que les parents du demandeur justifient de leur origine palestinienne et, plus précisément, de leur naissance de parents eux-mêmes palestiniens et de leur résidence en territoire cisjordanien.
Ils reprochent au directeur des services de greffe du Tribunal judiciaire de Marseille de n’avoir examiné que les dispositions de l'article 19-1 1° du Code civil et non pas également celles de l'article 19-1 2°, méconnaissant ainsi l'étendue de sa compétence et entachant sa décision d'une erreur de base légale.
Ils précisent qu’il ressort de la la décision rendue par le Directeur général de l’OFPRA le 29 juin 2023 que les parents de [P] [N] sont tous deux apatrides, mais sont toujours protégés pour l’heure par l’UNWRA et ne peuvent dans ces conditions être protégés, en qualité d’apatrides, au sens de la Convention de New York, par l’OFPRA.

En défense, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, le Procureur de la République demande au Tribunal de :
- dire que la procédure est régulière au regard des dispositions de l’article 1043 du Code de procédure civile,
- juger que [P] [N], représenté par ses parents [I] [N] et [O] [K], né le 8 avril 2019 à [Localité 2] n’est pas français,
- rejeter le surplus de ses demandes,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du Code civil,
- statuer ce que de droit quant aux dépens.

Il relève que pour justifier de l’état civil de ses parents présumés et de son lien de filiationà leur égard, [P] [N] verse aux débats des actes de naissance et un acte de mariage établis en anglais et en arabe qui n'ont fait l'objet d'aucune procédure de légalisation et ne peuvent de ce seul fait être opposables en France; que si le demandeur produit dorénavant des traductions par traducteur assermenté de l'acte de mariage et des deux certificats de naissance de ses parents présumés et que ces traductions permettent d'identifier l'officier qui a délivré les actes et certificats produits, les mentions relatives au nom, prénom et qualité de celui qui a reçu la déclaration de naissance ou enregistré le mariage, sont toujours absentes de ces traductions nouvellement produites.

La procédure a été clôturée à la date du 12 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Le récépissé prévu à l’article 1040 du Code de procédure civile a été délivré.

L’article 30 du Code civil dispose que lorsque l’individu qui revendique la nationalité française n’est pas lui même titulaire d’un certificat de nationalité française, la charge de la preuve de sa nationalité lui incombe.

En l’espèce, [P] [N] n’est pas titulaire d’un certificat de nationalité française, de sorte qu’il lui appartient de rapporter la preuve qu’il remplit les conditions pour prétendre à la nationalité française.

Aux termes de l’article 19-1 du Code civil : “Est français :
1° L'enfant né en France de parents apatrides ;
2° L'enfant né en France de parents étrangers pour lequel les lois étrangères de nationalité ne permettent en aucune façon qu'il se voie transmettre la nationalité de l'un ou l'autre de ses parents.
Toutefois, il sera réputé n'avoir jamais été français si, au cours de sa minorité, la nationalité étrangère acquise ou possédée par l'un de ses parents vient à lui être transmise.”

Le requérant doit produire des pièces d’état civil fiables au sens de l’article 47 du Code civil selon lequel tout acte de l’état civil des français et des étrangers faits en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondant pas à la réalité.

Sauf convention internationale, les copies ou extraits d’actes de l’état civil établis par les autorités étrangères, doivent, pour recevoir effet en France, être légalisés.

Cependant, l’État de Palestine n’a pas de reconnaissance officielle en France, et il n’existe aucune représentation diplomatique française dans les territoires palestiniens où ont été établis les actes d’état civil en cause, ni de représentation diplomatique palestinienne en France.

La Palestine ne figure pas au tableau récapitulatif de l'état actuel du droit conventionnel en matière de légalisation, listant l'ensemble des pays pour lesquels il existe une exigence de légalisation ou d'apostille et comportant en annexe la liste des Etats parties aux conventions portant dispense de légalisation, d'apostille ou aménagements à cet égard.

Il ne peut donc être exigé que les actes d’état civil produits soient légalisés.

Le demandeur verse aux débats une traduction en langue française par un traducteur assermenté du certificat de mariage n° 943 et des deux certificats de naissance d’[I] [N] et [O] [K], qui mentionne le nom de l’officier qui a délivré ces actes; les certificats de naissance mentionnent l'identité complète de l'intéressé, sa filiation, la date et le lieu de naissance.
L'acte de mariage indique l'identité complète des mariés, leur filiation, ainsi que la date et le lieu du mariage.

L’acte d’état civil de [P] [N] délivré par l’officier d’état civil de la ville de [Localité 2] comporte l’intégralité des mentions substantielles exigées par la loi française.

Il justifie donc d’un état civil fiable et de son lien de filiation envers [I] [N] et [O] [K].

La décision rendue par le Directeur général de l’OFPRA le 29 juin 2023 mentionne : « Madame [O] [K] épouse [N] n’ayant aucune nationalité reconnue, l’Etat palestinien n’étant un Etat internationalement reconnu, sa qualité d’apatride est clairement établie. (...) Monsieur [I] [N] n’ayant aucune nationalité reconnue, l’Etat palestinien n’étant un Etat internationalement reconnu, sa qualité d’apatride est clairement établie. (...) Cependant, ils ne peuvent bénéficier de la protection de l’OFPRA dès lors qu’ils sont encore protégés par l’UNWRA : (…) l’intéressée doit être regardée comme bénéficiant actuellement de la protection et de l’assistance de l’UNWRA, et ne peut, par voie de conséquence, être considérée comme fondée à se prévaloir de la qualité d’apatride telle que définie par les stipulations de l’article 1er, paragraphe 1er de la Convention de New York du 28 septembre 1954. (…) l’intéressé doit être regardé comme bénéficiant actuellement de la protection et de l’assistance de l’UNWRA, et ne peut, par voie de conséquence, être considéré comme fondé à se prévaloir de la qualité d’apatride telle que définie par les stipulations de l’article 1er, paragraphe 1er de la Convention de New York du 28 septembre 1954. ».

La décision du 11 octobre 2019 rendue par la Cour nationale du droit d'asile mentionne qu’il ressort des pièces des dossiers, et notamment des actes de naissance de Monsieur [N] et de Madame [K], ainsi que de leur livret de famille, délivré par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA), et de leurs déclarations orales, que leur origine palestinienne, leur provenance de Cisjordanie et leur séjour dans le camp de réfugiés palestiniens Nurshams peuvent être tenus pour établis.

[P] [N] est donc né en France de parents apatrides.

Dès lors, il est français en application de l’article 19-1 1° du Code civil.

En conséquence, il sera fait droit à ses demandes.

La mention prévue à l’article 28 du Code civil sera ordonnée.

Le Ministère public succombe, de sorte que les dépens seront à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort

Constate que le récépissé prévu par l’article 1040 du Code de procédure civile a été délivré ;

Dit que [P] [N], né le 8 avril 2019 à [Localité 2], est français en application des dispositions de l’article 19-1 1° du Code civil ;

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du Code civil ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 14 MARS 2024.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab2
Numéro d'arrêt : 21/07541
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;21.07541 ?
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