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11/03/2024 | FRANCE | N°22/01378

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 2ème chambre cab2, 11 mars 2024, 22/01378


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°


Enrôlement : N° RG 22/01378 - N° Portalis DBW3-W-B7G-ZVDF

AFFAIRE : M. [W] [P] (Me Fabrice TOUBOUL)
C/ Compagnie d’assurance BPCE ASSURANCES
(Me Olivier BAYLOT )
- CPAM DU PUY DE DOME ( )


DÉBATS : A l'audience Publique du 22 Janvier 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré

Président : Madame Elsa VALENTINI

Greffier : Madame Célia SANDJIVY, lors des débats

A l'issue de laquelle, la date du délibér

é a été fixée au : 11 Mars 2024

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 11 ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°

Enrôlement : N° RG 22/01378 - N° Portalis DBW3-W-B7G-ZVDF

AFFAIRE : M. [W] [P] (Me Fabrice TOUBOUL)
C/ Compagnie d’assurance BPCE ASSURANCES
(Me Olivier BAYLOT )
- CPAM DU PUY DE DOME ( )

DÉBATS : A l'audience Publique du 22 Janvier 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré

Président : Madame Elsa VALENTINI

Greffier : Madame Célia SANDJIVY, lors des débats

A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 11 Mars 2024

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 11 Mars 2024

PRONONCE par mise à disposition le 11 Mars 2024

Par Madame Elsa VALENTINI, Juge

Assistée de Madame Célia SANDJIVY, Greffier

NATURE DU JUGEMENT

réputée contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEUR

Monsieur [W] [P]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 10] (ALGÉRIE), demeurant [Adresse 3]

Immatriculé à la sécurité sociale sous le n° [Numéro identifiant 2]

représenté par Me Fabrice TOUBOUL, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDERESSES

Compagnie d’assurance BPCE ASSURANCES, dont le siège social est sis [Adresse 6] prise en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Maître Olivier BAYLOT de la SCP GOBERT & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE

CPAM DU PUY DE DOME, dont le siège social est sis [Adresse 5] prise en la personne de son représentant légal en exercice

défaillant

************

Le 29 mai 2015 à [Localité 8], Monsieur [W] [P], né le [Date naissance 1] 1961, circulait à motocyclette lorsqu’il a été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule VOLKSWAGEN Golf, conduit par Monsieur [M] [T] et assuré auprès de la société BPCE.

La société AMV, assureur mandaté dans le cadre de la convention IRCA, a versé à Monsieur [P] une provision de 1.500 euros et a désigné le docteur [C] afin de l’examiner.
L’expert a rendu son rapport le 19 janvier 2021.

Une provision complémentaire amiable de 6.000 euros a été versée à Monsieur [P].

Sur la base du rapport d’expertise, la société BPCE a formulé une offre d’indemnisation en appliquant une réduction de 80% du droit à indemnisation en raison de fautes de conduite qui auraient été commises par Monsieur [P].

Par acte du 10 février 2022 assignant la société BPCE ASSURANCES et la CPAM du Puy de Dôme, suivi de conclusions notifiées le 5 octobre 2022, Monsieur [P] demande au tribunal de :
- CONSTATER que son droit à indemnisation est entier
- CONDAMNER BPCE à lui payer la somme de 232.201,95 €uros, selon le détail suivant :
-Assistance à expertise : 5.040,00 €
-Tierce personne avant consolidation : 13.680,00 €
-PGPA : 21.191,95 €
-PGPF échus : 33.715,00 €
-PGPF à échoir : 45.415,00 €
-Incidence professionnelle : 45.000,00 €
-Souffrances Endurées : 18.000,00 €
-DFT : 10.550,00
-DFP : 35.910,00 €
-PET : 2.200,00 €
-PEP : 3.000,00 €
-Préjudice d’agrément : 5.000,00 €
-Provision à déduire : 6.500 €
- ASSORTIR la condamnation du doublement des intérêts légaux à compter du 19 juin 2021
- CONDAMNER la Compagnie d’Assurance BPCE au paiement de la somme de 3.000,00 €uros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir, par application des dispositions des articles 514 et suivants du code de procédure civile
- CONDAMNER la société requise aux dépens, par application des dispositions de l’article 695 du C.P.C.

Dans ses conclusions notifiées le 21 juillet 2022, la société BPCE ASSURANCES demande au tribunal de :
- DIRE ET JUGER que la faute de conduite commise par M. [P] est de nature à réduire son droit à indemnisation à hauteur de 80 %
- ÉVALUER l’entier préjudice de M. [P] en déclarant satisfactoires les offres d’indemnisations formulées dans le corps de ses conclusions, en tenant compte du recours de l’organisme social et en y appliquant une part de réduction de son droit à indemnisation à hauteur de 80 %
- DÉDUIRE des sommes qui seront allouées la provision précédemment versée d’un montant de 7.500 € et tenir compte du recours des organismes sociaux cités
- DIRE ET JUGER que la sanction du doublement de l’intérêt légal ne peut être appliquée que sur le montant de l’offre effectuée et non comme demandé, sur le montant de l’indemnité allouée par le juge

- DÉBOUTER M. [P] de sa demande de doublement de l’intérêt légal sur le visa des articles L. 211-9 et L. 211-13 du Code des assurances
- DÉBOUTER M. [P] de sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile et DIRE n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire pour le tout de la décision à intervenir
- CONDAMNER M. [P] aux dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions quant à l’exposé détaillé des prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 janvier 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 22 janvier 2024 et mise en délibéré au 11 mars 2024.

La CPAM du Puy de Dôme, régulièrement assignée, n’ayant pas constitué avocat ; le présent jugement sera réputé contradictoire à l’égard de l’ensemble des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le droit à indemnisation

La loi du 5 juillet 1985 dispose notamment, que lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, directement ou par ricochet, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, une telle faute ayant pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages.

Ainsi, le droit à indemnisation du conducteur d'un véhicule terrestre à moteur n'est pas apprécié en fonction du comportement de l'autre automobiliste impliqué. Il convient d'apprécier uniquement le comportement du conducteur blessé, en l'occurrence, Monsieur [P].

Ce dernier soutient qu’il circulait dans sa voie de circulation lorsqu’un véhicule qui entreprenait de tourner à gauche l’a percuté. Il précise que suite à l’accident, il a présenté un traumatisme crânien qui ne lui a pas permis de répondre aux questions des enquêteurs de sorte que leurs constats et leur schéma sont uniquement fondés sur les déclarations de Monsieur [T]. Il relève d’ailleurs que les services de police ont utilisé le conditionnel lorsqu’ils ont noté les circonstances de l’accident. Il considère que la seule audition de Monsieur [T] n’est pas suffisante pour établir qu’il a commis une faute de conduite. Il souligne que les policiers n’ont fait aucun relevé matériel et que les véhicules avaient nécessairement été déplacés avant leur arrivée puisque la circulation avait repris. Il indique que dans la mesure où son véhicule a été entièrement détruit, il n’a pas été possible de déterminer le point d’impact sur celui-ci. Il estime que les dommages relevés sur celui de Monsieur [T] ne permettent pas d’affirmer ou d’infirmer une hypothèse particulière. Il considère qu’aucun élément ne permet de retenir qu’il opérait un dépassement et relève que Monsieur [T] ne l’affirme pas alors qu’il l’aurait nécessairement vu.
Monsieur [P] estime par conséquent que son droit à indemnisation est entier.

La société BPCE expose que Monsieur [T] circulait sur le [Adresse 7] en provenance de la Capelette et en direction de la Valbarelle ; que le scooter de Monsieur [P] circulait en sens inverse ; que Monsieur [T] a informé les usagers de la route de son intention de tourner à gauche en activant son clignotant ; qu’il s’est arrêté dans l’attente d’entreprendre sa manoeuvre pour rejoindre le parking faisant face au [Adresse 4] ; que le deux-roues de Monsieur [P] s’est déporté sur la file en sens inverse et a percuté l’avant-gauche du véhicule de Monsieur [T] qui se trouvait dans sa voie de circulation. Elle fait valoir que le schéma dressé par les services de police démontre que le point de collision se trouve sur la voie de circulation de Monsieur [T]. Elle soutient que les policiers sont arrivés immédiatement et ont pu relever la position des véhicules accidentés sur place pour établir le croquis. Elle considère que les déclarations de Monsieur [T] ont été confirmées par la position des véhicules relevée sur place et par les points d’impacts sur les véhicules, à savoir à l’avant pour le scooter et sur le côté avant gauche pour le véhicule de son assuré.
La société BPCE retient que Monsieur [P] a contrevenu aux dispositions des articles R413-17 R412-6 et R414-4 du code de la route en entreprenant un dépassement sans s’assurer que sa manoeuvre était sans danger, en heurtant le véhicule de son assuré et en empruntant la voie de circulation opposée. Elle considère qu’ainsi Monsieur [P] est majoritairement responsable de la cause de l’accident et de son préjudice. Elle conclut à une réduction de 80 % du droit à indemnisation.

Il est versé au débat le rapport de police.
Monsieur [T] a relaté les circonstances de l’accident de la façon suivante :
“Je circulais à bord de mon véhicule sur le [Adresse 7] à [Localité 9], en provenance de Dromel et en direction de la Valbarelle. A hauteur du [Adresse 4] à [Localité 9], j’ai mis mon clignotant à gauche et je me trouvais sur ma voie de circulation. Lorsque j’ai freiné, j’ai regardé dans mon rétroviseur central et je n’ai pas vu le véhicule deux-roues arriver sur moi. Le véhicule deux-roues m’a alors percuté au niveau de l’avant gauche de mon véhicule et le conducteur de ce véhicule a été projeté au sol. Le véhicule deux-roues venait de la direction de la Valbarelle (...) Concernant les dégâts sur mon véhicule, toute la partie avant gauche est cassée (carrosserie et optiques) et mécanique...”
Les policiers ont relevé des dégâts sur le côté avant gauche sur le véhicule conduit par Monsieur [T]. Ils n’ont effectué aucun relevé sur le deux-roues mentionnant que celui-ci était détruit.
Les policiers ont mentionné que Monsieur [P] avait été transporté aux urgences avant leur arrivée et que son audition était impossible car il ne se souvenait plus des circonstances de l’accident. Ils ont également indiqué qu’il n’y avait pas de témoin de l’accident et que la circulation n’avait pas été interrompue. Ils ont dressé un croquis matérialisant le point d’impact dans la voie de circulation de Monsieur [T].
Les mentions des policiers ne permettent pas d’affirmer que véhicules avaient été déplacés avant l’accident, le simple fait que la circulation n’ait pas été interrompue étant insuffisant sur ce point.
En revanche, il est établi que les policiers ont constaté que les dégâts sur le véhicule de Monsieur [T] se situaient sur le côté avant gauche. Cet élément permet de corroborer les déclarations de celui-ci puisque, au vu de la configuration des lieux, le positionnement des dégâts implique que Monsieur [T] se trouvait dans sa voie de circulation. En effet, s’il avait commencé sa manoeuvre pour tourner à gauche c’est le côté droit de son véhicule qui aurait été touché.
Dès lors, Monsieur [P], qui circulait dans la voie opposée, a nécessairement percuté le véhicule de Monsieur [T]. Ainsi, Monsieur [P] a commis une faute en ne maîtrisant pas son véhicule et en circulant à contre sens.
Ces fautes ont joué un rôle causal dans l’accident puisque si Monsieur [P] était resté dans sa voie de circulation la collision ne se serait pas produite.
La gravité de cette faute justifie une réduction du droit à indemnisation de 70 %.

Sur l’évaluation du préjudice

Aux termes non contestés du rapport d’expertise amiable du docteur [C] l’accident a causé à Monsieur [P] un traumatisme crânien et un traumatisme de la cheville.

Les conséquences médico-légales sont les suivantes :
- DFTT du 29.05.2015 au 30.05.2015
- DFTP à 50 % du 31.05.2015 au 31.07.2015
- DFTP à 25 % du 01.08.2015 jusqu’à la consolidation
- Consolidation : 08.02.2018
- Souffrances endurées : 3,5/7
- ATAP : 1 an
- Dommage esthétique permanent : 1,5/7
- AIPP : 19%
- Tierce personne temporaire : 1h30/j du 31.05.2015 au 31.07.2015 ; 4h/sem du 01.08.2015 au 08.02.2018
- Préjudice d’agrément
- Incidence professionnelle.

Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Monsieur [P], âgé de 53 ans lors de l’accident, sera réparé ainsi que suit.

1°) Les Préjudices Patrimoniaux

Frais d’assistance à expertise
Les frais d’assistance à expertise exposés par la victime pour se faire assister d’un médecin lors des opérations d’expertise sont nécessaires à la préservation de ses droits. En effet, le débat présentant un caractère scientifique il paraît légitime qu’elle s’entoure d’un conseil technique au même titre que la compagnie d’assurances et ce dans le respect du principe du contradictoire.

Les notes d’honoraires du docteur [G] versées au débat justifient des frais à hauteur de 4.200 euros. Le surplus de la demande n’est pas justifié. Après application de la réduction du droit à indemnisation, il sera alloué à Monsieur [P] la somme de 1.260 euros pour ce poste de préjudice.

Assistance par tierce personne avant consolidation
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

L’expert a évalué le besoin en tierce personne de Monsieur [P] de la façon suivante :
- 1h30/j du 31.05.2015 au 31.07.2015
- 4h/sem du 01.08.2015 au 08.02.2018.

Il convient de fixer l’indemnisation du poste de préjudice lié à la nécessité d’avoir été assistée d’une tierce personne pour les besoins de la vie courante jusqu’à la consolidation sur la base d’un taux horaire de 20 € et d’allouer, en conséquence, à ce titre à Monsieur [P] la somme de 3.722, 57 euros tenant compte de la réduction du droit à indemnisation, selon le calcul suivant :
62j x 1,5h x 20 € = 1.860 €
(923j/7) x 4h x 20 € = 10.548, 57 €.
(1860 + 10.548, 57) x 30 % = 3.722, 57 €.

Perte de gains professionnels avant consolidation
Il s'agit de compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à la consolidation de son état de santé. L'évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime jusqu'au jour de sa consolidation, à savoir jusqu'au 8 février 2018.

Monsieur [P] expose qu’au moment de l’accident, il était décorateur indépendant ; qu’il avait créé sa société SUD CONCEPT en août 2011 sous le régime MICRO BNC ; que son revenu mensuel moyen en 2014 était de 2.380 euros nets ; qu’il a repris son activité en mai 2016. Il soutient que son arrêt pendant un an a entrainé une perte de clients et qu’en raison de ses séquelles, notamment sur le plan psychique, il lui est beaucoup plus difficile de se concentrer, de s’impliquer et de réaliser des projets artistiques. Il indique que de ce fait son bénéfice a baissé. Il considère qu’à ce titre sa perte de gains professionnels actuels ne doit pas se limiter à l’arrêt de travail d’une année retenu par l’expert mais doit également intégrer la diminution d’activité et la perte de revenu partielle intervenues après cet arrêt.
Sur le revenu de référence, Monsieur [P] considère que l’année 2013 ne doit pas être prise en compte dans la mesure où cette année-là il a subi des problèmes cardiaques qui ont nécessité un arrêt de travail de deux mois et de nombreux examens. Il fait également valoir qu’ayant commencé en août 2011, sa première année complète est 2012 de sorte qu’elle ne serait pas non plus représentative. Il sollicite la somme de 21.191, 95 euros pour ce poste de préjudice.

La société BPCE considère que l’indemnisation des PGPA ne peut aller au-delà de la période d’un an retenue par l’expert. Elle souligne que Monsieur [P] ne verse aucun justificatif de la perte de clientèle. Elle estime que le seul avis d’imposition de 2014 n’est pas suffisant à établir une éventuelle baisse. Elle fait valoir qu’une baisse de revenus peut également être d’origine conjoncturelle. Elle conclut au débouté.

S’agissant de la période indemnisable, le principe de réparation intégrale impose de prendre en compte pour l’évaluation de ce poste de préjudice toutes les pertes de gains jusqu’à la consolidation y compris celles intervenues après l’arrêt de travail, ce qui peut arriver dans le cadre d’un travailleur indépendant. Cependant, il appartient au demandeur de démontrer l’imputabilité de cette baisse de revenu postérieure à l’arrêt de travail à l’accident. Or sur les trois années pleines d’exercice avant l’accident, les revenus de Monsieur [P] ont beaucoup fluctué passant de 24.037 euros en 2012 à 5.924 euros en 2013, ce qui ne pourrait pas s’expliquer uniquement par un arrêt de travail de deux mois. Les revenus de Monsieur [P] n’étaient donc pas stables. Dès lors, les seuls avis d’imposition sont insuffisants pour retenir que l’éventuelle baisse de revenu après l’arrêt de travail est imputable à l’accident. La perte doit donc être calculée pendant l’arrêt de travail d’un an.
S’agissant du revenu de référence à prendre en compte, le caractère irrégulier des revenus précédemment évoqué impose de le calculer sur la base des trois années avant l’accident.

Les pièces produites établissent les revenus suivants :
-24.037 euros en 2012
-5.924 euros en 2013
-27.687 euros en 2014.
Le revenu annuel moyen est donc de 19.216 euros.

L’arrêt de travail imputable étant d’une année, la perte de revenus est donc de 19.216 euros.
Au regard de la réduction du droit à indemnisation, la dette indemnitaire à la charge de l’assureur est de 5.764, 80 euros (19216 x 30 %).

Il ressort des éléments du débat que Monsieur [P] a perçu 7.595, 08 euros d’indemnités journalières, soit une perte de gains de 11.620, 92 euros pour lui.
En application du droit de préférence, il convient d’indemniser Monsieur [P] de la part de son préjudice non prise en charge par l’organisme social, dans la limite de la dette indemnitaire.
La part non prise en charge est supérieure à la dette indemnitaire.

Par conséquent, il sera alloué à Monsieur [P] la somme de 5.764, 80 euros en indemnisation de ce préjudice.

Perte de gains professionnels futurs
Ce poste indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée du fait du dommage dans la sphère professionnelle après la consolidation de son état de santé.

Monsieur [P] indique que, depuis sa reprise du travail, son revenu annuel moyen est de 17.322, 66 euros. Il se prévaut d’une perte de revenu annuelle de 15.138, 34 euros.
Considérant qu’il lui restait trois années d’exercice après consolidation et avant la retraite, il sollicite la somme de 79.130, 02 euros au titre de la perte de gains professionnels future.

La société BPCE s’oppose à cette demande considérant que les éléments versés au débat par le demandeur ne permettent pas de justifier du préjudice allégué.

Comme développé précédemment, eu égard au caractère fluctuant des revenus de Monsieur [P] avant l’accident, les avis d’imposition produits sont insuffisants pour démontrer l’imputabilité de la perte de revenus alléguée à l’accident.
Par conséquent, la demande au titre de la perte de gains professionnels futurs sera rejetée.

Incidence professionnelle
Ce poste d'indemnisation a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap.

Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

Monsieur [P] soutient que les troubles cognitifs liés à l’accident, avec troubles de la concentration et de l’humeur, rendent plus difficiles l’exercice de son activité. Il sollicite la somme de 30.000 euros au titre de la pénibilité accrue. En réponse aux arguments de l’assureur, il fait valoir qu’étant indépendant il n’aurait pas pris sa retraite à 62 ans et subira donc cette gêne pendant une dizaine d’années.
Monsieur [P] demande également la somme de 15.000 euros au titre de la perte de droits à la retraite considérant que sa baisse de revenus aura un impact sur le calcul du montant de celle-ci.

La société BPCE souligne que l’expert n’a pas expressément retenu l’existence de ce poste de préjudice. Elle s’oppose à la demande relative à la perte de droits à la retraite, relevant qu’aucun document comptable n’est versé au débat. Elle note que Monsieur [P] a repris son travail en mai 2016 à l’âge de 55 ans et partira à la retraite à l’âge de 62 ans. Elle évalue à 5.000 euros la pénibilité accrue.

S’agissant de la perte de droits à la retraite, dans la mesure où la baisse de revenus n’a pas été considérée comme imputable à l’accident, il ne sera pas fait droit à cette réclamation.
Vu les séquelles de Monsieur [P], la pénibilité accrue dans l’exercice de la profession de décorateur indépendant est incontestable. Celui-ci était âgé de 56 ans au moment de l’accident, il lui restait donc 6 ans avant le départ à la retraite. A cet égard, Monsieur [P] est malfondé à soutenir qu’il aurait travaillé jusqu’à 66 ans alors même qu’il retient un départ à la retraite à 62 ans dans son calcul des PGPF.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’incidence professionnelle sera évaluée à 10.000 euros.
Après application de la réduction du droit à indemnisation, il sera alloué à Monsieur [P] la somme de 3.000 euros.

2°) Les Préjudices Extra Patrimoniaux :

Déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

L’expert retient les éléments suivants :
- DFTT du 29.05.2015 au 30.05.2015
- DFTP à 50 % du 31.05.2015 au 31.07.2015
- DFTP à 25 % du 01.08.2015 au 08.02.2018

Sur la base d’une indemnisation de 27 € par jour pour un déficit total, les troubles dans les conditions d'existence subis par Monsieur [X] jusqu'à la consolidation, justifient l'octroi d'une somme de 7.121, 25 euros, soit 2.136, 38 euros après application de la réduction du droit à indemnisation, calculée comme suit :
2j x 27 € = 54 €
62j x 27 € x 50 % = 837 €
923j x 27 € x 25 % = 6.230, 25 €.

Souffrances endurées
Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

En l'espèce, elles sont caractérisées par le traumatisme initial et les traitements subis s’agissant notamment du port d’un collier en mousse et d’une botte plâtrée, du traitement médical et des soins locaux. Cotées à 3,5/7 par l’expert, elles seront réparées par l'allocation de la somme de 9.000 euros, soit 2.700 euros après application de la réduction du droit à indemnisation.

Préjudice esthétique temporaire
Monsieur [P] évalue son préjudice esthétique temporaire à 1,5/7 en raison des éléments cicatriciels. Il sollicite à ce titre la somme de 2.200 euros.

La société BPCE s’oppose à la demande faisant valoir que ce poste de préjudice n’a pas été retenu par l’expert et qu’il n’avait pas été demandé par Monsieur [P] au stade amiable.

Si l’expert n’a pas mentionné ce poste de préjudice, il a retenu un préjudice esthétique permanent évalué à1,5/7 et il a mentionné le port d’un collier souple, d’une botte plâtrée et l’utilisation de cannes anglaises. Il est incontestable que ces éléments ont altéré l’apparence physique de Monsieur [P].
Au regard de ces éléments, il convient d’évaluer ce poste de préjudice à hauteur de 1.500 euros, soit 450 euros après application de la réduction du droit à indemnisation.

Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.

La victime souffrant d’un déficit fonctionnel permanent évalué à 19 % par l’expert compte-tenu des séquelles relevées et étant âgée de 56 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué la somme de 35.910 euros, soit 10.773 euros après application de la réduction du droit à indemnisation.

Préjudice esthétique permanent
Côté à 1,5/7 en raison des éléments cicatriciels, il sera évalué à hauteur de 3.000 euros. Il sera alloué à Monsieur [P] la somme de 900 euros après application de la réduction du droit à indemnisation.

Préjudice d'agrément
Ce préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice spécifique “lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs”.
La jurisprudence des cours d'appel ne limite pas l’indemnisation du préjudice d’agrément à l’impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs exercée antérieurement à l’accident.
Elle indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités.

Monsieur [P] sollicite la somme de 5.000 euros pour ce poste de préjudice.

La société BPCE s’oppose à la demande faisant valoir que le demandeur n’indique pas quelles activités il pratiquait avant l’accident et n’a formulé aucune doléance à ce titre pendant l’expertise.

L’expert a retenu une gêne pour certains sports sollicitant les membres inférieurs. Cependant, Monsieur [P] ne se prévaut d’aucune pratique sportive antérieure et ne produit aucun justificatif en ce sens.

Dès lors, aucun préjudice d’agrément n’est démontré. La demande sera rejetée.

Sur le doublement des intérêts

Aux termes de l'article L 211-9 du code des assurances, : “ Quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n'est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d'indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n'est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n'a pas été entièrement quantifié, l'assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande.
Une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident. En cas de décès de la victime, l'offre est faite à ses héritiers et, s'il y a lieu, à son conjoint. L'offre comprend alors tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable.
Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. L'offre définitive d'indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.
En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s'applique.
En cas de pluralité de véhicules, et s'il y a plusieurs assureurs, l'offre est faite par l'assureur mandaté par les autres.”

A défaut d'offre dans les délais impartis par l'article L 211-9 du code des assurances, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge, produit, en vertu de l'article L 211-13 du même code, des intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.

Le Docteur [C] a rédigé son rapport définitif le 19 janvier 2021. En prenant en compte un délai de 20 jours pour l’envoi de ce rapport (article R 211-44 du code des assurances), l’assureur devait donc présenter une offre définitive avant le 8 juillet 2021.

Il est versé au débat une offre en date du 30 juin 2021. Elle a donc été formulée dans les délais.
Elle est complète puisqu’elle reprend une proposition pour tous les postes de préjudice retenus par l’expert. A cet égard, il convient de relever que certains postes sont réservés ce qui ne peut être considéré comme fautif car il est demandé à Monsieur [P] de produire les justificatifs correspondant.
Elle n’est pas manifestement dérisoire puisque les sommes proposées ne sont pas inférieures au tiers des sommes allouées par le tribunal.
Par conséquent, la demande de doublement des intérêts sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Dans la mesure où l’assureur ne justifie pas du versement des provisions et où Monsieur [P] ne déduit que la somme de 6.500 euros de ses demandes, le jugement sera prononcé en deniers ou quittances, provisions non déduites.

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la société BPCE, succombante, sera condamnée aux entiers dépens de la présente procédure.

Monsieur [P] ayant été contraint d’exposer des frais pour obtenir la reconnaissance de ses droits, il est équitable de condamner la société [P] à lui payer la somme de 1.800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

DIT que le droit à indemnisation de Monsieur [W] [P] est réduit de 70 % ;

CONDAMNE la société BPCE ASSURANCES à payer à Monsieur [W] [P] les sommes suivantes, tenant compte de la réduction du droit à indemnisation, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, en réparation des préjudices suivants :

- 1.260 euros au titre des frais d’assistance à expertise
- 3.722, 57 euros au titre de l’assistance par tierce personne avant consolidation
- 5.764, 80 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels
- 3.000 euros au titre de l’incidence professionnelle
- 2.136, 38 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 2.700 euros au titre des souffrances endurées
- 450 euros au titre du préjudice esthétique temporaire
- 10.773 euros au titre du déficit fonctionnel permanent
- 900 euros au titre du préjudice esthétique permanent

REJETTE les demandes au titre de la perte de gains professionnels futurs et du préjudice d’agrément ;

REJETTE la demande de doublement des intérêts ;

DIT le présent jugement commun à la CPAM du Puy de Dôme ;

CONDAMNE la société BPCE ASSURANCES à payer à Monsieur [W] [P] la somme de 1.800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire ;

CONDAMNE la société BPCE ASSURANCES aux dépens ;

DÉBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

AINSI JUGE ET PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA DEUXIEME CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE
11 MARS 2024

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 2ème chambre cab2
Numéro d'arrêt : 22/01378
Date de la décision : 11/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-11;22.01378 ?
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