TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 10 cab 10 H
N° RG 22/01587 - N° Portalis DB2H-W-B7G-WSS6
Notifiée le :
Grosse et copie à :
Me Agnès DERDERIAN - 235
Me Roxane DIMIER de la SELARL DPG - 1037
ORDONNANCE
Le 12 août 2024
ENTRE :
DEMANDERESSE
S.C.I. JEAN SANS TERRE
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 2] - [Localité 5]
représentée par Maître Agnès DERDERIAN, avocat au barreau de LYON
ET :
DEFENDERESSE
S.A.S. REGIE GINDRE
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1] - [Localité 3]
représentée par Maître Roxane DIMIER de la SELARL DPG, avocats au barreau de LYON
Vu la procédure engagée par la SCI JEAN SANS TERRE contre la société REGIE GINDRE, par acte d’huissier en date du 21 février 2022 et tendant au prononcé de la nullité du mandat signé le 17 avril 2007 par Madame [U] à son égard, à la condamnation de la société REGIE GINDRE à lui rembourser les rémunérations indument perçues de 2015 à 2019, ainsi que différentes sommes débitées de son compte copropriétaire ;
Vu les conclusions d’incident notifiées le 29 novembre 2023 et le 25 mai 2024 par la société REGIE GINDRE ; vu les conclusions en réponse notifiées le 25 janvier 2024 par la SCI JEAN SANS TERRE ;
Après avoir entendu les avocats des parties à l’audience du 03 juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 12 août 2024 ;
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société REGIE GINDRE demande au juge de la mise en état de :
- déclarer les demandes de la SCI JEAN SANS TERRE portant sur la période antérieure au 1er juin 2018 irrecevables pour défaut de qualité et d’intérêt à agir, et en tant que de besoin comme prescrites depuis le 21 février 2017,
- débouter la SCI JEAN SANS TERRE de l’ensemble de ses demandes comme injustifiées et non fondées,
- condamner la SCI JEAN SANS TERRE à lui payer une indemnité de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Elle expose que :
- Monsieur [M] [U] et Madame [Y] [U] étaient propriétaires d’un immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5], édifié sur un terrain des Hospices Civils et faisant l’objet d’un bail emphytéotique courant jusqu’au 30 juin 2003,
- au décès de Monsieur [M] [U] survenu en 1995, Madame [Y] [U] est devenue usufruitière de l’immeuble, les six enfants du couple étant nus-propriétaires,
- les six enfants du couple ont constitué la SCI JEAN SANS TERRE en 2002, laquelle a acquis des Hospices Civils, le 27 décembre 2002, le terrain sur lequel est édifié l’immeuble,
- suivant mandat de gestion en date du 20 janvier 2003, Madame [Y] [U] lui a confié la gestion des onze lots principaux de l’immeuble, comprenant deux lots commerciaux,
- un avenant au mandat a été régularisé le 17 avril 2007 par Madame [Y] [U],
- après le décès de Madame [Y] [U] le 23 mars 2017, le fils Monsieur [M]-[O] [U] lui a donné pour instruction de poursuivre la gestion de l’immeuble,
- en 2018 les consorts [U] ont transféré leurs droits sur l’immeuble à la SCI JEAN SANS TERRE, ce qui a nécessité une actualisation de ses statuts le 7 février 2018,
- le 1er juin 2018, la SCI JEAN SANS TERRE a régularisé à son tour un mandat de gestion,
- les relations entre les parties se sont détériorées, la conduisant à dénoncer le mandat à effet au 31 décembre 2019.
Sur la fin de non recevoir tirée de l’absence d’intérêt et de qualité à agir, elle soutient que:
- la SCI JEAN SANS TERRE n’a racheté en 2002 que le seul terrain des Hospices Civils de [4], mais l’immeuble édifié sur ce terrain est demeuré la propriété des enfants [U], nus-propriétaires, et de Madame [Y] [U], usufruitière,
- l’échéance du bail emphytéotique aurait dû donner lieu à une éviction et une indemnisation des propriétaires de l’immeuble au titre des accords SUDREAU-PRADEL, à défaut la vente du terrain n’a pas dépossédé Madame [Y] [U] de son droit d’usufruit,
- la SCI JEAN SANS TERRE n’est devenue propriétaire de l’immeuble qu’en 2018 du fait de l’apport des droits de propriété des héritiers, et la ratification d’un nouveau mandat de gestion par la SCI vaut ratification de la gestion antérieure,
- la SCI n’a donc ni qualité ni intérêt à agir au titre de la gestion allant du 20 janvier 2003, date du mandat confié par Madame [Y] [U], jusqu’au 23 mars 2017, date du décès de celle-ci, pas plus qu’elle n’a intérêt et qualité à agir au titre de la gestion poursuivie pour le compte de l’indivision successorale entre le 24 mars 2017 et le 31 mai 2018, la SCI JEAN SANS TERRE, qui n’était alors pas propriétaire de l’immeuble, ne pouvant être considérée comme venant aux droits de Madame [Y] [U],
- la SCI JEAN SANS TERRE ne peut pas plus solliciter la nullité du mandat signé le 17 avril 2007 par Madame [Y] [U],
- la SCI JEAN SANS TERRE ne peut solliciter le remboursement de sommes versées par une tierce personne aux droits de laquelle elle ne se trouve pas, quand bien même il serait retenu qu’elle est propriétaire du bien depuis 2002.
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription, elle fait valoir que :
- l’assignation ayant été délivrée le 21 février 2022 et les demandes de remboursement étant soumises à la prescription quinquennale, toute demande portant sur des sommes versées antérieurement au 21 février 2017 se heurte à la prescription,
- la demande en nullité du mandat est également prescrite depuis le 17 avril 2012.
En réponse, la SCI JEAN SANS TERRE demande au juge de la mise en état de :
- juger qu’elle a qualité et intérêt pour agir pour la période antérieure au 1er juin 2018,
- juger ses demandes antérieures au 1er juin 2018 recevables,
- juger prescrites ses demandes antérieures au 21 février 2017,
- débouter la société REGIE GINDRE de toutes ses demandes et prétentions contraires,
- réserver les dépens.
Elle expose que :
- suite à l’acquisition par ses soins du terrain sur lequel était bâti l’immeuble du [Adresse 2], elle est devenue, à l’expiration du bail consenti en son temps par les [4] à Monsieur [M] [U], pleinement propriétaire de la totalité de cet immeuble, en application de l’article 552 du Code civil, et l’usufruit de Madame [U] s’est éteint,
- c’est à tort que la Régie GINDRE a continué à faire signer à Madame [U] des mandats de gestion alors qu’elle n’avait plus de droits sur l’immeuble,
- c’est en ce sens que le 18 février 2010, ses associés ont chacun signé le pouvoir spécial sollicité par la société REGIE GINDRE aux fins de négocier le montant des nouveaux loyers des locaux commerciaux, ce qui établit qu’elle était bien concernée par la gestion de l’immeuble, et justifie de son intérêt et de sa qualité à agir,
- le tribunal tirera les conséquences de l’application des dispositions de l’article 2224 du Code civil.
MOTIFS DE LA DECISION
En application de l’article 789 du Code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.
Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état.
Sur le droit d’agir
En application de l’article 31 du Code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En l’espèce, la SCI JEAN SANS TERRE invoque sa qualité de propriétaire de l’immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5] pour contester la validité du mandat de gestion conclu le 07 avril 2007 par la Régie GINDRE avec Madame [Y] [U], qui n’avait plus de droits sur l’immeuble, ainsi que pour solliciter la restitution des rémunérations perçues par la régie au titre de l’exécution de ce mandat, ainsi que de la poursuite de ce mandat sans contrat écrit postérieurement au décès de Madame [Y] [U]. Elle sollicite en outre le remboursement de certains frais perçus ou répercutés sur le compte de gestion depuis 2017.
Il est constant que Monsieur [M] [U] a conclu le 18 décembre 1987 avec les Hospices Civils de [4] un bail emphytéotique portant sur la parcelle de terrain sise [Adresse 2] à [Localité 5], d’une durée de dix-huit années à compter du 1er juillet 1985, qui est arrivé à terme le 30 juin 2003, sans renouvellement.
Par acte authentique du 27 septembre 2002, la SCI JEAN SANS TERRE, alors représentée par Madame [Y] [U], a acquis des Hospices Civils de [4] la parcelle de terrain susvisée.
En application de l’article 555 du Code civil, la propriété du sol emporte la propriété des constructions qui y sont édifiées.
Selon l’article L 451-10 du Code rural et de la pêche maritime, l'emphytéote profite du droit d'accession pendant la durée de l'emphytéose. Selon l’article L 451-7 alinéa 2 du même code, si le preneur fait des améliorations ou des constructions qui augmentent la valeur du fonds, il ne peut les détruire, ni réclamer à cet égard aucune indemnité.
Il ressort de ces dispositions que si Monsieur [M] [U], et après son décès son épouse [Y] [U] en qualité d’usufruitière, et ses enfants en qualité de nus-propriétaires, sont demeurés titulaires d’un droit réel sur l’immeuble édifié sur la parcelle objet du bail pendant la durée de celui-ci, ils ont perdu ce droit à l’expiration du bail, soit le 30 juin 2003. La SCI JEAN SANS TERRE, propriétaire du terrain, est ainsi devenue pleinement propriétaire de l’immeuble qui y était édifié, indépendamment du paiement d’une éventuelle indemnité dont l’exigibilité n’est pas établie.
La SCI JEAN SANS TERRE justifie donc bien de sa qualité de propriétaire de l’immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5], depuis le 30 juin 2003.
Dans le dernier état de ses conclusions au fond, la SCI JEAN SANS TERRE fonde sa demande en nullité du mandat du 17 avril 2007 sur le défaut de signature des indivisaires nus-propriétaires. Il s’en déduit qu’elle entend invoquer un motif de nullité absolue.
Le droit d'invoquer une nullité absolue est ouvert à toute personne qui y a un intérêt, ce qui est le cas du propriétaire du bien objet du contrat.
La SCI JEAN SANS TERRE fonde par ailleurs ses demandes en restitution et remboursement sur la répétition de l’indu. Elle dispose d’un intérêt à solliciter la restitution des sommes qui ont été portées en débit du compte de gestion du bien lui appartenant. Le moyen tiré du versement des fonds par une tierce personne aux droits de laquelle elle ne se trouve pas constitue un moyen de défense au fond sans incidence sur la recevabilité de la demande.
La fin de non recevoir tirée du défaut de droit d’agir de la SCI JEAN SANS TERRE sera donc rejetée.
Sur la prescription
La SCI JEAN SANS TERRE ne conteste pas la prescription de ses demandes en remboursement des sommes inscrites en débit plus de cinq ans avant la délivrance de l’assignation, soit avant le 21 février 2017.
S’agissant de la demande en nullité du mandat conclu le 17 avril 2007, cette action est soumise, depuis la loi du 17 juin 2008, à un délai de prescription de cinq ans qui court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En l’espèce il n’est pas contesté que la SCI JEAN SANS TERRE était en mesure de connaitre l’étendue de ses droits dès la fin du bail emphytéotique, et a eu connaissance du contrat litigieux dès sa conclusion en 2007. La demande en nullité formée aux termes d’une assignation délivrée le 21 février 2022 est donc prescrite.
Sur les frais de l’incident et du procès
La SCI JEAN SANS TERRE supportera les dépens du présent incident.
En équité, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Nous, Juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Disons que la SCI JEAN SANS TERRE justifie de sa qualité de propriétaire de l’immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5], depuis le 30 juin 2003,
Rejetons la fin de non recevoir tirée du défaut de droit d’agir de la SCI JEAN SANS TERRE,
Déclarons irrecevables pour prescription les demandes de remboursement des sommes inscrites en débit du compte propriétaire avant le 21 février 2017,
Déclarons irrecevable pour prescription la demande en nullité du mandat signé le 17 avril 2007 entre Madame [Y] [U] et la société REGIE GINDRE,
Condamnons la SCI JEAN SANS TERRE aux dépens de l’incident,
Disons que chaque partie conservera la charge de ses propres frais irrépétibles exposés au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
Renvoyons l’affaire à l’audience de mise en état du 04 novembre 2024 pour conclusions au fond de Maître DERDERIAN, avec injonction ;
Rappelons que les conclusions et messages notifiés par RPVA dervront l’être au plus tard le 30 octobre 2024 à minuit, ce à peine de rejet.
En foi de quoi la présente ordonnance a été signée par la Juge de la mise en état, Cécile WOESSNER, et la Greffière, Jessica BOSCO BUFFART.
LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ETAT