TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 10 cab 10 J
N° RG 21/05709 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WAJF
Jugement du 08 août 2024
Notifié le :
Grosse et copie à :
Me Lorraine LERAT - 1223
la SELARL TESSARES AVOCATS - 911
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 08 août 2024 devant la Chambre 10 cab 10 J le jugement contradictoire suivant,
Après que l’instruction eut été clôturée le 22 mai 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 21 décembre 2023 devant :
François LE CLEC’H, Président,
siégeant en formation Juge Unique,
Assisté de Jessica BOSCO BUFFART, Greffier,
Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :
DEMANDERESSE
S.C.I. M011
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Maître Julie HAZART de la SELARL TESSARES AVOCATS, avocats au barreau de LYON, et Maître Hervé RENOUX de la SELAFA ACD AVOCATS, avocats au barreau de METZ
DEFENDERESSE
S.A.S. POLTRONESOFA FRANCE
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Maître Lorraine LERAT, avocat au barreau de LYON, et Maître Stéphane INGOLD de la SELARL RETAIL PLACES, avocats au barreau de PARIS
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 26 mars 1999, la SA 4 MURS, aux droits de laquelle vient désormais la SCI M011, a donné à bail à la SA LOGICONFORT des locaux commerciaux sis [Adresse 1] à [Localité 4].
Par acte sous seing privé du 2 décembre 2009, la SA SAIC VELCOREX CONCORD a acquis le fonds de commerce exploité dans ces locaux et le droit au bail de ces locaux commerciaux.
Par acte authentique du 24 juin 2010, la SAS POLTRONESOFA France a acquis ce fonds de commerce et ce droit au bail.
Le bail poursuivi à la suite de cette acquisition arrivant à expiration, la SCI M011 et la SAS POLTRONESOFA France, par acte sous seing privé du 1er juillet 2011, l’ont renouvelé pour une durée de neuf ans commençant à courir à compter du 1er juillet 2011 pour se terminer le 30 juin 2020.
Le 24 juin 2016, à la suite d’un orage de grêle, les locaux commerciaux ont subi des infiltrations.
En septembre 2016, la société BUREAU VERITAS est intervenue pour un repérage d’amiante et a rendu trois rapports, l’un en date du 7 septembre 2016 et les deux autres en date du 12 septembre 2016, dans lesquels elle fait état de la présence d’amiante dans les éléments de couverture.
Le 15 juin 2019, les locaux commerciaux ont été à nouveau frappés par des infiltrations.
Se prévalant de ces sinistres, de la présence d’amiante ainsi que d’infiltrations récurrentes au sein des locaux commerciaux, la SAS POLTRONESOFA France a, par acte d’huissier de justice du 23 juillet 2019 puis du 19 août 2019, assigné la SCI M011 devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon aux fins de :
prononcer aux torts exclusifs de la requise la résiliation judiciaire du bail liant les parties ; la condamner à verser les sommes provisionnelles de 127 859 euros en réparation de son trouble d’exploitation et de 450 000 euros en réparation de la perte de chance de céder son fonds de commerce, sauf à parfaire ; à titre subsidiaire, à défaut de résiliation du bail, l’autoriser à ne pas régler les loyers ; désigner un expert et en ce cas suspendre le paiement des loyers ; la condamner à verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Parallèlement, par acte d’huissier en date du 18 décembre 2019, la SAS POLTRONESOFA France a fait délivrer à la SCI M011 un congé avec effet au 30 juin 2020.
Par ordonnance en date du 6 avril 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon a :
ordonné une expertise ; commis pour y procéder Monsieur [L] [U] ; dit que la société POLTRONESOFA France consignera la somme de 3000 euros à valoir sur les frais d’expertise avant le 30 juin 2020 ; débouté les parties du surplus de leurs demandes, en ce compris la demande de consignation des loyers présentée par la société POLTRONESOFA France, les demandes reconventionnelles de la SCI M011 (demandes de condamnations provisionnelles pour notamment des loyers impayés et les travaux d’entretien de la toiture) et les demandes de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; laissé les dépens de l’instance à la charge de la société POLTRONESOFA.
Le rapport d’expertise a été rendu le 26 mars 2021.
Par acte d’huissier en date du 29 juillet 2021, la SCI M011 a assigné la SAS POLTRONESOFA France devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins de :
déclarer ses demandes recevables et bien fondées ;
en conséquence ;
condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011025 du 1er juin 2019 correspondant au loyer du 3ème trimestre 2019 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 7 juin 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011026 du 2 septembre 2019 correspondant au loyer du 4ème trimestre 2019 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 1er octobre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011027 du 2 décembre 2019 correspondant au loyer du 1er trimestre 2020 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 1er novembre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011028 du 2 mars 2020 correspondant au loyer du 2ème trimestre 2020 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 1er avril 2020 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 160 euros au titre des frais de recouvrement ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 44 435,80 euros au titre de la perte de loyer pour le 3ème trimestre 2020 avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 29 623,87 euros au titre de la perte de loyer pour le 4ème trimestre 2020 avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 3402,86 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date du paiement de la facture, soit le 4 septembre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 1053,49 euros au titre de la facture du 25 juillet 2019 avec les intérêts au taux légal à compter de son paiement le 4 septembre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 52 110,83 euros au titre de la facture du 29 octobre 2019 avec les intérêts au taux légal à compter de son paiement le 19 décembre 2019 ; ordonner la capitalisation des intérêts qui auront couru une année entière par l’effet de l’anatocisme ; condamner la société POLTRONESOFA France à payer à la SCI M011 la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ; condamner la société POLTRONESOFA France aux dépens, qui comprendront notamment les frais d’expertise et l’intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d’huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement et d’encaissement à la charge du créancier.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 9 mai 2022, la SCI M011 demande au tribunal de :
déclarer ses demandes recevables et bien fondées ; en conséquence ;
condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011025 du 1er juin 2019 correspondant au loyer du 3ème trimestre 2019 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 7 juin 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011026 du 2 septembre 2019 correspondant au loyer du 4ème trimestre 2019 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 1er octobre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011027 du 2 décembre 2019 correspondant au loyer du 1er trimestre 2020 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 1er novembre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011028 du 2 mars 2020 correspondant au loyer du 2ème trimestre 2020 avec les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage à compter du 1er avril 2020 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 160 euros au titre des frais de recouvrement ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 44 435,80 euros au titre de la perte de loyer pour le 3ème trimestre 2020 avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 29 623,87 euros au titre de la perte de loyer pour le 4ème trimestre 2020 avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 3402,86 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la date du paiement de la facture, soit le 4 septembre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 1053,49 euros au titre de la facture du 25 juillet 2019 avec les intérêts au taux légal à compter de son paiement le 4 septembre 2019 ; condamner la société POLTRONESOFA France à lui payer la somme de 52 110,83 euros au titre de la facture du 29 octobre 2019 avec les intérêts au taux légal à compter de son paiement le 19 décembre 2019 ; ordonner la capitalisation des intérêts qui auront couru une année entière par l’effet de l’anatocisme ; condamner la société POLTRONESOFA France à payer à la SCI M011 la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; débouter la société POLTRONESOFA France de l’ensemble de ses fins, moyens et prétentions reconventionnelles ; ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ; condamner la société POLTRONESOFA France aux dépens, qui comprendront notamment les frais d’expertise et l’intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d’huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement et d’encaissement à la charge du créancier.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 octobre 2022, la SAS POLTRONESOFA France demande au tribunal de :
débouter la SCI M011 de toutes ses demandes dirigées à l’encontre de la société POLTRONESOFA France ; accueillir et juger les demandes de la société POLTRONESOFA France recevables et bien fondées ; en conséquence ;
à titre principal : constater que la SCI M011 a gravement manqué à son obligation de délivrance ainsi qu’à son obligation d’accomplir les travaux relevant de l’article 606 du code civil et de la vétusté généralisée de la couverture ; constater que la couverture présentait un état généralisé de vétusté ; constater que la couverture présentait un score amiante AC2, imposant des mesures de sécurité urgente, le 23 mai 2019, date à laquelle la société POLTRONESOFA France a mis en demeure la société M011 de respecter ses obligations contractuelles sous peine de résiliation judiciaire du bail commercial ;
constater que les manquements du bailleur ont causé à la société POLTRONESOFA France des troubles de jouissance et sinistres ; constater que la SCI M011 ne s’est pas exécutée dans le délai d’un mois de cette mise en demeure du 23 mai 2019 ; constater que la société POLTRONESOFA France n’était pas tenue des réparations locatives occasionnées par la vétusté et que, dès lors, elle n’a commis aucun manquement à son obligation d’entretien, le rédacteur du bail n’ayant pas dérogé à l’article 1755 du code civil ; résilier le bail commercial du 1er juillet 2011, à effet au 23 juin 2019, date correspondant à l’expiration du délai qui avait été fixé à la SCI M011 pour assurer son obligation de délivrance et faire cesser les troubles de jouissance subis par la société POLTRONESOFA ;condamner la SCI M011 à payer les sommes suivantes à la société POLTRONESOFA France à titre de dommages et intérêts : au titre des sinistres des 25 juin 2016 et 15 juin 2019, la somme de 55 334 euros comprenant 54 834 euros au titre de la perte de chiffre d’affaires et 500 euros à parfaire au titre des réparations à effectuer ; au titre des pertes d’exploitation, les sommes suivantes : 100 000 euros à parfaire pour l’exercice 2016 ; 100 000 euros à parfaire pour l’exercice 2017 ; 174 341 euros pour l’exercice 2018 ; 244 364 euros pour l’exercice ; au titre de son éviction, la somme de 1 478 000 euros se décomposant comme suit : 630 000 euros au titre de la perte du droit au bail ; 64 600 euros au titre des frais de remploi ; 497 261 euros au titre des frais de réinstallation ; 200 061 euros au titre du trouble commercial subi ; 55 110 euros au titre des frais de double loyer ; 20 936 euros au titre des frais de marketing de communication ; 7000 euros à parfaire au titre des frais juridiques ; 3000 euros au titre des frais divers, greffe ; au titre du remboursement des loyers indument payés par la société POLTRONESOFA France depuis le 12 juin 2016, la somme de 644 929,43 euros ; condamner la SCI M011 au paiement d’une somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, pour procédure abusive ; débouter la SCI M011 de toutes ses demandes dirigées contre la société POLTRONESOFA France, notamment au titre du remboursement du coût de certains travaux ; à titre subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal devait considérer que des sommes pourraient être dues à la société M011, ordonner la compensation des sommes qui pourraient être dues par la société POLTRONESOFA France et des sommes qui lui sont dues par la société M011 ; en tout état de cause, condamner la société M011 au paiement des honoraires et frais de l’expert judiciaire, des entiers dépens de l’instance distraits au profit de Me LERAT et d’une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 22 mai 2023, le juge de la mise en état a clôturé la procédure à cette date et fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 21 décembre 2023. L'affaire a été mise en délibéré au 28 mars 2024. Le délibéré a été prorogé au 13 juin 2024, puis au 11 juillet 2024, puis au 22 août 2024 et finalement avancé au 08 août 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes de la société POLTRONESOFA France
Sur les manquements de la bailleresse
En vertu de l'article 1719 du code civil, le bailleur est soumis, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, à une obligation de délivrance, c'est-à-dire délivrer un local conforme à sa destination contractuelle, obligation qui lui incombe tout au long de l'exécution du contrat. Il s’agit d’une obligation de résultat.
Il est à souligner que la clause suivant laquelle le preneur prend les lieux loués en l'état ne dispense pas le bailleur de son obligation de délivrance.
Également, une clause transférant la charge des travaux d’entretien et de réfection au locataire ne dispense pas le bailleur de son obligation de délivrance, en particulier s’agissant du désamiantage.
L’article 1755 du même code énonce qu’« aucune des réparations réputées locatives n’est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure ».
Il est constant que le locataire n’est tenu des réparations locatives occasionnées par la vétusté qu’en présence d’une stipulation expresse du bail les mettant à sa charge. En l’absence d’une telle clause expresse, ces réparations restent assumées par le bailleur. Ainsi, la stipulation faisant supporter au bailleur les seules réparations visées par l'article 606 du code civil ne peut être considérée comme une clause expresse de transfert de la charge de la vétusté et n'exonère donc pas le bailleur des travaux liés à celle-ci.
Suivant l’article 605, les grosses réparations sont supportées par le bailleur.
L’article 606 dispose :
« Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières.
Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier.
Toutes les autres réparations sont d'entretien. »
Il résulte de ces dispositions qu’un remplacement complet d’une toiture fait partie de la catégorie des grosses réparations. Le traitement de l’amiante contenue dans une toiture constitue aussi une grosse réparation.
En l’espèce, d’une part, il ressort du rapport d’expertise judiciaire que l’ensemble de la toiture, aussi bien les parties de celle-ci sur lesquelles il n’a pas été effectué de travaux à la suite de l’assignation en référé que celles en ayant fait l’objet (travaux de réparation de la société ATTILA réalisés en octobre 2019 qui ont porté sur certains pans de la toiture mais qui n’ont pas consisté en un remplacement total de celle-ci), contient de l’amiante dégradée de niveau AC1, l’expert soulignant que, pour les parties de la toiture objet des travaux de la société ATTILA, ces derniers n’ont effectivement pas permis de supprimer cette amiante de niveau AC1. A propos de ce niveau, suivant le rapport, il implique l’obligation de prendre des mesures correctives de niveau 1 à court terme car, s’il n’y a pas de dégradation immédiate pouvant générer un risque, ledit risque existe en revanche bel et bien à court terme.
En outre, l’expert, après analyse des rapports de la société BUREAU VERITAS de septembre 2016, n’a pas remis en cause les conclusions de celle-ci suivant lesquelles la toiture présentait de l’amiante dégradée de niveau AC2, supérieur à celui détecté par le sapiteur de Monsieur [U]. L’expert explique que ce niveau signifiait la prise de mesures conservatoires pour limiter les risques de dispersion des fibres, faire une analyse des risques et mettre en œuvre des mesures de protection et de retrait.
En conséquence, en fournissant un bien avec de l’amiante dans l’ensemble de la toiture, la SCI M011 a commis un manquement à son obligation de délivrance et, ainsi qu’il a été vu ci-dessus, la bailleresse ne peut se retrancher ni derrière la clause suivant laquelle le preneur prend les lieux loués en l'état, ni derrière celle transférant la charge des travaux d’entretien et de réfection au locataire.
D’autre part, suivant l’expertise, il est à relever que la SAS POLTRONESOFA France a subi des infiltrations récurrentes en raison de la vétusté de la couverture, l’expert mettant en exergue le caractère général de cette vétusté. L’expert indique que les travaux de la société ATTILA ont permis de mettre fin aux infiltrations car ils ont porté sur les parties les plus dégradées de la toiture, mais que, s’ils traitent la problématique de ces infiltrations dans l’immédiat, ils sont insuffisants à court terme pour que les locaux répondent à leur destination compte tenu de la vétusté générale de la couverture et du caractère évolutif des dégradations l’affectant, et que seul un changement total de la toiture constitue une solution pérenne.
A propos des parties de la toiture n’ayant pas été concernées par les travaux de la société ATTILA, l’expert souligne que, si elles remplissent encore leur fonction d’étanchéité, elles sont vétustes, que des surfaces de dégradations disséminées de type orifices vont apparaître et causer des infiltrations à l’identique de celles subies par les parties de la toiture objet des travaux de la société ATTILA, que ces parties de toiture sont ainsi en fin de vie et qu’elles doivent être remplacées.
Par conséquent, la toiture est frappée d’une vétusté généralisée qui a été à l’origine d’infiltrations que les travaux de la société ATTILA ont pu stopper dans l’immédiat en traitant les pans de toiture les plus dégradés, mais qui causera de nouvelles infiltrations sans remplacement complet de la couverture.
La société M011 a donc donné à bail à la société POLTRONESOFA des locaux commerciaux dont l’ensemble de la couverture est vétuste en plus d’être amiantée. Et il revient à la bailleresse d’assumer les conséquences de cette vétusté en vertu de l’article 1755 du code civil, aucune clause du bail ne prévoyant expressément que les réparations locatives occasionnées par la vétusté seront à la charge de la preneuse, étant signalé que la stipulation prévoyant que le preneur ne pourra exiger du bailleur « aucune mise en état ni aucune réparation de quelque nature ou importance que ce soit, sauf les grosses réparations telles que prévues à l’article 606 du code civil et le cas échéant les travaux de ravalement » ne peut constituer une telle clause.
Un nouveau manquement à l’obligation de délivrance est donc caractérisé.
Il est à indiquer qu’au même titre que l’amiante, la bailleresse ne peut valablement invoquer la clause suivant laquelle le preneur prend les lieux loués en l'état.
Par ailleurs, étant donné qu’il est question d’une présence d’amiante et d’une vétusté avérées pour l’ensemble de la toiture, la SCI M011 ne peut pas affirmer qu’il n’y avait aucune défaillance de la toiture à la date de signature du bail le 1er juillet 2011. La vétusté et l’amiante existaient nécessairement antérieurement à cette signature, mais elles n’avaient pas été détectées. La SAS POLTRONESOFA est profane dans le domaine du bâtiment et ne dispose partant d’aucune compétence technique particulière pour détecter la vétusté et encore moins l’amiante.
Le moyen tiré du défaut d’entretien ne peut pas non plus prospérer, la vétusté et la présence d’amiante affectant la toiture ne pouvant avoir pour cause un défaut d’entretien. L’expert fait d’ailleurs uniquement état d’un mauvais entretien pour le sinistre du 15 juin 2019 en indiquant que la suppression de la mousse aurait évité le bouchage et l’engorgement des évacuations d’eaux de pluie (gouttières et descentes d’eau), tout en précisant bien que la mousse n’a que peu d’incidence sur l’état général de la couverture. La question d’un mauvais entretien qui serait éventuellement imputable à la SAS POLTRONESOFA concerne donc seulement ce sinistre ponctuel.
Sur le sinistre du 24 juin 2016 provoqué par l’orage de grêle, il ressort du rapport d’expertise judiciaire que la vétusté de la toiture est distinguée des conséquences de l’orage de grêle sur celle-ci. L’expert a bien pris en compte cet aspect et retient sans équivoque une vétusté générale de la toiture indépendamment des dégâts causés par la grêle. Les infiltrations liées à l’orage de grêle sont identifiées comme un désordre ponctuel tandis que celles liées à la vétusté sont identifiées comme un désordre récurrent. L’orage de grêle a affecté de manière ponctuelle l’étanchéité du toit, et la vétusté de manière récurrente.
Quant à l’amiante, il est bien évident qu’un orage de grêle est sans rapport aucun avec l’état amianté de la couverture.
Dès lors, le moyen de la demanderesse tiré du lien entre l’orage de grêle de juin 2016 et le constat par la société VERITAS en septembre 2016 de l’état généralisé de dégradation de la toiture ne peut qu’être écarté.
A propos de la solution réparatoire, suivant le rapport d’expertise, le seul moyen de mettre fin à la vétusté du toit et à la présence d’amiante dans celui-ci est de procéder à son remplacement complet. Comme cela a déjà été exposé, sans ce changement total, la vétusté de la toiture va finir par entraîner de nouvelles infiltrations. Quant à l’amiante, toute la couverture en contient, y compris les parties sur lesquelles les travaux de la société ATTILA ont porté puisque ces derniers n’ont pas permis de la supprimer.
Eu égard aux développements précédents sur l’amiante et la vétusté, il peut déjà être dit que ces travaux sont à la charge de la SCI M011.
De surcroît, s’agissant d’un remplacement complet de la toiture, les travaux consistent donc en des grosses réparations au sens de l’article 606 du code civil.
Ces travaux, en application de l’article 605 du même code, sont dès lors en principe à la charge du bailleur.
Etant donné que le bail a été renouvelé le 1er juillet 2011, soit antérieurement à la loi Pinel du 18 juin 2014, et qu’il n’a connu aucun renouvellement postérieurement à celle-ci, l’interdiction issue de cette loi de mettre contractuellement à la charge du preneur les grosses réparations ne s’applique pas au présent bail, ce qui implique que les parties avaient la possibilité de les faire peser sur le preneur par une clause du bail. Néanmoins, ce n’est pas le cas en l’occurrence puisqu’il est bien stipulé que le preneur ne pourra exiger du bailleur « aucune mise en état ni aucune réparation de quelque nature ou importance que ce soit, sauf les grosses réparations telles que prévues à l’article 606 du code civil et le cas échéant les travaux de ravalement ».
Ces travaux sont les seuls permettant de mettre fin aux désordres et ils auraient dû être mis en œuvre par la bailleresse dès qu’elle a eu connaissance de l’état de la toiture.
A cet égard, comme le relève l’expert, la SCI M011 a connu cet état à compter des rapports de la société BUREAU VERITAS de septembre 2016, l’expert rappelant en réponse au dire de la demanderesse que la problématique vétusté et la problématique amiante sont liées.
La SCI M011, ainsi que le mentionne l’expert, a également fait un mauvais choix technique de travaux de réparation en retenant la solution a minima proposée par la société ATTILA sans avoir consulté au préalable un maître d’œuvre professionnel ou d’autres entreprises susceptibles de lui proposer une solution globale.
Au jour de la rédaction du rapport cette solution globale de remplacement complet de la toiture a finalement été mise en œuvre par la SCI M011, l’expert notant en plus qu’elle se relève proportionnellement moins onéreuse que des réparations.
Ainsi, la SCI M011 a tardé à mettre en œuvre les travaux de réfection de la toiture et a d’abord, par un mauvais choix technique, fait procéder à des travaux inadéquats avant de mettre en œuvre la solution idoine.
La SCI M011 ne peut en conséquence valablement reprocher une quelconque inertie à la SAS POLTRONESOFA France pour la mise en œuvre des travaux de reprise.
Quant au débat sur les travaux à la suite de l’orage de grêle et leur insuffisance, il importe peu dès lors que la vétusté et la présence d’amiante, qui constituent les problématiques essentielles affectant la toiture, sont à assumer par la bailleresse, que, ainsi qu’il a été vu, l’état amianté et vétuste de la toiture est sans rapport avec le sinistre ponctuel qu’a été l’orage de grêle, et que les travaux de réfection relatifs à la vétusté et l’amiante sont distincts de ceux de réparation concernant l’orage de grêle tant par ce qui est traité par les travaux que par leur ampleur, ceux pour supprimer la vétusté et l’amiante étant sans commune mesure par rapport à ceux pour réparer les conséquences de l’orage de grêle.
En conclusion de tous ces développements, la SCI M011 a manqué à son obligation de délivrance eu égard à l’amiante contenue dans l’ensemble de la toiture des locaux commerciaux et à la vétusté généralisée affectant ladite toiture. Elle a tardé à faire réaliser les travaux de réfection de la toiture alors qu’elle a connaissance de l’état de celle-ci depuis les rapports de la société BUREAU VERITAS de septembre 2016, et elle a d’abord mis en œuvre des travaux inappropriés en octobre 2019 avant de recourir à la solution adéquate en 2021, à savoir le remplacement complet de la couverture.
Au sujet des deux sinistres ponctuels, à savoir les infiltrations du 24 juin 2016 et celles du 15 juin 2019, il est à indiquer, concernant le premier, et comme il a d’ailleurs déjà été vu plus haut, que la cause retenue est l’orage de grêle. L’expert ne fait état que de cette cause et n’indique à aucun moment que la vétusté a également eu un rôle causal dans la survenance des dégâts s’agissant de ce sinistre. La société POLTRONESOFA France, de son côté, ne développe pas d’autres moyens spécifiques relativement à ce sinistre.
Dans ces conditions, il n’y a pas de manquement qui puisse être imputé à la société M011 au titre de ce sinistre, étant en outre signalé qu’il a été indemnisé par l’assureur de la défenderesse.
A propos du sinistre du 15 juin 2019, suivant le rapport d’expertise, il a pour origine un engorgement des évacuations d’eau de pluie dû à un mauvais entretien de la couverture qui a entraîné la présence de mousse et le bouchage de ces évacuations.
Toutefois, comme le signale l’expert, il est question d’un entretien sur une couverture amiantée qui nécessite l’intervention d’entreprises spécialisées.
Dès lors, il ne peut être reproché à la SAS POLTRONESOFA France d’avoir mal entretenu le toit étant donné qu’elle a été mise dans l’impossibilité de le faire compte tenu de l’état amianté dudit toit qui l’a empêché d’effectuer un entretien classique, et qu’elle n’avait pas à assumer la charge d’un entretien par une entreprise spécialisée. En effet, le traitement de l’amiante étant du ressort de la bailleresse, il appartenait en conséquence à cette dernière soit de supprimer l’amiante de la toiture pour permettre à la preneuse d’entretenir le toit, soit, l’amiante que la locataire n’a pas la charge de traiter faisant obstacle à ce que ladite locataire puisse mettre en œuvre un entretien normal du toit, d’effectuer elle-même un entretien spécifiquement adapté à une couverture amiantée en recourant à une entreprise spécialisée dans un tel entretien.
Par conséquent, il convient de retenir pour ce sinistre du 15 juin 2019 un manquement de la SCI M011 à son obligation de délivrance, étant précisé que ce sinistre a été indemnisé par l’assureur de la locataire.
Sur la résiliation judiciaire du bail commercial
L'article 1184 du même code, dans sa version applicable au présent litige, dispose :
« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »
En application de ce texte, pour qu'une résiliation judiciaire soit prononcée, l'inexécution contractuelle invoquée doit constituer un manquement suffisamment grave, cette gravité suffisante étant appréciée souverainement par les juges du fond.
En l’espèce, il a été exposé ci-dessus que la SCI M011 a commis plusieurs manquements à son obligation de délivrance.
Cependant, il est à relever que la SAS POLTRONESOFA France ne s’est pas trouvée dans l’impossibilité d’exploiter à cause de ces manquements.
Elle a toujours pu continuer à exploiter avec notamment un chiffre d’affaires de 3 708 441 euros TTC en 2017, de 3 570 596 euros TTC en 2018 et 2 866 474 euros TTC pour la première moitié de l’année 2019 (attestation du commissaire aux comptes du 7 février 2022).
Dès lors, s’il y a bien eu des manquements de la bailleresse à son obligation de délivrance, ils ne peuvent être considérés comme suffisamment graves pour justifier le prononcé d’une résiliation du bail.
Par conséquent, la SAS POLTRONESOFA France sera déboutée de sa demande de résiliation judiciaire du bail commercial renouvelé le 1er juillet 2011 aux torts de la SCI M011.
Sur l’indemnité d’éviction
La SAS POLTRONESOFA sollicite une indemnité d’éviction constituée de plusieurs composantes pour un montant total de 1 478 000 euros.
La demande de résiliation judiciaire aux torts de la bailleresse n’ayant pas été accueillie et le congé ayant été délivré par la preneuse, la demande de condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction sera rejetée.
Sur la demande de condamnation à la somme de 54 834 euros au titre de la perte de chiffre d’affaires
D’une part, la SAS POLTRONESOFA France explique que cette perte de chiffre d’affaires est due au sinistre du 24 juin 2016 qui lui a imposé de fermer son magasin pendant trois jours le premier week-end des soldes d’été.
Cependant, il a été vu ci-dessus qu’il n’y a pas de manquement qui puisse être imputé à la société M011 au titre de ce sinistre.
D’autre part, pour réclamer cette somme, la société POLTRONESOFA France s’appuie sur un simple tableau intitulé « ventes années 2015-2016 » réalisé à l’ordinateur qui n’est même pas un document comptable officiel de la société.
En conséquence, la défenderesse sera déboutée de cette demande.
Sur la demande de condamnation au paiement de la somme de 500 euros au titre du coût des travaux de réparation
Dans son rapport, l’expert judiciaire, au regard du seul élément qui lui est communiqué, à savoir l’état des lieux de sortie du 30 juin 2020 réalisé par huissier de justice, fixe un préjudice de 500 euros TTC au titre du coût des travaux de réparation de vingt-cinq dalles de faux-plafonds manquantes ou auréolées. Et il lie sans équivoque le fait que ces dalles soient manquantes ou auréolées aux infiltrations récurrentes ayant affecté les locaux commerciaux.
Or, la SAS POLTRONESOFA réclame cette somme non pas pour les dégâts causés par les infiltrations récurrentes mais pour ceux causés par les sinistres ponctuels, sans en outre préciser lequel des deux sinistres, étant rappelé à cet égard qu’un manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance a été retenu uniquement pour le sinistre du 15 juin 2019.
Dans ces conditions, la preneuse sera déboutée de sa demande de condamnation à la somme de 500 euros au titre du coût des travaux de réparation.
Sur les demandes de condamnation au titre des préjudices relatifs aux pertes d’exploitation
La société POLTRONESOFA France sollicite plusieurs sommes en réparation de pertes d’exploitation qu’elle estime avoir subies : 100 000 euros pour l’exercice 2016, 100 000 euros pour l’exercice 2017, 174 341 euros pour l’exercice 2018 et 244 364 euros pour l’exercice 2019.
Pour l’exercice 2016, la société POLTRONESOFA France fournit pour seul élément le tableau « ventes années 2015-2016 » à propos duquel il a été vu qu’il s’agit d’un simple tableau réalisé à l’ordinateur qui n’est même pas un document comptable officiel de la société.
Il est également à relever qu’il n’est versé par la défenderesse aucun élément probant susceptible de démontrer que les infiltrations récurrentes et/ou l’état amianté de la toiture ont entraîné la perte d’exploitation alléguée pour l’exercice 2016.
Pour les exercices 2017, 2018 et 2019, la SAS POLTRONESOFA France produit l’attestation de son commissaire aux comptes du 7 février 2022 dans laquelle ledit commissaire fait état des chiffres d’affaires de la société pour les années 2017, 2018 et la première moitié de l’année 2019, ainsi que du chiffre d’affaires dans les nouveaux locaux pour la première moitié de l’année 2020. Le commissaire aux comptes effectue aussi une comparaison entre l’évolution du chiffre d’affaires entre 2017 et 2018 pour le magasin de [Localité 4] et celle du chiffre d’affaires sur la même période pour le réseau de magasins en gestion directe de la société POLTRONESOFA. Il note pour le magasin de [Localité 4] une variation de – 3,72% et pour le réseau une évolution de + 11,8%.
Cependant, cette seule pièce est insuffisante pour établir que les pertes d’exploitation invoquées sont dues aux infiltrations récurrentes et/ou à l’état amianté de la couverture, les variations d’un chiffre d’affaires au cours de différents exercices pouvant s’expliquer par diverses causes distinctes d’infiltrations ou de la présence d’amiante qui viendraient affecter l’exploitation.
Par conséquent, au regard de ces développements, la SAS POLTRONESOFA sera déboutée de ses demandes de condamnation au titre des préjudices relatifs aux pertes d’exploitation.
Sur la demande de condamnation en remboursement des loyers indûment payés depuis le 12 juin 2016
En application de l'article 1728 du code civil, le preneur doit verser le loyer aux échéances convenues.
Toutefois, il n'est pas tenu de payer le loyer quand, en cas de manquement du bailleur à ses obligations, il se trouve dans l'impossibilité d'utiliser les lieux loués comme le prévoit le bail.
En l’espèce, ainsi qu’il a été vu ci-dessus, s’il y a eu des manquements de la bailleresse à son obligation de délivrance, la SAS POLTRONESOFA a continué d’exploiter les locaux commerciaux jusqu’à ce qu’elle quitte les lieux à la suite du congé qu’elle a délivré à la SCI M011 et elle a pu, jusqu’à ce départ, générer des chiffres d’affaires de plusieurs millions d’euros.
Dès lors, sa demande en remboursement de loyers qui auraient été indûment payés depuis 2016 n’est pas fondée et elle en sera déboutée.
Sur les demandes de la SCI M011
Sur la demande de condamnation au titre des loyers impayés
En application de l'article 1728 du code civil, le preneur doit verser le loyer aux échéances convenues.
Toutefois, il n'est pas tenu de payer le loyer quand, en cas de manquement du bailleur à ses obligations, il se trouve dans l'impossibilité d'utiliser les lieux loués comme le prévoit le bail.
L’article L.441-6, I, alinéa 12, du code de commerce dans sa version applicable au présent litige prévoit :
« Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d'application et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal, ce taux est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu'un rappel soit nécessaire. »
En l’espèce, il a été exposé précédemment que la SCI M011 a commis des manquements à son obligation de délivrance, mais que la locataire ne s’est pas trouvée dans l’impossibilité d’exploiter les locaux commerciaux. Elle a continué à en user et a généré des chiffres d’affaires de plusieurs millions d’euros.
Dès lors, les loyers du 3ème trimestre 2019, du 4ème trimestre 2019, du 1er trimestre 2020 et du 2ème trimestre 2020 étaient dus et la SAS POLTRONESOFA devait les régler.
La SCI M011 est donc fondée à solliciter le paiement de ces loyers non réglés.
En revanche, les intérêts pour chaque trimestre non payé ne seront pas au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage, mais seront avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal, ce puisque les quatre factures relatives aux quatre trimestres non réglés mentionnent expressément que la pénalité de retard est égale à trois fois le taux d’intérêt légal.
Également, le point de départ des intérêts pour chaque trimestre impayé sera à chaque fois le jour avant lequel le loyer aurait dû être versé indiqué sur la facture, soit pour le 3ème trimestre 2019 le 1er juillet 2019, pour le 4ème trimestre 2019 le 1er octobre 2019, pour le 1er trimestre 2020 le 1er janvier 2020 et pour le 2ème trimestre 2020 le 1er avril 2020.
En conséquence, la SAS POLTRONESOFA France sera condamnée à verser à la SCI M011 :
la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011025 du 1er juin 2019 correspondant au loyer impayé du 3ème trimestre 2019, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er juillet 2019 ;la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011026 du 2 septembre 2019 correspondant au loyer impayé du 4ème trimestre 2019, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er octobre 2019 ; la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011027 du 2 décembre 2019 correspondant au loyer impayé du 1er trimestre 2020, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er janvier 2020 ; la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011028 du 2 mars 2020 correspondant au loyer impayé du 2ème trimestre 2020, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er avril 2020.
Sur la demande de condamnation au titre des frais de recouvrement
L’article D.441-5 ancien du code de commerce énonce que « le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévue au douzième alinéa du I de l'article L. 441-6 est fixé à 40 euros ».
Cette indemnité doit être versée en cas de retard de paiement de toute créance dont le délai commence à courir après le 1er janvier 2013, même si cette créance est due en application d'un contrat conclu antérieurement.
Cette indemnité est due pour chaque facture émise.
En l’espèce, pour chaque trimestre impayé, une facture a été émise, soit un total de quatre factures. Et les créances de loyers dont il est question sont postérieures au 1er janvier 2013.
Ainsi, la SAS POLTRONESOFA France sera condamnée à verser à la SCI M011 la somme de 160 euros au titre des frais de recouvrement.
Sur la demande de condamnation au titre des pertes de loyers
La SCI M011 sollicite une condamnation de la SAS POLTRONESOFA France au paiement de la somme de 44 435,80 euros au titre de la perte de loyer pour le 3ème trimestre 2020 et de la somme de 29 623,87 euros au titre de la perte de loyer pour le 4ème trimestre 2020, ce parce qu’elle considère qu’elle a été contrainte de consentir à son nouveau locataire une franchise de loyer en raison du comportement de la SAS POLTRONESOFA France.
Néanmoins, la SCI M011 ayant commis des manquements à son obligation de délivrance, avec pour manquements principaux la vétusté et l’état amianté de l’ensemble de la toiture des locaux commerciaux, ayant tardé à effectuer les travaux pour solutionner les problématiques affectant cette toiture, et ayant dans un premier temps en octobre 2019 mis en œuvre une solution inadéquate, elle ne peut valablement reprocher à la SAS POLTRONESOFA France un quelconque comportement qui l’aurait obligée à accorder la franchise de loyer au nouveau locataire, entre autres le fait pour la SAS POLTRONESOFA France d’avoir versé tardivement la consignation pour l’expertise judiciaire.
De manière plus générale, compte tenu de ses manquements, de la mise en œuvre tardive des travaux de réfection et du recours d’abord à une solution inappropriée, la SCI M011 ne peut valablement prétendre au versement d’une quelconque somme au titre de prétendues pertes de loyers pour des périodes postérieures au départ de la société POLTRONESOFA France des locaux commerciaux qui a eu lieu le 30 juin 2020, date de prise d’effet du congé.
Ainsi, la SCI M011 sera déboutée de sa demande de condamnation au titre des pertes de loyers pour les 3ème et 4ème trimestres 2020.
Sur la demande de condamnation au titre du coût des travaux de réparation effectués par la société ATTILA en 2019
Le traitement de la vétusté et de l’amiante affectant la toiture étant à la charge de la bailleresse, c’est à cette dernière de supporter le coût des travaux réalisés par la société ATTILA en 2019, y compris le coût du diagnostic auquel a procédé cette société.
La SCI M011 sera en conséquence déboutée de sa demande de condamnation au titre du coût des travaux de réparation effectués par la société ATTILA en 2019, diagnostic inclus.
Sur la capitalisation des intérêts
Au regard des conditions posées par l’article 1154 ancien du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts.
Sur la demande de condamnation pour procédure abusive formée par la SAS POLTRONESOFA France
Les demandes de la société POLTRONESOFA France ayant été rejetées et celles de la SCI M011 accueillies s’agissant des loyers impayés, la défenderesse ne peut que se voir débouter de sa demande de condamnation pour procédure abusive.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La SAS POLTRONESOFA France sera condamnée aux dépens, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire.
En revanche, ils ne peuvent inclure l’intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d’huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement et d’encaissement à la charge du créancier, puisqu’il s’agit de sommes hypothétiques concernant d’éventuelles difficultés d’exécution. Le tribunal ne peut donc condamner la partie tenue des dépens à assumer de telles sommes.
La SAS POLTRONESOFA France sera déboutée de sa demande de distraction des dépens.
La SAS POLTRONESOFA France, supportant les dépens, sera également condamnée à verser à la SCI M011 la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAS POLTRONESOFA France sera déboutée de sa demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
En vertu de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version issue du décret du 11 décembre 2019 et applicable à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant à juge unique, après audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de résiliation judiciaire du bail commercial renouvelé le 1er juillet 2011 aux torts de la SCI M011 ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 54 834 euros au titre de la perte de chiffre d’affaires ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 500 euros au titre du coût des travaux de réparation ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de ses demandes de condamnation au titre des préjudices relatifs aux pertes d’exploitation ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de condamnation en remboursement des loyers indûment payés depuis le 12 juin 2016 ;
CONDAMNE la SAS POLTRONESOFA France à verser à la SCI M011 :
la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011025 du 1er juin 2019 correspondant au loyer impayé du 3ème trimestre 2019, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er juillet 2019 ;la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011026 du 2 septembre 2019 correspondant au loyer impayé du 4ème trimestre 2019, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er octobre 2019 ; la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011027 du 2 décembre 2019 correspondant au loyer impayé du 1er trimestre 2020, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er janvier 2020 ; la somme de 48 667,78 euros TTC au titre de la facture 011028 du 2 mars 2020 correspondant au loyer impayé du 2ème trimestre 2020, assortie des intérêts avec un taux égal à trois fois le taux d’intérêt légal à compter du 1er avril 2020 ;
CONDAMNE la SAS POLTRONESOFA France à verser à la SCI M011 la somme de 160 euros au titre des frais de recouvrement ;
DEBOUTE la SCI M011 de sa demande de condamnation au titre des pertes de loyers pour les 3ème et 4ème trimestres 2020 ;
DEBOUTE la SCI M011 de sa demande de condamnation au titre du coût des travaux de réparation effectués par la société ATTILA en 2019, diagnostic inclus ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de condamnation pour procédure abusive ;
CONDAMNE la SAS POLTRONESOFA France aux dépens, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire, mais en ce non compris l’intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d’huissier, et en particulier tous les droits de recouvrement et d’encaissement à la charge du créancier ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de distraction des dépens ;
CONDAMNE la SAS POLTRONESOFA France à verser à la SCI M011 la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SAS POLTRONESOFA France de sa demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.
En foi de quoi le présent jugement a été signé par le Président, François LE CLEC’H, et le Greffier, Jessica BOSCO BUFFART.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT