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20/06/2024 | FRANCE | N°21/01755

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Chambre 10 cab 10 j, 20 juin 2024, 21/01755


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 J

N° RG 21/01755 - N° Portalis DB2H-W-B7F-VW3Y

Jugement du 20 Juin 2024
























Notifié le :




Grosse et copie à :
la SCP DESBOS BAROU & ASSOCIES - 1726
Me Florian MICHEL - 2478
Me Eric POUDEROUX - 520






REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 20 Juin 2024 devant la Ch

ambre 10 cab 10 J le jugement réputé contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 17 Octobre 2022, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 13 Juin 2024 devant :

Fra...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 J

N° RG 21/01755 - N° Portalis DB2H-W-B7F-VW3Y

Jugement du 20 Juin 2024

Notifié le :

Grosse et copie à :
la SCP DESBOS BAROU & ASSOCIES - 1726
Me Florian MICHEL - 2478
Me Eric POUDEROUX - 520

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 20 Juin 2024 devant la Chambre 10 cab 10 J le jugement réputé contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 17 Octobre 2022, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 13 Juin 2024 devant :

François LE CLEC’H, Président,
siégeant en formation Juge Unique,

Assisté de Patricia BRUNON, Greffier,

En présence de Perrine PEREZ, Juriste Assitante du magistrat,

Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :

DEMANDEURS

Monsieur [D] [M]
né le 22 Août 1988 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 3]

représenté par Maître Florian DESBOS de la SCP DESBOS BAROU & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

Madame [Y] [G]
née le 04 Mars 1987 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 3]

représentée par Maître Florian DESBOS de la SCP DESBOS BAROU & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

DEFENDEURS

S.C.I. LE FLOOR BEGUIN, vient aux droits de la société LACASSAGNE 2010,
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Eric POUDEROUX, avocat au barreau de LYON

Monsieur [N] [F],
demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Florian MICHEL, avocat au barreau de LYON

S.A.S. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE D’ETUDE ET DE RÉALISATION IMMOBILIÈRE (SOGERIM),
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée par Me Eric POUDEROUX, avocat au barreau de LYON

S.A.R.L. MAISON DES CLIMATS,
dont le siège social est sis [Adresse 10]

défaillant

Madame [J] [F],
demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Florian MICHEL, avocat au barreau de LYON

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] [F] et Madame [J] [F] sont propriétaires depuis les années 1990 d’un logement situé [Adresse 4] à [Localité 7].

En février 2014, ils ont fait remplacer leur foyer insert par un poêle à bois. Ce remplacement a été effectué par la société MAISON DES CLIMATS.

Sur le tènement immobilier sis [Adresse 2] et voisin de la propriété des époux [F], il a été procédé à l’édification d’un ensemble immobilier dénommé CARRE ZEN soumis au statut de la copropriété. La SNC [Localité 8] 29-2012 était promoteur vendeur et la société SOGERIM promoteur mandataire.

Par acte authentique du 27 janvier 2015, Madame [Y] [G] et Monsieur [D] [M] ont acquis auprès de la SNC [Localité 8] 29-2012 au sein de cet ensemble immobilier, en l’état futur d’achèvement, le lot n°39 consistant en un appartement situé au rez-de-chaussée du bâtiment D ainsi que le lot n°15 correspondant à un box.

Les parties communes ont été réceptionnées sans réserves le 19 juin 2015.

Madame [G] et Monsieur [M] ont réceptionné leurs lots avec réserves le 23 juin 2015.

En octobre 2015, ces derniers se sont plaints de nuisances olfactives en provenance de la cheminée des époux [F].

Un rapport d’expertise privée a été rendu par la société SARETEC le 1er juin 2017.

La SNC [Localité 8] 29-2012 a fait l’objet d’une fusion absorption avec transmission universelle de son patrimoine à l’associé unique la SNC LACASSAGNE 2010 à compter du 3 décembre 2017.

Par actes d’huissier en date des 23 février et 9 mai 2018, Monsieur [M] et Madame [G] ont assigné la SNC LACASSAGNE 2010, la société SOGERIM, le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier CARRE ZEN et les époux [F] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon aux fins d’expertise judiciaire.

Par ordonnance du 26 juin 2018, le juge des référés a fait droit à cette demande et a désigné Monsieur [Z] [O] pour réaliser cette expertise.

Par décision du 12 avril 2019 de l’associé unique de la SNC LACASSAGNE 2010, la SCI LE FLOOR BEGUIN, celle-ci a été dissoute sans liquidation avec transmission universelle du patrimoine audit associé.

Le rapport d’expertise judiciaire a été déposé le 31 août 2020.

Par actes d’huissier en date des 16 février et 1er mars 2021, Madame [G] et Monsieur [M] ont assigné la SCI LE FLOOR BEGUIN, la société SOGERIM, la société MAISON DES CLIMATS et les époux [F] devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins de :
juger que les époux [F] ont engagé leur responsabilité délictuelle sur le fondement des troubles anormaux du voisinage à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; juger que la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; juger que la société SOGERIM a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; juger que la société MAISON DES CLIMATS a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; condamner les époux [F] sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du mois suivant la décision à intervenir à faire procéder à la suppression de leur poêle à bois et son remplacement par une pompe à chaleur air /air ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser le préjudice de jouissance subi par Monsieur [M] et Madame [G] à hauteur de 9420 euros ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser la perte de valeur locative du bien de Monsieur [M] et Madame [G] à hauteur de 628 euros au 16 février 2021 et au-delà 157 euros par mois jusqu’à la suppression du poêle à bois ou à défaut jusqu’à la solution retenue par le tribunal ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser le préjudice moral subi par Monsieur [M] à hauteur de 5000 euros ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser le préjudice moral subi par Madame [G] à hauteur de 5000 euros ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à la somme de 3000 euros au titre de 1’artic1e 700 du code de procédure civile ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS aux entiers dépens de 1’instance avec bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Florian DESBOS ; dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 2 mars 2022, Madame [G] et Monsieur [M] demandent au tribunal de :
juger que les époux [F] ont engagé leur responsabilité délictuelle sur le fondement des troubles anormaux du voisinage à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; juger que la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; juger que la société SOGERIM a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; juger que la société MAISON DES CLIMATS a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de Monsieur [M] et Madame [G] ; condamner les époux [F] sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du mois suivant la décision à intervenir à faire procéder à la suppression de leur poêle à bois et son remplacement par une pompe à chaleur air /air ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser le préjudice de jouissance subi par Monsieur [M] et Madame [G] à hauteur de 9420 euros ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser la perte de valeur locative du bien de Monsieur [M] et Madame [G] à hauteur de 628 euros au 16 février 2021 et au-delà 157 euros par mois jusqu’à la suppression du poêle à bois ou à défaut jusqu’à la solution retenue par le tribunal ;

condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser le préjudice moral subi par Monsieur [M] à hauteur de 5000 euros ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à indemniser le préjudice moral subi par Madame [G] à hauteur de 5000 euros ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS à la somme de 3000 euros au titre de 1’artic1e 700 du code de procédure civile ; condamner in solidum les époux [F], la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, la société SOGERIM et la société MAISON DES CLIMATS aux entiers dépens de 1’instance avec bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Florian DESBOS ; dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 mai 2022, les époux [F] demandent au tribunal de :
- à titre principal, considérant que les conditions de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage ne sont pas remplies, rejeter l’ensemble des demandes formées par les requérants à l’encontre des concluants ;
- à titre subsidiaire :
exonérer les époux [F] de leur responsabilité au titre de l’antériorité de leur situation et de la faute des constructeurs du CARRE ZEN ; débouter les requérants de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre des concluants ; ordonner une mesure de réparation en nature n’impliquant pas de travaux chez les concluants ; - à titre encore plus subsidiaire, si le tribunal n’exonère pas les époux [F] de leur responsabilité :
ordonner une mesure de réparation en nature n’impliquant pas de travaux chez les concluants ; condamner la société SOGERIM et la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, à relever et garantir les époux [F] sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil ; limiter la part de responsabilité des époux [F] à 5% des dommages au regard de la faute des constructeurs du carré ZEN ; - en tout état de cause, condamner la société SOGERIM et la SCI LE FLOOR BEGUIN, venant aux droits de la SNC LACASSAGNE 2010, venant elle-même aux droits de la SNC [Localité 8] 29-2012, à payer aux époux [F] la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 février 2022, les sociétés SOGERIM et LE FLOOR BEGUIN demandent au tribunal de :
in limine litis ;
prononcer la nullité du rapport d’expertise déposé par Monsieur [O] le 31 août 2020 en l’état de la violation par cet expert du principe fondamental de la contradiction ainsi que du principe d’impartialité auquel il est astreint ; sur le fond ;
- à titre principal, rejeter comme mal fondées les entières demandes de Monsieur [M] et Madame [G] à l’encontre des sociétés LE FLOOR BEGUIN et SOGERIM en l’absence de démonstration d’un quelconque trouble anormal de voisinage ;
- à titre subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal devait considérer qu’il existerait un trouble anormal de voisinage dans l’existence d’odeurs ressenties par les demandeurs de façon très rare à l’intérieur de leur appartement, débouter Monsieur [M] et Madame [G] de leurs entières demandes en l’absence de démonstration d’un quelconque préjudice ;
- titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal devait retenir l’existence d’un trouble anormal de voisinage et prononcer une condamnation des deux sociétés concluantes à indemniser les demandeurs :
condamner in solidum les époux [F] et la société MAISON DES CLIMATS à relever et garantir la SCI LE FLOOR BEGUIN de toutes condamnations dont cette dernière pourrait faire l’objet au profit de Monsieur [M] et Madame [G] ; condamner in solidum les époux [F] et la société MAISON DES CLIMATS à relever et garantir la société SOGERIM de toutes condamnations dont cette dernière pourrait faire l’objet au profit de Monsieur [M] et Madame [G] ; - en tout état de cause :
débouter Monsieur [M] et Madame [G] en outre de leurs demandes au titre d’un prétendu préjudice moral ainsi que de celles formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens ; condamner Monsieur [M] et Madame [G] ou qui mieux le devra, au paiement de la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; condamner Monsieur [M] et Madame [G] ou qui mieux le devra, en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Éric POUDEROUX, avocat, sur son affirmation de droit ; écarter l’exécution provisoire de droit dans cette affaire dans laquelle la mise à exécution de condamnations en nature consistant particulièrement à modifier le système de chauffage des époux [F] aurait un caractère irrémédiable.
La société MAISON DES CLIMATS n’a pas constitué avocat.

Par ordonnance du 17 octobre 2022, le juge de la mise en état a clôturé la procédure à cette date. L’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 16 novembre 2023 et mise en délibéré au 7 mars 2024. Le délibéré a été prorogé au 18 avril 2024, puis au 30 mai 2024, puis au 13 juin 2024, puis au 20 juin 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité du rapport d’expertise

L’article 175 du code de procédure civile énonce que « la nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure ».

L’article 114 du même code dispose :
« Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. »

L’article 117 prévoit :
« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :
Le défaut de capacité d'ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. »

Ces irrégularités de fond sont limitativement énumérées par l’article 117 précité et ne nécessitent pas la démonstration de l’existence d’un grief.

En l’espèce, les sociétés LE FLOOR GUERIN et SOGERIM demandent l’annulation du rapport d’expertise judiciaire d’une part sur le fondement de la violation par l’expert du principe du contradictoire énoncé à l’article 16 du code de procédure civile et, d’autre part, sur celui du non-respect par l’expert du principe d’impartialité prévu à l’article 238 du même code.

Ainsi, les défenderesses n’invoquent pas pour obtenir cette nullité l’une des irrégularités de fond limitativement énumérées par l’article 117 susvisé.

Il s’agit donc d’irrégularités de forme qui sont avancées et qui impliquent de rapporter la preuve de l’existence d’un grief.

A cet égard, sur la question de la violation du principe du contradictoire, en premier lieu, l’expert a expliqué aux parties les contraintes qui lui imposaient une convocation à bref délai et qui rendaient impossible une convocation sous quinzaine, à savoir que le phénomène à constater n’est pas prévisible car dépendant des conditions de vent, pression et température. C’est pourquoi il a demandé à Madame [G] et Monsieur [M] de l’informer dès l’apparition de fumées pour qu’il se rende sur place dans la foulée après avoir prévenu les parties par email.

En second lieu, après la visite du 22 janvier 2020 au cours de laquelle l’expert a observé les fumées et étaient présents Madame [G] et le père de Madame [F], les parties ont eu la possibilité de s’exprimer contradictoirement sur les constatations et conclusions de l’expert par le biais des dires. Il n’était pas nécessaire d’organiser en plus une autre réunion pour un débat à ce sujet compte tenu de cette possibilité d’expression.

En conséquence, au regard de ces développements, qui amènent à écarter les moyens des sociétés défenderesses, en particulier celui tiré d’une convocation des parties par l’expert 45 minutes avant son arrivée sur place, il convient de considérer que l’expert a respecté le principe du contradictoire en tenant compte du contexte particulier auquel il a été confronté.

Cette irrégularité de forme invoquée par les sociétés LE FLOOR BEGUIN et SOGERIM ne peut donc prospérer.

Sur la violation du principe d’impartialité, il est à indiquer que l’expert a répondu aux dires des demandeurs, des époux [F] ainsi qu’au dire du 26 juin 2020 des sociétés LE FLOOR BEGUIN et SOGERIM. Quant à l’absence de réponse au dire de ces sociétés du 12 février 2020, il ne peut en être déduit une partialité de l’expert.

Pour le moyen tiré de la distance des bâtiments et du DTU, les sociétés défenderesses procèdent en réalité déjà à une critique du contenu même de l’expertise, ce qui ne concerne pas la question de la partialité de l’expert mais l’appréciation au fond des conclusions de l’expertise, débat et travail d’analyse classiques des parties vis-à-vis du rapport rendu s’agissant d’un avis ne liant pas le tribunal.

Dès lors, cette seconde irrégularité de forme avancée par les sociétés LE FLOOR BEGUIN et SOGERIM ne peut qu’être écartée.

Par conséquent, les sociétés défenderesses seront déboutées de leur demande de nullité du rapport d’expertise.

Sur les demandes de Madame [G] et Monsieur [M]

Conformément aux dispositions de l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Il découle de ce texte que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue est néanmoins limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

La responsabilité pour trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est une responsabilité sans faute qui oblige l'auteur du trouble à le réparer, quand bien même le trouble serait inhérent à l'exercice d'une activité licite.

En l’espèce, la présence de fumées en provenance de la cheminée des époux [F] a été constatée dans le jardin des demandeurs par l’huissier les 4 et 10 décembre 2019 (procès-verbal de constat des 4 et 10 décembre 2019) et par l’expert le 22 janvier 2020. Ont également été filmés par les demandeurs des moments où l’on voit les fumées issues de la cheminée des défendeurs en train d’évoluer dans le jardin, étant toutefois précisé que ces vidéos ne sont pas horodatées et qu’il n’est donc pas possible de connaître le jour où chacune d’elle a été réalisée.

L’expert conclut qu’« elles [les nuisances] constituent à [son] avis un trouble anormal de voisinage en ce que les fumées et odeurs rabattues dans le jardin devant les fenêtres de l’appartement [M] avec entrées d’odeurs par les entrées d’air activées en aspiration par l’extracteur mécanique collectif de la résidence sont difficilement supportables ».

Il souligne par ailleurs que la fumée de bois est un très important émetteur de particules fines qui ont un effet néfaste sur la santé. Il cite sur ce point, et en réponse à un dire des époux [F] du 16 juin 2020, un passage d’une étude issue du cadastre des émissions Atmo – Auvergne-Rhône-Alpes Version 2017.

Cependant, il peut d’abord être noté que l’expert, lors de ses constatations du 22 janvier 2020, a fait état d’une nette odeur de feu de bois dans le jardin, mais plus faible dans la chambre, et que l’huissier, lors de son passage le 10 décembre 2019, a fait une observation similaire puisqu’il indique qu’« une odeur de fumée est perceptible dans les deux chambres occupées par les enfants de Madame [G] » et qu’à l’extérieur « une forte odeur de fumée est perceptible ».
L’impact olfactif est donc moindre à l’intérieur de l’appartement qu’à l’extérieur.

Ensuite, il est à relever que l’expert judiciaire explique que les nuisances (fumée dans le jardin devant les fenêtres de l’appartement et odeurs à l’extérieur et à l’intérieur de l’appartement) ne se produisent qu’en période froide de l’année, le poêle n’étant évidemment utilisé que pendant cette période-là, et qu’elles ne sont pas continues car elles dépendent des conditions de vent, pression et température.
En conséquence, les nuisances ne peuvent avoir lieu qu’en période froide et si les conditions climatiques sont réunies. En d’autres termes, ces nuisances ne peuvent survenir d’une part que pendant une certaine période et, d’autre part, seulement que de manière occasionnelle au cours de cette période.

Enfin, sur les particules fines issues de la fumée de bois et leur effet néfaste sur la santé, le rapport mentionne uniquement de manière générale que la fumée de bois est très polluante en termes de particules fines et que ces dernières sont néfastes. Également, le passage de l’étude citée porte seulement de manière générale sur le chauffage au bois et les particules fines au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Aucune analyse spécifique au cas d’espèce n’est effectuée, avec notamment la vérification du taux de particules fines contenues dans les fumées en provenance de la cheminée des époux [F] et qui se sont répandues dans le jardin des demandeurs ainsi que sa comparaison avec les seuils réglementaires de qualité de l’air pour déterminer s’il les dépasse et si, partant, les particules fines vont avoir un impact sur la santé. Il n’y a pas plus d’éléments dans le constat d’huissier dans lequel il est juste fait état de particules fines, sans l’indication d’aucun chiffre, ressortant d’une analyse de l’air effectuée par les demandeurs par le biais d’un analyseur d’air, analyse qui n’est pas communiquée et qui aurait dû faire en tout état de cause l’objet d’un examen précis dans le cadre des opérations d’expertise judiciaire, ce à l’aune d’une analyse réalisée par l’expert ou par un sapiteur.
Il en résulte qu’il n’est pas démontré que les fumées ont pu avoir de quelconques conséquences sur la santé des demandeurs.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces développements, il ne peut pas être retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage subi par Monsieur [M] et Madame [G].

Ces derniers seront ainsi déboutés de l’ensemble de leurs demandes.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Monsieur [M] et Madame [G] seront condamnés aux dépens, dont distraction au profit de Maître [C] POUDEROUX pour la partie des dépens concernant les sociétés LE FLOOR BEGUIN et SOGERIM.

Monsieur [M] et Madame [G], tenus des dépens, seront aussi condamnés à verser aux sociétés LE FLOOR BEGUIN et SOGERIM ensemble la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

En vertu de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version issue du décret du 11 décembre 2019 et applicable à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

L’article 514-1 du même code énonce :
« Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.
Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.
Par exception, le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état. »

En l’espèce, rien dans le cadre de ce litige ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit.

Le présent jugement demeurera donc exécutoire de droit à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant à juge unique, après audience publique, par jugement réputé contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE la SCI LE FLOOR BEGUIN et la SAS SOGERIM de leur demande de nullité du rapport d’expertise ;

DEBOUTE Madame [Y] [G] et Monsieur [D] [M] de l’ensemble de leurs demandes ;

CONDAMNE Madame [Y] [G] et Monsieur [D] [M] aux dépens, dont distraction au profit de Maître [C] POUDEROUX pour la partie des dépens concernant la SCI LE FLOOR BEGUIN et la SAS SOGERIM ;

CONDAMNE Madame [Y] [G] et Monsieur [D] [M] à verser à la SCI LE FLOOR BEGUIN et la SAS SOGERIM ensemble la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.

En foi de quoi le Président et le Greffier ont signé la présente décision.

LA GREFFIERELE PRESIDENT
Patricia BRUNONFrançois LE CLEC’H


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Chambre 10 cab 10 j
Numéro d'arrêt : 21/01755
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;21.01755 ?
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