TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 9 cab 09 F
NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/08079 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WLGD
N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Jugement du :
22 Mai 2024
Affaire :
Mme [V] [K] [C] [M] [E]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
le:
EXECUTOIRE+COPIE
Me Sophie POCHARD - 1088
copie sce natio [Localité 4]
LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 20 Mars 2023,
Après rapport de Joëlle TARRISSE, juge, et après que la cause eût été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2024, devant :
Président : Axelle LE BOULICAUT, Vice-présidente
Assesseurs :Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente
Joëlle TARRISSE, Juge
Assistés de Christine CARAPITO, greffière
et après qu’il en eût été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats, dans l’affaire opposant :
DEMANDERESSE
Madame [V] [K] [C] [M] [E]
née le 18 Mai 2000 à [Localité 8] (AUSTRALIE), demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Sophie POCHARD, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1088
DEFENDEUR
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, [Adresse 2]
représenté par Amandine PELLA, substitut du procureur
EXPOSE DU LITIGE
[V] [E] est née le 18 mai 2000 à [Localité 8] (AUSTRALIE) de [K] [S], née le 25 novembre 1964 [Localité 9] (SUEDE), de nationalité suédoise, et de [A] [E], dont elle revendique la nationalité française. [A] [E] est né le 26 mai 1963 à [Localité 6] (92) de [P] [Y] [H], née le 12 janvier 1937 à [Localité 3] (DANEMARK), de nationalité danoise, et de [F] [E], né le 26 avril 1932 à [Localité 7] (93), de nationalité française.
Par décision du 8 janvier 2018, la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal d’instance de Lyon a refusé la délivrance d’un certificat de nationalité française à [V] [E], au motif que son père a perdu la nationalité française par application de l’article 1er de la Convention du Conseil de l’Europe le 21 juin 1979, date à laquelle il a acquis la nationalité danoise en application de l’article 2 alinéa 2 de la loi n° 117 du 29 mars 1978, relative au droit de la nationalité danoise.
[V] [E], a fait assigner le Procureur de la République devant le Tribunal judiciaire de LYON, par acte d’huissier de justice du 9 décembre 2021 aux fins, principalement, de déclarer sa nationalité française sur le fondement de l’article 18 du code civil.
Aux termes de son assignation constituant ses dernières conclusions, [V] [E] demande au tribunal de :
-constater qu’elle justifie bien de sa nationalité française par filiation avec son père, [A] [E], lui-même de nationalité depuis sa naissance,
-dire et juger qu’elle est de nationalité française,
-ordonner la transcription du dispositif du présent jugement sur les registres du Service central d’état civil à [Localité 5],
-condamner le Trésor public à lui verser la somme de 2 000,00 euros T.T.C. sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner le Trésor public aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, [V] [E] prétend être Française sur le fondement de l’article 18 du code civil compte tenu de son lien de filiation avec un père dont elle revendique l’établissement de sa nationalité française sur le fondement de l’article 17 du code de la nationalité française par filiation avec [F] [X], ressortissant Français, et de l’article 23 du même code.
Elle conteste la perte de la nationalité française de son père, considérant qu’en ne faisant pas application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1er de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités du 6 mai 1963, en vigueur au moment de la déclaration d’acquisition de la nationalité danoise déposée par sa mère le 21 juin 1979, alors qu’il était mineur, âgé de 16 ans, le directeur de greffe a commis une erreur de droit.
Sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 1er de cette Convention, elle fait valoir qu’en application de la loi française alors applicable, précisément de l’article 5 du code de la nationalité en vigueur entre le 20 octobre 1945 et le 23 juillet 1993, et des articles 91 et 97 du même code, il ne pouvait pas perdre automatiquement la nationalité française, sans démarche personnelle expresse ni autorisation du gouvernement français.
Elle fait remarquer qu’aucune démarche de cet ordre n’a été effectuée par son père, et que, pour cause, celui-ci n’a jamais entendu renoncer à la nationalité française.
Elle revendique ainsi la nationalité française de son père par filiation et par naissance sur le territoire française, d’un père lui-même né en France, français et n’ayant jamais perdu cette nationalité.
A titre subsidiaire, elle conteste la décision de refus de délivrance du certificat de nationalité française aux motifs qu’elle méconnaît l’objet et l’esprit des dispositions relatives aux cas de pluralité de nationalités et qu’elle a pour effet de priver son père de sa nationalité française, qui est pourtant sa nationalité d’appartenance correspondant à son identité sociale depuis sa naissance, de sorte qu’elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, applicable en vertu de l’article 55 de la Constitution.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2022, le Procureur de la République demande au tribunal de :
- dire que la procédure est régulière au regard de l'article 1040 du code de procédure civile,
- dire que [V] [E], née le 18 mai 2000 à [Localité 8] (AUSTRALIE), est de nationalité française,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, le ministère public fait valoir qu’il résulte des pièces produites par la demanderesse que cette dernière est de nationalité française par filiation légalement établie sur le fondement de l’article 18 du code civil à l’égard de [A] [E], Français par double droit du sol pour être né de [F] [X], à l’égard duquel la filiation est légalement établie sur le fondement de l’article 23 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n°73-42 du 9 janvier 1973.
Sur le fondement de l’article 1er de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités du 6 mai 1963, le ministère public fait valoir que s’il est établi que [A] [E] a acquis la nationalité danoise le 21 juin 1979 par mesure individuelle et non par effet collectif, aucune disposition du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°73-42 du 9 janvier 1973 ne prévoit, aux articles 87 et suivants, la perte de la nationalité d’origine pour les mineurs dans une telle hypothèse. Il en déduit que [A] [E] n’a pas perdu la nationalité française du fait de l’acquisition de la nationalité danoise le 21 juin 1979.
La clôture de la procédure est intervenue le 16 mars 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 20 mars 2024.
Les parties en ayant été avisées, le jugement a été mis en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de déclaration de nationalité française d’[V] [E] :
Aux termes de l'article 17-1 du code civil, les lois nouvelles relatives à l'attribution de la nationalité d'origine s'appliquent aux personnes encore mineures à la date de leur entrée en vigueur, sans préjudicier aux droits acquis par des tiers et sans que la validité des actes passés antérieurement puisse être contestée pour cause de nationalité.
Aux termes de l’article 18 du code civil dans sa version en vigueur à la minorité de l’intéressée, est Français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.
En l’espèce, il est constant que, d’une part, [V] [E] justifie d’un état civil certain par la production de la copie intégrale et probante de son acte de naissance délivrée par le service central de l’état civil de [Localité 5] le 7 avril 2016, en vertu de laquelle l’intéressée est née le 18 mai 2000 à [Localité 8] (AUSTRALIE) de [A] [E], né le 26 mai 1963 à [Localité 6], et de [K] [T], née le 25 novembre 1964 à [Localité 9] (SUEDE).
D’autre part, il est constant que [V] [E] démontre être de nationalité française par filiation, comme étant née de [A] [E], Français par double droit du sol, comme enfant né en France d’un père qui y est lui-même né, et sans que l’acquisition de la nationalité danoise par mesure individuelle le 21 juin 1979 n’ait eu pour effet de lui faire perdre sa nationalité française.
Le présent jugement ayant trait à la nationalité française, il convient d’ordonner qu’il soit procédé à la mention de l’article 28 du code civil.
En revanche, [V] [E] ne justifie d’aucun fondement en vertu duquel il y aurait lieu d’ordonner la transcription du dispositif du présent jugement sur les registres de l’état civil du Ministère des affaires étrangères à [Localité 5]. Cette transcription n’étant pas prévue par le décret n°65-422 du 1er juin 1965, la demande d’[V] [E] sur ce fondement doit être rejetée.
Sur les demandes accessoires :
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens seront supportés par le Trésor public.
En l'espèce, le ministère public étant partie perdante, l’Etat devra verser à [V] [E] une somme qu’il est équitable de fixer à 1 500,00 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, après débats, par jugement contradictoire,
DIT que [V] [E], née le 18 mai 2000 à [Localité 8] (AUSTRALIE), est Française,
ORDONNE que la mention prévue à l'article 28 du code civil soit apposée,
DEBOUTE [V] [E] de sa demande de transcription du dispositif du présent jugement sur les registres de l’état civil du Ministère des affaires étrangères de [Localité 5],
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public,
CONDAMNE l’État à verser à [V] [E] la somme de 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
En foi de quoi, le président et le greffier ont signé le présent jugement,
LE GREFFIER LE PRESIDENT