TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 9 cab 09 F
NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/08077 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WLGC
N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Jugement du :
22 Mai 2024
Affaire :
M. [K] [C] [T] [D]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE E9- 21/2297
le:
EXECUTOIRE+COPIE
Me Sophie POCHARD - 1088
copie sce nationalité [Localité 4]
LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 20 Mars 2023,
Après rapport de Joëlle TARRISSE, Juge, et après que la cause eût été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2024, devant :
Président : Axelle LE BOULICAUT, Vice-présidente
Assesseurs :Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente
Joëlle TARRISSE, Juge
Assistés de Christine CARAPITO, greffière
et après qu’il en eût été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats, dans l’affaire opposant :
DEMANDEUR
Monsieur [K] [C] [T] [D]
né le 26 Mai 1963 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Sophie POCHARD, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1088
DEFENDEUR
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE E9- 21/2297, [Adresse 2]
représenté par Amandine PELLA, substitut du procureur
EXPOSE DU LITIGE
[K] [D] est né le 26 mai 1963 à [Localité 6] (92) de [X] [O], née le 12 janvier 1937 à [Localité 3] (Danemark), de nationalité danoise, et de [M] [D], né le 26 avril 1932 à [Localité 7] (93), de nationalité française.
Par décision du 22 mars 2019, la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal d’instance de Lyon a refusé la délivrance d’un certificat de nationalité française à [K] [D] au motif qu’il a perdu la nationalité française par application de l’article 1er de la Convention du Conseil de l’Europe le 21 juin 1979, date à laquelle il a acquis la nationalité danoise en application de l’article 2 alinéa 2 de la loi n° 117 du 29 mars 1978, relative au droit de la nationalité danoise.
[K] [D], a fait assigner le Procureur de la République devant le Tribunal judiciaire de LYON, par acte d’huissier de justice du 9 décembre 2021 aux fins, principalement, de déclarer sa nationalité française sur le fondement des articles 17 et 23 du code de la nationalité française.
Aux termes de son assignation constituant ses dernières conclusions, [K] [D] demande au tribunal de :
-constater qu’il justifie bien de sa nationalité française depuis sa naissance, et de n’avoir jamais perdu celle-ci,
-dire et juger qu’il est de nationalité française,
-ordonner la transcription du dispositif du présent jugement sur les registres du Service central d’état civil à [Localité 5],
-condamner le Trésor public à lui verser la somme de 2 000,00 euros T.T.C. sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner le Trésor public aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, [K] [D] prétend être de nationalité française, tant sur le fondement de l’article 17 du code de la nationalité française par filiation avec [M] [D], ressortissant Français, qu’en vertu de l’article 23 du même code.
Il conteste la perte de sa nationalité française, considérant qu’en ne faisant pas application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1er de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités du 6 mai 1963, en vigueur au moment de la déclaration d’acquisition de la nationalité danoise déposée par sa mère le 21 juin 1979, alors qu’il était mineur, âgé de 16 ans, le directeur de greffe a commis une erreur de droit.
Sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 1er de cette Convention, il fait valoir qu’en application de la loi française alors applicable, précisément de l’article 5 du code de la nationalité en vigueur entre le 20 octobre 1945 et le 23 juillet 1993, et des articles 91 et 97 du même code, il ne pouvait pas perdre automatiquement la nationalité française, sans démarche personnelle expresse ni autorisation du gouvernement français.
Il fait remarquer qu’aucune démarche de cet ordre n’a été effectuée, et que, pour cause, celui-ci n’a jamais entendu renoncer à la nationalité française.
Il revendique ainsi la nationalité française par filiation et par naissance sur le territoire français d’un père lui-même né en France, français et n’ayant jamais perdu cette nationalité.
A titre subsidiaire, il conteste la décision de refus de délivrance du certificat de nationalité française aux motifs qu’elle méconnaît l’objet et l’esprit des dispositions relatives aux cas de pluralité de nationalités et qu’elle a pour effet de le priver de sa nationalité française, qui est pourtant sa nationalité d’appartenance correspondant à son identité sociale depuis sa naissance, de sorte qu’elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, applicable en vertu de l’article 55 de la Constitution.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2022, le Procureur de la République demande au tribunal de :
- dire que la procédure est régulière au regard de l'article 1040 du code de procédure civile,
- dire que [K] [C] [T] [D], né le 26 mai 1963 à [Localité 6] (France), est de nationalité française,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, le ministère public fait valoir qu’il résulte des pièces produites par le demandeur que ce dernier est de nationalité française par double droit du sol pour être né de [M] [D], à l’égard duquel la filiation est légalement établie sur le fondement de l’article 23 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n°73-42 du 9 janvier 1973.
Sur le fondement de l’article 1er de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités du 6 mai 1963, il fait valoir que s’il est établi que [K] [D] a acquis la nationalité danoise le 21 juin 1979 à 16 ans par mesure individuelle et non par effet collectif, aucune disposition du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 73-42 du 9 janvier 1973 ne prévoit ,aux articles 87 et suivants, la perte de la nationalité d’origine pour les mineurs dans une telle hypothèse. Il en déduit que [K] [D] n’a pas perdu la nationalité française du fait de l’acquisition de la nationalité danoise le 21 juin 1979.
La clôture de la procédure est intervenue le 16 mars 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 20 mars 2024.
Les parties en ayant été avisées, le jugement a été mis en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de déclaration de nationalité française de [K] [D] :
Aux termes de l'article 17-1 du code civil, les lois nouvelles relatives à l'attribution de la nationalité d'origine s'appliquent aux personnes encore mineures à la date de leur entrée en vigueur, sans préjudicier aux droits acquis par des tiers et sans que la validité des actes passés antérieurement puisse être contestée pour cause de nationalité.
Aux termes de l’article 23 du code civil dans sa version en vigueur à la minorité de l’intéressé, « est Français l'enfant, légitime ou naturel, né en France lorsque l'un de ses parents au moins y est lui-même né. ».
En l’espèce, il est constant, d’une part, que [K] [D] justifie d’un état civil certain par la production de la copie intégrale et probante de son acte de naissance, délivrée par l’officier d’état civil délégué de [Localité 6] le 5 avril 2018, en vertu de laquelle l’intéressé est né le 26 mai 1963 à [Localité 6] de [M] [D], né le 26 avril 1932 à [Localité 7], et de [X] [O], née le 12 janvier 1937 à [Localité 3] (DANEMARK).
D’autre part, il est constant que [K] [D] démontre être Français par double droit du sol, comme enfant né en France d’un père qui y est lui-même né, sans que l’acquisition de la nationalité danoise par mesure individuelle le 21 juin 1979 n’ait eu pour effet de lui faire perdre la nationalité française.
Le présent jugement ayant trait à la nationalité française, il convient d’ordonner qu’il soit procédé à la mention de l’article 28 du code civil.
En revanche, [K] [D] ne justifie d’aucun fondement en vertu duquel il y aurait lieu d’ordonner la transcription du dispositif du présent jugement sur les registres de l’état civil du Ministère des affaires étrangères à [Localité 5]. Cette transcription n’étant pas prévue par le décret n°65-422 du 1er juin 1965, la demande de [K] [D] sur ce fondement doit être rejetée.
Sur les demandes accessoires :
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens seront supportés par le Trésor public.
En l'espèce, le ministère public étant partie perdante, l’Etat devra verser à [K] [D] une somme qu’il est équitable de fixer à 1 500,00 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, après débats, par jugement contradictoire,
DIT que [K] [D], né le 26 mai 1963 à [Localité 6] (France), est Français,
ORDONNE que la mention prévue à l'article 28 du code civil soit apposée,
DEBOUTE [K] [D] de sa demande de transcription du dispositif du présent jugement sur les registres de l’état civil du Ministère des affaires étrangères de [Localité 5],
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public,
CONDAMNE l’Etat à verser à [K] [D] la somme de 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
En foi de quoi, le président et le greffier ont signé le présent jugement.
LE GREFFIER LE PRESIDENT