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22/05/2024 | FRANCE | N°21/06485

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Chambre 9 cab 09 f, 22 mai 2024, 21/06485


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/06485 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WGKU

N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Jugement du :
22 Mai 2024


Affaire :

M. [R] [G]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 5] (E9 21/1293)






le:

EXECUTOIRE+COPIE

Me Tatiana BECHAUX - 1972










LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Cha

mbre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 15 Juin 2023,

Après rapport de Lise-Marie MILLIERE, Vice-présiden...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/06485 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WGKU

N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Jugement du :
22 Mai 2024

Affaire :

M. [R] [G]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE [Localité 5] (E9 21/1293)

le:

EXECUTOIRE+COPIE

Me Tatiana BECHAUX - 1972

LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 15 Juin 2023,

Après rapport de Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente, et après que la cause eût été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2024, devant :

Président : Axelle LE BOULICAUT, Vice-présidente

Assesseurs :Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente
Joëlle TARRISSE, Juge

Assistés de Christine CARAPITO, greffière

et après qu’il en eût été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats, dans l’affaire opposant :

DEMANDEUR

Monsieur [R] [G]
né le 23 Novembre 2002 à [Localité 4] ( MALI), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Tatiana BECHAUX, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1972

DEFENDEUR

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON (E9 21/1293), dont le siège social est sis Tribunal judiciaire de Lyon - [Adresse 2]

représenté par Amandine PELLA, substitut du procureur

EXPOSE DU LITIGE

[R] [G] se dit né le 23 novembre 2002 à [Localité 4] (MALI).

Après son arrivée en France, il a été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance en qualité de mineur étranger isolé par ordonnance de placement provisoire du Procureur de la République de [Localité 3] en date du 26 novembre 2017, puis par jugement en assistance éducative du juge des enfants de Grenoble en date du l6 octobre 2017 renouvelé le 21 août 2019 jusqu’au 23 novembre 2020.

[R] [G] a souscrit une déclaration de nationalité française devant le greffe du tribunal judiciaire de Vienne le 4 novembre 2020, sur le fondement de l’article 21-12 du code civil.

Par décision du 25 novembre 2020, le directeur des services de greffe judiciaires a refusé d’enregistrer sa déclaration de nationalité relevant que le jugement supplétif et l’acte de naissance produits, « n’ayant pas été établis conformément à la loi nationale », ne sont pas probants au sens de l’article 47 du code civil.

Par acte d’huissier de justice du 14 octobre 2021, [R] [G] a fait assigner le Procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins, principalement, de contester le refus d’enregistrement.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives et responsives notifiées par voie électronique le 9 décembre 2020, [R] [G] demande au tribunal de :

- le déclarer recevable et bien fondé en sa demande,

- ordonner l’enregistrement de sa déclaration de nationalité française souscrite le 26 septembre 2020 devant le greffe du tribunal judiciaire de Vienne,

- dire et juger qu’il est Français depuis le 26 septembre 2020 par l’effet de ladite déclaration,

- ordonner la mention prévue à l’article 28 du code civil,

- condamner l’Etat, en application des dispositions des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à verser la somme de 1.800 € à son conseil,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Au soutien de ses demandes, [R] [G] prétend que son dossier de souscription de déclaration de nationalité française présentait l’ensemble des pièces requises par les dispositions réglementaires de l’article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993.

Sur le fondement des articles 47 du code civil, 24 de l’accord de coopération en matière de justice entre les Républiques française et malienne du 9 mars 1962, 102, 106, 126, 126, 127, 133 et 134 de la loi malienne n° 2011-087 du 30 décembre 2011 portant code des personnes et de la famille malien, le demandeur fait valoir qu’il a joint à sa déclaration de nationalité une copie intégrale de son acte de naissance et un jugement supplétif d’acte de naissance du 11 juillet 2018 mentionnant l'année, le mois, le jour et le lieu de sa naissance, ainsi que le prénom qui lui a été donné, outre les noms, prénoms, professions et domicile de ses parents et les nom, prénom et qualité de l’officier d’état civil. Il met en exergue le fait qu’elle a aussi fait l’objet d’une légalisation qui, bien que superfétatoire, confirme son caractère probant.
Il prétend qu’au demeurant, une carte consulaire lui a été délivrée au vu de cet acte.
Il fait ainsi valoir que le caractère probant de son acte de naissance dressé conformément à la législation malienne ne saurait être remis en cause.
Il en conclut qu’il remplit les conditions exigées par l’article 21-12 du code civil.

Il conteste les allégations du ministère public portant sur l’irrégularité du jugement supplétif de naissance et sur l’absence de force probante de l’acte de naissance.

S’agissant de la violation du respect du contradictoire soulevée par le ministère public, sur le fondement de l’article 511 du code de procédure civile malien, le demandeur relève que la pièce qui accompagne l’acte de naissance est un extrait certifié conforme, et non une copie, du jugement supplétif rendu le 11 juillet 2018 par le tribunal de grande instance de Koulikoro, qui ne mentionne que la composition du tribunal et le dispositif de jugement. Il fait valoir que des démarches sont en cours de vue d’obtenir une copie du jugement.
Il constate également qu’à la simple lecture de l’extrait de jugement, celui-ci précise que le tribunal est composé notamment du Procureur de la République, lequel a donc bien participé aux débats. Le demandeur fait valoir que le ministère public malien a donc ainsi eu communication de la procédure portant sur son état civil et que le jugement supplétif a été rendu dans le respect du principe du contradictoire.
Il ajoute que l’extrait conforme du jugement mentionne bien l’identité du représentant du ministère public, lequel a ainsi été avisé de la procédure, de la date d’audience et a pu faire connaître son avis à la juridiction, de sorte que, conformément aux dispositions de l’article 462 du code de procédure civile malien, cette mention confirme que le représentant du ministère public a bien assisté aux débats.
Il en déduit que le jugement supplétif a été rendu dans les formes prévues par la loi malienne et dans le respect du principe du contradictoire.

S’agissant du défaut de motivation du jugement soulevée par le ministère public, il relève en premier lieu que les actes produits au soutien de sa déclaration de nationalité, à savoir son acte de naissance, l’extrait de jugement supplétif et sa carte consulaire sont parfaitement cohérents et qu’il en ressort qu’il est né le 23 novembre 2002 à [Localité 4] de [U] [G] et [L] [W]. Il considère en second lieu que le document est un extrait du jugement supplétif de sorte que la circonstance que cet extrait ne reproduise pas les motifs du jugement ne signifie pas pour autant que la décision ne serait pas motivée.
Il précise que les démarches qu’il a engagées auprès du tribunal de Koulikoro n’ont à ce jour pas encore abouti de sorte qu’il n’est pas en mesure de présenter la copie intégrale du jugement.
Il fait valoir qu’en tout état de cause, s’agissant d’une décision rendue en matière gracieuse, l’exigence de motivation doit être appréciée plus souplement que dans l’hypothèse d’une décision contentieuse.

Le demandeur considère enfin que, s’agissant de deux actes dont la finalité est différente dans la mesure où il n’existe aucune contradiction ou incohérence entre ces documents, la circonstance relevée par le ministère public, selon laquelle l’acte de naissance comporte des informations supplémentaires à celles mentionnées dans le jugement supplétif, n’est pas de nature à retirer à l’acte de naissance sa valeur probante.

Il relève qu’au demeurant, sur le fondement de l’article 57 de la loi du 28 juin 2006 devenu l’article 140 du code des personnes et de la famille, il ne ressort pas des mentions de l’acte de naissance qu’il aurait été modifié postérieurement à sa signature, le volet n° 3 ayant été visé dès le 16 juillet 2018 par le vice-président du tribunal de grande instance de la commune III du district de Bamako.

Il prétend ainsi justifier de façon certaine de son état civil.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 mars 2023, le Procureur de la République demande au tribunal de :

- dire que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- dire que [R] [G], se disant né le 23 novembre 2002 à [Localité 4] (MALI) n’est pas de nationalité française,

- débouter [R] [G] de l’ensemble de ses demandes,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civi,

- condamner le demandeur aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, le ministère public conteste la régularité internationale du jugement supplétif de naissance du 11 juillet 2018.
Il relève, d’une part, que la décision a été rendue en violation des articles 431, 732, 436 et 439 du Titre IX du code de procédure civile malien assurant le principe de la contradiction, l’exigence tenant à la transmission préalable de la procédure au parquet n’ayant pas été respectée. Il fait valoir par ailleurs, sur le fondement de l’article 462 dudit code, que la mention du nom du nom du Procureur de la République au niveau de la composition de la juridiction dans le jugement n° 437 ne peut permettre de régulariser l’irrégularité constatée et interroge sur l’authenticité de la décision.

Il conclut, d’autre part, sur le fondement de l’article 463 du code de procédure civile malien, que le jugement n’est motivé ni en fait ni en droit et que ne sont produits aux débats aucun document de nature à servir d’équivalents à la motivation défaillante. Il considère que l’argument du requérant selon lequel la copie du jugement n’est qu’un extrait de la décision expliquant cette absence de motivation ne serait tenir.

Il déduit de l’ensemble de ces éléments que le jugement malien du 11 juillet 2018 est contraire à la conception française de l’ordre public international et ne peut donc produire effet en France, de sorte que l’acte de naissance n° 39, dressé en exécution de ce jugement inopposable en France, ne peut faire foi au sens de l’article 47 du code civil.

Il constate qu’au demeurant, l’acte de naissance n’a pas établi conformément à l’article 66 de la loi malienne du 28 juin 2006 régissant l’état civil, repris à l’article 49 du code des personnes et de la famille malienne, relevant qu’il contient des précisions sur l’identité des parents que le jugement supplétif n’énonce nullement, à savoir la profession et le domicile de ces derniers. Il considère ainsi que l’acte a été rectifié sans procédure judiciaire préalable en violation de l’article 140 dudit code, de sorte que l’acte de naissance se trouve également privé pour ces raisons de valeur probante au sens de l’article 47 du code civil

Il en conclut que le demandeur ne justifie pas d’un état civil fiable.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 15 juin 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 20 mars 2024.

Les parties en ayant été avisées, le jugement a été mis en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de déclaration de nationalité française de [R] [G] :

En application de l’article 21-12 1° du code civil, peut réclamer la nationalité française, l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance.

Aux termes de l'article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2020, la déclaration faite sur le fondement de l'article 21-12 du code civil doit notamment être accompagnée de l’acte de naissance du déclarant.

En application de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe dès lors au Ministère public de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

Aux termes de l’article 24 de l’accord franco-malien du 9 mars 1962, publié au Journal officiel le 10 juillet 1964 et entré en vigueur le 14 janvier 1964, la FRANCE et le MALI sont dispensés de procédure de légalisation des actes de l’état civil.

L’article 66 de la loi malienne n° 06-024 du 28 juin 2006 régissant l’état civil au MALI dispose que « la transcription est l'opération par laquelle un officier de l'état civil recopie sur les registres, soit un acte de l'état civil établi par un autre centre d'état civil soit une décision judiciaire relative à l'état civil.
Toutefois, les jugements déclaratifs de naissance ou de décès sont transcrits sur des registres réservés à cet effet, lorsqu'ils ne se rapportent pas à des évènements de l‘année en cours qui, eux sont transcrits sur les registres de l'année en cours.
Les jugements déclaratifs de mariage sont transcrits sur un registre réservé à cet effet.
La transcription a pour objet, soit d'assurer aux actes et jugements une meilleure publicité, soit de remplir ou de rectifier des actes omis, non déclarés ou erronés. ».

En l’espèce, pour justifier de son état civil, [R] [G] verse à la procédure les photocopies des deux documents suivants :
-le volet n°3 délivré le 11 juillet 2018 par l’officier d’état civil de [Localité 4] (MALI) de l’acte de naissance n° 39 dressé en exécution du jugement n° 437 rendu par le tribunal civil de Koulikoro le 11 juillet 2018 (pièce 3),
- l’« extrait conforme » du jugement supplétif n°437 d’acte de naissance rendu le 11 juillet 2018 par le tribunal de grande instance de Koulikoro (pièce 4).

Il ressort de ces deux documents que [R] [G] est né le 23 novembre 2002 à [Localité 4].
Toutefois, la production d’un simple extrait du jugement supplétif de naissance, relatant exclusivement la composition du tribunal ayant statué sur l’affaire et le dispositif, ne permet pas de procéder à la vérification de la régularité internationale de la décision de justice malienne.
En outre, il convient de relever que le volet n° 3 de l’acte de naissance comporte plus d’éléments d’état civil que ne contient le dispositif de jugement produit, alors que l’acte de naissance est dressé en exécution du jugement supplétif de naissance.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’acte de naissance produit par [R] [G] est dépourvue de force probante.

Au demeurant, les cartes d’identité consulaire et de séjour temporaire de [R] [G] ne constituent pas des actes d’état civil permettant de pallier l’absence de production d’acte de naissance probant au sens de l’article 47 du code civil.

En l’absence d’état civil certain et fiable, [R] [G] ne peut acquérir la nationalité française, à quelque titre que ce soit, et, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les motifs surabondants, il convient de rejeter ses demandes et de constater son extranéité.

Le présent jugement ayant trait à la nationalité française, il convient d’ordonner qu’il soit procédé à la mention de l’article 28 du code civil.

Sur les dépens :

En application de l’article 696 alinéa 1 code de procédure civile et de l'article R93 II 2° du code de procédure pénale, il convient de laisser à [R] [G] la charge de ses dépens et à l’Etat la charge des frais exposés par le ministère public.

Il convient de débouter [R] [G], partie perdante, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, après débats, par jugement contradictoire,

DIT que [R] [G] se disant né le 23 novembre 2002 à [Localité 4] (MALI), n’est pas Français,

ORDONNE que la mention prévue à l'article 28 du code civil soit apposée,

DIT que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens,

DEBOUTE [R] [G] de sa demande indemnitaire sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

En foi de quoi, le président et le greffier ont signé le présent jugement,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Chambre 9 cab 09 f
Numéro d'arrêt : 21/06485
Date de la décision : 22/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-22;21.06485 ?
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