La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/05/2024 | FRANCE | N°21/04733

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Chambre 9 cab 09 f, 22 mai 2024, 21/04733


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/04733 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WAPJ

N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Jugement du :
22 Mai 2024


Affaire :

M. [F] [P]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE LYON (réf E21 21/1409)






le:

EXECUTOIRE+COPIE

Me Pauline DALMAZIR - 2803










LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Cham

bre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 06 Avril 2023,

Après rapport de Joëlle TARRISSE, juge, et après que...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/04733 - N° Portalis DB2H-W-B7F-WAPJ

N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Jugement du :
22 Mai 2024

Affaire :

M. [F] [P]
C/
M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE LYON (réf E21 21/1409)

le:

EXECUTOIRE+COPIE

Me Pauline DALMAZIR - 2803

LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 06 Avril 2023,

Après rapport de Joëlle TARRISSE, juge, et après que la cause eût été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2024, devant :

Président : Axelle LE BOULICAUT, Vice-présidente

Assesseurs :Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente
Joëlle TARRISSE, Juge

Assistés de Christine CARAPITO, greffière

et après qu’il en eût été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats, dans l’affaire opposant :

DEMANDEUR

Monsieur [F] [P]
né le 10 Juillet 2002 à [Localité 3] (GUINEE), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Pauline DALMAZIR, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 2803

DEFENDEUR

M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE LYON (réf E21 21/1409), Tribunal judiciaire de Lyon - [Adresse 2]

représenté par Amandine PELLA, substitut du procureur

EXPOSE DU LITIGE

[F] [P] se dit né le 10 juillet 2002 à [Localité 3] (REPUBLIQUE DE GUINEE). Après son arrivée en France, il dit avoir été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance en qualité de mineur non accompagné à compter du 21 juillet 2017 et pendant plus de trois ans.

[F] [P] a souscrit une déclaration de nationalité française devant le greffe du tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône le 3 juillet 2020, sur le fondement de l’article 21-12 du code civil. Par une décision du 1er février 2021, la directrice des services de greffe judiciaires a refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité au motif que « le jugement supplétif du 21 mars 2019 comporte une incohérence manifeste et l’acte de naissance produit ne fait pas foi aux termes de l’article 47 du code civil » et que « la période requise des 3 années n’est pas couverte, les documents produits établissant seulement qu’il a été confié à l’ASE pour une période de 34 mois et 27 jours. ».

Par acte d’huissier de justice du 21 juillet 2021, [F] [P] a fait assigner le Procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins, principalement, de contester le refus d’enregistrement.

Aux termes de son assignation qui constitue ses dernières conclusions, [F] [P] demande au tribunal de :

- accorder l’aide juridictionnelle à titre temporaire,

- dire que les conditions de l’article 21-12 du code civil sont remplies,

- dire qu’il est de nationalité française,

- ordonner la mention prévue à l’article 28 alinéa 2 du code civil,

- condamner le Trésor public à payer à Maître Amélie LAFORET la somme de 1 800,00 euros au titre des dispositions combinées de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 et de l’article 700 du code de procédure civile,

- condamner le Trésor public aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, [F] [P] prétend avoir été pris en charge plus de trois ans par les services de l’aide sociale à l’enfance, à compter du 21 juin 2017 jusqu’à sa majorité, et s’engage à apporter toutes les informations utiles à la juridiction concernant sa bonne foi à propos du jugement supplétif du 21 mars 2019, de telle sorte qu’il remplit les conditions prévues au 1° de l’article 21-12 du code civil.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 juin 2022, le Procureur de la République demande au tribunal de :

- dire que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- dire que [F] [P] se disant né le 10 juillet 2002 à [Localité 3] (Guinée) n’est pas français,
- débouter [F] [P] de toutes ses demandes,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Au soutien de ses prétentions, le ministère public relève que pour justifier de son identité, le demandeur produit une carte consulaire et son état civil.
Il constate, en premier lieu, qu’au verso difficilement lisible de l’extrait signé par [W] [X] d’acte de naissance n° 3084, transcrivant le même jour le jugement supplétif n° 6008 du 21 mars 2019, figure la légalisation de la signature de ce dernier, officier d’état civil, le 12 avril 2019, par [M] [Z], avec un tampon du ministère des affaires étrangères guinéen. Il relève que cette légalisation n’est pas valable, la personne l’ayant effectuée n’étant pas identifiée et le tampon « consulat » accompagnant la signature du légalisateur étant insuffisant. Il ajoute que le ministère des affaires étrangères n’est pas une autorité habilitée à légaliser.
Il observe, en second lieu, qu’au verso de la copie simple délivrée sans date du jugement supplétif n° 6008 figurent une mention de la transcription de ce jugement du 7 avril 2019 par [W] [X], chargé de l’état civil de [Localité 4] et la légalisation de la signature de [R] [P], juge présidente, le 12 avril 2019, par [M] [Z], juriste, avec un tampon du ministère des affaires étrangères guinéens. Il fait valoir que cette copie simple n’est pas recevable car elle n’est pas revêtue d’un tampon « certifié conforme à l’original », dûment signé par l’autorité dont elle émane. Il ajoute que la légalisation par le consulat devrait en principe concerner la signature du greffier ayant délivré la copie et non celle du juge, lequel n’a pas délivré la copie et n’a pas qualité pour le faire.
Il en déduit que la légalisation n’est pas valable, faute de légaliser les signatures idoines et d’émaner de signataires identifiés, ayant qualité pour représenter une autorité habilitée à légaliser.
Il en conclut que les actes de l’état civil produits ainsi que les jugements supplétifs sont irrecevables.

Il relève, en outre, qu’à supposer que les actes d’état civil aient été régulièrement légalisés, ils seraient en tout état de cause dépourvus de tout caractère probant au sens de l’article 47 du code civil.
Il prétend, d’une part, que certaines anomalies font douter de l’authenticité des copies d’acte de naissance produites. Il fait également observer que la mention de « République de Guinée » interroge dès lors que, selon lui, il est inutile d’indiquer, dans un acte guinéen à en-tête de la République de Guinée, que [Localité 3] se trouve en République de Guinée. Il ajoute que le jugement comporte des polices de taille différente. Il prétend, enfin et surtout, que le requérant produit le volet 1 de l’acte de décès de ses parents selon lequel, s’agissant du volet de gauche, [V] [P] est décédé le 29 avril 2015 à 14 heures, de sorte qu’il s’agit d’une incohérence dirimante.
Il constate, d’autre part, que le jugement supplétif est dépourvu de motivation. Il fait valoir à cet égard que la décision n’explicite pas pourquoi le requérant sollicite un jugement supplétif ni ne décrit les faits que les témoins viennent exposer, ni ce que révèle l’enquête, se bornant simplement à satisfaire la demande du requérant. Il relève, en outre, qu’il n’est pas précisé que ledit requérant, [V] [P], est le père de l’intéressé alors même qu’il est décédé le 29 avril 2015, le jugement ayant été rendu en date du 21 mars 2019. Il prétend également qu’aucun certificat de non existence d’acte à la souche n’est visé pour vérifier que l’intéressé n’avant pas déjà un acte de naissance dressé à l’état civil guinéen. Il en déduit qu’en l’absence de motivation cohérente, le jugement est contraire à l’ordre public international français. Il fait observer que, de surcroît, aucun certificat de non appel n’est produit avec ce jugement supplétif alors que les articles 601 et 602 du code de procédure civile guinéen prévoient un délai de recours de dix jours, suspensif d’exécution, y compris en matière gracieuse.
Il conclut qu’en tout état de cause l’acte de naissance n°3084 établi sur la base du jugement n°6008 inopposable en France n’est donc pas probant.

Il fait valoir que, par ailleurs, le demandeur ne remplit pas la condition de trois années de placement du 10 juillet 2020, ayant été placé pendant 34 mois et 27 jours, et qu’il ne saurait prétendre à la nationalité française sur ce fondement après sa majorité, la déclaration étant réservée aux mineurs.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 20 mars 2024.

Les parties en ayant été avisées, le jugement a été mis en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de déclaration de nationalité française de [F] [P] :

En application de l’article 21-12 1° du code civil, peut réclamer la nationalité française, l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance.

Aux termes de l'article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2020, la déclaration faite sur le fondement de l'article 21-12 du code civil doit notamment être accompagnée de l’acte de naissance du déclarant.

En application de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe dès lors au Ministère public de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

Comme pour tous les actes d’état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France, la formalité de légalisation demeure obligatoire selon la coutume internationale, sauf convention contraire. La France n'ayant conclu avec la République de Guinée aucune convention dispensant ces pays de cette formalité, la formalité de légalisation est indispensable pour que les actes d’état civil puissent être opposables en France. Seuls le consulat général de France en République de Guinée et le consulat général de République de Guinée en France peuvent procéder à cette légalisation.

En l’espèce, pour justifier de son état civil, [F] [P] verse à la procédure :

- le jugement supplétif de naissance n° 6008 rendu le 21 mars 2019 par le tribunal de première instance de Conakry III – Mafanco (REPUBLIQUE DE GUINEE), en vertu duquel l’intéressé est né le 10 juillet 2002 à [Localité 3], de [V] [P] et de [D] [K], comportant une mention de légalisation au verso datant du 12 avril 2019,

- l’extrait d’acte de naissance transcrit sous le n° 3084 en exécution dudit jugement supplétif, délivré par [W] [X], officier d’état civil délégué de [Localité 4], sur lequel figure également une mention de légalisation au verso datant du 12 avril 2019.

Or, il convient de relever que la légalisation des documents d’état civil a été réalisée le 12 avril 2019 par « [M] [Z] », désigné comme étant juriste, accompagnées du tampon du ministère des affaires étrangères de Guinée qui, en tout état de cause, ne correspond pas à l’une des deux autorités consulaires habilitées à procéder à cette formalité, de telle sorte qu’aucun de ces documents produits n’est valablement légalisé au regard de la coutume internationale.

En outre, s’il ressort du jugement supplétif guinéen que la requête avait été introduite le 14 mars 2019 par [V] [P], ce dernier était pourtant décédé depuis le 29 avril 2015 au vu de l’extrait de son acte de décès. Une telle incohérence relevée entre les documents d’état civil produits par [F] [P] confirme, en conséquence, le fait que la décision de justice guinéenne est dépourvue de force probante.
Au demeurant, la carte d’identité consulaire de [F] [P] ne constitue pas un acte d’état civil, de sorte qu’elle ne peut pallier l’absence de production d’acte de naissance probant au sens de l’article 47 du code civil.

En l’absence d’état civil certain et fiable, [F] [P] ne peut acquérir la nationalité française, à quelque titre que ce soit, et, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les motifs surabondants, il convient de rejeter ses demandes et de constater son extranéité.

Le présent jugement ayant trait à la nationalité française, il convient d’ordonner qu’il soit procédé à la mention de l’article 28 du code civil.

Sur les dépens :

En application de l’article 696 alinéa 1 code de procédure civile et de l'article R93 II 2° du code de procédure pénale, il convient de laisser à [F] [P] la charge de ses dépens et à l’Etat la charge des frais exposés par le ministère public.

Il convient de débouter [F] [P], partie perdante, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, après débats, par jugement contradictoire,

DIT que [F] [P], se disant né le 10 juillet 2002 à [Localité 3] (REPUBLIQUE DE GUINEE), n’est pas Français,

DEBOUTE [F] [P] de l’ensemble de ses demandes,

ORDONNE que la mention prévue à l'article 28 du code civil soit apposée,

DIT que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens,

DEBOUTE [F] [P] de sa demande indemnitaire sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

En foi de quoi, le président et le greffier ont signé le présent jugement,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Chambre 9 cab 09 f
Numéro d'arrêt : 21/04733
Date de la décision : 22/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-22;21.04733 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award