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22/05/2024 | FRANCE | N°21/01776

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Chambre 9 cab 09 f, 22 mai 2024, 21/01776


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/01776 - N° Portalis DB2H-W-B7F-VW5V

N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Jugement du :
22 Mai 2024


Affaire :

M. [T] [J]
C/
M. MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE ( ref E9-21/265)






le:

EXECUTOIRE+COPIE

Me Marie-noëlle FRERY - 292










LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Cham

bre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 06 Avril 2023,

Après rapport de Joëlle TARRISSE, juge, et après qu...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

NUMÉRO DE R.G. : N° RG 21/01776 - N° Portalis DB2H-W-B7F-VW5V

N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Jugement du :
22 Mai 2024

Affaire :

M. [T] [J]
C/
M. MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE ( ref E9-21/265)

le:

EXECUTOIRE+COPIE

Me Marie-noëlle FRERY - 292

LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 06 Avril 2023,

Après rapport de Joëlle TARRISSE, juge, et après que la cause eût été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2024, devant :

Président : Axelle LE BOULICAUT, Vice-présidente

Assesseurs :Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente
Joëlle TARRISSE, Juge

Assistés de Christine CARAPITO, greffière

et après qu’il en eût été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats, dans l’affaire opposant :

DEMANDEUR

Monsieur [T] [J]
né le 24 Avril 2002 à [Localité 3], domicilié : chez [Adresse 6]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/031788 du 20/01/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
représenté par Me Marie-noëlle FRERY, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 292

DEFENDEUR

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE ( ref E9-21/265), Tribunal judiciaire de Lyon - [Adresse 1]

Représenté par Amandine PELLA, substitut du procureur

EXPOSE DU LITIGE

[T] [J] se dit né le 24 avril 2002 à [Localité 3] (REPUBLIQUE DE GUINEE). Après son arrivée en France, il a été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance à compter du 5 avril 2017 en qualité de mineur non accompagné.

[T] [J] a souscrit une déclaration de nationalité française devant le greffe du tribunal judiciaire de Lyon le 11 juin 2020, sur le fondement de l’article 21-12 du code civil. Par une décision du 13 novembre 2020, le directeur des services de greffe judiciaires a refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité en l’absence d’acte de naissance probant au sens de l’article 47 du code civil.

Par acte d’huissier de justice du 9 février 2021, [T] [J] a fait assigner le Procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins, principalement, de contester le refus d’enregistrement.

Aux termes de ses conclusions en répliques et récapitulatives notifiée par voie électronique le 5 janvier 2023, [T] [J] demande au tribunal de :

- annuler le refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite par [T] [J] le 11 juin 2020,

- dire et juger que [T] [J], ressortissant guinéen né le 24 avril 2002 à [Localité 3] est de nationalité française, rétroactivement à la date de sa déclaration souscrite le 11 juin 2020 et, ce en application de l’article 21-12 1° du code civil,

- statuer ce que de droit sur les dépens recouverts comme en matière d’aide juridictionnelle sur l’affirmation de droit de Maître FRERY, avocate.

Au soutien de ses prétentions, [T] [J] fait valoir qu’il produit un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance établi par le juge de paix de [Localité 3] le 24 septembre 2018, transcrit sur le registre d’état civil de [Localité 3] sous le numéro 371 le 9 octobre 2018 et légalisé par le Ministère des Affaires Etrangères de la République de Guinée avec mention de la transcription au registre d’état civil.
Il ajoute que le Procureur de la République a omis d’indiquer qu’il avait obtenu des services de l’Ambassade de Guinée à [Localité 5] une carte d’identité consulaire délivrée le 11 mars 2020 et que son état civil a été établi par les autorités françaises puisque les services de la Préfecture du Rhône lui ont délivré une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale », avec les mêmes date et lieu de naissance.

Sur le fondement de l’article 47 du code civil, il soutient que l’ensemble des pièces produites démontrent que son état civil est parfaitement établi et reconnu tant par les autorités consulaires guinéennes en France, que par les services d’état civil ou il est né, ainsi que par l’autorité préfectorale française, qui ont particulièrement vérifié l’état civil et la nationalité du requérant.

Il prétend être arrivé en France au mois d’avril 2017 à l’âge de 15 ans et avoir été placé dès le 23 mai 2017, faisant valoir que par jugement en assistance éducative du 29 août 2017, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lyon l’a confié jusqu’à sa majorité aux services de l’aide sociale à l’enfance, les autorisant à accomplir toutes les démarches administratives, scolaires et médicales nécessaires pour le mineur. Il ajoute qu’une ordonnance d’ouverture d’une tutelle d’Etat a été prononcée par le juge des tutelles des mineurs du tribunal judiciaire de Lyon dès le 24 novembre 2017. Il se prévaut également du fait qu’il bénéficie d’un contrat jeune majeur avec la Maison de la Métropole de [Localité 7] jusqu’au 31 juillet 2021, qu’il est domicilié à [Localité 4], qu’il a successivement suivi sa scolarité de 2017 à 2021 à [Localité 2] et [G], que ses résultats scolaires sont particulièrement bons compte tenu de son diplôme du brevet et de ses bulletins, que c’est dans ces conditions qu’il a été accompagné des éducateurs de la Métropole qui le suivent depuis plusieurs années pour souscrire sa déclaration de nationalité française.
Il fait observer que sa minorité et son état civil ne sont pas mis en cause ni par le ministère public, ni par la Métropole, ni par le juge des tutelles ou par le juge des enfants.
Il en déduit que son état civil est établi est que sa minorité est applicable.

Il estime pouvoir réclamer la nationalité française sur le fondement de l’article 21-12 1° du code civil, faisant valoir qu’il a été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance pendant au moins 3 années au jour de sa déclaration, depuis précisément le 5 avril 2017, correspondant à la date de l’ordonnance de placement provisoire, cette prise en charge étant attestée par les services de la Métropole de [Localité 7].

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, le Procureur de la République demande au tribunal de :

- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- juger que [T] [J] n’est pas Français,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Au soutien de ses prétentions, le ministère public observe qu’aucune des copies de l’extrait du registre de l’état civil daté du 9 octobre 2018 et du jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance guinéen du 24 septembre 2018 produites pour la souscription de sa déclaration n’est une expédition certifiée conforme par l’autorité ayant compétence pour la délivrer. Il en déduit que le demandeur ne rapporte pas la preuve d’un état civil probant au sens de l’article 47 du code civil.

Il prétend également que le demandeur a justifié de plusieurs légalisations, dont aucune n’est cependant régulière. Il relève que la mention de légalisation de signature du 14 octobre 2018 figurant au verso du jugement supplétif émane du ministère des affaires étrangères de la République de Guinée et non de l’autorité compétente pour y procéder, soit l’autorité consulaire de France en République de Guinée ou le consulat de la République de Guinée en France. Il ajoute que la deuxième mention de légalisation par [U] [B], chargée des affaires consulaires, ne porte pas sur la signature du greffier qui a délivré la copie, de sorte que le jugement est inopposable en France faute de légalisation conforme à l’article 2 de la Convention de la Haye 5 octobre 1961, à la jurisprudence de la Cour de cassation et à la coutume internationale. Il en déduit que l’acte de naissance dressé suivant transcription de ce jugement ne peut donc faire foi au sens de l’article 47 du code civil.

Le ministère public en conclut que le demandeur ne justifie pas d’un état civil fiable et donc de sa minorité au jour de la souscription de sa déclaration de nationalité sur le fondement de l’article 21-12 1° du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 mars 2016 qu’il considère applicable en l’espèce.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 20 mars 2024.

Les parties en ayant été avisées, le jugement a été mis en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de déclaration de nationalité française de [T] [J] :

En application de l’article 21-12 1° du code civil, peut réclamer la nationalité française, l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance.

Aux termes de l'article 16 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993, dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2020, la déclaration faite sur le fondement de l'article 21-12 du code civil doit notamment être accompagnée de l’acte de naissance du déclarant.

En application de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe dès lors au Ministère public de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

Comme pour tous les actes d’état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France, la formalité de légalisation demeure obligatoire selon la coutume internationale, et sauf convention contraire. La France n'ayant conclu avec la République de Guinée aucune convention dispensant ces pays de cette formalité, la formalité de légalisation est indispensable pour que les actes d’état civil puissent être opposables en France. Seuls le consulat général de France en République de Guinée ou le consulat général de République de Guinée en France, peuvent procéder à cette légalisation.

En l’espèce, pour justifier de son état civil, [T] [J] verse à la procédure :

- un jugement supplétif de naissance n°0935 rendu par la justice de paix de [Localité 3] (REPUBLIQUE DE GUINEE), en vertu duquel l’intéressé est né le 24 avril 2002 à [Localité 3], de [Y] [A] [J] et de [F] [B], cette décision étant munie de deux mentions de légalisation, la première ayant été réalisée par [R] [D] [K], sous-directeur des affaires consulaires, le 14 novembre 2018 et la seconde par [U] [B], « Attachée fin/cons », le 11 mars 2020,

- un extrait d’acte de naissance transcrit sous le numéro 371 en exécution de cette décision, délivré le 9 octobre 2018 par [E] [W], officier délégué d’état civil de [Localité 3], comportant également deux mentions de légalisation réalisées le 7 octobre 2020 par [O] [C], juriste, et le 21 octobre 2020 par [U] [B], chargée des affaires consulaires.
Si aucun de ces documents n’est revêtu de la mention « certifiée conforme », force est de constater que, d’une part, le jugement guinéen comporte le tampon du greffier en chef permettant d’identifier qu’il s’agit d’une copie de décision de justice et que, d’autre part, un extrait d’acte de naissance figurant sur les registres de l’état civil n’exige pas l’apposition d’une telle mention.

Cependant, il convient de relever que les pièces produites par [T] [J] ne sont pas les originaux mais de simples photocopies de documents d’état civil.

En outre, la première mention de légalisation figurant sur le jugement supplétif guinéen a été réalisée par le « sous-directeur des affaires consulaires » le 14 novembre 2018, accompagnée du tampon de la « Sous-direction des affaires consulaires ». En tout état de cause, il ne s’agit pas d’une autorité consulaire habilitée à procéder à cette formalité.
De plus, la seconde mention de légalisation, réalisée par [U] [B] le 11 mars 2020 au verso de la décision, n’est assortie d’aucun tampon permettant d’identifier à quelle autorité est rattachée cette dernière.
Partant de ce constat, la copie du jugement guinéen n’est pas valablement légalisée au regard de la coutume internationale.

S’agissant de l’extrait d’acte de naissance, la première mention de légalisation réalisée par [O] [C] le 7 octobre 2020, portant sur la signature de l’officier d’état civil ayant délivré l’extrait d’acte de naissance, est accompagnée d’un tampon illisible ne permettant pas d’identifier l’autorité qui a procédé à cette formalité.
Enfin, il convient de relever que la mention de légalisation faite par [U] [B] le 21 octobre 2020, n’est assortie d’aucun tampon de l’une des deux autorités consulaires compétentes et porte sur la signature de « [O] [C] », de sorte qu’elle ne permet pas d’authentifier la signature de l’officier d’état civil ayant délivré l’extrait. Ainsi, cette seconde mention de légalisation n’est pas valable.

Au demeurant, les cartes de séjour et d’identité consulaire produites par [T] [J] ne constituent pas des actes d’état civil, de sorte qu’elles ne peuvent pallier l’absence de production d’acte de naissance probant.

En l’absence d’état civil certain et fiable, [T] [J] ne peut acquérir la nationalité française, à quelque titre que ce soit, et, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les motifs surabondants, il convient de rejeter ses demandes et de constater son extranéité.

Le présent jugement ayant trait à la nationalité française, il convient d’ordonner qu’il soit procédé à la mention de l’article 28 du code civil.

Sur les dépens :

[T] [J] étant bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle, il convient de laisser les dépens à la charge de l’Etat en application de l’article 696 alinéa 2 du code de procédure civile, de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et de l'article R93 II 2° du code de procédure pénale. Pour la part engagée par la Maître FRERY, avocate, les dépens seront directement recouvrés par elle en application de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, après débats, par jugement contradictoire,

DIT que [T] [J], se disant né le 24 avril 2002 à [Localité 3] (REPUBLIQUE DE GUINEE). n’est pas Français,

DEBOUTE [T] [J] de l’ensemble de ses demandes,

ORDONNE que la mention prévue à l'article 28 du code civil soit apposée,

LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public, avec recouvrement direct par Maître FRERY, avocate, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

En foi de quoi, le président et le greffier ont signé le présent jugement,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Chambre 9 cab 09 f
Numéro d'arrêt : 21/01776
Date de la décision : 22/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-22;21.01776 ?
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