TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 9 cab 09 F
NUMÉRO DE R.G. : N° RG 20/05057 - N° Portalis DB2H-W-B7E-VCXS
N° de minute :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Jugement du :
22 Mai 2024
Affaire :
Mme [S] [Y] ès qualité de représentante légale d’[V] [Y] née le 28 novembre 2011
C/
M. MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
le:
EXECUTOIRE+COPIE
l’AARPI A3 AVOCATS - 324
LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 22 Mai 2024, le jugement contradictoire suivant, après que l’instruction eût été clôturée le 06 Avril 2023,
Après rapport de Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente, et après que la cause eût été débattue à l’audience publique du 20 Mars 2024, devant :
Président : Axelle LE BOULICAUT, Vice-présidente
Assesseurs :Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente
Joëlle TARRISSE, Juge
Assistés de Christine CARAPITO, greffière
et après qu’il en eût été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats, dans l’affaire opposant :
DEMANDERESSE
Madame [S] [Y] ès qualité de représentante légale d’[V] [Y] née le 28 novembre 2011, demeurant [Adresse 2]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/006655 du 10/06/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
représentée par Maître Marie DEI CAS-JACQUIN de l’AARPI A3 AVOCATS, avocats au barreau de LYON, vestiaire : 324
DEFENDEUR
MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, Tribunal judiciaire de Lyon - [Adresse 1]
représenté par Amandine PELLA, substitut du procureur
EXPOSE DU LITIGE
[V] [Y] se dit née sous le nom de famille [G] le 28 novembre 2011 à [Localité 3] (ALGÉRIE). Elle a été confiée par décision de justice algérienne du 25 mars 2012 à [S] [Y], de nationalité française.
[S] [Y], en qualité de représentante légale de [V] [Y], a souscrit une déclaration de nationalité française au nom de cette dernière devant le greffe du tribunal judiciaire de Lyon le 27 octobre 2019, sur le fondement de l’article 21-12 du code civil.
Par une décision du 17 février 2020, la directrice des services de greffe judiciaires a refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité au motif que [S] [Y] ne justifie pas d’un état civil fiable pour [V] [Y], retenant que la déclarante n’a pas fait parvenir une copie intégrale de l’acte de naissance comportant toutes les mentions légales avant le 23 janvier 2020, alors qu’elle y était invitée.
Par acte d’huissier de justice du 28 juillet 2020, [S] [Y], en qualité de représentante légale de [V] [Y], a fait assigner le Procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins, principalement, de contester le refus d’enregistrement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 juin 2022, [S] [Y], en qualité de représentante légale de [V] [Y], demande au tribunal de :
- juger que sa demande est recevable et bien fondée,
- juger que l’état civil de [V] [Y] est établi,
- juger que le recueil sur décision de justice de [V] [Y] par elle, de nationalité française, qui l’élevait depuis plus de trois ans au jour de la souscription de nationalité, est établi,
- juger que [V] [Y] est de nationalité française,
- ordonner la délivrance d’un certificat de nationalité française de [V] [Y],
- ordonner la mention prévue à l’article 28 du code civil,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
A l’appui de ses prétentions, [S] [Y] revendique le fait qu’elle est de nationalité française et que suivant acte de recueil légal du 25 mars 2012, elle a recueilli [V] [G], devenue [V] [Y] par décision du 30 avril 2012.
Concernant l’état civil de l’enfant, elle fait valoir qu’elle produit, à l’appui de la déclaration de nationalité, l’acte de recueil légal ([J]) de [V] [G] du 25 mars 2012, la décision de changement de nom de l’intéressée du 30 avril 2012, et une copie intégrale d’acte de naissance de l’enfant conformément à la demande de la directrice des services de greffe judiciaires.
Elle prétend, en outre, qu’une nouvelle copie intégrale de l’acte de naissance de l’enfant portant mention de la qualité de la déclarante, Madame [U] [K], fonctionnaire, lui a été délivrée.
Elle fait également remarquer que la copie intégrale d’acte de naissance porte le même numéro 17355 que celui mentionné dans la décision de changement de nom de l’enfant.
Elle en déduit que l’état civil de l’intéressée est établi de manière certaine.
Concernant son propre état civil, [S] [Y] revendique la production de la copie intégrale de son acte de naissance.
Concernant le recueil effectif de l’enfant par elle depuis au moins trois ans au jour de la souscription de la déclaration, [S] [Y] fait valoir qu’elle produit :
- de nombreuses attestations relatives à l’accueil de l’enfant depuis le mois de mai 2022, soit depuis plus de trois ans avant la souscription de la déclaration de nationalité,
- d’une attestation de droits de la CAF de mai 2012, correspondant à la date d’arrivée de l’enfant en France et de sa pris en charge effective, à mai 2022, aux termes de laquelle elle a perçu des prestations pour l’intéressée depuis cette date,
- des certificats de scolarité et d’inscription périscolaire de 2015 à 2022 la mentionnant en qualité de représentante légale de l’enfant et en tout état de cause démontrant que le domicile de cette dernière est fixé à son adresse,
- un courrier de la maison du Rhône au sujet d’une visite médicale de l’enfant en mars 2015 ainsi qu’un certificat d’affiliation de cette dernière à sa mutuelle à compter du 1er janvier 2016.
Elle prétend ainsi que l’enfant remplit l’ensemble des conditions de l’article 21-12 du code civil.
Par ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 octobre 2022, le Procureur de la République demande au tribunal de :
- constater que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- débouter [S] [Y] de ses demandes et constater l’extranéité de [V] [Y] née le 28 novembre 2011 à [Localité 3] (Algérie),
- ordonner la mention prévue par les articles 28 du code civil, 1059 du code de procédure civile et le décret n° 65-422 du 1er juin 1965 portant création d’un service central au ministère des affaires étrangères.
A l’appui de ses prétentions, le Procureur de la République soulève le fait que la demande de [S] [Y] relative à un certificat de nationalité française est sans objet dès lors qu’il ressort de ses écritures qu’elle sollicite l’infirmation de la décision de refus d’enregistrement de la déclaration.
Il relève qu’il est justifié à la présente instance de l’état civil de [V] [Y] par la copie d’un acte de naissance algérien n° 17355 dressé sur déclaration de [K] [U] par [H] [R] [N], officier d’état civil à la commune d’[Localité 3]. Il fait observer que seuls les prénom et nom du déclarant sont mentionnés, ce qui ne permet pas d’établir qu’il avait bien la qualité pour faire cette déclaration, la loi algérienne relative à l’état civil prévoyant qu’à défaut de l’être par parents, la naissance est déclarée par les docteurs en médecine, sage-femmes ou autres personnes ayant assisté à l’accouchement, et lorsque la mère aura accouché hors de son domicile, par la personne chez qui elle accouche. Il conclut que l’acte n’a pas été dressé conformément à la loi, ce qui le prive de force probante au sens de l’article 47 du code civil.
Il fait également valoir que la nouvelle copie d’acte de naissance produite mentionne « [K] [U], fonctionnaire » comme déclarant de la naissance. Il constate, cependant, qu’il ne ressort pas de cette copie, indiquant la profession de fonctionnaire sans aucune autre précision, que cette personne avait la qualité pour déclarer la naissance au sens de la loi algérienne. Il en déduit que l’acte n’est pas probant au sens de l’article 47 du code civil.
Par contre, il constate que [S] [Y] produit des pièces justificatives du recueil effectif de l’enfant [V] [Y] depuis au moins trois ans au jour de la souscription de la déclaration.
Il relève en revanche que [S] [Y] ne produit pas de nouvelle copie de l’acte de naissance de l’intéressée en dépit de ses observations.
Il soutient également qu’aucune copie versée aux débats n’indique la date à laquelle l’acte de naissance a été dressé alors que l’article 30 de l’ordonnance algérienne n°70-20 du 19 février 1970 relative à l’état civil prévoit que les actes d’état civil algériens énoncent l’année, le jour et l’heure où ils sont reçus.
Il ajoute que les déclarations de naissance doivent être faites dans les cinq jours de l’accouchement en application de l’article 61 de ladite ordonnance, la date d’établissement de l’acte de naissance permettant d’établir s’il a été dressé dans le délai légal.
Il constate ainsi qu’aucun acte de naissance probant au sens de l’article 47 du code civil n’est produit.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 20 mars 2024.
Les parties en ayant été avisées, le jugement a été mis en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.
MOTIVATION
A titre liminaire, il convient, en application de l’article 12 du code de procédure civile, de requalifier la demande de délivrance d’un certificat de nationalité française de [V] [Y], formulée par [S] [Y], en demande de déclaration de nationalité française de [V] [Y] dès lors qu’elle est fondée sur les dispositions de l’article 21-12 1° du code civil.
Sur la demande de déclaration de nationalité de [V] [Y] :
En application de l’article 21-12 1° du code civil, peut réclamer la nationalité française, l’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance.
En application de l’article 47 du code civil, « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe dès lors au Ministère public de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.
L’article 30 de l’ordonnance n°70-20 du 19 février 1970 relative à l’Etat civil en ALGÉRIE prévoit que “les actes d’état civil énoncent l’année, le jour et l’heure où ils sont reçus, les prénoms, noms, professions et domicile de tous ceux qui y sont dénommés, les dates et lieux de naissance des père et mère dans les actes de naissance, des époux dans les actes de mariage, du décédé, dans les actes de décès, sont indiqués lorsqu’ils sont connus ; dans le cas contraire, l’âge desdites personnes est désigné par leur nombre d’années comme l’est, dans tous les cas, l’âge des déclarants. En ce qui concerne les témoins, leur qualité de majeur est seule indiquée. Peuvent aussi être indiqués, les surnoms ou sobriquets, si une confusion est à craindre entre plusieurs homonymes ; ils doivent alors être précédés de l’adjectif “dit”.
L’article 60 prévoit que “l’acte de naissance énonce l’an, le mois, le jour, l’heure, le lieu de naissance, le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui sont donnés, les prénoms, nom, âge, profession, et domicile des parents et, s’il y a lieu, ceux du déclarant, sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l’article 64 ci-dessous”.
L’article 62 de cette ordonnance prévoit en outre que “la naissance de l’enfant est déclarée par le père ou la mère ou, à leur défaut, par les docteurs en médecine, sage-femmes ou autres personnes qui ont assisté à l’accouchement ; lorsque la mère aura accouché hors de son domicile par la personne chez qui elle a accouché”.
L’article 4 de l’arrêté du 29 décembre 2014 fixant les caractéristiques techniques des documents de l’état civil en ALGÉRIE prévoit que les documents de l’état civil “comportent un code de barre”.
En l’espèce, pour justifier de l’état civil de [V] [Y], [S] [Y] verse à la procédure :
- une première copie intégrale en langue française de l’acte de naissance n°17355 établie sur formulaire EC7 avec un code-barre, délivrée par l’officier d’état civil de la commune d’[Localité 3] le 4 août 2019, dépourvue de toute indication relative au déclarant de la naissance et de toute mention de rectification du nom de l’intéressée par jugement de [J] (pièce 6),
- une copie d’acte de naissance rédigée en langue arabe (pièce 6),
- une deuxième copie de l’acte de naissance délivrée le 25 août 2020, désignant cette fois-ci « [K] [U] » en qualité de déclarante de la naissance de [V] [Y] et mentionnant que l’acte a été rectifié suivant jugement de [J] prononcé par le tribunal d’[Localité 3] le 30 avril 2012 pour remplacer le nom patronymique de [V] [G] par [V] [Y] (pièce 7),
- une troisième copie intégrale délivrée le 19 mai 2021 de l’acte de naissance rectifié par jugement de [J] du 30 avril 2012, précisant que [U] [K] était « fonctionnaire » (pièce 11),
- le jugement de [J] rendu par le tribunal d’[Localité 3] le 30 avril 2012, accompagné de sa traduction française, ordonnant, après vérification de l’acte de naissance de [V] [G] n° 17355, le changement de nom de l’enfant pour devenir [V] [Y] (pièce 3).
Si la dernière copie d’acte de naissance n’indique pas précisément la fonction exercée par la déclarante de la naissance désignée comme étant « fonctionnaire », cela ne remet par contre pas en cause la force probante du document.
Néanmoins, il convient de relever qu’aucune des trois copies n’indique la date et l’heure à laquelle l’acte de naissance a été dressé, alors qu’il s’agit de mentions substantielles du droit algérien en application de l’article 30 de l’ordonnance n° 70-0 du 19 février 1970 relative à l’Etat civil en ALGÉRIE.
Par ailleurs, le respect du délai légal d’établissement de l’acte de naissance ne peut être vérifié en l’absence de telles mentions, les déclarations de naissance devant être faites « dans les cinq jours de l’accouchement, à l’officier d’état civil du lieu, sous peine des sanctions prévues à l’article 442, 3° du code pénal » en vertu de l’article 61 alinéa 1er de l’ordonnance algérienne précitée.
Partant, les copies d’acte de naissance françaises ne sont pas rédigées selon les formes usitées en ALGÉRIE et la force probante de la copie de l’acte de naissance en langue arabe ne peut être vérifiée.
Il résulte que [S] [Y] ne justifie de l’état civil de [V] [Y] par la production d’un acte de naissance probant au sens de l’article 47 du code civil.
En l’absence d’état civil fiable et certain, [V] [Y] ne peut acquérir la nationalité française, à quelque titre que ce soit, et, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les motifs surabondants, il convient de rejeter ses demandes et de constater son extranéité.
Le présent jugement ayant trait à la nationalité française, il convient d’ordonner qu’il soit procédé à la mention de l’article 28 du code civil.
Sur les dépens :
[S] [Y] étant bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, il convient de laisser les dépens à la charge de l’Etat en application de l’article 696 alinéa 2 du code de procédure civile, de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et de l'article R93 II 2° du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, après débats, par jugement contradictoire,
DIT que [V] [Y], se disant née sous le nom de famille [G] le 28 novembre 2011 à [Localité 3] (ALGÉRIE), n’est pas Française,
ORDONNE que la mention prévue à l'article 28 du code civil soit apposée,
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public,
En foi de quoi, le président et le greffier ont signé le présent jugement,
LE GREFFIER LE PRESIDENT