TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 9 cab 09 F
R.G N° : N° RG 22/04821 - N° Portalis DB2H-W-B7G-W2RR
Jugement du 30 Avril 2024
N° de minute
Affaire :
Mme [N] [S] [Y] épouse [I],
Mme [H] [I],
M. [M] [I],
M. [A] [I]
C/
S.A. SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION - SLC
le:
EXECUTOIRE + COPIE
Me Séverine BATTIER
- 1069
la SELAS LEGA-CITE
- 502
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du 30 Avril 2024 le jugement contradictoire suivant,
Après que l’instruction eut été clôturée le 19 Octobre 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 05 Mars 2024 devant :
Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente,
siégeant en qualité de Juge Unique,
Assistée de Danièle TIXIER, Greffière,
Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :
DEMANDEURS
Madame [N] [S] [Y] épouse [I]
née le 25 Décembre 1943 à [Localité 13],
demeurant[Adresse 9]s - [Localité 6]
représentée par Me Séverine BATTIER, avocat au barreau de LYON
Madame [H] [I]
née le 14 Mai 1971 à [Localité 12],
demeurant[Adresse 3]y - [Localité 5]
représentée par Me Séverine BATTIER, avocat au barreau de LYON
Monsieur [M] [I]
né le 13 Avril 1973 à [Localité 12],
demeurant [Adresse 4] - [Localité 5]
représenté par Me Séverine BATTIER, avocat au barreau de LYON
Monsieur [A] [I]
né le 15 Septembre 1974 à [Localité 12],
demeurant [Adresse 1] - [Localité 8]
représenté par Me Séverine BATTIER, avocat au barreau de LYON
DEFENDERESSE
S.A. SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION - SLC, dont le siège social est sis [Adresse 10] -[Localité 7]N
représentée par Maître Olivier DOLMAZON de la SELAS LEGA-CITE, avocats au barreau de LYON
EXPOSE DU LITIGE
Madame [N] [Y] épouse [I] était propriétaire, pour 5/8 en pleine propriété et 3/8eme en usufruit d’une maison sis à [Adresse 14].
Ses enfants, [H], [M] et [A] [I], étaient propriétaires à hauteur d’un 1/8ème chacun en nue-propriété.
Une première promesse unilatérale de vente a été conclue entre les consorts [I] et la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION (SLC), suivant acte reçu par Maître [U] [Z], Notaire, le 19 décembre 2013, moyennant le prix de 3 500 000 euros.
La SLC souhaitait notamment réaliser une opération de promotion immobilière sur la partie constructible.
Cette promesse avait été conclue pour une durée expirant le 30 novembre 2014, prorogée au plus tard le 31 décembre 2016, en cas de recours contre les éventuelles autorisations accordées au bénéficiaire.
Or, l’arrêté de permis de construire délivré par le maire de SAINT CYR AU MONT D’OR a fait l’objet d’un recours gracieux par deux voisins, le 1er octobre 2014, qui en l’absence de réponse de la commune, l’ont contesté devant le tribunal administratif.
Leur recours été rejeté par ordonnance du 11 mai 2016.
La décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat qui a rendu une décision de non admission de celui-ci le 20 mars 2017.
L’ensemble des parties ont donc convenu de la caducité de la promesse du 19 décembre 2013.
Une nouvelle promesse unilatérale de vente a été conclue sous divers conditions suspensives, suivant acte du 13 juin 2017, le prix convenu initialement entre les parties étant diminué à hauteur de 1 980 440 euros.
Elle prévoit notamment la fixation d’un complément de prix, dépendant d’une instance introduite par la SLC pour procédure abusive contre les deux voisins ayant exercé un recours contre le permis de construire précédemment obtenu.
La réalisation de la vente est intervenue suivant acte authentique reçu le 13 décembre 2017, la clause de complément de prix y étant reprise dans les mêmes termes que ceux stipulés dans la promesse.
La demande d’indemnisation formée par la SLC a été rejetée par le tribunal judiciaire de VIENNE, le 25 février 2021.
Le Conseil de cette dernière a informé les consorts [I], le 24 septembre suivant, qu’aucun recours n’avait été formé contre cette décision, au motif qu’il n’avait aucune chance d’aboutir, s’opposant à tout droit à indemnisation de leur part.
Par assignation, délivrée le 16 mai 2022, Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] ont fait citer la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION devant le tribunal judiciaire de LYON.
Au terme de leurs dernières écritures notifiées par RPVA le 24 août 2023, les consorts [I] demandent, au visa des articles 1103 et suivants du code civil de :
– Déclarer Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] recevables et bien fondés en leurs demandes,
– Condamner la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION-SLC à payer à Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] la somme de 361 810.00 € au titre du préjudice subi en termes de perte de chance de pouvoir percevoir le complément de prix contractuellement convenu, outre intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2021,
SUBSIDIAIREMENT,
– Condamner la SLC à payer à Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] la somme de 361 810.00 € en réparation du préjudice moral et financier dont ils ont été victimes du fait des manœuvres dolosives de la SLC ayant vicié leur consentement, à hauteur du complément de prix que la SLC leur a promis alors qu’elle savait qu’il ne pourrait pas être obtenu, et de la diminution du prix de vente qu’ils ont consentie sans aucune contrepartie,
– Condamner la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION-SLC à payer à Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] la somme de 3000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION- SLC aux entiers dépens,
– Dire et juger qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire attachée à la décision à intervenir.
A titre liminaire, les consorts [I] font valoir que la SLC a négocié le prix à la baisse pour tenir compte du préjudice qu’elle subissait du fait du recours exercé contre le permis de construire et du retard dans les travaux qui en découlait.
A titre principal, rappelant les termes de la clause portant sur le complément de prix, ils en déduisent que malgré la clarté de son engagement contractuel, la SLC a manqué à son obligation d’interjeter appel de la décision défavorable rendue, leur faisant perdre une chance de percevoir celui-ci.
Reprenant les moyens soulevés par la défenderesse, soutenant que le recours n’avait aucune chance d’aboutir, ils considèrent que le suivi de son raisonnement revient à dire que leur consentement aurait été vicié à la signature de la promesse, la SLC les ayant convaincus de signer en leur faisant espérer le succès d’une action qu’elle savait pourtant vouée à l’échec.
Selon eux, à défaut de chance de succès d’un recours, la clause « COMPLEMENT DE PRIX » était vide de sens, n’ayant vocation qu’à les convaincre de s’engager au prix négocié.
Reprenant l’interprétation de la clause visée, ils soutiennent que l’expression « si nécessaire » concerne l’hypothèse d’un appel et/ou pourvoi en cassation qu’engageraient les parties adverses, de sorte que, dans ce cas de figure, la société s’engagerait à se porter en appel et en cassation.
Ils relèvent au regard du paragraphe suivant, concernant lui l’hypothèse où le jugement de première instance débouterait la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION de ses demandes, que celle-ci n’avait alors aucun pouvoir d’appréciation pour décider d’un éventuel appel.
A titre subsidiaire, les consorts [I] se prévalent du dol.
Ils soutiennent avoir été trompés par la SLC qui a obtenu leur consentement par des manœuvres et par la dissimulation intentionnelle d’une information, à savoir la faible chance de succès de la procédure engagée, dont elle savait le caractère déterminant pour eux.
Ils précisent que la défenderesse leur avait d’ailleurs remis les conclusions notifiées par son avocat en décembre 2016 ainsi que le courrier de celui-ci, ne contenant aucune réserve sur les chances de succès de la procédure judiciaire, pour les persuader d’accepter la diminution du prix et la clause de complément du prix en contrepartie, cette dernière étant en réalité illusoire et dérisoire.
Ils lui reprochent enfin de ne jamais les avoir tenus informés du suivi de la procédure, les contraignant à l’interpeller, n’ayant plus aucune nouvelle de la défenderesse lorsqu’ils l’ont sollicitée pour connaitre l’issue du procès le 24 mars 2021.
La SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION, dans ses dernières conclusions transmises électroniquement le 26 avril 2023, sollicite au visa des articles 1137, 1169, 1188 et 1231-1 du code civil, ainsi que des articles 699 et 700 du code de procédure civile, de :
– Dire et juger que la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION n’a commis aucun manquement contractuel entrainant l’engagement de sa responsabilité contractuelle,
– Dire et que juger que Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] ne justifient pas de la réalité du préjudice qu’ils allèguent,
En conséquence,
– Débouter Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] de l’ensemble de leurs demandes, fins et moyens,
– Condamner Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] in solidum à payer à la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION la somme de 7000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Madame [N] [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] in solidum, aux entiers frais et dépens de la présente instance avec distraction au profit de la Selas Léga-Cité, avocat sur son affirmation de droit qu’elle en fait l’avance, à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.
D’une part, la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION conclut que le seul fait de ne pas avoir interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de VIENNE ne constitue pas une inexécution contractuelle de sa part.
Selon elle, la clause relative au complément de prix stipule que la société LCL poursuivrait la procédure en appel « si nécessaire », de sorte qu’elle n’a jamais prévu un droit acquis au versement de celui-ci, a fortiori à hauteur de la somme que les requérants réclament.
Elle souligne que la seule obligation de résultat à laquelle elle s’était engagée était le versement de l’indemnité en cas de succès.
Elle considère qu’elle disposait d’un pouvoir d’appréciation souverain pour déterminer si la poursuite du procès en appel s’imposait ou non.
S’appuyant sur la motivation du tribunal judiciaire de VIENNE, elle conclut qu’un appel dudit jugement n’avait aucune chance d’aboutir à une infirmation, rappelant qu’elle a été également condamnée à verser des dommages et intérêts à leurs adversaires. Elle reproche à ce titre aux consorts [I] de ne pas faire état de moyens de fait et de droit nouveaux qui auraient pu être développés en cause d’appel.
Elle affirme que les demandeurs ne peuvent soutenir que la clause visée aurait été vide de son sens, soulignant qu’elle n’aurait pas engagé des frais et du temps dans cette procédure si elle n’avait pas eu l’espoir d’obtenir une condamnation.
D’autre part, elle soutient que les consorts [I] ne rapportent pas la moindre justification du préjudice qu’ils allèguent.
Elle rappelle qu’ils n’avaient pas un droit acquis à percevoir une telle somme, qui était le montant maximum envisagé, que rien ne permet de tenir pour acquis qu’elle aurait elle-même pu percevoir ce montant à titre d’indemnité.
Elle souligne également que les requérants admettent eux-mêmes que le préjudice qu’ils pourraient avoir subi ne consisterait qu’en une perte de chance de percevoir le complément de prix contractuellement prévu, celui-ci n’étant démontré que si l’action présentait une chance sérieuse de succès. Elle en déduit qu’ils échouent à la démontrer, qu’elle n’est qu’hypothétique.
En tout état de cause, elle rappelle que la perte de chance est habituellement évaluée à hauteur de 10% pour tenir compte du caractère aléatoire du gain manqué, relevant néanmoins qu’elle ne peut être ainsi fixée en l’espèce, étant purement hypothétique.
Enfin, s’agissant du dol invoqué subsidiairement par les demandeurs, la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION considère qu’ils ne peuvent se fonder sur une prétendue dissimulation intentionnelle d’une information de sa part alors qu’ils rapportent eux-mêmes la preuve qu’ils ont toujours été informés de l’état de la procédure. Elle en déduit qu’ils ont accepté cet aléa.
Elle rappelle également que le dol s’apprécie au moment de la conclusion de l’accord, relevant que c’est seulement au regard des motifs du jugement qu’elle a apprécié qu’un appel éventuel n’avait que peu de chance d’aboutir.
S’agissant de la contrepartie qualifiée d’illusoire par les requérants, elle considère que le prix d’1 980 440 euros ne l’est pas.
Sur quoi, l'ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2023 et l’affaire, après avoir été renvoyée pour plaidoirie à l’audience du 05 mars 2024, a été mise en délibéré au 30 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’étendue de la saisine
Les demandes de « constater » et de « donner acte » ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, pas plus que les demandes de « dire et juger » lorsqu’elles développent en réalité des moyens. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces demandes dont le tribunal n’est pas saisi.
En outre, en vertu de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.
Sur la responsabilité contractuelle de la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION
Les articles 1103 et 1104 du code civil rappellent que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
L’article 1188 du code civil précise que le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
L’article 1231-1 du même code prévoit que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
En l’espèce, la promesse unilatérale de vente du 13 juin 2017, tout comme l’acte de vente du 13 décembre 2017, prévoient notamment que :
« COMPLEMENT DE PRIX EVENTUEL
L’acquéreur a accepté de verser un complément de prix de vente au vendeur puisque le prix de vente a été réduit afin de tenir compte du préjudice subi dans le retard de la construction de l’immeuble et de la vente des lots.
Préalablement à l'établissement de cette convention, l’acquéreur rappelle qu’il a assigné Messieurs [D] et [B] devant le Tribunal de Grande Instance de LYON, aux fins de les voir condamner à réparer les préjudices subis du fait du recours jugé abusif exercé par eux à l’encontre du permis de construire obtenu le 1er août 2014.
L’acquéreur a estimé le préjudice à la somme totale de trois cent soixante et un mille huit cent dix euros (361.810 euros).
L’affaire a fait l’objet d’une première audience de mise en état, le 4 octobre 2016.
Les défendeurs ont, le 19 décembre 2016, conclu en réponse, pour indiquer que leur recours n’aurait rien d’abusif et qu’ils sollicitaient que l’affaire soit plaidée devant le Tribunal de Grande Instance de Vienne.
Le Tribunal de Grande Instance de Lyon a, par ordonnance du 28 février 2017, renvoyé l’affaire par-devant le Tribunal de Grande Instance de Vienne.
L’acquéreur est en attente d’une nouvelle date d’audience devant cette juridiction.
Dans les rapports entre les parties, il est convenu que l’acquéreur s’oblige à poursuivre la procédure en cours jusqu’à son terme à l’encontre de Messieurs [D] et [B] et à se porter, si nécessaire, en appel et/ou en cassation, si ces derniers l’y contraignaient.
Si le bénéficiaire venait à être débouté, il poursuivrait la procédure en appel, mais pas en Cassation.
Sauf accord express du vendeur, l’acquéreur ne pourra pas se désister.
Les indemnités allouées, dans la limite du montant ci-dessus fixé, soit la somme de 361.810 EUROS, seront versées intégralement au vendeur, déduction faite du montant des honoraires du ou des cabinets d’avocats en charge du dossier, sur justificatifs.
L’acquéreur devra tenir informé le vendeur régulièrement des faits et actes susceptibles de faire évoluer la procédure en cours, mais ce dernier ne pourra jamais s’immiscer dans celle-ci.
Issue de la procédure :
1° - Dans le cas où l’acquéreur obtient gain de cause :
Si une décision de justice devenue définitive octroie des indemnités, quelles que soient leur nature, à l’acquéreur, ce dernier s’engage au titre de la clause de complément de prix visée ci-dessus à les reverser au promettant dans leur intégralité sous réserve de tenir compte des frais d’avocat avancés par le bénéficiaire.
2° - Dans le cas où l’acquéreur est débouté de ses demandes :
Si une décision de justice rendue par la cour d’appel compétente rejette les prétentions financières de l’acquéreur, la clause de complément de prix visée ci-dessus sera caduque.
A ce jour, l’avocat qui représente le BENEFICIAIRE est la société LEGA CITE (Maître
[T] [A]) dont les bureaux sont situés à [Localité 11] [Adresse 2].
Le vendeur renonce au privilège de vendeur ainsi qu’à l’action résolutoire de l’article 1184 du Code Civil au titre de complément de prix de vente »
Compte-tenu des termes mêmes de cet acte, c’est à tort que la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION retient qu’elle n’avait aucune obligation d’interjeter appel de la décision de première instance ayant rejeté ses demandes.
En effet, elle ne peut déduire de l’expression « si nécessaire » qu’elle était libre de prendre la décision d’exercer ou non un recours, la fin de la phrase précisant bien « si ces derniers l’y contraignaient », désignant ainsi les consorts [D] et [B], s’ils l’obligeaient à poursuivre la procédure en exerçant un recours en appel ou en cassation.
La lecture même de la suite de la promesse de vente vient le confirmer, puisqu’elle prévoit que « si le bénéficiaire venait à être débouté, il poursuivrait la procédure en appel, mais pas en Cassation ». Ainsi, la SLC retrouvait toute latitude de ne pas former un pourvoi en cassation si la Cour d’appel venait à confirmer la décision de première instance. En revanche, la clause la contraignait bien à interjeter appel, en cas de rejet de ses demandes par le tribunal judiciaire.
De même, la clause stipule enfin que « dans le cas où l’acquéreur est débouté de ses demandes », la clause sera caduque, la décision de justice visée étant non pas le jugement d’un tribunal judiciaire OU l’arrêt d’une cour d’appel mais uniquement la « décision de justice rendue par la cour d’appel compétente ».
Dès lors, en n’interjetant pas appel de la décision rendue, la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION a bien commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle.
Les consorts [I] sollicitent la condamnation de la SLC à leur verser la somme de 361 810.00 euros au titre du préjudice subi en termes de perte de chance de pouvoir percevoir le complément de prix contractuellement convenu.
Il est constant que le versement de celui-ci était directement lié au succès de l’instance introduite par la SLC, les requérants ne pouvant plus prétendre au versement d’une quelconque somme à partir du moment où la décision du tribunal judiciaire de VIENNE ayant débouté la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION est devenue définitive.
Le lien de causalité direct et certain entre la faute retenue à l’encontre de la SLC et le préjudice dont ils se prévalent, qu’ils qualifient de perte de chance, est donc démontré.
Pour rappel, la perte de chance s’analyse comme la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain. Pour qu’elle soit prise en compte, elle doit être réelle et sérieuse, c’est-à-dire que la probabilité de l’événement allégué doit être réaliste, tout comme la chance doit avoir été réellement perdue.
Pour obtenir réparation du préjudice qu’ils allèguent, il appartient donc aux requérants de démontrer qu’ils avaient des chances non pas de voir la Cour connaître de l’appel de la SLC mais de voir cette dernière obtenir satisfaction en cause d’appel.
En premier lieu, alors que les demandeurs invoquent la perte de chance d’obtenir le complément de prix tout en sollicitant en réparation la totalité de celui-ci, il convient de déterminer la fraction à laquelle ils peuvent prétendre.
A cet égard, lorsque le dommage réside (ou est lié en l’espèce) dans la perte de chance de réussite d’une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s’apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action, ce qui doit conduire la juridiction à reconstituer fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s’instaurer devant la juridiction saisie.
Or, d’une part, le tribunal judiciaire de VIENNE a retenu, pour rejeter les demandes de la SLC, que Messieurs [D] et [B] n’avaient commis aucune faute de nature à faire dégénérer l’exercice des recours en cause en abus de droit, rappelant notamment que le mal fondé des prétentions adverses n’en constituait pas une. Il conclut que les défendeurs n’ont manifesté aucune légèreté dans la conduite de la procédure qu’ils ont diligentée.
Il a également fait droit à la demande reconventionnelle des consorts [D] [B], retenant que la SLC avait commis un abus de droit de nature à les impressionner, afin de les inciter à retirer leur recours engagé devant la procédure administrative. Elle a condamné la SLC à leur verser en conséquence à chacun la somme de 5000 euros en réparation de leur préjudice moral.
D’autre part, s’il doit être retenu que la juridiction n’a pas seulement rejeté la demande de dommages et intérêts de la SLC mais l’a également condamnée à indemniser les défendeurs, cette dernière n’a néanmoins produit aucune pièce ayant trait à cette instance, ne pouvant en parallèle reprocher aux requérants de ne pas faire état de moyens de fait et de droit qui auraient pu être développés en cause d’appel.
En outre, si le Conseil de la défenderesse fait valoir, dans un courrier adressé aux Consorts [I] le 24 septembre 2021, qu’un « recours n’aurait eu aucune chance d’aboutir à une infirmation au regard de la motivation du jugement et de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière de recours abusif », aucun élément à ce titre n’est produit par la défenderesse pour corroborer une telle affirmation.
Dès lors, il convient de fixer la perte de chance subie dans une proportion de 10%.
En second lieu, les consorts [I] revendiquent la somme visée par la clause de complément de prix, celle-ci correspondant à la différence entre le prix initialement convenu entre les parties et le prix finalement arrêté entre elles, à la demande de la SLC.
Or, le dommage ne réside pas que dans la perte de chance de réussite de l’action en justice mais dans la perte de chance d’obtenir la somme fixée dans la promesse de vente.
Dès lors, quand bien même la Cour d’appel aurait retenu que les consorts [D] [B] avaient exercé abusivement leur recours, il n’est pas établi que la somme de 361 810 euros sollicitée par la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION aurait été accordée, que ce soit partiellement ou dans son intégralité par celle-ci.
Néanmoins, il ressort des échanges entre les parties préalables à la conclusion de la dernière promesse de vente, tout comme des termes du jugement visé, que la différence de prix a été justifiée par la défenderesse comme résultant de la suspension de son programme immobilier ayant généré des surcoûts mais également des frais supplémentaires.
Alors que cette somme a été fixée par la SLC, la mettant directement en lien avec le comportement des voisins ayant exercé un recours contre leur permis de construire, elle ne saurait prétendre aujourd’hui que la Cour d’appel ne lui aurait pas accordé une réparation intégrale, si la faute des consorts [D] et [B] avait été retenue, tout comme le lien de causalité avec le préjudice revendiqué.
Dès lors, alors que doit être déduit de cette somme le montant des honoraires du ou des cabinets d’avocats en charge du dossier, il convient de condamner la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION à verser aux consorts [I] la somme de 35 000 euros.
Cette somme portera intérêts au taux légal, à compter de la présente décision, la date du 21 décembre 2021 visée par les requérants ne correspondant qu’à une lettre officielle adressée par leur Conseil à la défenderesse.
Sur les autres demandes
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION, partie succombant, sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure.
Sur les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Aux termes de 1'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
En l’espèce, l’équité et la solution du litige motivent de condamner la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION à verser à chacun des demandeurs la somme de 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 précité.
Sur l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
L’article 514-1 du même code dispose que le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.
Rien ne commande en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire, laquelle est de droit en l’absence de disposition légale spécifique.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
CONDAMNE la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION à payer à Madame [N] [Y] épouse [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] la somme de 35 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
DEBOUTE les consorts [I] du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION à supporter l’intégralité des dépens de l’instance,
CONDAMNE la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION à verser, à chacun des demandeurs, à savoir Madame [N] [Y] épouse [I], Madame [H] [I], Monsieur [M] [I] et Monsieur [A] [I] la somme de 500 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la SOCIETE LYONNAISE POUR LA CONSTRUCTION de sa demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
En foi de quoi la présente décision a été signée par la Présidente et la Greffière.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE