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02/04/2024 | FRANCE | N°21/04605

France | France, Tribunal judiciaire de Lyon, Chambre 10 cab 10 h, 02 avril 2024, 21/04605


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 H

N° RG 21/04605 - N° Portalis DB2H-W-B7F-V7RB

Jugement du 02 avril 2024
























Notifié le :




Grosse et copie à :

Me Pierre BUISSON - 140
la SELARL CINETIC AVOCATS - 1041






REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 02 avril 2024 devant la Chambre 10 cab 10 H le jugeme

nt contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 05 juin 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 19 Mars 2024 devant :

Cécile WOESSNER, Vice-Présidente,
Franço...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 H

N° RG 21/04605 - N° Portalis DB2H-W-B7F-V7RB

Jugement du 02 avril 2024

Notifié le :

Grosse et copie à :

Me Pierre BUISSON - 140
la SELARL CINETIC AVOCATS - 1041

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 02 avril 2024 devant la Chambre 10 cab 10 H le jugement contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 05 juin 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 19 Mars 2024 devant :

Cécile WOESSNER, Vice-Présidente,
François LE CLEC’H, Juge,
Marlène DOUIBI, Juge,
Siégeant en formation Collégiale,

Assistés de Jessica BOSCO BUFFART, Greffier,

Et après qu’il en eut été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :

DEMANDERESSE

Association ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Maître Sandrine VARA de la SELARL CINETIC AVOCATS, avocats au barreau de LYON, et Maître Jean-Christophe GUERRINI, avocat au barreau de PARIS

DEFENDERESSE

Association LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Pierre BUISSON, avocat au barreau de LYON

EXPOSE DU LITIGE

Exposé des faits et de la procédure

L’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES a été créée en 1978 et a notamment pour objet la sauvegarde du patrimoine génétique fruitier, la promotion de variétés fruitières et l’information et éducation du public, à travers notamment l’édition de bulletins d’information et d’ouvrages.

Elle se prévaut de droits sur la marque semi-figurative française n°99 784 010

déposée le 31 mars 1999 et renouvelée le 11 octobre 2019, pour les produits et services des classes 29, 31, 32 et 41 suivants : extraits de fruits : gelées confitures compotes - produits agricoles ; fruits - boissons de fruits et jus de fruits - éducation, formation, activités culturelles, édition de livres - organisation et conduites de colloques - organisation d'exposition à buts culturels et éducatifs.

L’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ, créée en 1986, a adhéré en 1990 à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES.

Par courrier du 27 novembre 2015, l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES a informé l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ du retrait de son agrément pour non respect des statuts et du règlement intérieur, et l’a invitée à cesser d’utiliser le signe CROQUEURS DE POMMES et le logo associé.

Par courrier du 13 janvier 2020 puis par exploit d’huissier du 28 février 2020, l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES a mis en demeure l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ de cesser tout usage de la marque LES CROQUEURS DE POMMES pour désigner l’association et ses activités, et de procéder au transfert à son profit du nom de domaine “croqueurs-de-pommes42.fr”.

Suivant exploit d’huissier en date du 12 juillet 2021, l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES a fait assigner l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ devant le Tribunal judiciaire de Lyon en contrefaçon de marque.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 05 juin 2023 et l’affaire a été fixée à plaider à l’audience du 16 janvier 2024. L’affaire a été mise en délibéré au 19 mars 2024, prorogée au 2 avril 2024.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses conclusions n°5 notifiées le 28 février 2023, L’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES demande au tribunal de :

vu les articles L. 713-2, L. 713-6, L. 714-5, L. 716-4-3 et L. 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle, 699 et 700 du Code de procédure civile,
- se déclarer d’office incompétent pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l’article L. 716-4-3 du Code de la propriété intellectuelle,
- débouter l’ASSOCIATION CROQUEURS DE POMMES TERROIR DU JAREZ de ses demandes,
- déclarer recevable l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES en ses demandes,
- juger que l’ASSOCIATION CROQUEURS DE POMMES TERROIR DU JAREZ a commis des actes de contrefaçon de la marque française de n°99 784 010 « LES CROQUEURS DE POMMES »,
- interdire à l’ASSOCIATION CROQUEURS DE POMMES TERROIR DU JAREZ de faire usage du signe « LES CROQUEURS DE POMMES », seul ou en combinaison, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée et par jour de retard, passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,
- condamner l’ASSOCIATION CROQUEURS DE POMMES TERROIR DU JAREZ à lui verser une indemnité de 15.000 euros en réparation de son préjudice,
- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir :
- Dans cinq journaux ou revues aux choix de l’association nationale Les Croqueurs de Pommes, et aux frais avancés de l’association Terroir du Jarez, dans la limite de 7.500 euros HT par publication,
- Sur la page d’accueil de chacun des sites accessibles aux URL suivantes :
- https://www.facebook.com/croqueursdujarez
- https://croqueursdepommes42.wordpress.com/
pendant une période ininterrompue de 3 mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou par jour d’interruption, passé un délai de 8 jours après la signification du jugement à venir,
dire que le tribunal se réservera de liquider les astreintes qu’il aura prononcées,
- condamner l’ASSOCIATION CROQUEURS DE POMMES TERROIR DU JAREZ à verser la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dont le recouvrement sera directement poursuivi par Maître Sandrine VARA, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,
- rappeler que l’exécution provisoire est de droit.

Elle expose que l’association défenderesse a été créée en 1986 en tant que section locale de l’association nationale, et que c’est son adhésion à l’association nationale et le respect de son règlement intérieur qui lui a permis d’utiliser la dénomination LES CROQUEURS DE POMMES et la marque portant sur ce signe. Elle souligne qu’en se voyant retirer son agrément, l’association défenderesse a perdu le droit d’utiliser le signe LES CROQUEURS DE POMMES.

Elle soutient que le moyen d’irrecevabilité tiré de l’absence d’usage sérieux de la marque au cours des cinq années précédant l’assignation relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état. Subsidiairement elle considère que l’usage sérieux de la marque pour les produits et services visés dans l’enregistrement est justifié par les pièces produites.

Sur le fond elle reproche à la défenderesse d’utiliser un signe identique à sa marque pour désigner son association et son activité pour des produits et services identiques à ceux visés dans l’enregistrement, et d’être éditrice du site “croqueurs-de-pommes42.fr” utilisé pour promouvoir ses activités, ce site ayant depuis migré à l’adrese croqueursdepommes42.wordpress.com. Elle souligne que la défenderesse se présente fréquemment dans la presse comme “les croqueurs de pommes”, créant volontairement une confusion avec l’association nationale.
Elle estime que le nouveau logo de la défenderesse qui associe les termes LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ aux dessins d’un arbre et de fruits demeure contrefaisant puisqu’il reprend la partie verbale de sa marque. Elle souligne que le terme JAREZ est dépourvu de caractère distinctif puisqu’il indique une provenance géographique, et qu’il peut amener le public à croire que LES CROQUEURS DE POMME DU TERROIR DU JAREZ est une simple déclinaison de la marque LES CROQUEURS DE POMMES, cette croyance étant renforcée par la présentation de l’association sur son site internet qui laisse croire à un lien juridique ou économique avec l’association nationale. Elle conteste en outre toute prescription puisque celle-ci ne court qu’à compter du dernier acte connu de contrefaçon.

En réponse aux moyens de défense opposés, elle fait valoir que l’usage dans la vie des affaires n’est pas nécessairement un usage commercial au sens strict et peut concerner également une association à but non lucratif, qui tire profit de l’usage d’un signe, notamment par la perception des cotisations des adhérents. Elle souligne que la qualité de professionnelle ou non de la défenderesse est indifférente en droit de la propriété intellectuelle.

Elle ajoute que la défenderesse ne peut se prévaloir de la directive UE 2015/2346 que dans les termes de sa transposition dans la loi française par l’article L 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, qui exclut la dénomination sociale des signes distinctifs dont un usage antérieur de portée locale peut être opposé au titulaire d’une marque ultérieure. Elle soutient en outre que les exceptions étant d’interprétation stricte, l’article L 713-1 alinéa 2 ne peut être invoqué pour compléter l’article L 713-6 qui vise limitativement les hypothèses dans lesquelles le titulaire ne peut pas s’opposer à l’usage de sa marque. Elle souligne qu’il n’en résulte aucune atteinte à la sécurité juridique dès lors que la nullité de la marque peut être demandée sur le fondement d’une dénomination sociale antérieure.
Elle conteste encore l’application de l’article 9§3 de la directure 2015/2436, qui n’est pas transposée en droit français et n’a pas d’effet horizontal direct.
Elle estime que l’article 713-6 I 2° ne peut lui être opposé puisque la marque enregistrée produit pleinement ses effets.
Elle indique que les actes de contrefaçon lui ont causé un préjudice moral et patrimonial en la privant de l’adhésion de nouveaux membres, dont elle sollicite une indemnisation forfaitaire.

Dans ses conclusions n°4 notifiées le 20 décembre 2022, l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ demande au tribunal de :
vu notamment les articles L. 713-1, L. 713-2 et L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle,
- débouter l’Association Nationale des Amateurs Bénévoles pour la Sauvegarde des Variétés Fruitières Régionales en Voie de Disparition Dite « les Croqueurs de Pommes » de toutes ses demandes,
- la condamner à lui payer 9 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens avec application de l’article 699 du même code au bénéfice de Maître Buisson, avocat.

Elle expose qu’elle utilise la dénomination sociale LES CROQUEURS DE POMME DU TERROIR DU JAREZ depuis 1986, que ce n’est qu’en 1990 qu’elle a adhéré à l’association nationale. Elle souligne en outre que le site croqueurs-de-pommes42.fr a été fermé et que le site croqueursdepommes42.wordpress.com ne lui appartient pas, n’est pas actif depuis 2017, et est probablement un vestige d’un essai de site internet par un étudiant pour le compte de l’association.
Elle conteste tout acte de contrefaçon dès lors qu’elle ne fait pas usage du signe litigieux dans la vie des affaires au sens de l’article L 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, puisqu’elle ne recherche ni n’obtient aucun avantage économique en utilisant pour se désigner elle-même la dénommiation sociale LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ. Elle souligne à ce titre que la cotisation des adhérents n’est pas un avantage économique et est sans rapport avec sa dénomination sociale. Elle ajoute qu’elle n’exerce aucune activité professionnelle.
Elle estime qu’en application de l’article L 713-1 du Code de la propriété intellectuelle, la marque de la demanderesse est inopposable aux droits qu’elle a antérieurement acquis sur sa dénomination sociale. Elle souligne à ce titre qu’il serait absurde qu’une dénomination sociale qui empêche de déposer ou permet de faire annuler une marque postérieure présentant un risque de confusion avec elle puisse être interdite comme prétendument contrefaisante de cette même marque postérieure, et estime que si le titulaire de la dénomination sociale ne veut ou ne peut, du fait de la forclusion par tolérance, faite annuler la marque pstérieure, les deux signes doivent coexister, ainsi que le prévoit l’article 9§3 de la directive 2015/2436 qui, bien que non transcrite en droit français, s’impose au juge qui doit interpréter le droit national de façon conforme à la directive.
Elle soutient enfin que LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ ne désigne pas des produits ou services mais elle-même, soit une association qui réunit des ressortissants du territoire du Jarez qui s’intéressent et donc mangent des pommes, et que le signe est donc descriptif et ne saurait être interdit en application de l’article L 716-6 du Code de la propriété intellectuelle.
Elle conteste subsidiairement le préjudice allégué, puisque la confusion invoquée résulte de la coexistence des signes depuis de nombreuses années et non de la contrefaçon, et que s’agissant d’un milieu associatif, l’existence d’autres associations d’objets similaires renforce chacun des acteurs en même temps que la cause commune qu’ils défendent.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il sera relevé à titre liminaire que la défenderesse n’oppose aucune irrecevabilité fondée sur un défaut d’usage sérieux de la marque ou la prescription.

Les actes de contrefaçon de marque

Il résulte de l’article L 713-1 du Code de la propriété intellectuelle que l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu'il a désignés.
Ce droit s'exerce sans préjudice des droits acquis par les tiers avant la date de dépôt ou la date de priorité de cette marque.

Selon l’article L 713-2 2°) du Code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.

Il résulte de l’article L 713-3-1 du même code que sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :
4° L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;
5° L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;

L’article L 713-6 I 2°) du même code dispose qu’une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce de signes ou d'indications qui sont dépourvus de caractère distinctif ou qui se rapportent à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci.

En application de l’article L 713-6 II, une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'un nom commercial, d'une enseigne ou d'un nom de domaine, de portée locale, lorsque cet usage est antérieur à la date de la demande d'enregistrement de la marque et s'exerce dans les limites du territoire où ils sont reconnus.

Par ailleurs en application de l’article L 711-3 du Code de la propriété intellectuelle, ne peut être valablement enregistrée, et si elle est enregistrée est susceptible d’être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment une dénomination ou une raison sociale, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.

En l’espèce la marque semi-figurative n°99 784 010 a été déposée par l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES le 31 mars 1999.
L’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ justifie par la production de ses statuts et de l’extrait du journal officiel du 7 mai 1986 qu’elle utilise ce nom depuis son immatriculation.
Il n’est pas démontré que cette association était affiliée dès sa création à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES, ni qu’elle tenait le droit d’utiliser le nom LES CROQUEURS DE POMMES de cette affiliation. Il ressort au contraire des pièces produites que ce n’est qu’en 1990 qu’elle a adhéré à l’association nationale.
L’existence d’un droit antérieur de l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ sur son nom est dont établie.

Cependant les dispositions de l’article L 713-1 aliéna 2, si elles consacrent le principe de non rétroactivité du dépôt de marque, n’ont pas pour effet de conférer au titulaire de droits antérieurs une protection excédant celle prévue par les articles L 711-3 et L 713-6.

Les dispositions susvisées de l’article L 711-3 s’appliquent au nom d’une association qui, comme la dénomination sociale d’une société, permet d’identifier la personne morale. La sanction de leur non respect réside toutefois dans la nullité de la marque prévue par l’article L 714-3 du même code, qui n’est en l’espèce pas invoquée par l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ.

Par ailleurs les dispositions de l’article L 713-6 II qui prévoient la coexistence d’une marque avec un signe distinctif antérieur de portée locale sont limitées au nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine, et ne s’appliquent pas au nom d’une association assimilable à une dénomination sociale.

L’effet direct d’une directive ne peut être que de nature verticale de sorte que les dispositions de l’article 14 de la Directive UE 2015/2346 non transposé en droit français ne peuvent être invoquées dans les rapports entre particuliers.

Il ressort des pièces produites que l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ utilise le signe LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ sur des prospectus à destination du public pour promouvoir son activité d’ateliers de plantation taille et greffage d’arbres fruitiers proposés au public, de mise en place de vergers avec divers partenaires et de participation à des foires, salons et manifestations avec exposition de fruits de variétés anciennes de pommes. Elle a en outre utilisé des banderoles portant le nom LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ associé à un logo figuratif pour identifier ses stands lors de manifestations, ainsi que le nom de domaine croqueursdepommes42.fr pour promouvoir ses activités sur internet.

Ainsi l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ utilise le signe LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ pour désigner des produits et services identiques à certains produits et services visés au dépôt de la marque semi figurative LES CROQUEURS DE POMMES, à savoir les produits agricoles, fruits, éducation, formation, activités culturelles, organisation d'exposition à buts culturels et éducatifs.
Les dispositions de l’article L 713-6 I 2°) ne sont en l’espèce pas applicables puisque le signe LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ ne s’impose pas pour désigner l’association de personnes soucieuses de la protection du patrimoine fruitier, et présente au contraire un caractère arbitraire.

Contrairement à ce que soutient la défenderesse, elle fait bien usage du signe dans la vie des affaires. En effet l’usage de la marque intervient dans la vie des affaires dès lors qu’il se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique et non dans le domaine privé. Or une association poursuit un avantage économique indirect, adapté à sa qualité particulière, en diffusant une publication qui est susceptible de lui attirer de nouveaux adhérents ou des dons. Tel est bien le cas des publications de l’association sur son site internet et sur son prospectus comprenant appel aux dons et bulletin d’adhésion.

Dans la marque semi-figurative

l’élément dominant réside dans l’élément verbal LES CROQUEURS DE POMMES, puisqu’il permet seul au consommateur de nommer le produit ou le service et exprime par le terme à la fois arbitraire et évocateur LES CROQUEURS l’identité conceptuelle de la marque qui désigne une activité de promotion de ce fruit par les amateurs de pommes. Cet élément verbal n’est qu’explicité par les éléments figuratifs l’accompagnant, à savoir la représentation stylisée d’un pommier et d’un jardinier.

Le signe LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ est intégré dans un logo comprenant un élément figuratif composé d’un arbre stylisé et de fruits dont une pomme se démarquant par sa taille, qui ne comporte pas de similitude notable avec l’élément figuratif de la marque, si ce n’est une similitude intellectuelle elle-même descriptive de l’activité des associations. En revanche le signe reprend intégralement l’élément verbal de la marque, en y adjoignant les termes DU TERROIR DU JAREZ, qui ne permet pas une différenciation suffisante entre les signes sur les plans visuel, puisqu’il n’est pas mis en évidence, phonétique, puisqu’il n’est pas le mot d’attaque, et conceptuel, puisqu’il renvoie à un nom de localité géographique qui évoque une déclinaison locale du signe dominant LES CROQUEURS DE POMMES.
Ainsi en dépit d’éléments figuratifs différents et de l’adjonction de l’expression DU TERROIR DU JAREZ, le signe litigieux produit une impression d’ensemble similaire à la marque déposée et apparaît comme une déclinaison locale de la marque principale laissant penser au consommateur d’attention moyenne qu’il existe un lien entre les produits et services proposés par l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ et ceux désignés par la marque, ce qui caractérise un risque de confusion.

Il est donc établi que l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ a commis des actes de contrefaçon de la marque n°99 784 010 appartenant à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES.

La réparation des préjudices résultant de la contrefaçon

Il convient d’interdire à l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ de poursuivre les actes de contrefaçon de la marque semi-figurative n°99 784 010 et notamment de faire usage du signe LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ pour la désignation des produits ou services couverts par l’enregistrement, sous astreinte provisoire de 100 € par infraction constatée passé le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision.
Il n’y a pas lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte.

Il résulte de l’article L 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

En l’espèce l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES sollicite une indemnisation forfaitaire de son préjudice. Si aucun élément ne permet d’apprécier le nombre de membres ou de dons dont elle a été privée du fait des actes de contrefaçon, ces actes portent nécessairement atteinte à l’exclusivité du propriétaire sur la marque dont le pouvoir distinctif se trouve dilué. En conséquence l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ sera condamnée à verser à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES la somme forfaitaire de 2 000 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice causé par la contrefaçon.

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de publication du jugement à intervenir, cette peine complémentaire étant manifestement excessive, eu égard aux circonstances de l’affaire.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

L’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ supportera les dépens de l’instance et sera condamnée à verser à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Dit que l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ a commis des actes de contrefaçon de la marque semi-figurative n°99 784 010 dont est titulaire l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES,

Interdit à l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ de faire usage du signe LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ pour la désignation des produits ou services couverts par l’enregistrement, sous astreinte provisoire de 100 € par infraction constatée passé le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision,

Dit n’y avoir lieu à se réserver la liquidation de l’atreinte,

Condamne l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ à verser à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES la somme de 2 000 € en indemnisation du préjudice causé par la contrefaçon,

Déboute l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES du surplus de ses demandes formées au titre de la contrefaçon,

Condamne l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ aux dépens, distraits au profit de Maître VARA, avocate, sur son affirmation de droit,

Condamne l’ASSOCIATION LES CROQUEURS DE POMMES DU TERROIR DU JAREZ à verser à l’ASSOCIATION NATIONALE DES CROQUEURS DE POMMES la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

En foi de quoi le présent jugement a été signé par le Président, Cécile WOESSNER, et le Greffier, Jessica BOSCO BUFFART.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lyon
Formation : Chambre 10 cab 10 h
Numéro d'arrêt : 21/04605
Date de la décision : 02/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-02;21.04605 ?
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