TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/05140 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WJK2
JUGEMENT DU 03 SEPTEMBRE 2024
DEMANDEUR :
M. [N] [X]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Julien SABOS, avocat au barreau de DUNKERQUE
DEFENDEUR :
La société MMA ASURANCES MUTUELLES IARD, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Emmanuel MASSON, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur : Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur : Sophie DUGOUJON, Juge
GREFFIER : Yacine BAHEDDI, Greffier
DEBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 18 Octobre 2023.
A l’audience publique du 16 Mai 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 18 juillet 2024 et prorogé au 03 Septembre 2024.
Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 03 Septembre 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 23 octobre 2020, Monsieur [N] [X] (ci-après ''l'assuré'' ou ''le souscripteur'') a souscrit auprès de la S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES (ci-après ''l'assureur'' ou ''la société MMA''), un contrat d’assurance automobile pour un véhicule MERCEDES Classe B III immatriculé provisoirement [Immatriculation 8] et ce, avec prise d'effet du contrat le jour même.
Le 19 mars 2021, Monsieur [X] a déposé plainte pour le vol dudit véhicule survenu dans la nuit, dans le cadre du cambriolage de son domicile, puis a déclaré ce sinistre auprès de son assureur.
La société MMA a mandaté deux agents de recherches privées aux fins de rapport d'enquête sur les circonstances du sinistre, mais également d'acquisition du véhicule, l'assureur ayant relevé plusieurs incohérences entre les déclarations de l'assuré et le bon de commande communiqué.
Monsieur [G] [W] et Monsieur [L] [M] ont déposé leur rapport respectif les 04 août et 24 septembre 2021, lesquels ont révélé plusieurs anomalies.
Aucune indemnisation n'étant intervenue au 10 mars 2022, Monsieur [X] a, par l'intermédiaire de son avocat, adressé à la société MMA une lettre recommandée avec avis de réception de mise en demeure d'avoir à lui verser l'indemnité contractuelle.
Par courrier daté du 13 avril 2022, la société MMA a, néanmoins, refusé sa garantie à Monsieur [N] [X], lui opposant la déchéance de garantie en raison de la non-justification du paiement complet du prix d'achat et de la communication d'un bon de commande falsifié.
Malgré la transmission d'un justificatif complémentaire, la société MMA a, dans son courrier daté du 24 mai 2022, maintenu sa position.
Face au refus persistant de l'assureur, Monsieur [N] [X] a fait assigner, suivant acte d’huissier de Justice en date du 26 juillet 2022, la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES devant le tribunal judiciaire de Lille, en garantie de son sinistre.
La clôture de l’instruction est intervenue le 18 octobre 2023, suivant ordonnance du même jour et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 16 mai 2024.
* * *
Au terme de ses écritures récapitulatives notifiées par voie électronique le 1er juin 2023, Monsieur [N] [X] demande au tribunal, au visa des articles 1103 du Code civil, L.113-8, L.112-2 et L.112-4 du Code des assurances et 16 du Code de procédure civile, de :
- lui déclarer non-opposable la clause du contrat indiquant qu’il reconnaît « avoir été informé des sanctions encourues en cas de réticence ou de fausse déclaration faites dans le présent contrat (réduction de l’indemnité ou nullité du contrat »
- débouter la SA MMA de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SA MMA à lui payer la somme de 34.266€, dont distraction de la franchise contractuelle de 390€, avec intérêts au taux légal depuis le 19 mars 2021,
- condamner SA MMA à lui payer la somme de 3.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.
Au terme de ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 20 mars 2023 expurgée des moyens, la société MMA demande au tribunal, au visa des articles L.113-8 du Code des assurances, L. 561-2 du Code monétaire et financier et 700 du Code de procédure civile et de l’Ordonnance n° 2009-104 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, ses décrets d’application (n° 2009-874 et 2009-1087) et de la Directive européenne dont elle est issue (Directive 2005/60-CE), de :
- A titre principal :
- prononcer la nullité du contrat d’assurance automobile 146780515 souscrit auprès d'elle par Monsieur [N] [X] auprès de la compagnie MMA,
- débouter Monsieur [N] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- A titre subsidiaire, débouter Monsieur [N] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- En tout état de cause,
- débouter Monsieur [N] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Monsieur [N] [X] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens de l’instance.
Pour l'exposé des moyens des parties, il sera renvoyé à leurs conclusions respectives, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il sera rappelé qu’une demande tendant à “constater” un élément de fait ou de droit ne constitue pas une prétention au sens juridique du terme devant être tranchée par le tribunal. Ces demandes n'ont, par conséquent, pas été retenues en tant que telles mais seront étudiées, le cas échéant, en leur qualité de moyens des parties.
Par ailleurs, il sera précisé que, par mesure de cohérence, la demande reconventionnelle principale de la société MMA tendant à voir prononcer la nullité du contrat d'assurance sera examinée avant les demandes tendant à son exécution, sans égard pour l'ordre habituel d'examen des prétentions.
Sur la nullité du contrat d'assurance
L'article 1104 du Code civil dispose que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».
L’article L.113-2 du Code des assurances impose à l’assuré de répondre « exactement » aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge. Il est également obligé de déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur.
L’article L.113-8 du même code sanctionne par la nullité du contrat les fausses déclarations faites par l'assuré. Il dispose en effet que “le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre”.
Ainsi, la sanction de la nullité du contrat d’assurance est applicable si trois conditions sont remplies :
- l’existence d’une réticence ou d’une fausse déclaration de l’assuré lors de la souscription du contrat ou en cours de contrat en cas de circonstances nouvelles,
- le caractère intentionnel de la réticence ou de la fausse déclaration, c’est-à-dire la mauvaise foi de l’assuré, étant rappelé que la bonne foi est présumée,
- la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle doit avoir changé l’objet du risque ou avoir diminué l’opinion du risque pour l’assureur.
La bonne foi de l’assuré est présumée et il appartient à l’assureur de rapporter la preuve de la mauvaise foi de son assuré.
En l'espèce, il est constant que, suivant contrat n°146780515 en date du 23 octobre 2020, Monsieur [X] a souscrit auprès de la société MMA une police d'assurance assurance Auto Formule Tous Risques, avec prise d'effet immédiate, relativement à un véhicule MERCEDES Classe B III immatriculé provisoirement [Immatriculation 8] et mis en circulation en octobre 2020 (pièce n°4 demandeur).
La compagnie MMA soutient la nullité de ce contrat au motif que son assuré a fait une fausse déclaration intentionnelle lors de la souscription du contrat.
Elle fait, en effet, grief à Monsieur [X] de s'être déclaré en qualité de conducteur principal du véhicule Mercedes assuré et d'avoir confirmé cette déclaration par l'apposition de sa signature aux conditions particulières du contrat d'assurance souscrit le 23 octobre 2020 (pièce n°4 demandeur) et ce, alors qu'en réalité le conducteur principal du véhicule est et a toujours été son fils, Monsieur [Y] [X].
Monsieur [N] [X] assure, pour sa part, que son fils et son épouse sont bien conducteurs complémentaires, « dans la mesure où rien ne permet de démontrer qu'ils utilisent plus fréquemment [que lui] le véhicule au cours de l'année d'assurance ». Il verse à cet égard aux débats une attestation non-datée mais dont il confirme qu'elle a été signée de sa main lors de la souscription du contrat (cf. conclusions page 9), aux termes de laquelle il a expressément déclaré être le conducteur principal du véhicule immatriculé [Immatriculation 8], à savoir « la personne qui utilise le plus fréquemment le véhicule au cours de l'année d'assurance » (pièce n°21 demandeur).
A cet égard, il sera observé qu'aux termes de cette attestation et contrairement à ce qu'il soutient, les dispositions des articles L.113-8 et L.113-9 du Code des assurances lui ont été expressément rappelées et ce, dans une taille de police parfaitement adaptée, son attention ayant de surcroît été particulièrement attirée, par l'emploi de caractères gras et soulignés, sur les risques d'une fausse déclaration intentionnelle. La clause des conditions particulières par laquelle il reconnaissait avoir été informé « des sanctions encourues en cas de réticence ou de fausse déclaration faites dans le présent contrat (réduction de l'indemnité ou nullité du contrat ») ne saurait, dès lors, lui être déclarée inopposable.
Sur ce, au soutien de sa prétention, l'assureur verse aux débats le rapport d'enquête privée déposé le 24 septembre 2021 par Monsieur [M], aux termes duquel ce dernier indique, en conclusion, que (pièce n°1 MMA, page 7) :
« La MERCEDES B200 a été payée par [Y] [X] qui en était l'utilisateur principal : déplacements personnels, se rendre aux entraînements à [Localité 7], se rendre à son travail à [Localité 6], dans l'entreprise de son père.
Il s'était renseigné pour s'assurer conducteur principal mais compte-tenu du tarif extrêmement élevé jeune conducteur, son père a transféré une précédente assurance sur laquelle [Y] était conducteur complémentaire, sur la MERCEDES B200, bénéficiant du tarif de son père. ».
Bien qu'établi non-contradictoirement, un rapport d'enquête privé n'est pas en soi inopposable à la partie qui n'a pas été appelée à participer aux investigations, les juges du fonds devant, cependant, rechercher si ce rapport a été régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire des parties et corroboré par d’autres éléments de preuve.
Or, il est observé, en l'espèce, que le rapport d'enquête privée a été soumis au débat contradictoire des parties dans le cadre de la présente procédure.
En outre, aux termes du procès-verbal de dépôt de plainte du 19 mars 2021, Monsieur [N] [X] a relaté avoir été victime, dans la nuit, d'un vol effraction au sein de son domicile, cambriolage au cours duquel ont été dérobées, notamment « les clés de voiture de [s]es enfants », deux Mercedes qui étaient stationnées devant sa maison « et que les individus ont volé également » (pièce n°3 demandeur). Si Monsieur [N] [X] a ensuite déposé plainte pour le vol du véhicule Mercedes objet du litige comme étant son véhicule, il n'en demeure pas moins qu'il n'a aucunement déploré, lors de la plainte concernant le cambriolage à son domicile, le vol d'autres clés de véhicule que celles des véhicules de ses fils, ce qui tend à accréditer les conclusions du rapport d'enquête privée et à confirmer que Monsieur [N] [X] n'était pas l'utilisateur principal du véhicule objet du sinistre dont indemnité est aujourd'hui réclamée.
Il est, au surplus, intéressant de relever qu'à aucun moment dans ses écritures Monsieur [X] n'affirme expressément être l'utilisateur principal du véhicule, tandis qu'il confirme que le véhicule a été payé par son fils, Monsieur [Y] [X], lequel s'est lui-même rendu en Allemagne pour prendre possession du véhicule, ce dont il est résulté des photographies publiées sur le réseau social Snapchat (pièce n°8 demandeur).
Or, il est incontestable que cette information avait, par nature, une incidence sur l'appréciation du risque que pouvait porter l'assureur et, le cas échéant, le montant de la prime à régler, puisqu'au jour de la souscription du contrat, Monsieur [Y] [X] n'était titulaire du permis de conduire que depuis le mois de février 2018, soit depuis moins de trois ans et était âgé de moins de 25 ans, pour être né le [Date naissance 1] 2000, ce dernier critère étant manifestement important pour l'assureur, au regard des termes des conditions générales (pièce n°4 page 2).
A contrario, Monsieur [N] [X], qui était titulaire du permis de conduire depuis plus de trente ans (avril 1987), bénéficiait d'un bonus/malus légal de 0,50 acquis depuis plusieurs mois, sur la base duquel il est expressément indiqué que le montant de la cotisation d'assurance a été calculé par l'assureur. Monsieur [Y] [X] ne pouvait, de toute évidence, bénéficier d'un tel coefficient de bonus/malus, au regard de sa faible ancienneté en qualité de conducteur.
Si, pris séparément, ces éléments ne suffiraient pas à faire la preuve de la mauvaise foi de Monsieur [X], leur cumul ne laisse cependant place à aucun doute sérieux quant à l'existence d'une déclaration mensongère destinée à modifier l'appréciation du risque aux fins de minoration des primes d'assurance.
Les explications contraires fournies tardivement par le souscripteur au sein de ses écritures pour tenter d’échapper à la nullité du contrat reposent sur diverses affirmations dont il n’est pas justifié et n’emportent pas la conviction.
Dans ces conditions, la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES est bien fondée à se prévaloir de la nullité du contrat d'assurance.
Monsieur [X] sera, par conséquent, débouté de sa demande en garantie du sinistre.
Sur les mesures accessoires
L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».
Aux termes de l'article 700 du même code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
En l'espèce, Monsieur [X], qui succombe en sa demande, sera condamné aux entiers dépens.
Il sera, par conséquent, débouté de sa demande au titre de l'article 700 précité et sera condamné à payer à la S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES une somme que l'équité commande de fixer à 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal judiciaire, statuant publiquement, par jugement contradictoire, et rendu en premier ressort par mis à disposition au greffe :
Déboute Monsieur [N] [X] de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de la S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES ;
Condamne Monsieur [N] [X] à verser à la S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES la somme de 3.000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [N] [X] aux entiers dépens de l'instance ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Le greffier, La Présidente.