TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
JURIDICTION DE L’EXPROPRIATION
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Expropriations
N° RG 24/00007 - N° Portalis DBZS-W-B7I-X6HS
JUGEMENT DU 09 AOUT 2024
DEMANDERESSE :
L’ ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE HAUTS-DE-FRANCE, pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 6]
représentée par Me Juliette DELGORGUE, avocat au barreau de LILLE
DÉFENDERESSE :
Mme [F] [N] demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Pauline MAILLARD, substituée par Me Sabrina COLLEONI, avocats au barreau de VALENCIENNES
En présence de Monsieur [O] [E], commissaire du gouvernement par délégation du directeur régional des Finances publiques
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Aurélie VERON, Vice-présidente au Tribunal Judiciaire de Lille, juge titulaire de l’expropriation du département du Nord, désignée par ordonnance du premier président de la Cour d’appel de Douai, à compter du 1er septembre 2021, en conformité des dispositions des articles L. 311-5 et R. 211-2 du code de l’expropriation, assistée de Isabelle LASSELIN, greffier, secrétaire de la juridiction.
DÉBATS :
A l’audience publique du 14 Juin 2024, après avoir entendu :
Me Delgorgue
Me Colléoni
M. [E]
date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 09 Août 2024.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe le 09 Août 2024
EXPOSE DU LITIGE
Par arrêté du 11 janvier 2023, le préfet du Nord a prescrit l’ouverture d’une enquête publique conjointe préalable à la déclaration d’utilité publique du projet et parcellaire.
Le projet été déclaré d’utilité publique le 24 avril 2023.
La parcelle cadastrée section U n° [Cadastre 2] d'une contenance totale de 177 m² située [Adresse 1] à [Localité 10] appartenant à Mme [F] [N] est concernée par le projet.
Le 18 janvier 2023, le service des Domaines a évalué le bien à 5 000 euros, outre une indemnité de remploi de 1 250 euros.
L'Etablissement public foncier des Hauts-de-France (EPF), autorisé à acquérir les immeubles nécessaires à l’exécution du projet, a adressé son mémoire valant offre par lettre recommandée avec avis de réception du 18 octobre 2023 à Mme [F] [N] (avis de réception signé le 19 octobre 2023).
Faute d'accord du propriétaire, par mémoire parvenu au greffe le 19 janvier 2024, l'Etablissement public des Hauts-de-France (EPF) a saisi le juge de l’expropriation aux fins de voir fixer l’indemnité d’expropriation revenant à Mme [F] [N] à 5 000 euros, outre l'indemnité de remploi de 1 250 euros.
Dans ses conclusions reçues au greffe le 14 février 2024, Mme le commissaire du gouvernement demande la fixation de l'indemnité de dépossession conformément à l'offre de l'autorité expropriante en retenant la qualification de terrain à bâtir. Elle fait valoir que tant par application de l'article L. 322-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que par application de la méthode par comparaison, la valeur du bien peut être fixée à 5 000 euros.
La visite des lieux s’est déroulée le 14 mars 2024, en présence du représentant du l'Etablissement public foncier des Hauts-de-France, de son conseil, du conseil de Mme [F] [N] et de Mme le commissaire du gouvernement.
Dans son mémoire reçu au greffe le 13 mai 2024, Mme [F] [N] sollicite :
la fixation de l'indemnité d'expropriation à la somme de 11 147 euros se décomposant en:indemnité principale : 8 000 eurosfrais de remploi : 2 000 euros ;remboursement des frais, émoluments et honoraires 1 147 euros ;la condamnation de l'Etablissement public foncier des Hauts de France à la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Elle fait valoir qu'un des termes de comparaison cité par l'autorité expropriante correspond à l'acquisition dudit bien par elle-même en 2021 au prix de 5 000 euros. Elle insiste sur le fait qu'un terrain à bâtir est devenu un bien rare sur le secteur. Elle ajoute encore solliciter le remboursement des frais exposés pour l'acquisition du terrain, frais qu'elle n'aurait pas eu si le titulaire du droit de préemption avait exercé son droit au lieu de privilégier l'expropriation.
Dans ses conclusions complémentaires enregistrées au greffe le 16 mai 2024, M. le commissaire du gouvernement maintient sa position. Il souligne que la propriétaire n'apporte aucun terme de comparaison pour étayer une valeur vénale de 8 000 euros, soit un prix de 45,20€/m², déconnecté des ventes réelles relevées sur le secteur en 2021, 2022 et 2023, ce d'autant que le bien a lui-même été acquis moins de trois ans auparavant au prix de 28,25€/m².
Dans son mémoire en réplique reçu au greffe le 10 juin 2024, l'Etablissement public foncier des Hauts de France maintient son offre. Il se prévaut de l'article L.322-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Il ajoute que la somme de 1147 euros réclamée au titre des frais, émoluments et honoraires exposés dans le cadre de l'acquisition de la parcelle n'a pas de lien direct avec la procédure d'expropriation.
Après deux renvois à la demande des parties, l'affaire a pu être utilement retenue à l'audience du 14 juin 2024, à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 9 août 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort des articles L321-1, L322-1 et L322-2 du code de l’expropriation pour cause de l'utilité publique que :
- les indemnités allouées par la juridiction de l’expropriation doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ;
- la consistance du bien s’apprécie à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété ;
l’estimation du bien s’effectue à la date de la décision de première instance, sauf à prendre en considération l’usage effectif du bien, les critères de qualification et les possibilités de construction à la date de référence.
I- Sur l'indemnité principale d'expropriation
1/ Sur la consistance du bien
Il s'agit d'une petite parcelle d'une contenance de 177 m², constituant un terrain de forme rectangulaire, en friche, non équipé, profond et étroit en façade.
Il n'est pas occupé.
Le terrain est classé en zone UA : Zone urbaine mixte centrale à vocation dominante d'habitat.
2/ Sur la qualification du bien
Selon l'article L. 322-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :
1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ;
2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone.
Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L. 322-2.
Le terrain peut être qualifié de terrain à bâtir.
3/ Sur la date de référence
Aux termes de l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.
Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L. 322-3 à L. 322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L.1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l'article L. 121-8 du code de l'environnement ou par l'article 3 de la loi n°2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionnée à l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.
Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.
Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l²'immeuble.
En application de cet article, la date de référence est celle à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le PLU et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
En l'espèce, il s'agit du PLU Intercommunal de la communauté d'Agglomération Maubeuge-Val publié le 12 décembre 2019.
4/ Sur l'estimation du bien
Le juge de l'expropriation dispose du pouvoir souverain d'adapter la méthode qui lui paraît la mieux appropriée à la situation des biens expropriés.
La méthode privilégiée de détermination du prix est celle de la comparaison par rapport aux transactions les plus représentatives du marché. Pour fixer les indemnités dues pour l'expropriation, la juridiction tient ainsi compte des offres, des demandes, des cessions de toute nature intervenues dans le même secteur géographique pour des biens comparables ainsi que de la situation des biens au regard des règles d'urbanisme.
Les parties citent les termes de comparaison suivants :
Cités par l'EPF
Terme n°1Acte du 08/11/2021 – parcelle cadastrée U [Cadastre 3], contenance 232 m² – [Adresse 11] à [Localité 10] – 5 000 € soit 21,55 €/m²
Terme n°2Acte du 09/08/2021 – parcelle cadastrée U [Cadastre 2], contenance 177 m² – [Adresse 11] à [Localité 10] – 5 000 € soit 28,25 €/m²
Cités par le propriétaire
/
Cités par le commissaire du gouvernement
Terme n°3Acte du 12/09/2022 – parcelle cadastrée AD [Cadastre 7], contenance 346 m² – [Adresse 8] – 10 000 € soit 28,90 €/m² – zone UA
Terme n°4Acte du 12/05/2023 – parcelle cadastrée BD [Cadastre 4], contenance 697 m² – [Adresse 12] à [Localité 9] – 20 000 € soit 28,69 €/m² – zone UA
Les termes 1 à 4 correspondent à des terrains à bâtir situés à proximité de la parcelle à évaluer. Le terme n°2 correspond à l'acquisition du bien objet de la présente procédure d'expropriation par Mme [N], à un prix équivalent à celui estimé par le service des Domaines et offert par l'Etablissement public foncier des Hauts de France.
Il résulte de ces quatre termes un prix moyen de 26,85 €/m² soit un prix de 4752,45 euros pour la parcelle de 177 m².
Mme [N] ne produit aucun terme de comparaison pour fonder sa demande d'une indemnité de dépossession de 8 000 euros soit 45,20€/m²
Or, aux termes de l'article L.322-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, le montant de l'indemnité principale ne peut excéder l'estimation faite par l'autorité administrative compétente, si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative, rendue définitive en vertu des lois fiscales, ou à une déclaration d'un montant inférieur à cette estimation, sauf à ce que l'exproprié apporte la preuve que l'estimation de l'administration ne prend pas correctement en compte l'évolution du marché de l'immobilier.
La parcelle a été acquise par Mme [N] au prix de 5 000 euros le 9 août 2021, soit moins de cinq ans auparavant et au prix estimé par le service des Domaines dans son évaluation du 18 janvier 2023.
La propriétaire n'apporte aucun élément pour caractériser une erreur d'évaluation de l'autorité administrative.
Dès lors, il ne peut être alloué à Mme [N] une indemnité principale d'un montant supérieur à 5 000 euros.
Cette valeur correspondant à celle estimée selon la méthode par comparaison, l'indemnité sera fixée à ce montant.
II- Sur les indemnités accessoires
1° Sur l'indemnité de remploi
Aux termes de l'article R. 322-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale. Sont également pris en compte dans le calcul du montant de l'indemnité les avantages fiscaux dont les expropriés sont appelés à bénéficier lors de l'acquisition de biens de remplacement.
Toutefois, il ne peut être prévu de remploi si les biens étaient notoirement destinés à la vente, ou mis en vente par le propriétaire exproprié au cours de la période de six mois ayant précédé la déclaration d'utilité publique.
L'indemnité de remploi est destinée à couvrir de manière forfaitaire les frais de tous ordres qui seraient exposés par les expropriés pour acquérir un bien similaire.
Il convient de fixer l'indemnité de remploi de la manière suivante :
5 000 euros x 25 % = 1250 euros.
2° Sur la demande de remboursement des frais, émoluments et honoraires
La propriétaire réclame le remboursement d'une somme de 1 147 euros au titre des frais exposés pour l'acquisition de l'immeuble.
Or, il s'agit de frais exposés par Mme [N] liés à son choix personnel d'acquérir cette parcelle en 2021.
La procédure d'expropriation avec l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique et de l'enquête parcellaire n'a débuté qu'un an et demi après la cession, en janvier 2023.
Les frais engagés pour l'acquisition de la parcelle ne constituent pas un préjudice directement lié à l'expropriation. Au surplus, il sera rappelé qu'il est déjà alloué à l'exproprié une indemnité de remploi destinée à couvrir les frais d'acquisition d'un nouveau bien de remplacement.
En conséquence, la demande sera rejetée.
III- Sur les demandes accessoires
Compte tenu de la nature du litige, les dépens resteront à la charge de l'Etablissement public des Hauts-de-France. Il sera en outre condamné au paiement d'une indemnité de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le juge de l'expropriation du Nord, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à disposition au greffe,
FIXE la date de référence au 12 décembre 2019 ;
FIXE l’indemnité de dépossession revenant à Mme [F] [N], pour la parcelle cadastrée section U n° [Cadastre 2] d'une contenance totale de 177 m² située [Adresse 1] à [Localité 10] à la somme totale de 6 250 euros se décomposant ainsi :
indemnité principale : 5 000 euros indemnité de remploi : 1 250 euros ;
DÉBOUTE Mme [N] de sa demande au titre du remboursement des frais, émoluments et honoraires ;
CONDAMNE l'Etablissement public foncier des Hauts de France à payer à Mme [F] [N] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE l'Etablissement public foncier des Hauts de France de ses autres demandes;
DÉBOUTE Mme [F] [N] de ses autres demandes ;
LAISSE les dépens à la charge de l'Etablissement public des Hauts-de-France (EPF).
Le Greffier Le juge de l'expropriation