TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 02
N° RG 22/02262 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WB77
JUGEMENT DU 30 JUILLET 2024
DEMANDEURS :
Mme [H] [D] épouse [G], intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Géraldine SORATO, avocat au barreau de LILLE
Mme [T] [G], es-qualité de curateur de Mme [H] [D] épouse [G].
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée par Me Géraldine SORATO, avocat au barreau de LILLE
M. [Y] [G]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Géraldine SORATO, avocat au barreau de LILLE
DÉFENDEURS :
Mme [L] [O] - Madame [O] demeure chez Monsieur [X]
- il s’agit d’une intervention forcée (rg de l’affaire principale : 22/02262)
domiciliée : chez M. [X]
[Adresse 9]
[Localité 6]
représentée par Me Célia SADEK, avocat au barreau de LILLE
M. [K] [G]
[Adresse 1]
[Localité 7]
défaillant
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE, immariculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le n°440676559, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Martine MESPELAERE, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Sarah RENZI, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,
Greffier : Dominique BALAVOINE, Greffier
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 08 Mars 2024 ;
A l’audience publique du 21 Mai 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 30 Juillet 2024.
JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 30 Juillet 2024, et signé par Sarah RENZI, Présidente, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 23 janvier 2001, Mme [H] [D], ép. [G] (ci-après dénommée Mme [H] [G]), et M. [Y] [G] ont ouvert un compte joint auprès de la Caisse Régionale de Crédit agricole du Pas-de-Calais, désormais dénommée Caisse Régionale de Crédit agricole Nord de France (ci-après le Crédit agricole).
Par jugement en date du 3 mars 2020, le tribunal de proximité de Montreuil sur Mer a placé Mme [H] [G] sous curatelle renforcée pour une durée de 60 mois et a désigné M. [Y] [G] en qualité de curateur et Mme [T] [G] en qualité de subrogée curatrice.
Par ordonnance en date du 17 décembre 2021, le tribunal de proximité de Montreuil sur Mer a désigné Mme [T] [G] en qualité de curatrice en remplacement de M. [G] [Y].
Par courrier en date du 30 juin 2021, le Crédit Agricole Nord de France a indiqué à M. [G] [Y] la clôture du compte joint n° [XXXXXXXXXX03].
Par courrier en date du 13 juillet 2021, M. [Y] [G] et Mme [T] [G] ont mis en demeure le Crédit Agricole Nord de France, par le biais de leur conseil, d'avoir à leur régler la somme de 16.250 euros correspondant au montant total des chèques émis depuis le 30 avril 2021 du compte joint appartenant à Mme [H] [G] et M. [Y] [G].
Instance enregistrée sous le n° RG 22/02262
Par acte signifié le 5 avril 2022, Mme [T] [G], ès qualité de curatrice de Mme [H] [G], et M. [Y] [G] ont fait assigner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France devant le tribunal judiciaire de Lille.
Cette instance a été enregistrée sous le n° RG 22/02262.
Instance enregistrée sous le n° RG 23/00274
Par acte signifié le 5 janvier 2023, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France a fait assigner Mme [L] [O], destinataire des chèques litigieux, devant le tribunal judiciaire de Lille.
Cette instance a été enregistrée sous le n° RG 23/00274.
Par ordonnance en date du 11 avril 2023, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de la cause inscrite sous le n° RG 23/00274 avec l'instance enregistrée sous le n° RG 22/02262.
Instance enregistrée sous le n° RG 23/07785
Par acte signifié le 10 août 2023, Mme [L] [O] a assigné en intervention forcée M. [K] [G] devant le tribunal judiciaire de Lille
Cette instance a été enregistrée sous le n° RG 23/07785.
Par mention au dossier en date du 6 octobre 2023, cette instance a été jointe à l'instance enregistrée sous le n° RG 22/02262.
***
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 1er mars 2024, Mme [T] [G], es-qualité de curatrice de Mme [H] [G], et M. [Y] [G] demandent au tribunal, au visa des articles 329 et 700 du code de procédure civile, des articles 472, 1231-1, 1104 et 1211 du code civil, des articles L.131-73, L.561-6 et L.312-1-1 du code monétaire et financier, de :
-recevoir Mme [H] [G] en son intervention volontaire ;
-les juger recevables et bien fondés en leurs demandes ;
-débouter le Crédit Agricole de toutes ses demandes ;
-le condamner à devoir leur rembourser la somme de 15.250 euros au titre des chèques litigieux débités suite à ses manquements ;
-le condamner à devoir verser à M. [Y] [G] la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice consécutif à son interdiction bancaire ;
-le condamner à verser à [T] [G] la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice financier consécutif à l'interdiction bancaire de son père, la contraignant à avancer d'importantes sommes d'argent à son père, notamment pour acheter une nouvelle voiture ;
-le condamner à leur verser la somme de 454,20 euros au titre de la facturation injustifiée de frais bancaires supplémentaires ;
-le condamner à leur verser la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice consécutif à la résiliation abusive du contrat ;
-le condamner à devoir leur verser la somme de 2.500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-le condamner aux entiers frais et dépens ;
-rappeler que l'exécution provisoire est de droit.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 février 2024, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France demande au tribunal, au titre des articles 1103 et 1240 du code civil ainsi que des articles 32-1 et 700 du code de procédure civile, de
à titre principal,
-débouter [T] [G], M. [Y] [G], Mme [H] [G], Mme [L] [O] et M. [K] [G] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contre elle
-les condamner in solidum à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
-les condamner in solidum à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-les condamner aux entiers frais et dépens ;
à titre subsidiaire,
- condamner in solidum Madame [L] [O] et Monsieur [K] [O] à la garantir de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son égard ;
-débouter Mme [L] [O] et M. [K] [G] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à son égard ;
-les condamner in solidum à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-les condamner aux entiers frais et dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs dernières écritures, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
*
Bien qu'elle soit constituée, Mme [L] [O] n'a pris aucune écriture postérieure à son assignation en intervention forcée, laquelle ne contient aucune demande au fond.
Assigné à l'étude, Monsieur [K] [O] n'a pas constitué avocat.
Il sera par conséquent statué par décision réputée contradictoire en application des dispositions de l'article 473 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 21 mai 2024 et l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 30 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
En vertu de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
I. Sur l'intervention volontaire de Mme [H] [G]
Conformément aux dispositions des articles 325 et suivants du Code de procédure civile, l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant. Elle peut être volontaire ou forcée et lorsqu'elle est volontaire, être principale ou accessoire.
L'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est alors recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.
L'intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Elle est alors recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
En l'espèce, Madame [H] [G] entend intervenir volontairement à l'instance aux fins de s'associer aux prétentions formées par les demandeurs.
La défenderesse à l'instance ne conteste pas cette intervention volontaire, qui se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
Il sera, dès lors, donné acte à Madame [H] [G] de son intervention volontaire.
II. Sur la demande de remboursement des chèques
Les demandeurs sollicitent l'engagement de la responsabilité contractuelle du Crédit agricole et le remboursement par la banque de la somme de 15.250 euros, correspondant au montant des chèques émis contre leur gré.
En défense, le Crédit agricole conclut au débouté. Il conteste par ailleurs toute faute contractuelle et soutient au contraire que les consorts [G] se sont montrés négligents.
*
En application de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Il appartient à celui qui envisage d'engager la responsabilité de son cocontractant de justifier que l'inexécution contractuelle fautive est en lien de causalité avec le préjudice invoqué.
L'article 9 du code de procédure civile dispose que chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
1. S'agissant de l'ouverture d'un compte spécial
Les demandeurs font valoir que le Crédit agricole engage sa responsabilité contractuelle car il a manqué à son obligation d'ouvrir un compte bancaire spécial au nom de la bénéficiaire de la mesure de protection et d'émettre un nouveau carnet de chèques comportant la mention de la curatelle lors de la transmission du jugement du juge du contentieux de la protection.
Le Crédit agricole soutient que l'ouverture d'un compte spécial ne relève pas des initiatives de la banque mais appartient, en vertu des conditions générales de la convention de compte, au curateur qui doit en faire la demande ; que la communication du jugement d'ouverture d'une mesure de protection est insuffisante à caractériser une telle demande.
Les demandeurs fondent cette demande sur l'article 472 du code civil, repris dans le jugement du juge du contentieux de la protection du 3 mars 2020, lequel dispose " le juge peut également, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière. Il assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l'excédent sur un compte laissé à la disposition de l'intéressé ou le verse entre ses mains
Le Crédit agricole fonde quant à lui sa demande de débouté sur les conditions générales de la convention de compte, lesquelles prévoient en leurs articles 1 et I-5-2 qu'en cas d'ouverture d'une mesure de protection en cours de fonctionnement du compte, il appartient au représentant de la personne protégée, ou au majeur protégé lorsqu'il ne fait pas l'objet d'une mesure de protection prévoyant une représentation, d'informer la banque de la décision, de restituer le cas échéant les moyens de paiement, et de demande la clôture ou la transformation d'un compte joint en compte individuel.
La banque considère que ces conditions générales sont applicables, bien que la version produite aux débats soit de juin 2021, dans la mesure où il est d'usage que les banquent actualisent leurs conditions générales annuellement et qu'elle justifie leur avoir communiqué régulièrement ces modifications.
En l'espèce, il est constant que les conditions générales annexées à la convention de compte des époux [G] par la banque dans les pièces produites aux débats datent du 24 juin 2021 et sont entrées en vigueur deux mois plus tard en août 2021, soit postérieurement aux chèques litigieux (datant de janvier à mai 2021), postérieurement à la communication par les consorts [G] de la décision de placement sous curatelle (courriel du 20 avril 2020), et postérieurement à la clôture du compte bancaire par la banque (le 30 juin 2021) ainsi qu'à la réclamation des consorts [G] (courrier du 13 juillet 2021). Elles n'ont, dès lors, pas vocation à être opposées aux demandeurs.
Pour autant, ces derniers, à qui la charge de la preuve d'une obligation de la banque d'ouvrir un compte spécial incombe, ne rapporte aucunement une telle preuve.
En effet, l'article 472 du code civil cité par les demandeurs et repris par le juge du contentieux de la protection dans sa décision ne met pas à la charge de l'établissement bancaire dûment informé de procéder à la modification d'un compte précédemment ouvert dans ses livres. Il ne peut, dès lors, être considéré que l'ouverture d'un compte spéciale devait être faite d'initiative par l'établissement bancaire.
Les demandeurs échouent également à démontrer avoir sollicité de la banque l'ouverture d'un tel compte dès lors que le mail du 20 avril 2020 aux termes duquel ils transmettent le jugement de placement sous curatelle ne comporte aucun message.
Aucune faute contractuelle ne saurait être reprochée à la banque du fait de l'absence d'ouverture d'un compte spécial au nom de Mme [H] [G].
2. Sur le devoir de conseil, d'information, et sur le devoir de vigilance renforcée
Les demandeurs exposent que la banque a manqué à son devoir général de conseil et d'information, ainsi qu'à son obligation de vigilance renforcée, s'agissant de la tenue d'un compte d'une personne placée sous curatelle renforcée, notamment en ne prenant aucune mesure alors que des sommes importantes étaient retirées en peu de temps du compte et de manière inhabituelle.
Ils exposent par ailleurs qu'à compter de la communication du jugement de placement sous curatelle renforcée, seul M. [Y] [G] pouvait signer les chèques du compte commun, et que la falsification grossière de sa signature sur les chèques émis entre le 5 janvier et le 26 mai 2021 aurait dû alerter la banque.
Le Crédit agricole conteste toute faute contractuelle compte tenu du principe de non-immixtion de la banque, et en l'absence d'anomalie apparente affectant le fonctionnement du compte bancaire. L'établissement bancaire soutient au contraire que les consorts [G] se sont montrés négligents en ne restituant pas les moyens de paiement et en n'assurant pas la surveillance du chéquier malgré le contexte de conflit familial, rendant l'obligation de vigilance d'autant plus forte. Le Crédit agricole souligne encore le manquement à l'obligation de surveillance des comptes de la part des demandeurs, et l'absence de signalement à la banque d'éventuels détournements.
*
Il est constant qu'en application de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige, la banque est tenue à une obligation de non-immixtion dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine des fonds versés ni même à l'interroger sur les mouvements de grandes ampleurs.
Pour autant, en sa qualité de teneur de compte, la banque est tenue d'une obligation de vigilance la contraignant à vérifier les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, des opérations bancaires à l'initiative de son client.
L'anomalie apparente est celle qui ne doit pas échapper au banquier suffisamment prudent et diligent face à des faits anormaux, manifestement litigieux.
* S'agissant de l'absence de vérification des chèques
En l'espèce, il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, l'établissement bancaire ayant pour seule obligation un contrôle des anomalies et irrégularités apparentes et manifestes du titre.
Or, les chèques émis entre le 5 janvier et le 26 mai 2021 comportent tous la même signature. Si celle-ci diffère légèrement de celle attribuée à M. [Y] [G] dans son document d'identité et sur un chèque du 31 décembre 2020, force est de constater que ces deux signatures sont elles-mêmes différentes et qu'une signature manuscrite évolue dans le temps. La falsification n'est pas grossière, et était susceptible d'échapper à la vigilance d'un banquier normalement diligent.
Par ailleurs, il était loisible aux demandeurs de recourir aux services d'un expert graphologue ou d'en solliciter la désignation judiciaire afin que soit plus précisément examinée la signature des chèques litigieux.
En l'état, ils ne rapportent pas la preuve d'une falsification grossière de la signature du tireur, et ne démontrent pas l'existence d'une anomalie apparente susceptible d'engager la responsabilité de la banque.
Aucune faute contractuelle ne saurait être reprochée à la banque dans l'examen formel des chèques.
* S'agissant de l'absence de vérification des comptes par la banque
En l'espèce, M. [Y] [G] et Mme [T] [G], respectivement époux et fille mais également curateurs successifs de Mme [H] [G] justifient avoir informé l'établissement bancaire de retraits excessifs de la part de cette dernière dès le mois de février 2020. Ils justifient également avoir communiqué le 20 avril 2020 le jugement de placement de Mme [H] [G] sous curatelle renforcée daté du 3 mars 2020.
S'ils estiment que ces éléments mettent à la charge de la banque un devoir de vigilance renforcé, il est rappelé que l'établissement bancaire est par principe tenu à une obligation de non-immixtion, à laquelle il ne peut déroger qu'en cas d'anomalie apparente.
Or, en l'espèce, le compte débité est un compte joint, appartenant aux deux époux [G]. Dans ces circonstances, les chèques émis pouvaient valablement l'être par M. [Y] [G], tant en son nom personnel qu'en sa qualité de curateur de son épouse, et il a été précédemment démontré que les demandeurs ne rapportent la preuve d'aucune anomalie matérielle entachant lesdits chèques, la différence alléguée de signature n'étant pas flagrante et ne pouvant relever de ce qui est attendu d'un banquier normalement diligent.
De plus, M. [Y] [G] en tant que cotitulaire du compte et en tant que curateur, et sa fille madame [T] [G], en sa qualité de curatrice subrogée puis de curatrice, ne justifient pas avoir contesté la moindre opération avant le mois de juillet 2021, et ce alors qu'ils recevaient les relevés de compte mensuellement, et que le titulaire du compte est responsable des moyens de paiement qu'il doit conserver sous sa garde. Les demandeurs ne justifient pas avoir signalé à la banque la perte du chéquier avant le courriel émis par Mme [T] [G] le 24 juillet 2021. De même, la demande de communication par la banque de la copie des chèques litigieux intervient sans qu'une quelconque allégation de détournement ne soit évoquée, Mme [T] [G] faisant seulement état de son devoir de rendre compte au juge dans le cadre de la mesure de protection de sa mère.
En outre, contrairement à ce qu'ils allèguent, les opérations en question n'étaient pas particulièrement suspectes dès lors que :
- Certains chèques au bénéfice des mêmes destinataires n'ont jamais été contestés
- La lecture du relevé de compte litigieux laisse apparaître que des chèques avaient été précédemment émis pour des montants similaires (chèque de 1000 euros émis le 6 mai 2020), que des chèques émis entre deux chèques contestés ne sont pas contestés par les demandeurs (chèque de 2000 euros du 6 janvier 2021, chèque de 56.22 euros du 26 janvier 2021, chèque de 51,32 euros émis le 30 avril 2021 et chèque de 21.36 euros éms le 6 mai 2021), tout comme n'ont pas été contestés - ni par courrier ni dans le cadre de la présente procédure
- des retraits sur ce même compte, durant la période litigieuse et pour des montants similaires (1500 et 1000 euros le 28 janvier 2021, 1000 euros le 10 février 2021 1000 euros le 12 mars 2021), et que le compte était parfois crédité de chèques au montant également élevé (remise de chèque de 8997,41 euros le 23 décembre 2020) et ce y compris durant la période litigieuse (remise de chèques de 3000 euros le 19 janvier 2021, de 2000 euros le 10 février 2021, de 1748.50 euros le 25 février 2021, de 4800 euros le 13 mars 2021).
Il apparaît dès lors que les mouvements en question n'étaient pas susceptibles d'attirer l'attention d'un banquier normalement diligent et ne constituaient donc pas des anomalies intellectuelles apparentes.
Dans ces circonstances, ni le montant des chèques, ni leur fréquence, pas plus que la différence alléguée de signature du titulaire du compte et du tireur de chèque ne devaient conduire le crédit agricole à s'interroger sur l'opportunité des opérations bancaires réalisées et à s'immiscer dans les affaires des consorts [G].
Il ressort de ces éléments qu'en l'absence d'anomalies apparentes dans les opérations bancaires litigieuses et dans le fonctionnement du compte de M. et Mme [G], il ne peut pas être reproché au crédit agricole un défaut de vigilance.
En conséquence, Mme [T] [G], M. [Y] [G] et Mme [H] [G] seront déboutés de leur demande de remboursement des chèques au titre d'un défaut de vigilance de l'établissement bancaire.
III. Sur la demande de réparation du préjudice consécutif à l'interdiction bancaire
Les demandeurs entendent engager la responsabilité contractuelle du Crédit agricole du fait de l'interdiction bancaire de Monsieur [Y] [G], et sollicitent l'indemnisation du préjudice subi par ce dernier à hauteur de 10.000 euros et du préjudice subi par Madame [T] [G] à hauteur de 10.000 euros. Ils sollicitent également le remboursement par la banque de la somme de 454,20 euros facturés au titre des " frais supplémentaires ".
Ils font notamment valoir que l'interdiction bancaire des époux [G], sans information préalable et suite à l'émission de chèques sans provision, est la conséquence des négligences fautives du Crédit agricole.
Ils font encore valoir que Madame [T] [G] subit également un préjudice de ce fait, dès lors qu'elle a dû régler les charges de ses parents depuis leur interdiction bancaire, et parce qu'elle a contracté un prêt en son nom personnel pour permettre l'achat d'un véhicule par son père.
Ils soutiennent que l'interdiction bancaire est injustifiée, et que les frais retenus par la banque pour cette procédure ne sont pas dus.
Le Crédit agricole conclut au débouté, au motif que les demandeurs ne rapportent pas la preuve que l'établissement bancaire est à l'origine de la procédure d'interdiction bancaire ; que par ailleurs leur situation bancaire est imputable à leurs fautes de négligence dans l'examen des comptes et dans la surveillance des moyens de paiement.
*
En vertu de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige, la responsabilité civile contractuelle implique, pour le demandeur, de démontrer une faute de son cocontractant.
L'article L.131-73 du code monétaire et financier prévoit la sanction dite de l'interdiction bancaire et dispose, en son premier alinéa : " le banquier peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d'un chèque pour défaut de provision suffisante. Il doit enjoindre au titulaire du compte de restituer à tous les banquiers dont il est le client les formules en sa possession et en celle de ses mandataires et de ne plus émettre des chèques autres que ceux qui permettent exclusivement le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés. Le banquier tiré en informe dans le même temps les mandataires de son client. "
*
En l'espèce, il a été précédemment retenu qu'aucune faute ne pouvait être imputée au Crédit agricole dans la surveillance du compte bancaire des époux [G] et notamment quant à l'émission de chèques que M. [Y] [G] conteste avoir autorisés. Il a été précédemment exposé qu'il appartenait effectivement à ce dernier, tant en tant que titulaire du compte qu'en tant que curateur de son épouse, de s'assurer de l'approvisionnement de celui-ci, de vérifier les relevés de comptes pour signaler toute opération suspecte, et de surveiller les divers moyens de paiement dans un contexte de conflit familial lié aux finances du couple.
Par ailleurs le Crédit agricole produit aux débats deux courriers " d'information préalable au rejet de chèque " adressés à Madame [H] [G] le 18 juin 2021 et à Monsieur [Y] [G] le 2 juillet 2021 aux termes desquels l'établissement bancaire informe ses cocontractants de l'interdiction d'émettre des chèques pendant cinq ans en cas de non régularisation.
Monsieur [Y] [G], dûment informé, ne rapporte pas la preuve d'avoir régularisé la situation.
Aucune faute contractuelle ne saurait être reprochée au Crédit agricole quant à la sanction d'interdiction d'émettre des chèques faite à M. [G].
Les demandeurs seront déboutés de leur demande d'indemnisation de ce chef.
Les frais engagés par la banque, listés dans son courrier du 4 janvier 2022, et prélevés sur le compte des époux [G] à hauteur de 454,20 euros sont en lien avec cette procédure d'interdiction d'émettre des chèques, qui est régulière. Les demandeurs seront par conséquent déboutés de leur demande de ce chef.
IV. Sur la demande de réparation du préjudice lié à la résiliation abusive de la convention de compte
Les demandeurs sollicitent la réparation de ce chef de préjudice à hauteur de 10.000 euros.
Ils font notamment valoir que le Crédit agricole a usé d'un motif mensonger et vexatoire pour résilier unilatéralement et brutalement la convention de compte.
Le Crédit agricole conclut au débouté au motif que la résiliation a pris effet deux mois après le courrier en informant les demandeurs, et est liée à l'incivilité dont Monsieur [G] a fait preuve au sein de l'agence.
En vertu de l'article L.312-1-1 du code monétaire et financier dispose, en son paragraphe V " l'établissement de crédit résilie une convention de compte de dépôt conclue pour une durée indéterminée moyennant un préavis d'au moins deux mois fourni sur support papier ou sur un autre support durable ".
Il est constant qu'en l'absence de disposition légale particulière, toute partie à un contrat à durée indéterminée peut, sans avoir à motiver sa décision, mettre fin unilatéralement à celui-ci, sauf à engager sa responsabilité en cas d'abus.
En l'espèce, le Crédit agricole produit aux débats une " déclaration d'incivilité " datée du 25 juin 2021, et faisant état d'une agression verbale d'un employé par Monsieur [Y] [G] après réception d'un courrier relatif au rejet d'un chèque.
Par courrier du 30 juin 2021, l'établissement bancaire a informé les époux [G] de la rupture des relations contractuelles après l'écoulement d'un préavis de deux mois, suite aux incivilités précitées.
Les demandeurs, qui considèrent le motif mensonger et vexatoire, indiquent toutefois dans leurs écritures que " [Y] [G] ne s'était jamais rendu coupable d'incivilité par le passé, ce qui démontre bien que son incompréhension a été provoquée par l'incompétence crasse de la banque […] " et admettent ainsi implicitement que l'incident évoqué a bien eu lieu.
Ce faisant, l'établissement bancaire a justifié sa décision de mettre un terme au contrat le liant aux époux [G], sans que les demandeurs ne démontrent un motif illégitime ou une volonté de nuire, et tout en respectant un délai permettant aux époux [G] de retrouver un nouveau banquier.
V. Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive
Le Crédit agricole sollicite la condamnation des défendeurs à lui payer la somme de 10.000 euros.
L'établissement bancaire fait notamment valoir qu'il ressort des écritures des parties, et notamment de l'assignation délivrée par Madame [L] [O] à Monsieur [K] [G], que l'argent n'a jamais quitté le cercle familial, et que les sommes litigieuses ont bénéficié à Monsieur [K] [G] grâce à l'assentiment de sa mère, et à la passivité de son père ; que les consorts [G] n'ont pas agi contre le bénéficiaire des chèques et entendent faire peser la charge définitive de libéralités familiales sur la banque.
Les demandeurs concluent quant à eux au débouté, et font notamment valoir que les faits s'inscrivent dans un contexte de conflit familial et que la banque ne peut leur reprocher de ne pas avoir voulu agir pénalement contre Monsieur [K] [G] ; ils contestent les éléments avancés par Madame [L] [O] dans son assignation et notamment qu'il pourrait s'agir de libéralité, dont il rappelle que la charge de la preuve incomberait à la banque.
*
En application de l'article 1382 du code civil dans sa version applicable au litige, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En vertu de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Il est constant qu'un abus n'est constitué que si est caractérisé un acte de malice ou de mauvaise foi ou une erreur grave équipollente au dol
*
En l'espèce, les consorts [G], titulaires d'un compte bancaire au sein de l'établissement du Crédit agricole depuis 2001, ont pu, alors qu'ils rencontraient d'importantes difficultés personnelles liées aux problèmes de santé de Madame [H] [G] et au contexte délétère avec leur fils [K] [G], légitimement pensé que la banque avait manqué à ses obligations contractuelles et intenté une action en justice aux fins d'obtenir remboursement des chèques.
Ce faisant, il n'est pas démontré que leur droit d'agir en justice ait dégénéré en abus, et il convient dès lors de débouter la demande du Crédit agricole tendant à les voir condamner pour procédure abusive.
Par ailleurs, et compte tenu de l'absence de condamnation du Crédit agricole, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes subsidiaires en garantie que celui-ci a formées.
VI. Sur les demandes accessoires
1. Sur les dépens
L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, il y a lieu de condamner in solidum Madame [H] [G], Monsieur [Y] [G] et Madame [T] [G] aux entiers dépens.
2. Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
En vertu de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
En l'espèce, il y a lieu de condamner in solidum Madame [H] [G], Monsieur [Y] [G] et Madame [T] [G] à verser au Crédit agricole la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande des demandeurs sur ce fondement sera rejetée.
3. Sur l'exécution provisoire
L'article 514 du code de procédure civile dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
L'article 514-1 du même code précise que le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire. Il statue, d'office ou à la demande d'une partie, par décision spécialement motivée.
L'exécution provisoire sera rappelée.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe de la juridiction, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,
DONNE acte à Madame [H] [D] épouse [G] de son intervention volontaire
DÉBOUTE Monsieur [Y] [G], Madame [H] [D] épouse [G] et Madame [T] [G] ès qualité de curatrice de Madame [H] [D] épouse [G] de leur demande de remboursement du montant des chèques ;
DÉBOUTE Monsieur [Y] [G], Madame [H] [D] épouse [G] et Madame [T] [G] ès qualité de curatrice de Madame [H] [D] épouse [G] de leurs demandes d'indemnsation du préjudice consécutif à l'interdiction d'émettre des chèques ;
DÉBOUTE Monsieur [Y] [G], Madame [H] [D] épouse [G] et Madame [T] [G] ès qualité de curatrice de Madame [H] [D] épouse [G] de leur demande de remboursement des 454.20 euros facturés par l'établissement bancaire au titre des frais supplémentaires ;
DÉBOUTE Monsieur [Y] [G], Madame [H] [D] épouse [G] et Madame [T] [G] ès qualité de curatrice de Madame [H] [D] épouse [G] de leur demande d'indemnisation du préjudice lié à la résiliation abusive de la convention de compte par l'établissement bancaire ;
DÉBOUTE la Caisse Régionale de Crédit agricole Nord de France de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE in solidum Monsieur [Y] [G], Madame [H] [D] épouse [G] et Madame [T] [G] ès qualité de curatrice de Madame [H] [D] épouse [G] à verser à la Caisse Régionale de Crédit agricole Nord de France la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE in solidum Monsieur [Y] [G], Madame [H] [D] épouse [G] et Madame [T] [G] ès qualité de curatrice de Madame [H] [D] épouse [G] aux entiers dépens ;
RAPPELLE l'exécution provisoire de la présente décision.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Dominique BALAVOINE Sarah RENZI