TRIBUNAL JUDICIAIRE
de LILLE
[Localité 4]
☎ :[XXXXXXXX01]
N° RG 23/09434
N° Portalis DBZS-W-B7H-XUEP
N° de Minute : L 24/00451
JUGEMENT
DU : 08 Juillet 2024
Société CONSUMER FINANCE DEPT SOFINCO
C/
[R] [B] épouse [Y]
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT DU 08 Juillet 2024
DANS LE LITIGE ENTRE :
DEMANDEUR(S)
Société CONSUMER FINANCE DEPT SOFINCO, dont le siège social est sis [Adresse 2] - [Localité 6]
représentée par Me Francis DEFFRENNES, avocat au barreau de LILLE
ET :
DÉFENDEUR(S)
Mme [R] [B] épouse [Y], demeurant [Adresse 3] - [Localité 5]
représentée par Me Edouard PRAQUIN, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS À L'AUDIENCE PUBLIQUE DU 06 Mai 2024
Louise THEETTEN, Juge, assistée de Sylvie DEHAUDT, Greffier
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DÉLIBÉRÉ
Par mise à disposition au Greffe le 08 Juillet 2024, date indiquée à l'issue des débats par Louise THEETTEN, Juge, assistée de Sylvie DEHAUDT, Greffier
RG 9434/23 – Page - MA
EXPOSE DU LITIGE
Selon bon de commande du 10 avril 2021, Mme [R] [B] a, dans le cadre d'un démarchage à domicile, accepté la livraison et la pose d'une pompe à chaleur avec réalisation de travaux d'isolation extérieur auprès de la société à responsabilité limitée (SARL) France confort habitat moyennant le prix 28350 euros.
Afin de financer cette opération, Mme [B] a accepté le 5 avril 2021, une offre de crédit affecté émanant de la société anonyme CA Consumer Finance exerçant sous la marque Sofinco d'un montant de 28350 euros, remboursable en 180 échéances de 225,60 euros hors assurance avec un différé de paiement de 5 mois et un taux débiteur fixe annuel de 4,799%.
Par exploit du 11 octobre 2023, la société anonyme CA Consumer Finance a fait assigner Mme [B] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille aux fins de condamnation au paiement de différentes sommes d'argent en exécution du contrat de prêt.
A l'audience du 6 mai 2024, le juge a relevé d'office les moyens d'ordre public de déchéance du droit aux intérêts contractuels.
La société anonyme CA Consumer Finance, représentée par son conseil, demande, par conclusions déposées et visées par le greffier à l'audience, au juge des contentieux de la protection de :
déclarer Mme [B] irrecevable en ses demandes ;
constater la déchéance du terme du prêt et condamner Mme [B] à lui payer la somme de 15470,51 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 3 août 2023 jusqu'à complet paiement ;
à titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du contrat, condamner Mme [B] à lui payer la somme de 28350 euros au titre des restitutions et à lui payer la somme de 2000 euros à titre de dommages-intérêts ;
à titre encore plus subsidiaire, condamner Mme [B] à lui payer les échéances impayées jusque la date du jugement et dire que Mme [B] devra reprendre le paiement des échéances à bonne date sous peine de déchéance du terme sans formalités ;
en tout état de cause, condamner Mme [B] à lui payer la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens et rappeler l'exécution provisoire de droit attachée à la décision à intervenir.
Mme [B], représentée par son conseil, demande, par conclusions déposées et visées par le greffier à l'audience, au juge des contentieux de la protection de :
à titre principal : débouter la société anonyme CA Consumer Finance de sa demande en paiement principale et de ses demandes subsidiaire et condamner la société anonyme CA Consumer Finance à lui payer la somme de 3384 euros au titre des échéances remboursées ;
à titre subsidiaire : lui accorder d'un échelonnement au titre du paiement de la somme en 72 mensualités de 214,86 euros à compter de la signification du jugement à intervenir ;
En tout état de cause : condamner la société anonyme CA Consumer Finance à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux conclusions sus-visées des parties pour un exposé complet de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, si dans l'assignation et dans les conclusions des parties, le nom de naissance de Mme [B] est écrit « [J] », il s'agit d'une erreur matérielle au vu du livret de famille et de la carte d'identité qui mentionnent le nom « [B] ».
En conséquence, dans toute la décision, le nom de la défenderesse sera écrit tel qu'inscrit sur le livret de famille et la carte nationale d'identité aux débats.
Sur la fin de non recevoir opposée à la reconventionnelle de Mme [B] :
Malgré l'interdépendance entre le contrat conclu avec la société France confort habitat et le contrat de crédit litigieux, l'absence d'action en annulation ou en résolution du contrat principal n'interdit pas à l'emprunteur de se prévaloir des dispositions de l'article L. 312-48 du code de la consommation et d'agir en responsabilité contre le banquier en raison de la faute alléguée dans le déblocage des fonds.
En l'espèce, Mme [B] soutient que la société anonyme CA Consumer Finance a engagé sa responsabilité à son égard en ayant débloqué les fonds sans s'être assurée de l'exécution complète de la prestation qu'elle finançait. Elle ne demande pas la nullité ou la résolution du contrat principal.
Par ailleurs, l'absence du vendeur à la procédure ne lui interdit pas plus d'exciper du défaut d'exécution complète du contrat principal.
Dans ces conditions, l'action de Mme [B] est recevable et la fin de non recevoir opposée par la société anonyme CA Consumer Finance sera rejetée.
Sur la recevabilité de l'action de la société anonyme CA Consumer Finance :
L’article R. 312-35 du code de la consommation, dont les dispositions sont d’ordre public, impose d’engager l’action dans le délai de deux ans du premier incident non régularisé, d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement, à peine de forclusion.
En l’espèce, il ressort des pièces versées au débat, notamment de l’historique des prélèvements, que le premier incident de paiement non régularisé est intervenu le 28 février 2023.
L’assignation ayant été délivrée le 11 octobre 2023, la demande en paiement du solde du crédit est recevable.
Sur la demande principale en paiement de la somme de 15 470,51 euros :
Selon l'article L. 312-48 du code de la consommation, les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation.
En cas de contrat de vente ou de prestation de services à exécution successive, les obligations prennent effet à compter du début de la livraison ou de la fourniture et cessent en cas d'interruption de celle-ci.
Pour s'opposer à l'exigibilité des sommes réclamées par la société anonyme CA Consumer Finance, Mme [B] soutient que les prestations de la société France confort habitat étaient indivisibles et n'ont été que partiellement exécutées de sorte que les sommes empruntées ne sont pas exigibles.
En l’espèce, au vu du devis dont la date n'est pas lisible accepté par Mme [B], celle-ci a accepté une prestation de livraison et de pose d'une pompe à chaleur et d'un chauffe eau thermo dynamique ainsi qu'une prestation d'isolation par pose de laine de roche en façade et de bardage de la façade pour un montant total de 28000 euros, la prestation de bardage et d'isolation s'élevant à 14581 euros toutes taxes comprises, soit une somme égale au montant du virement EPT mentionné dans l'historique de compte depuis la déchéance du terme.
Mme [B] a ensuite le 10 avril 2021 régularisé un bon de commande reprenant les mêmes prestations mais pour un montant total de 28350 euros, bon de commande remis par la société France confort habitat à la société anonyme CA Consumer Finance.
C'est donc sur la base de ce bon de commande que le crédit a été octroyé.
Mme [B] établit, par la production d'une facture du 8 août 2021 émise par la société France confort habitat et ne portant que sur les prestations autres que l'isolation pour un montant total 19705 euros, d'une facture de démontage de la pompe à chaleur du 12 octobre 2022, de l'opposition à prélèvements au bénéfice de la société anonyme CA Consumer Finance du 23 février 2023, du constat d'huissier du 3 mai 2023 établissant qu'aucun bardage et qu'aucune isolation par l'extérieur n'ont été réalisés sur l'habitation de Mme [B], et de la correspondance du médiateur auprès de l'ASF du 19 décembre 2023 relatant que la société France confort habitat est en liquidation judiciaire et que la société anonyme CA Consumer Finance a réduit le montant de sa créance de 14581 euros compte tenu des travaux d'isolation non réalisés, que les travaux d'isolation et de bardage commandés n'ont jamais été effectués par la société France confort habitat.
Les travaux d'isolation étaient indivisibles de ceux de pose d'une pompe à chaleur.
Il en résulte que l'exécution des prestations financées au moyen du prêt litigieux n'est pas complète de sorte qu'en application de l'article L. 312-48 sus-visés l'obligation de remboursement de Mme [B] n'a en principe pas pris effet.
La société anonyme CA Consumer Finance réplique que Mme [B] l'a déterminée à verser les fonds à la société France confort habitat en signant le procès-verbal de livraison et en complétant la demande de financement, documents sur la base desquels elle a débloqué les fonds.
Le formulaire de demande de financement signé le 26 mai 2021 comporte la mention préimprimée suivante qui est imputée à Mme [B] : « j'ai bénéficié de la livraison et ou de l'exécution de la prestation, telle que prévue et à mon entière satisfaction, je demande le financement correspondant », étant relevé que les autres mentions déclaratives dudit formulaire correspondent à celles de la société France confort habitat. Or, ce formulaire est d'un format de petite taille, ne laisse la place à aucune mention manuscrite ou annotation de la part du consommateur et la mention imputée à Mme [B] est inscrite dans une police difficilement lisible. Aussi, la société anonyme CA Consumer Finance ne peut-elle valablement soutenir qu'en signant cette demande de financement Mme [B] l'a déterminée à remettre les fonds.
Surtout, le procès-verbal de réception des travaux, également constitué d'un formulaire préimprimé, du 26 mai 2021, signé par Mme [B], ne mentionne que des travaux de « chauffage clim » à l'exclusion de travaux d'isolation et ce sont uniquement ces travaux « chauffage clim » qui sont reçus sans réserve.
Peu important que l'offre de prêt désigne la prestation financée comme « chauffage clim », mention renseignée par le prêteur, la discordance entre le bon de commande remis à la société anonyme CA Consumer Finance et mentionnant, outre l'installation d'un pompe à chaleur et d'un ballon thermodynamique, des travaux d'isolation et de bardage et la description des travaux reçus sans réserve dans le procès-verbal de réception, correspondant manifestement pour Mme [B] aux prestations partiellement exécutées exclut que la société anonyme CA Consumer Finance puisse valablement exciper que Mme [B] l'a déterminée à remettre les fonds.
Ainsi, c'est exactement que Mme [B] fait valoir que son obligation de remboursement n'a pas pris effet, sans qu'il puisse être considéré qu'en payant les mensualités jusqu'en février 2023 Mme [B] a renoncé à se prévaloir des dispositions d'ordre public de l'article L. 312-48 du code de la consommation.
La demande principale en paiement de la société anonyme CA Consumer Finance sera donc rejetée.
Sur les demandes subsidiaires de résolution et de condamnation au paiement de dommages-intérêts et les demandes encore plus subsidiaire de poursuite du contrat :
Selon les articles 1227 et 1228 du code civil, la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice.
Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.
Les motifs précédents, qui ont conduit à retenir que l'obligation de remboursement des sommes empruntées n'a pas pris effet, excluent toute faute contractuelle de Mme [B] qui ne peut être tenue de rembourser des sommes non exigibles.
La demande de résolution du prêt sera rejetée ainsi que par voie de conséquence la demande de condamnation au paiement de dommages-intérêts.
Pour les mêmes motifs, la demande de condamnation de Mme [B] à reprendre le paiement des échéances mensuelles de remboursement du prêt sera rejetée.
Sur la responsabilité de la société anonyme CA Consumer Finance :
En application des articles L. 312-48, L. 312-55 et 1231-1 et suivants du code civil, les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de l'exécution de la prestation de services qui doit être complète, hors le cas d'une prestation de services à exécution successive, et que commet une faute qui, s'il en résulte un préjudice pour l'emprunteur, le prive de la possibilité de solliciter, à l'égard de l'emprunteur, le remboursement de l'intégralité du prêt, le prêteur qui délivre les fonds au vendeur sans s'assurer que celui-ci a exécuté son obligation.
En sollicitant la condamnation de la société anonyme CA Consumer Finance à lui restituer les mensualités du crédit remboursées, Mme [B] agit en réalité en responsabilité à l'encontre de la banque.
En l’espèce, il résulte des motifs précédents que la société anonyme CA Consumer Finance a débloqué les fonds sans que le contrat principal ait été totalement exécuté.
La discordance entre le bon de commande remis à la société anonyme CA Consumer Finance et la description des travaux reçus sans réserve dans le procès-verbal de réception cumulée avec un procès-verbal de livraison dressé seulement un mois et demi après la signature du bon de commande, durée particulière brève compte tenu de la nature et de l'ampleur des travaux de bardage isolation, lesquels impliquent une modification de la façade de l'immeuble de Mme [B], caractérise la faute de la banque laquelle a débloqué les fonds sans s'assurer de l'exécution complète de l'intégralité des prestations financées.
Cette faute est en l'espèce à l'origine d'un préjudice en ce qu'il résulte du courrier du médiateur que la société France confort habitat est en liquidation judiciaire et est en conséquence insolvable, de sorte que Mme [B] ne peut agir en justice contre elle. Par ailleurs, Mme [B] justifie par la production de littératures vulgarisées qu'une pompe à chaleur installée dans un logement non isolé ne fonctionne pas ou très mal et par la production de la facture de démontage de la pompe à chaleur et de pose de radiateurs pour un montant de 9763,24 euros que la pompe à chaleur financée ne fonctionnait pas de sorte que Mme [B] a dû exposer cette somme pour pouvoir se chauffer convenablement.
Mme [B] a donc subi un préjudice en lien avec la faute de la banque.
Par ailleurs, il convient de tenir compte du fait que Mme [B] n'allègue aucun désordre concernant le ballon thermodynamique et de la circonstance que les demandes de la société anonyme CA Consumer Finance dirigées contre elle sont rejetées.
Dans ces conditions, le préjudice subi par Mme [B] sera réparé par l'allocation de la somme 3384 euros acquittée par Mme [B].
Sur les demandes accessoires :
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société anonyme CA Consumer Finance sera condamnée aux dépens.
L'équité commande de la condamner à payer à Mme [B] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de la société anonyme CA Consumer Finance formée de ce chef sera rejetée.
Il y a lieu de rappeler que conformément aux dispositions de l'article 514 du Code Civil, le présent jugement bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS :
Le juge des contentieux de la protection, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort :
Rejette la fin de non recevoir opposée par la société anonyme CA Consumer Finance exerçant sous la marque Sofinco et tenant à l'absence de la société France confort habitat à l'instance ;
Déboute la société anonyme CA Consumer Finance exerçant sous la marque Sofinco de l'intégralité de ses demandes dirigées contre Mme [R] [B] ;
Condamne la société anonyme CA Consumer Finance à payer Mme [R] [B] la somme de 3384 euros en réparation du préjudice subi par elle en raison de la faute de la banque dans le déblocage des fonds ;
Condamne la société anonyme CA Consumer Finance à payer Mme [R] [B] la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société anonyme CA Consumer Finance aux dépens ;
Rappelle l'exécution provisoire de droit attachée à la présente décision ;
Ainsi, jugé et prononcé le 8 juillet 2024 par mise à disposition au greffe.
Le Greffier Le Juge