TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 23/03366 - N° Portalis DBZS-W-B7H-XDGY
JUGEMENT DU 08 JUILLET 2024
DEMANDEUR :
M. [K] [G]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Julien BAILLY, avocat au barreau de LILLE
Mme [O] [S]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Julien BAILLY, avocat au barreau de LILLE
DEFENDEUR :
La S.C.I. [N], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Laurence D’HERBOMEZ, avocat au barreau de LILLE
M. [W] [N]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Laurence D’HERBOMEZ, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur : Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur : Sophie DUGOUJON, Juge
GREFFIER : Yacine BAHEDDI, Greffier
DEBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 05 Juillet 2023.
A l’audience publique du 11 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 27 mai 2024 et prorogé au 08 Juillet 2024.
Leslie JODEAU, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 08 Juillet 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.
EXPOSE DU LITIGE
La SCI [N] est propriétaire d'un immeuble d'une surface de 800 m2 situé au [Adresse 1]. Le 4 avril 2019, elle a donné mandat à l'agence Abrinor de vendre son immeuble au prix de 500.000 euros net vendeur.
Le 26 avril 2019, M. [K] [G] et Mme [O] [S] ont offert d'acheter une partie de l'immeuble au prix de 200.000 euros net vendeur.
L'offre a été faite sous les conditions suspensives suivantes : certificat d'urbanisme, purge du droit de préemption, obtention de l'accord d'un ou de plusieurs prêts bancaires.
L'offre a été contresignée le jour même par M. [W] [N], gérant de la SCI [N].
Par courrier du 3 juillet 2019, M. [W] [N] a fait savoir à l'agence Abrinor que les autres actionnaires de la société n'acceptaient pas la vente partielle et qu'il se dédisait de la vente.
La vente n'a donc pas été réitérée.
Puis, par courrier en date du 26 novembre 2020, M. [K] [G] et Mme [O] [S] ont, par l'intermédiaire de leur conseil, mis en demeure la SCI [N] d'avoir à transmettre la copie de ses statuts, des procès verbaux d'assemblée générale ayant eu lieu au moment de la vente et du mandat de vente donné à l'agence Abrinor.
La SCI [N] et son gérant ont, par l'intermédiaire de leur conseil, indiqué que le bien que M. [K] [G] et Mme [O] [S] ont offert d'acheter ne correspondait pas à la réalité du bien devant être vendu et que le gérant n'avait pas le pouvoir d'engager seul la société, n'étant pas titulaire de la majorité des parts.
Soutenant que la vente est parfaite, suivant exploit délivré le 28 septembre 2021, M. [K] [G] et Mme [O] [S] ont fait assigner la SCI [N] et M. [W] [N] devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins de voir ordonner la résolution de la vente et d'obtenir des dommages et intérêts.
L'affaire a été radiée le 16 novembre 2022 puis réinscrite au rôle le 23 mars 2023 à la demande de M. [K] [G] et Mme [O] [S].
Les parties ont fait notifier leurs dernières écritures par voie électronique le 23 mars 2023 pour M. [K] [G] et Mme [O] [S] et le 24 mai 2023 pour la SCI [N] et M. [W] [N].
La clôture des débats est intervenue le 5 juillet 2023, et l’affaire fixée à l’audience du 11 mars 2024.
* * * *
Aux termes de leurs dernières écritures, M. [K] [G] et Mme [O] [S] demandent au tribunal de :
Vu l'article 1589 du code civil,
Vu l'article 1194 du code civil,
Vu les articles 1217 et suivants du code civil,
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
prononcer la résolution du contrat de vente aux torts de la SCI [N],condamner in solidum M. [W] [N] et la SCI [N] ou l'un à défaut de l'autre à leur payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant de l'inexécution contractuelle,condamner in solidum M. [W] [N] et la SCI [N] ou l'un à défaut de l'autre à leur payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,condamner in solidum M. [W] [N] et la SCI [N] ou l'un à défaut de l'autre aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières écritures, la SCI [N] et M. [W] [N] demandent au tribunal de :
Vu les articles 1240 et suivants, 1304-6 du code civil,
constater la caducité de l'offre d'achat du 26 avril 2019,débouter M. [K] [G] et Mme [O] [S] de l'ensemble de leurs demandes,condamner solidairement M. [K] [G] et Mme [O] [S] à payer à la SCI [N] et M. [W] [N], chacun, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,condamner solidairement M. [K] [G] et Mme [O] [S] aux dépens.
Pour l’exposé des moyens des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de résolution de la vente
Selon les articles 1113 (relatifs au droit commun des contrats) et suivants et 1583 et 1589 (spécifiques au contrat de vente) du code civil :
“ Le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager.
Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur.
“L'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.”
“L'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l'offre.
Tant que l'acceptation n'est pas parvenue à l'offrant, elle peut être librement rétractée, pourvu que la rétractation parvienne à l'offrant avant l'acceptation.
L'acceptation non conforme à l'offre est dépourvue d'effet, sauf à constituer une offre nouvelle.”
“Elle [La vente] est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.”
« La promesse de vente vaut vente lorsqu'il y a consentement réciproque des parties sur la chose et sur le prix ».
Selon ces dispositions, un contrat de vente est formé de manière non formelle, dès que la volonté du vendeur rencontre celle de l’acquéreur. Il ne suffit pas que deux volontés existent théoriquement, encore faut-il qu’elles se rencontrent. D’autre part, la volonté des parties peut valablement être communiquée par un intermédiaire pourvu que le message soit précis et permette de connaitre la volonté personnelle tant du vendeur que de l’acquéreur. Le consentement des parties n'est soumis à aucune condition de forme.
L'article 1217 du code civil dispose quant à lui que :
« La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation,poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation,obtenir une réduction du prix,provoquer la résolution du contrat,demander réparation des conséquences de l'inexécution.Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent se cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter ».
Par ailleurs, l'article 1304-3 du code civil dispose que la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement. L'article 1304-4 précise quant à lui qu'une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie ou n'a pas défailli.
En l'espèce, M. [K] [G] et Mme [O] [S] soutiennent que la vente est parfaite dès lors que leur promesse d'achat a été acceptée par la venderesse et qu'un accord est ainsi intervenu sur la chose et sur le prix. Ils sollicitent que soit prononcée la résolution de la vente aux torts exclusifs de la venderesse au motif que la SCI [N] a refusé de la poursuivre.
La SCI [N] et M. [W] [N] soutiennent quant à eux que l'acceptation de l'offre d'achat a été faite sous réserve de la réalisation de plusieurs conditions suspensives avant le 31 juillet 2019 et que faute de réalisation de ces conditions, l'offre d'achat est caduque. Ils ajoutent que la réitération par acte authentique constituait une condition essentielle à la formation de la vente.
Aux termes de leur offre du 26 avril 2019, M. [K] [G] et Mme [O] [S] ont proposé d'acheter un immeuble à usage de commerce provenant d'un immeuble plus important, comprenant au rez-de-chaussée et un étage avec accès par son escalier extérieur, et son parking privatif, détaché d'une plus grande propriété reprise au cadastre section BE n°[Cadastre 5] pour une contenance de 3.814 m2 au prix de 200.000 euros net vendeur.
L'offre a été faite sous les conditions suspensives suivantes : certificat d'urbanisme, purge du droit de préemption, obtention de l'accord d'un ou de plusieurs prêts bancaires, sans toutefois que les modalités du prêt ne soient précisées.
Par ailleurs, dans un paragraphe intitulé « conditions », l'offre indique que la vente aura lieu aux conditions ordinaires et de droit et que « dans le cas d'acceptation de l'offre, un acte sous seing privé (compromis de vente) devra être établi entre les parties devant préciser toutes les modalités de la vente ».
L'offre précise en outre que la régularisation de l'acte authentique interviendra en l'étude de Me [Z] [D], notaire à [Localité 7], au plus tard le 31 juillet 2019 et fixe la répartition de certains travaux entre M. [K] [G] et Mme [O] [S] d'une part et la SCI [N] d'autre part.
Il se déduit de ces éléments qu'en émettant cette offre d'achat pour M. [K] [G] et Mme [O] [S] et en l'acceptant pour la SCI [N], les parties n'ont entendu être liées que par une promesse de vente formelle à rédiger et par la signature d'un acte authentique. En effet, elles se sont accordées sur la nécessité d'établir un compromis de vente devant préciser toutes les modalités de la vente et ont prévu que la régularisation de l'acte authentique devrait intervenir avant le 31 juillet 2019.
Ces éléments constituaient un élément déterminant de leur consentement de sorte qu'il ne peut être considéré que la vente était parfaite au moment où la SCI [N] a contresigné l'offre d'achat.
Dans ces conditions, les demandes formées à l'encontre de la SCI [N], tendant à voir prononcer la résolution de la vente à ses torts exclusifs et à obtenir indemnisation, ne peuvent prospérer.
Sur la responsabilité de M. [W] [N]
L'article 1240 du code civil prévoit que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Il appartient au demandeur de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
En l'espèce, M. [K] [G] et Mme [O] [S] font valoir que M. [W] [N] aurait engagé sa responsabilité personnelle et extra-contractuelle à leur égard en déclarant dans l'offre qu'il avait le pouvoir d'engager la société alors que cela ne serait pas le cas et en feignant d'avoir été trompé sur la consistance du bien.
Si, dans le cadre des discussions amiables entre les parties, la SCI [N] et son gérant ont effectivement invoqué l'argument selon lequel le gérant, non majoritaire, n'avait pas le pouvoir d'engager la société pour la vente projetée d'une partie de l'immeuble, cet argument n'est plus soutenu en défense.
La charge probatoire incombe aux demandeurs et il leur appartient de rapporter la preuve de la faute qu'ils invoquent ce qu'ils échouent à faire dans le cadre de la présente instance.
En effet, ils ne démontrent pas que M. [W] [N] n'avait pas le pouvoir de signer l'offre. En toute hypothèse, celle-ci est caduque.
Ensuite, s'il ne peut être retenu que M. [W] [N] aurait été trompé sur la consistance du bien, dès lors que le mandat de vente donné à l'agence Abrinor mentionnait bien que l'immeuble était divisible et qu'il a signé le plan du bien que les demandeurs ont offert d'acheter après intervention d'un géomètre financé par la SCI [N], aucune faute ne peut être retenue à son encontre de ce chef dès lors que l'offre est caduque pour une raison indépendante du comportement du gérant de la SCI [N].
Dans ces conditions, les demandes d'indemnisation formées à l'encontre de M. [W] [N] seront rejetées.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».
Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”.
Succombant en l'instance, M. [K] [G] et Mme [O] [S] seront condamnés in solidum, et non solidairement, aux dépens, ce qui entraîne rejet de leur demande au titre des frais irrépétibles.
L'équité commande de condamner in solidum, et non solidairement, M. [K] [G] et Mme [O] [S] à payer à la SCI [N] et à M. [W] [N], chacun, la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en premier ressort,
Déboute M. [K] [G] et Mme [O] [S] de l'intégralité de leurs demandes formées à l'encontre de la SCI [N] et de M. [W] [N],
Condamne M. [K] [G] et Mme [O] [S] in solidum aux dépens,
Condamne M. [K] [G] et Mme [O] [S] in solidum à verser à la SCI [N] et M. [W] [N], chacun, la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le greffier, Le président,