TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/05356 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WLPJ
JUGEMENT DU 08 JUILLET 2024
DEMANDEUR :
La S.C.I. CLAMMICE, représentée par son gérant, Monsieur [P] [S].
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Bruno WECXSTEEN, avocat au barreau de LILLE
DEFENDEUR :
M. [C] [V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Nicolas PAPIACHVILI, avocat au barreau de LILLE
Mme [W] [O] épouse [V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Nicolas PAPIACHVILI, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur : Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur : Sophie DUGOUJON, Juge
GREFFIER : Yacine BAHEDDI, Greffier
DEBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 15 Septembre 2023.
A l’audience publique du 11 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 27 mai 2024 et prorogé au 08 Juillet 2024.
Leslie JODEAU, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 08 Juillet 2024 par Leslie JODEAU, Vice-Présidente pour la Présidente empêchée, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique en date du 28 juin 2019, M. [C] [V] et Mme [W] [O] épouse [V], ci-après les époux [V], ont vendu à la société Clammice un immeuble de rapport à usage d'habitation situé au [Adresse 1] à [Localité 6] au prix de 174.000 euros.
Se plaignant de vices cachés affectant la toiture, par courrier en date du 19 mai 2021, la société Clammice a mis en demeure les époux [V] de prendre en charge le coût de remplacement de la toiture pour un montant de 20.020 euros.
Par courrier en réponse en date du 17 juin 2021, les époux [V] ont contesté l'existence d'un vice caché affectant la toiture et ont refusé de prendre en charge le remplacement de la toiture.
Suivant exploit délivré le 27 juillet 2022, la société Clammice a fait assigner M. [C] [V] et Mme [W] [O] épouse [V] devant le tribunal judiciaire de Lille exerçant principalement l'action estimatoire en garantie des vices cachés.
Les époux [V] ont saisi le juge de la mise en état d'un incident.
Par ordonnance en date du 8 juin 2023, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir tirée de la forclusion et a condamné les époux [V] aux dépens de l'incident.
Les parties ont fait notifier leurs dernières écritures par voie électronique le 13 juillet 2023 pour la société Clammice et le 28 novembre 2022 pour les époux [V].
La clôture des débats est intervenue le 15 septembre 2023, et l’affaire fixée à l’audience du 11 mars 2024.
* * * *
Aux termes de ses dernières écritures, la société Clammice demande au tribunal de :
Vu les articles 1641 et suivants du code civil,
condamner solidairement les époux [V] à lui payer la somme de 42.150,97 euros TTC sur la base du devis de la société Cote Couverture du 24 mai 2023 en restitution d'une partie du prix de vente correspondant au coût du remplacement de la toiture principale en tuiles,condamner solidairement les époux [V] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir,les condamner in solidum aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières écritures, les époux [V] demandent au tribunal de :
Vu les articles 1641 et suivants du code civil,
A titre principal :
juger que la société Clammice ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un vice caché au droit de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 6],débouter la société Clammice de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire :
juger que la société Clammice ne rapporte pas la preuve de la mauvaise foi des vendeurs,débouter la société Clammice de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause :
condamner la société Clammice à la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Pour l’exposé des moyens des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il y a lieu de dire qu’une demande tendant à “juger que” ne constitue pas une prétention en justice devant être tranchée par le tribunal mais simplement un exposé des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
Sur la garantie des vices cachés
L'article 1641 du code civil dispose que «le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».
A ce titre, le défaut doit être inhérent à la chose vendue, antérieur à la vente, caché de l’acquéreur, et suffisamment grave pour compromettre l’usage de la chose acquise à cet effet. La charge de la preuve pèse sur le demandeur.
Selon l'article 1643 du code civil, le vendeur « est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie » .
Pour faire obstacle à l'application de la clause de non garantie, il est nécessaire de prouver que le vendeur avait connaissance des vices.
Sur l'existence de vices cachés
La société Clammice soutient que l'immeuble est affecté d'un vice caché dès lors que la descente d'eaux pluviales et la toiture principale en tuiles sont en très mauvais état et que des infiltrations se sont produites.
Pour justifier de l'existence de vices cachés, la société Clammice n'a pas jugé utile de recourir à une expertise et verse aux débats différentes pièces qu'il convient d'analyser.
Il ressort de ces pièces que la société Clammice a fait intervenir la société Bob dépannage en novembre 2020, soit plus d'un an après l'acquisition de l'immeuble, pour réaliser un piquetage de 6m2 de joints de briques et une cimentation des joints de briques par mortier et pour remplacer la sortie d'eau pluviale.
A l'occasion de son intervention, cette société a constaté le mauvais état de la toiture et a conclu à la nécessité d'une rénovation complète de celle-ci. Dans une attestation du 12 janvier 2021, elle indique « en soulevant une tuile, il a été constaté que les lattes intérieures sont complètement désagrégées, les cimentations côté droit (visible sur une des photos) sont entièrement disloquées. La brique est apparente alors qu'en situation normale l'ensemble est recouvert. De plus, on constate sur la cheminée que tous les joints sont partis, il y a des fuites sur le toit, les velux ont également pris l'eau et cela depuis plusieurs années. Sur ce constat, le technicien indique qu'il faut repartir sur une base saine pour être sûr de la sécurité du toit plutôt que de réaliser de simples réparations. La réparation partielle ne peut garantir une parfaite étanchéité ».
Cette attestation, prise isolément, doit être prise avec beaucoup de précaution dès lors qu'il résulte des statuts de la dite société, versés au débat par les défendeurs, qu'il ne s'agit pas d'une société de couverture mais d'une société chargée de la fourniture de prestations dans le dépannage, la réalisation de travaux à domicile, la prestation de services à domicile ou à distance à destination des particuliers ou des professionnels. A tout le moins permet-elle de constater que la toiture est en mauvais état.
Suite à cela, la société Clammice a fait intervenir un huissier de justice à trois reprises. Ce n'est que lors de la dernière intervention du 4 août 2022 que l'huissier, Me [I], a pu se rendre sur la toiture, grâce à la nacelle fournie par la société Côté Couverture. Etait présent M. [M], technicien de cette société.
Il ressort de ce constat que, s'agissant de la toiture côté rue, le chéneau est très sale, de la mousse se trouve sur les tuiles, le solin de droite est abîmé, le ciment se retire, un mastic en silicone est présent sur deux tuiles à proximité du solin entre le T et la forme de I (M. [M] ayant précisé que deux tuiles avaient été réparées), un pâté de silicone est présent sur les tirefonds qui tiennent l'antenne, un noquet de plomb est présent sur la partie supérieure de la charpente sur le solin de droite, des tuiles sont déboîtées sur le brisis aux abords du velux, de la mousse est présente sur la gauche du chéneau, le solin de gauche est fissuré quasiment de toute part sur la hauteur, certaines tuiles ont bougé.
M. [M] a indiqué ne pas voir de trace d'infiltrations sur le chéneau, l'écoulement n'étant pas obstrué.
L'huissier a soulevé une tuile et constaté un écran sous toiture. M. [M] a déclaré qu'il s'agissait d'une génération papier goudronné, technique utilisée il y a 25-30 ans.
Il a ensuite constaté de la mousse en dessous de l'angle du vélux au-dessus du plomb. M. [M] a indiqué que cela pourrait être un point d'infiltration d'eau.
Ensuite, il a relevé que la vanbergue de droite est cassée sur la partie supérieure, que de la mousse est présente sur la partie supérieure du vélux et que le solin de gauche est décollé sur la partie supérieure au niveau de la cheminée et fissuré.
Sur la toiture côté cour, l'huissier a relevé que, sur le solin de droite, la partie cimentée est abîmée, se retire et qu'une partie s'est désagrégée et est tombée sur le toit. Sur le solin de gauche entre les tuiles et le solin, des fissures sont constatées. Sur les solins, il n'existe pas de noquet de plomb. Un pâté de silicone ou de mastic est relevé pour la fixation du mât et de la mousse est présente en partie haute de la toiture, en partie haute du vélux.
En façade, sous le chéneau, M. [M] a relevé que l'enduit était décollé sous le côté droit du vélux et dans l'angle supérieur droit de la maison au niveau de la moulure extrême droit ainsi qu'en imposte de la fenêtre droite sur le coin supérieur gauche. Il a néanmoins déclaré qu'il n'y aurait, a priori, pas d'infiltration d'eau à ce niveau.
Ce constat d'huissier permet de conclure que la toiture est abîmée par endroits, ce qui n'a rien de surprenant dès lors qu'il n'a jamais été prétendu que la toiture avait été refaite avant la vente.
Il ne suffit pas de constater l'existence de désordres pour prétendre obtenir le bénéfice de la garantie des vices cachés. Encore faut-il que l'acquéreur établisse que les désordres sont antérieurs à la vente, qu'ils lui étaient cachés et qu'ils rendent le bien impropre à sa destination.
Sur ce dernier point, il est attendu d'une toiture qu'elle assure l'étanchéité à l'eau de l'immeuble.
La société Clammice prétend que des infiltrations seraient causées par le mauvais état de la toiture et de la descente d'eaux pluviales.
Il convient de rappeler que l'immeuble est composé de deux appartements au rez-de-chaussée, d'un appartement au premier étage et d'un appartement au deuxième étage.
Le 7 juin 2021, l'huissier de justice, Me [Z], s'est rendu chez Mme [F], locataire d'un appartement en rez-de-chaussée. Dans la pièce à usage de cuisine, il a constaté des auréoles type humidité autour de la fenêtre. Dans le même temps, il a relevé, côté cour intérieure, que le mur en briques mitoyen avec la cuisine est en mauvais état, qu'il existe de multiples décollement de peinture et que le raccordement entre la toiture et la descente d'eau n'est pas étanche. Il se déduit de ce constat d'huissier que d'une part le mauvais raccordement entre la descente d'eau et la toiture était facilement repérable puisqu'il a suffi à l'huissier de justice de monter sur une échelle pour le constater et que d'autre part l'état de la peinture sur le mur, visible depuis la cour, sans avoir besoin de monter sur une échelle, laissait présumer l'existence d'une fuite au niveau de la descente d'eau de pluie. Ce défaut d'étanchéité au niveau de la descente d'eau de pluie n'était donc pas caché aux yeux de la société Clammice. Par ailleurs, aucun élément ne permet d'affirmer que ce défaut d'étanchéité était antérieur à la vente, le constat ayant été réalisé en juin 2021, soit deux ans après la vente, ce d'autant qu'il est rappelé que la société Bob dépannage est intervenue le 13 novembre 2020, quelques mois auparavant, pour notamment remplacer la sortie d'eau pluviale de sorte que les infiltrations pourraient possiblement avoir été causées par cette intervention.
Ensuite, Me [I], huissier de justice, s'est rendu, le 11 juillet 2022, chez Mme [L], locataire de l'appartement du premier étage. Dans la chambre, il a constaté des traces d'humidité et des auréoles marrons sur le mur à droite, des murs noircis et de la peinture craquelée au plafond. Dans la pièce principale, il a relevé des traces d'humidité sur le mur (trace d'eau). La locataire a indiqué que lors de l'orage, une semaine auparavant, des infiltrations d'eau sont survenues. Des fissures ont été relevées par endroits au plafond.
Dans une attestation rédigée le 8 février 2023, Mme [L] indique avoir eu une fuite d'eau dans la chambre, au niveau du plafond, lors que M. [V] était propriétaire. Elle précise que celui-ci est intervenu et a fait le nécessaire pour que la fuite cesse, sans avoir besoin de déclarer le sinistre à son assureur. Elle ajoute que, depuis que le bâtiment a été vendu, elle n'a eu aucun souci particulier.
Le tribunal comprend de ces éléments qu'un épisode d'infiltrations est survenu dans l'appartement du premier étage avant la vente de l'immeuble à la société Clammice mais que la fuite a été prise en charge par M. [V]. Rien ne permet d'affirmer que cet épisode d'infiltrations était lié à un mauvais état de la toiture.
Si Mme [L] indique n'avoir aucun souci depuis la vente, il ressort toutefois des constatations de l'huissier qu'il existe des traces d'humidité à certains endroits de l'appartement et un épisode d'infiltrations d'eau lors d'un fort orage. Pour autant, en l'état des éléments versés aux débats et alors qu'il appartient à l'acquéreur de démontrer l'imputabilité des désordres, rien ne permet d'affirmer que les constatations faites dans l'appartement du premier étage seraient liées au mauvais état de la toiture alors que les causes d'infiltrations et d'humidité peuvent être multiples.
Ce d'autant qu'il n'est nullement démontré ni même allégué que des infiltrations se produiraient dans l'appartement du deuxième étage qui se situe directement en dessous de la toiture, ni même dans les autres appartements de l'immeuble.
Il n'est ainsi pas démontré que les désordres affectant la toiture auraient pour conséquence de ne plus la rendre étanche et de favoriser l'apparition d'infiltrations.
Par ailleurs, le tribunal relève que les constatations faites chez Mme [L] datent de juillet 2022, soit trois ans après la vente, et qu'à supposer que les infiltrations et traces d'humidité soient dues au mauvais état de la toiture, rien ne permet d'affirmer que ces désordres étaient antérieurs à la vente, étant rappelé que la société Bob dépannage est intervenue sur la toiture en novembre 2020 aux fins notamment de réaliser un piquetage de 6m2 des joints de briques et une cimentation des joints de briques par mortier hydrofuge.
Dans ces conditions, la société Clammice échoue à démontrer l'existence de vices cachés au sens de l'article 1641 du code civil.
Elle sera donc déboutée de ses demandes.
Sur l'exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile, en vigueur depuis le 1er janvier 2020 dans sa rédaction issue du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019 :
“ Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.”
Il n’y a lieu ni d’ordonner l’exécution provisoire, laquelle assortit le jugement par l’effet de ce décret, ni de déroger à ce principe.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».
Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”.
Succombant en l'instance, la société Clammice sera condamnée aux dépens, ce qui entraîne rejet de sa demande au titre des frais irrépétibles.
L'équité commande de condamner la société Clammice à verser aux époux [V] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en premier ressort,
Déboute la société Clammice de l'intégralité de ses demandes,
Condamne la société Clammice aux dépens,
Condamne la société Clammice à verser à M. [C] [V] et Mme [W] [O] épouse [V] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit par provision.
Le greffier, Pour la présidente empêchée,
Yacine BAHEDDI Leslie JODEAU