TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 23/02431 - N° Portalis DBZS-W-B7H-W6PD
JUGEMENT DU 28 JUIN 2024
DEMANDEUR :
Mme [X] [I]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me Jérôme LESTOILLE, avocat au barreau de LILLE
DEFENDEURS :
M. [S] [C]
[Adresse 4]
3ème étage - apt 228
[Adresse 6]
[Localité 2]
représenté par Me Carine DELABY-FAURE, avocat au barreau de LILLE
La CPAM DE [Localité 8] [Localité 9]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 9]
défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge
GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier
DEBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 19 Septembre 2023.
A l’audience publique du 04 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 28 Juin 2024.
Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré
JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 28 Juin 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant jugement en date du 29 juin 2018, le tribunal judiciaire de LILLE a notamment :
déclaré M. [S] [C] coupable de faits de violence suivie d'incapacité supérieure à 8 jours par une personne étant ou ayant conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civile de solidarité, faits commis le 05 mai 2017 à [Localité 5] (Nord) au préjudice de Mme [N] [lire [X]] [I],déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [I],déclaré M. [S] [C] responsable du préjudice subi par Mme [I],ordonné une expertise médicale de Mme [I] et commis, à cet effet, le Dr [M] [W],condamné M. [S] [C] à verser à Mme [I] une indemnité provisionnelle de 1.500 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,condamné M. [S] [C] à verser à Mme [I] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,déclaré le jugement opposable à la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9],renvoyé l'affaire à une audience ultérieure sur intérêts civils.
Suite au remplacement de l'expert, le Dr [D] a déposé son rapport le 08 février 2019, concluant à l'absence d'acquisition de l'état de consolidation de la victime.
Suivant ordonnance en date du 06 octobre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a, après avoir renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige, notamment :
- ordonné une nouvelle expertise, qu'il a confiée de nouveau au Dr [D],
- condamné à titre provisionnel M. [S] [C] à verser à Mme [I] une indemnité provisionnelle de 1.500 euros à valoir sur la réparation de son préjudice, outre celle de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le Dr [D] a déposé son rapport définitif d'expertise judiciaire le 06 juin 2021, fixant la date de consolidation de l'état de santé de Mme [X] [I] au 02 août 2019 et concluant, notamment, à la persistance d'un déficit fonctionnel permanent de 6%.
Sur la base de ce rapport, Mme [X] [I] a, suivant exploits des 27 février et 13 mars 2023, fait assigner M. [S] [C] et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (ci-après ''la CPAM'') de [Localité 8]-[Localité 9] devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins de liquidation de son préjudice.
M. [C] a constitué avocat le 22 mars 2023.
Assignée par remise à étude, la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9] n'a pas constitué avocat.
La clôture des débats est intervenue le 19 septembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 04 avril 2024.
* * *
Au terme de son assignation valant conclusions récapitulatives, Mme [X] [I] demande au tribunal, au visa de l'article 1240 du Code civil, de :
- dire que les préjudices relevés par l'expert Madame [D] au titre de son rapport relève exclusivement de l'agression subie par Madame [I],
En conséquence,
- dire Monsieur [C] entièrement responsable du préjudice subi par elle,
- condamner Monsieur [C] à lui régler les sommes suivantes :
- Dépenses de santé actuelles : 574,80 euros,
- Aide tierce-personne avant consolidation : 1.000 euros,
- Dépense de santé futurs : 3.232 euros,
- Frais de recherche de nouveau logement : 800 euros,
- Déficit fonctionnel temporaire :
- Total: 66 euros
- Partiel de classe 3 : du 7 mai 13 mai 2017 : 152,46 euros,
- Partiel de classe 3 : 33% du 14 mai au 6 septembre 2017 : 1.252,35 euros,
- Partiel de classe 2 : 1/4 du 7 septembre 2017 au 1er août 2019 : 5.717,25 euros,
- Souffrances endurées : 35.000 euros
- Préjudice esthétique temporaire : 1.500 euros,
- Déficit fonctionnel permanent : 10.800 euros,
- Préjudice esthétique permanent : 4.500 euros,
déduire de ces montants les provisions déjà versées,statuer ce que de droit sur la demande de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9],condamner Monsieur [C] à lui régler la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés, outre les dépens qui comprendront les frais des deux expertises et de référé.
Au terme de ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2023, Monsieur [C] demande au tribunal :
- débouter Madame [I] de ses demandes présentées au titre des postes de dépenses de santé actuelles et futures, de recherche d’un nouveau logement et de préjudice esthétique temporaire ;
- la débouter également de sa demande au titre des dispositions de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, aucune demande amiable n’ayant été présentée au concluant après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire ;
- débouter la CPAM de sa demande ;
- réduire à de plus justes proportions l’indemnisation des autres demandes ;
- déduire des sommes mises à sa charge la provision versée à hauteur de 2.500 € réglée par lui en juin 2020 ;
- débouter Madame [I] du surplus de ses demandes.
Il est renvoyé à l'assignation et aux conclusions en défense susvisées pour l'exposé des moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, conformément aux dispositions de l'article 768 du Code de procédure civile, le tribunal rappelle n'avoir à statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions récapitulatives et à examiner les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Sur l’action en responsabilité
Aux termes de l’article 1240 du Code civil,“tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.
L’auteur d’une faute qui a causé un dommage est tenu à entière réparation envers la victime, une faute de celle-ci pouvant seule l’exonérer en partie quand cette faute a concouru à la production du dommage. La charge de la preuve incombe à celui qui soutient l’existence d’une faute de la victime.
En l'espèce, suivant jugement correctionnel en date du 29 juin 2018, M. [S] [C] a été déclaré coupable de faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieures huit jours sur la personne de Mme [X] [I], tels que commis à [Localité 5] le 05 mai 2017 (pièce n°6 défendeur).
Il s'ensuit que sa faute de nature pénale engage sa responsabilité civile sur le fondement précité.
Le tribunal correctionnel de Lille ayant déclaré M. [S] [C] responsable du préjudice subi par Mme [I] et en l'absence d'allégation d'une quelconque faute de la victime au cours de cette scène de violences, il convient de dire que M. [C] devra répondre de l’intégralité des conséquences dommageables en lien avec les violences exercées sur Mme [I] le 05 mai 2017.
Sur l’indemnisation des préjudices de Mme [I]
Conformément aux dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
A titre liminaire, il convient de rappeler que l'indemnisation a pour objet de replacer la victime autant qu'il est possible dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n'avait pas eu lieu, de sorte qu'il n'en résulte pour elle ni perte ni profit.
En l'espèce, la date de consolidation médico-légale retenue par le Dr [D] au terme de son rapport définitif du 06 juin 2021, soit le 02 août 2019, qui ne fait l'objet d'aucune contestation, sera entérinée. Il est précisé qu'à cette date, Mme [I] était âgée de 45 ans.
Pour les calculs de capitalisation, il sera retenu le barème de capitalisation de la Gazette du palais publié en 2022 au taux d'actualisation de référence de 0,00%, s’agissant de la table de calcul la plus appropriée au principe de la réparation intégrale du préjudice au regard de l’érosion monétaire et des tables de mortalité.
Sur la créance de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9]
Pour mémoire, les débours définitifs de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9] s’élèvent, suivant notification en date du 21 mars 2023, à la somme totale de 29.636,55 euros, décomposée comme suit :
- frais hospitaliers : 10.685,40 €,
- frais médicaux : 13.261,39 €,
- frais pharmaceutiques : 5.286,21 €,
- frais d'appareillage : 155,24 €,
- frais de transport : 248,31 €.
Le défendeur conteste l'imputabilité exclusive de ces débours aux faits du 05 mai 2017, mais le tribunal rappelle n'avoir pas à statuer sur une quelconque prétention de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9] à ce titre, cette dernière n'ayant pas constitué avocat dans le cadre de la présente instance.
Sur les préjudices patrimoniaux temporaires
Les dépenses de santé actuelles
Les dépenses de santé sont les frais d'hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques, et tous les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc..) restés à la charge effective de la victime.
En l'espèce, le Dr [D] a retenu, au terme de son rapport du 06 juin 2021, que sont demeurées à la charge de Mme [I] les dépenses de santé avant-consolidation suivantes :
- les patchs et les électrodes de la TENS utilisée depuis le 13 août 2018,
- un traitement vitaminique pour un montant de 35,20 € + 7,50 € par mois, prescrit à partir du mois d'août 2018.
Mme [I] sollicite, au titre des dépenses de santé pré-consolidation demeurées à charge, le remboursement de la somme totale de 574,80 euros, décomposée comme suit :
- patchs TENS et électrodes : 2,40€ + 2,80€ par mois = 5,20€ par mois x 12 mois jusqu'à la date de consolidation = 62,40 euros,
- traitement vitaminique : 35,20€ + 7,50€ par mois = 42,07€ par mois x 12 mois jusqu'à la date de consolidation = 512,40 euros,
- prise en charge psychiatrique : mémoire (étant précisé qu'une demande intitulée ''mémoire'' ne peut s'analyser en une prétention au sens juridique du terme sur laquelle le tribunal devrait statuer).
M. [C] conclut au rejet de la demande, estimant que le lien de causalité entre ces dépenses et les faits subis le 05 mai 2017 n'est nullement démontré.
Sur ce, l'expert judiciaire a retenu les dépenses susmentionnées comme étant imputables aux violences dont Mme [I] a été victime le 05 mai 2017.
Il ressort, en effet, du rapport d'expertise qu'en raison de l'importance de ses douleurs neuropathiques consécutives à l'amputation dont elle a dû faire l'objet par suite de l'agression du 05 mai 2017, Mme [I] utilise une TENS (dont le tribunal comprend qu'il s'agit de neurostimulation électrique transcutanée) une fois toutes les quatre heures.
Quant au montant mensuel resté à charge allégué, il n'est pas contesté et n'est, en tout état de cause, pas excessif au regard des documents produits auprès de l'expert judiciaire (pièce n°52, page 10).
Dès lors, le préjudice de Mme [I] au titre des dépenses de santé actuelles demeurées à charge s'évalue comme suit :
- patchs et électrodes TENS (du 16 août 2018 à la date de consolidation) : (352 jours / 30,5 jours) x (2,40 € + 2,80 €) = 60,01 euros,
- traitement vitaminique (d'août 2018 à août 2019) : 12 mois x 42,70 € = 512,40 euros.
En conséquence, il sera alloué à Mme [I], au titre des dépenses de santé actuelles, la somme totale de 572,41 euros.
L’assistance par tierce personne temporaire
Il s’agit des dépenses liées à l’emploi de tiers pour une activité que la victime ne peut effectuer seule durant cette période temporaire, tels les frais de garde d’enfants, les soins ménagers, ou encore pour les besoins de la vie courante. A ce titre, il est constant que l’indemnisation s’effectue sur la base de factures produites, sauf en cas d’entraide familiale.
En l'espèce, le Dr [D] a retenu un besoin en assistance par tierce-personne non-spécialisée de type aide-ménagère à hauteur de :
- 2 heures par semaine entre le 06 mai et le 02 juin 2017,
- 3 heures 30 par semaine (pour les courses, le ménage et la préparation des repas) entre le 02 juin et le 24 août 2017.
L'expert a estimé qu'aucune aide par tierce-personne n'était plus nécessaire au-delà du 24 août 2017.
Cette évaluation n'est pas critiquée par les parties, lesquelles s'accordent à voir indemniser ce poste de préjudice par l'allocation d'une somme d'un montant de 1.000 euros. Il en sera donné acte.
Dès lors, il convient d'allouer à Mme [I], au titre de l'assistance par tierce-personne temporaire, la somme de 1.000 euros.
Sur les préjudices patrimoniaux permanents
Les dépenses de santé futures
Il s’agit les frais médicaux et pharmaceutiques, non seulement les frais restés à la charge effective de la victime, mais aussi les frais payés par des tiers (sécurité sociale, mutuelle...), les frais d’hospitalisation, et tous les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc.), même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après la consolidation.
En l'espèce, le Dr [D] a retenu, au terme de son rapport, qu'allaient demeurer à la charge de Mme [I] les dépenses de santé futures suivantes :
- les patchs de la TENS qu'elle continuera à utiliser dans l'avenir,
- le reste à charge sur les électrodes.
Mme [I] sollicite, à ce titre, une somme capitalisée en viager de 3.232 euros, en tenant compte de dépenses au titre des patchs à hauteur de 2,40 euros par mois et au titre des électrodes à raison de 2,80 euros par mois, pour 8 électrodes.
M. [C] conclut au rejet de la demande, estimant, à l'instar de la demande au titre des dépenses de santé actuelles, que le lien de causalité entre ces dépenses et les faits subis le 05 mai 2017 n'est pas démontré.
Sur ce, l'expert judiciaire a retenu les dépenses susmentionnées comme étant imputables aux violences dont Mme [I] a été victime le 05 mai 2017.
Quant au montant mensuel resté à charge allégué, ainsi qu'il a précédemment été relevé, il n'est pas contesté et n'est, en tout état de cause, pas excessif au regard des documents produits auprès de l'expert judiciaire (pièce n°52, page 10).
Dès lors, le préjudice de Mme [I] au titre des dépenses de santé futures demeurant à charge s'évalue comme suit :
- dépenses futures échues (du lendemain de la consolidation au jour où il est statué) : (1.792 jours / 30,5 jours) x (2,40 € + 2,80 €) = 305,52 euros,
- dépenses futures à échoir : (2,40 € + 2,80 €) x 12 mois x 36,236 (euro de rente pour une femme âgée de 50 ans au jour où il est statué) = 2.261,13 euros.
En conséquence, il sera alloué à Mme [I], au titre des dépenses de santé futures, la somme totale de 2.566,65 euros.
Sur les frais d'adaptation de logement
En l'espèce, Mme [I] fait valoir avoir été contrainte de changer de logement, d'en trouver un nouveau, ce qui a été relativement long, et d'effectuer diverses démarches dans le cadre de ce déménagement. Elle sollicite indemnisation du préjudice subi à ce titre à hauteur de 800 euros.
M. [C] conclut au débouté, relevant que la demanderesse a mis quasiment un an pour faire une nouvelle demande de logement social, alors qu'elle se trouvait pourtant, dès le mois d'août 2017, seule dans son logement, ayant lui-même été invité à s’éloigner de celui-ci, ce qu'il avait fait immédiatement. Il souligne, en outre, que la somme sollicitée est forfaitaire et n'est pas justifiée.
Sur ce, s'il est constant que le logement de Mme [I] n'a nécessité aucune dépense ni frais d'adaptation sur le plan somatique, le Dr [B], sapiteur-psychiatre, a retenu que le changement de lieu de vie opéré par la victime était imputable à l'agression du 05 mai 2017.
Il doit être rappelé qu'au moment des faits dommageables, Mme [I] et M. [C] partageaient la vie commune depuis plus de vingt ans, le bail de l'appartement étant d'ailleurs à leurs deux noms (pièce n°1 demanderesse). Les faits ont eu lieu alors que M. [C] refusait l'accès à l'appartement à Mme [I] et lui a claqué la porte sur les doigts.
Il ressort des éléments du rapport d'expertise qu'à la sortie de son hospitalisation, Mme [I] a dû séjourner au domicile d'une sœur pendant quelques jours, le Dr [B] relevant, sur ce point, un état d'anxiété limitant l'aptitude au retour à domicile.
Le Dr [D] indique, en outre, que, si Mme [I] a ensuite regagné son domicile, le fait qu'elle a continué à résider dans le même environnement que celui dans lequel l'agression s'est déroulée a gêné considérablement l'amélioration de son trouble psychologique consécutif à celui-ci. Il est, à cet égard, intéressant de relever que la date de consolidation de l'état de santé de Mme [I], soit le 02 août 2019, correspond à la date de son emménagement dans son nouveau logement, à distance du lieu d'agression.
L'existence d'un préjudice au titre de ce changement de logement et de tout ce que cela implique, ainsi que son imputabilité à l'agression subie le 05 mai 2017 sont, dans ces conditions, parfaitement établies, peu important le temps mis par Mme [I] pour entamer des démarches visant à son déménagement, étant au demeurant rappelé que la victime n'a aucunement obligation de limiter ou minimiser son dommage dans l'intérêt du responsable.
Quant au montant réclamé, le tribunal observe que Mme [I] ne sollicite pas remboursement de frais engagés dans le cadre de ce déménagement mais d'un préjudice moral lié à la nécessité de devoir quitter le logement dans lequel elle vivait auparavant et d'entamer de nombreuses démarches pour trouver un nouveau logement et s'y installer.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice subi à ce titre par Mme [I] sera évalué à la somme réclamée de 800 euros.
Sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires
Le déficit fonctionnel temporaire :
Ce poste tend à l’indemnisation de la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante de l’accident à la consolidation, le préjudice temporaire d’agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.
En l'espèce, le Dr [D] a retenu, au terme de son rapport définitif, l'existence d'un déficit fonctionnel temporaire :
* total : les 05 et 06 mai 2017 (période d'hospitalisation initiale), soit 2 jours,
* partiel de classe III (66%) : du 07 au 13 mai 2017 (période de port d'une aiguille sous-cutanée fixant le lambeau chirurgical ; pendant cette période le Dr [B], sapiteur-psychiatre a retenu un état d'anxiété limitant l'aptitude au retour à domicile), soit 7 jours,
* partiel de classe III (33%) : du 14 mai au 06 septembre 2017 (période durant laquelle elle est gênée tant par le retentissement psychologique que par les douleurs neuropathiques importantes à type de brûlures et de décharges électriques nécessitant la prise de morphinique), soit 116 jours,
* partiel de classe II (25%) du 07 septembre 2017 au 1er août 2019 (période durant laquelle il est noté une disparition des paroxysmes douloureux et une diminution des douleurs à type de fond continu), soit 694 jours.
Ni les périodes ni les taux d'incapacité retenus ne sont contestés par les parties.
Mme [X] [I] sollicite, à ce titre, la somme totale de 7.188,06 euros, sur la base d'une indemnité journalière d'un montant de 33 euros, tandis qu’en défense, il est soutenu que ce poste de préjudice doit être évalué sur la base d'une indemnité de 25 euros par jour.
Sur ce, eu égard aux données de l'expertise judiciaire, les troubles dans les conditions d’existence subis jusqu’à la consolidation permettent d'évaluer le préjudice de Mme [I] comme suit, sur la base d’une indemnité de 27 euros par jour :
* DFT total : 2 j x 27 euros x 100% = 54 euros,
* DFT partiel de 66% : 7 j x 27 euros x 66% = 124,74 euros,
* DFT partiel de 33% : 116 j x 27 euros x 33% = 1.033,56 euros,
* DFT partiel de 25% : 694 j x 27 euros x 25% = 4.684,50 euros,
soit un total de 5.896,80 euros.
En conséquence, il revient à Mme [X] [I] la somme de 5.896,80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.
Les souffrances endurées :
Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime du jour de l'accident à la date de consolidation.
En l'espèce, l'expert a chiffré à 5 sur une échelle habituelle de 7 valeurs les souffrances endurées par la victime sur le plan physique et psychique, étant précisé que le Docteur [B], sapiteur-psychiatre, a évalué les seules souffrances psychologiques à 3 sur 7, compte tenu du choc émotionnel initial, du ressenti psycho-traumatique, des manifestations psychiatriques secondaires, de la peur, des soins reçus et des interactions psychosociales.
Mme [X] [I] sollicite, à ce titre, une somme de 35.000 euros, tandis que le défendeur offre de lui verser la somme de 20.000 euros.
Sur ce, il convient de rappeler que Mme [I] s'est vue sectionner l'index de la main gauche, son ex-compagnon lui ayant violemment claqué une porte sur les doigts. Transportée à SOS Mains, elle a dû subir une intervention chirurgicale en urgence d'amputation distale de la 3ème phalange du 2ème doigt gauche. Elle a, par la suite, développé des douleurs neuropathiques au niveau de la main gauche.
Il doit, en outre, être relevé l'existence d'une tentative d'autolyse médicamenteuse à la date anniversaire des deux ans des faits d'agression, témoignant de douleurs psychologiques imputables particulières aiguës.
En considération de l'ensemble de ces éléments et de la durée de la période traumatique, il sera alloué à Mme [X] [I] la somme de 25.000 euros au titre des souffrances endurées.
Le préjudice esthétique temporaire
Il s’agit d’une altération physique subie par la victime jusqu’à la date de consolidation.
En l'espèce, le Dr [D] a évalué le préjudice esthétique temporaire à 2,5 sur une échelle habituelle de 7 valeurs, en tenant compte de l'amputation de la partie distale de l'index gauche, étant précisé que la cicatrice qui surmonte la zone amputée est, selon l'expert, de bonne qualité.
Mme [X] [I] sollicite, à ce titre, une somme de 1.500 euros.
M. [C] conclut au rejet de la demande, considérant que le préjudice esthétique de Mme [I] n'est pas temporaire mais définitif.
Il convient, toutefois, de rappeler que le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et doit faire l'objet d'une indemnisation autonome et ce, quand bien même l'expert judiciaire aurait retenu que le préjudice esthétique définitif se confond intégralement avec le préjudice esthétique temporaire.
Dès lors, au vu de ces éléments et de la durée de la période pré-consolidation, il y a lieu d'indemniser le préjudice esthétique temporaire de Mme [X] [I] par la somme réclamée de 1.500 euros.
Sur les préjudices extra-patrimoniaux permanents
Le déficit fonctionnel permanent
Il s’agit du préjudice résultant de la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours. Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime que ce soient les atteintes à ses fonctions physiologiques ou la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d'existence quotidiennes.
En l'espèce, le Docteur [D] a chiffré à 6% le taux de déficit fonctionnel permanent conservé par Mme [X] [I] au-delà de la date de consolidation, tenant compte :
- au plan somatique, de l'amputation de la 3ème phalange de l'index gauche, chez une droitière, et des douleurs neuropathiques qui continuent à évoluer au niveau de la main gauche,
- au plan psychologique, des manifestations anxieuses discrètes spécifiques, des réminiscences pénibles, une tension psychique, une vigilance anxieuse et une appréhension de la rencontre de l'agresseur.
Sur la base des conclusions de l’expert, Mme [I] sollicite la somme de 10.800 euros.
M. [C] offre, pour sa part, de lui verser la somme de 8.000 euros, estimant la réclamation excessive.
Sur ce, en considération des éléments du rapport d'expertise et de l'âge de la victime au jour de la consolidation de son état, il sera alloué à Mme [X] [I], au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme réclamée de 10.800 euros.
Le préjudice esthétique permanent
Il s’agit d’une altération définitive de l’apparence physique de la victime.
En l'espèce, l'expert judiciaire a estimé le préjudice esthétique permanent de Mme [I] à 2,5 sur une échelle habituelle de 7 valeurs, compte tenu de l'amputation de la partie distale de l'index gauche (3ème phalange).
Mme [I] sollicite, à ce titre, une somme de 4.500 euros, tandis que le défendeur offre de lui offrir la somme de 3.000 euros.
En considération des éléments du rapport d'expertise, il convient d'accorder à Mme [X] [I] la somme de 4.500 euros en indemnisation de son préjudice esthétique permanent.
* * *
Les sommes allouées à la victime seront versées sous déduction de la ou des provision(s) d’ores et déjà versée(s) par M. [C].
Sur les mesures accessoires
L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».
Il résulte, en outre, des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.
En l'espèce, M. [C], qui succombe, sera condamné à supporter les entiers dépens de la présente instance ainsi que les dépens de l'instance en référé, en ce compris le coût de la seconde expertise confiée au Dr [D].
En revanche, la première expertise médicale ayant été ordonnée par la juridiction répressive, le juge civil ne saurait en mettre la charge définitive sur M. [C], s'agissant de dépens relevant de l'instance pénale.
L’équité commande, en outre de le condamner à payer à Mme [I], en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, la somme de 4.000 euros.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et susceptible d’appel,
Dit que M. [S] [C] est entièrement responsable du préjudice causé à Mme [X] [I] par suite des faits de violences commis le 05 mai 2017 à [Localité 5] (Nord) ;
Condamne M. [S] [C] à payer à Mme [X] [I] les sommes suivantes en réparation du préjudice résultant des faits de violences commis sur sa personne le 05 mai 2017 :
* 572,41 euros au titre des dépenses de santé actuelles,
* 1.000 euros au titre de l'assistance par tierce-personne temporaire,
* 2.566,65 euros au titre des dépenses de santé futures,
* 800 euros au titre des frais d'adaptation de logement,
* 5.896,80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
* 25.000 euros au titre des souffrances endurées,
* 1.500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
* 10.800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
* 4.500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
Dit que le paiement de ces sommes interviendra sous déduction des provisions déjà versées à Mme [X] [I] ;
Condamne M. [S] [C] à payer à Mme [X] [I] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne M. [S] [C] à assumer les entiers dépens de la présente instance ainsi que les dépens de l'instance en référé, en ce compris le coût de la seconde expertise confiée au Dr [D] ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Le greffier, La présidente.