La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2024 | FRANCE | N°24/00623

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Référés, 25 juin 2024, 24/00623


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-



Référé
N° RG 24/00623 - N° Portalis DBZS-W-B7I-YFAD
SL/CG

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 25 JUIN 2024




DEMANDERESSE :

Syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, plaidant


DÉFENDERESSES :

S.A. OVH GROUPE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S

.U. MEDIABC
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S.U. OVH
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me B...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Référé
N° RG 24/00623 - N° Portalis DBZS-W-B7I-YFAD
SL/CG

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 25 JUIN 2024

DEMANDERESSE :

Syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES, plaidant

DÉFENDERESSES :

S.A. OVH GROUPE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S.U. MEDIABC
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE

S.A.S.U. OVH
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno PLATEL, avocat au barreau de LILLE

JUGE DES RÉFÉRÉS : Carine GILLET, Première vice-présidente, suppléant le Président en vertu des articles R. 212-4 et R. 212-5 du Code de l’Organisation Judiciaire

GREFFIER : Sébastien LESAGE

DÉBATS à l’audience publique du 28 Mai 2024

ORDONNANCE du 25 Juin 2024

LA JUGE DES RÉFÉRÉS

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil et avoir mis l’affaire en délibéré, a statué en ces termes :

Un accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail, y incluant les modalités de pose des congés, a été conclu au sein de l’Unité Economique et sociale OVH, appartenant au groupe français créé en 1999, incluant les sociétés OVH SASU, MEDIABC SASU et OVH GROUPE SA et offrant notamment des prestations de clouds publics ou privés, de serveurs dédiés, d’hébergement mutualisé, d’enregistrement de noms de domaine, de fournisseurs d’accès à internet et soumis à la convention collective de la métallurgie.

Invoquant l’imposition par l’employeur, de manière unilatérale, de nouvelles modalités afférentes au dépôt des congés dès 2023, pour les congés 2023, puis en février 2024, pour l’exercice 2024, le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE a, par actes du 28 mars 2024,fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de LILLE la SASU OVH, la SASU MEDIABC et la SA OVH GROUPE, pour faire constater la violation par les défenderesses de l’accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail, conclu le 1er janvier 2018 et que soient ordonnées des mesures propres à le faire respecter, outre condamnation des mêmes au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice généré par la non-application de cet accord et condamnation aux dépens et indemnité pour frais irrépétibles.

L’affaire a été appelée à l’audience du 16 avril 2024 et renvoyée à la demande des parties pour être plaidée le 28 mai 2024.

A cette date, le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE sollicite le bénéfice de ses dernières écritures reprises oralement, aux fins de :
Vu les articles 834 et 835 du code de procédure civile,
Vu l’urgence,
Vu le dommage imminent,
Vu le trouble manifestement illicite,
-Juger que la société ne respecte pas l’accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail du 1er janvier 2018 par la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE,
-Interdire à la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE d’imposer aux salariés, la prise de 10 jours ouvrés consécutifs de congés sur une période restreinte allant du 1er juin au 30 septembre 2024,
-Ordonner à la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE de respecter l’accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail du 1er janvier 2018,
-Ordonner à la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE de recevoir les demandes de congés payés posées par les salariés jusqu’au 31 octobre 2024 sans les limiter aux mois de juin à septembre 2024,
-Condamner la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE de verser au syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE une provision de 20.000 euros à titre de dommages
et intérêts pour le préjudice subi du fait de la non-application de l’accord,
-Condamner la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE à verser au syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE la somme de 4.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Rappeler que l’exécution provisoire est de droit,
-Condamner la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE aux entiers dépens y compris les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir ;

-Débouter la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE de leur demande reconventionnelle.

La SASU OVH, la SASU MEDIABC et la SA OVH GROUPE, ci-après les défenderesses, représentées par leur avocat, ont développé oralement leurs écritures déposées à l‘audience, formant les prétentions suivantes :
Vu l’article 124 du code de procédure civile
Vu l’article 117 du code de procédure civile
Vu l’article 2261-11 du code du travail
Vu les articles 834 et 835 du code de procédure civile
In limine litis
-Dire et juger que le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE ne démontre pas sa qualité à agir en exécution d’un accord conclu avec le Comité social et économique dans le cadre de la présente instance,
-Dire et juger que le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE ne démontre pas sa capacité à agir dans le cadre de la présente instance,
En conséquence,
-Déclarer le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE irrecevable dans ses demandes
À titre principal,
-Dire et juger n’y avoir lieu à référé et renvoyer la partie requérante à mieux se pourvoir au fond en raison de l’existence entre les parties d’une contestation sérieuse et de l’absence de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent,
En conséquence,
-Débouter le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE de toutes ses demandes, lesquelles excèdent les pouvoirs du juge des référés,
À titre subsidiaire,
-Débouter le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE de l’ensemble de ses demandes,
-Débouter le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE de sa demande de condamnation des sociétés défenderesses à la somme de 4.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
À titre reconventionnel,
-Condamner le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE à la somme de 4.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions des articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, il est fait référence à l’acte introductif d’instance et aux écritures des parties qui ont été soutenues oralement.

La présente décision susceptible d’appel est contradictoire.

Par note en délibéré autorisée et après que le conseil des défenderesses se soit engagé à l’audience, à ne pas communiquer ces éléments à ses clients, le conseil du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE a adressé par le RPVA, le 29 mai 2024, l’extrait des délibérations du bureau réuni le 25 septembre 2023 portant composition du bureau et une attestation sur l’honneur du secrétaire et du secrétaire adjoint du syndicat, de l’adoption, à l’unanimité, de la délibération autorisant le syndicat à initier la présente action.

Par message RPVA du 10 juin 2024, en réponse, le conseil des défenderesses souligne que la délibération du 11 mars 2024 ne mandate pas [R] [S] et [T] [I], qui sont désignés à l’assignation comme agissant pour le syndicat demandeur et se contente de “soutenir l’action introduite devant le tribunal judiciaire de LILLE”, qui ne l’était pas encore, pour l’avoir été par acte du 28 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur l’irrecevabilité de l’action du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE

Les défenderesses invoquent le défaut de qualité à agir du syndicat, le défaut de capacité à agir du syndicat, l’inapplicabilité de l’article L2262-11 du code du travail.

Selon l’article 122 du code de procédure civile, “constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription (...)”.

En application des articles 31 et 32 du même code, “L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé” et “Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir”.

- sur les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir et du défaut de capacité

Les défenderesses contestent la qualité à agir du syndicat, à défaut par celui-ci de produire ses statuts et la preuve de leur dépôt en mairie, depuis communiqués, indiquant qu’il est impossible de vérifier la régularité de la délibération de l’unanimité des membres du bureau qui est invoquée, souhaitant obtenir les éléments d’identification des membres du bureau et de leur qualité (justification de leur élection).
Les défenderesses contestent également la capacité des personnes désignées à l’assignation, comme mandataires du syndicat, à défaut de mandat spécial pour agir.

Le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE conclut au rejet de ces fins de non-recevoir, soutenant que les syndicats professionnels intervenant exclusivement dans l’intérêt collectif et individuel des personnes visées par leurs statuts disposent d’un intérêt à agir, pour la défense des intérêts de celles-ci et exposant justifier de l’habilitation spéciale donnée aux deux membres pour le représenter, mentionnés à l’assignation.

Un syndicat, dont les statuts ont été régulièrement déposés en Mairie, comme en l’espèce le 09 avril 2021 (pièce demandeur n° 10), est doté de la personnalité morale et dispose de la capacité à agir en justice, selon les modalités déterminées par ses statuts, pour défendre les intérêts collectifs de la profession.

Selon les dispositions statutaires (pièce demandeur n° 9), le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE a pour l’objet “l’étude et la défense des droits des employés de cabinets de conseils et d’expertise (SSII, ESN, bureaux d’études, cabinets d’expertise comptable, cabinets d’expertise auprès des COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE..), des sociétés informatiques (matériel, système et logiciel), des sociétés en informatique télécom et de l’électronique de communication (prestation et technologie), des sociétés de développement de jeux vidéo et des activités connexes” (articles 1 et 2).

En application de l’article 21 des statuts, “Le syndicat étant revêtu de la personnalité civile et juridique, (...) il peut (....) ester en justice et faire tout acte juridique de son choix. Après délibération et approbation du bureau, les actes sont mis en oeuvre par le-la secrétaire, par tout membre du syndicat ou par toute autre personne dûment mandatée à cet effet”.

En l’espèce, l’attestation sur l’honneur du 11 mars 2024 produite (pièce demandeur n° 11), complétée par celle communiquée en cours de délibéré, qui divulgue le nom des membres du bureau, établit que suivant délibération du bureau du 11 mars 2024, celui-ci a décidé à l’unanimité des présents, de “soutenir l’action en justice introduite, devant le tribunal judiciaire de LILLE”, face aux défenderesses, afin de “faire respecter l’accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail du 1er janvier 2018", et a également décidé, “à l’unanimité de mandater messieurs [R] [S] et [T] [I]”.

Il en résulte que contrairement aux affirmations erronées des défenderesses, les deux personnes désignées à l’assignation comme représentant le demandeur, ont été régulièrement mandatées pour représenter le syndicat dans le cadre de la présente instance, suivant autorisation spéciale d’ester en justice, laquelle est suffisamment précise, faisant référence à une instance relative “au respect de l’accord collectif du 1er janvier 2018”, face aux défenderesses, et devant le tribunal judiciaire de LILLE, peu important que l’attestation mentionne de manière maladroite que l’action à cette date était introduite, alors qu’elle ne l’a été que le 28 mars suivant, dès lors qu’il en résulte que c’est bien de cette action dont il s’agit, pour laquelle une autorisation spéciale a été donnée.

Les moyens tirés de défaut de qualité à agir du syndicat et du défaut de capacité à agir de ses représentants, doivent être écartés.
L’action du demandeur est donc recevable.

-Sur l’inapplicabilité de l’article L2262-11 du code du travail

Les défenderesses soutiennent que le syndicat demandeur, qui ne démontre pas sa qualité à agir et qui n’a pas conclu l’accord collectif dont il se prévaut, n’a pas qualité à contester un accord qui a été conclu entre les trois entités de l’UES OVH et le comité d’entreprise, devenu Comité social et économique, lequel serait, selon elles, le seul à même d’agir.
Elles ajoutent que les demandes se heurtent à des contestations qu’elles estiment sérieuses, dans la mesure où pour trancher les prétentions, le juge des référés devrait se prononcer sur la validité, la qualification ou sur l’interprétation d’un acte juridique ce qu’il ne peut pas faire.

Le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE répond que, en vertu des dispositions de l’article L2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice et peuvent ainsi devant toutes les juridictions, exercer les droits de la partie civile, au titre des faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession.

Il a été dit précédemment que le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE a qualité et capacité à agir. Par ailleurs, indépendamment de l' action réservée par l'article L. 2262-11 du code du travail aux syndicats liés par une convention ou un accord collectif de travail, les syndicats professionnels, qu'ils soient ou non signataires, sont recevables à demander sur le fondement de l'article L. 2132-3 de ce code, l'exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail, même non étendu, son inapplication causant nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession. Ainsi un syndicat peut intenter une action en justice pour faire appliquer les dispositions d'un accord collectif, qu'il ait signé cet accord ou non.(Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-12.780).

En l’occurrence, le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE a qualité à agir, dans l’intérêt collectif des salariés qu’il représente, en vue de faire exécuter l’accord collectif litigieux, qui a vocation à s’appliquer aux salariés de l’UES OVH, quand bien même cet accord a été conclu entre le Comité social et économique de l’entreprise et les sociétés de l’UES et que le demandeur ne l’a pas lui-même signé.

Enfin, les défenderesses ne peuvent invoquer au soutien de la fin de non recevoir le défaut de pouvoirs du juge des référés pour se livrer à une interprétation des clauses d’un contrat ou d’une convention, dès lors qu’il s’agit en réalité d’un moyen juridique, qui ne conditionne pas la recevabilité de l’action introduite, mais qui détermine le bien-fondé et le succès de l’action introduite, qui n’a pas à être examiné au titre des fins de non recevoir.

Le moyen est donc inopérant et l’action du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE est recevable.

2- sur le non-respect de l’accord collectif du 1er janvier 2018

Se fondant sur les dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile, et soutenant que les modalités de prise de congé, imposées par l’employeur depuis 2023 puis pour la période du 1er juin au 30 septembre 2024, sont en contradiction avec les dispositions de l’accord collectif de travail relatif à l’aménagement du temps de travail, lequel se réfère à la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année et que dans ces conditions, l’obligation de prendre sur une période plus restreinte que celle fixée à l’accord collectif au moins deux semaines consécutives de congés imposées par la loi et génère un trouble manifestement illicite, en ce que l’accord collectif plus favorable n’est pas respecté. En réponse à l’argumentation de ses adversaires, le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE répond que les contestations invoquées ne revêtent aucun caractère sérieux, car la loi sur ce point est très claire, que ce n’est que dans l’hypothèse d’une absence d’accord collectif que l’employeur peut fixer unilatéralement la période de prise de congés, après avis du Comité social et économique ; que l’accord collectif en l’espèce ne nécessite aucune interprétation.

Les défenderesses concluent au rejet des prétentions du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE. Elles exposent que le juge des référés ne peut statuer sur le fondement des articles 834 et 835 du code de procédure civile, que s’il n’existe aucune contestation sérieuse tant en droit qu’en fait, laquelle est notamment caractérisée, lorsque le juge des référés se trouve amené à se prononcer sur la validité et la qualification ou l’interprétation d’un acte juridique. En l’occurrence, selon les défenderesses, les prétentions reposent sur une interprétation erronée du demandeur, du paragraphe 277 de l’accord litigieux, qui prévoit “une fraction d’au moins douze jours ouvrables (soit deux semaines) doit être prise en continu au cours de la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année, sauf si le salarié y renonce expressément”, laquelle consacrerait selon le demandeur, le droit du salarié à imposer à l’employeur, une prise de congé, sur une période du 1er juin au 30 septembre 2023. Or la clause litigieuse de l’accord est la transposition des règles légales (article L3141-13 et L3141-19 du code du travail), de sorte que rien n’interdit à l’employeur d’identifier, unilatéralement, une période de prise du congé principal de douze jours ouvrables continus minimum, sur une période plus courte, d’autant que cette décision unilatérale a été soumise au Comité social et économique qui a donné un avis motivé et qu’il n’est pas, par ailleurs, démontré qu’une période plus courte du 1er juin au 30 septembre, serait plus favorable que celle plus étendue s’étendant du 1er mai au 31 octobre, permettant notamment à l’employeur d’imposer à ses employés de prendre leurs congés de 12 jours, en mai ou en octobre. Les défenderesses soutiennent dès lors que la contestation invoquée est sérieuse.

Selon les défenderesses, au regard des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent n’est pas non plus établie, dès lors que ni la violation alléguée de l’accord collectif, ni le fait qu’une période plus restreinte pour prendre ses congés serait nécessairement plus favorable, comme mentionné ci-dessus, ne sont démontrés, ajoutant en outre que les salariés ont fait part de leurs demandes de congés pour l’été 2024, qui ont d’ores et déjà été validées par leur manager et qu’un nombre significatif d’employés ne sont pas concernés par les dispositions invoquées du fait de tempéraments ou d’exceptions (embauche après le 1er juin 2023, congés maternité-paternité, salariés en arrêt maladie ou maladie de longue durée, pendant la période de prise obligatoire....), de sorte par exemple que seules 3 personnes sur 1576 salariés se sont vues imposer leur prise de congés de douze jours.
Les défenderesses rappellent enfin qu’il appartient au seul chef d’entreprise de déterminer les dates de départ en congés payés, en application des dispositions réglementaires ( D3141-5 et D3141-6 du code du travail).

Selon l’article 834 du code de procédure civile “Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire (...) peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend” et en application de l’article 835 du même code,“Le président du tribunal judiciaire (...) peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite”.

Bien que les conclusions du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE visent dans leur dispositif ces deux articles et les reproduisent dans leurs motifs, il n’est nulle part invoqué ni a fortiori caractérisé une quelconque urgence, justifiant qu’il soit fait application du premier de ces textes, tandis que l’argumentation développée par le demandeur, dans les motifs de ses conclusions, se contente d’invoquer “une violation évidente de la règle de droit”, constitutive d’un trouble manifestement illicite, qui est du reste correspond à l’intitulé de la partie II des écritures du syndicat (page 5). Il convient dès lors de considérer que les prétentions du demandeur sont fondées sur ce seul fondement textuel.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Cependant, la seule méconnaissance d’une réglementation n’est pas suffisante pour caractériser l’illicéité d’un trouble.

En l’occurrence, selon l’accord conventionnel conclu au sein de l’ UES, le § 277 dispose que “Une fraction d’au moins douze jours ouvrables (soit deux semaines) doit être prise en continu, pendant la période allant du 1er mai au 31 octobre de chaque année, sauf si le salarié y renonce expressément”. Suivant mail du 20 février 2024 (pièce demandeur n° 8), les services des ressources humaines de l’entreprise ont fait savoir que “pour 2024, la période de prise de congés payés d’été s’étalera du 1er juin au 30 septembre, avec un minimum de 10 jours ouvrés consécutifs à respecter”, soit en déterminant unilatéralement, une période de prise de congés différente de celle fixée par l’accord collectif et sur une période de temps moins étendue.

La clause conventionnelle invoquée étant claire et non ambigue, il n’y a pas lieu à ce que le juge des référés se livre à son interprétation, et ce faisant, en excédant les pouvoirs qui sont les siens.

Selon l’article L3141-13 du code du travail, “Les congés sont pris dans une période qui comprend dans tous les cas la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année”.

En application des dispositions de l’article L3141-15 du code du travail “Un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe :
1° La période de prise des congés ;
2° L'ordre des départs pendant cette période ;
3° Les délais que doit respecter l'employeur s'il entend modifier l'ordre et les dates de départs”.

Et ce n’est que “ A défaut de stipulation dans la convention ou l'accord conclus en application de l'article L. 3141-15, [que] l'employeur est en mesure de définir après avis, le cas échéant, du comité social et économique :
a) La période de prise des congés ;
b) L'ordre des départs, en tenant compte de divers critères (...)” listés à l’article L3141-16 du même code.

Ainsi donc et peu important que la clause invoquée soit la reproduction des dispositions légales en la matière en ce qui concerne la période de congés (article L3141-13 précité), il s’ensuit que l’accord collectif lorsqu’il existe, comme en l’espèce, prime et prive l’employeur de la faculté de définir la période de congés et les modalités de prise de congés, unilatéralement, peu important que le Comité social et économique ait été ou non préalablement consulté, comme invoqué par les défenderesses.

Il est dès lors constant que l’employeur ne pouvait adopter, de son propre chef, des modalités différentes et contraires à celles éditées par l’accord collectif qui a seul vocation à s’appliquer tant que l’accord est en vigueur. Ainsi donc la décision unilatérale de l’employeur, outre qu’elle n’est pas autorisée par la loi, ne respecte pas l’accord collectif applicable et constitue une violation évidente de celui-ci, de sorte qu’est caractérisé le trouble manifestement illicite, contraignant les salariés à poser leurs congés au cours d’une période plus restreinte que celle déterminée non seulement par l’accord collectif, mais également par la loi elle-même.

Il appartient dès lors au juge des référés de prendre les mesures qui s’imposent, pour mettre fin au trouble manifestement illicite, résultant de la décision unilatérale de l’employeur, selon les modalités fixées au dispositif de la présente ordonnance.

3- sur la demande de dommages et intérêts du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE

Le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE sollicite, sur le fondement des dispositions de l’article 2262-11 du code du travail, la condamnation des défenderesses au paiement de la somme provisionnelle de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant du non-respect par celles-ci des stipulations de l’accord collectif.

Les défenderesses s’y opposent, soutenant à titre principal que cette demande indemnitaire ne peut être examinée par le juge des référés et subsidiairement, que la réalité du préjudice dont il est sollicité la réparation, n’est pas démontrée.

Le juge des référés est en mesure, dans le cadre de ses pouvoirs, d’évaluer la part non contestable d’une créance de dommages et intérêts et d’allouer une provision correspondante.
En l’espèce toutefois, ni l’existence d’un préjudice, ni le quantum de ce préjudice allégué par le demandeur, ne sont établis. Cette prétention ne peut dès lors qu’être rejetée.

4-Sur les autres demandes

Les sociétés OVH SASU, MEDIABC SASU et OVH GROUPE SA, qui succombent, supporteront les dépens et leurs propres frais. Leur demande pour frais irrépétibles sera écartée.
Elles seront en outre condamnées à payer au syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE la somme de 2.500 euros, au titre des frais irrépétibles que celui-ci s’est trouvé contraint d’exposer pour assurer sa défense et sa représentation et préserver ses droits, qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.

La présente décision est exécutoire par provision en application des articles 484 et 514 et 514-1 alinéa 3 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant par ordonnance mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

Rejetons les fins de non-recevoir soulevées par la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE,

Déclarons l’action du syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE recevable,

Ordonnons à la société OVH, la société MEDIABC et la société OVH GROUPE de respecter l’accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail conclu le 1er janvier 2018,

Faisons interdiction à la société OVH, à la société MEDIABC et à la société OVH GROUPE d’imposer aux salariés, la prise de 10 jours ouvrés consécutifs de congés sur une période restreinte allant du 1er juin au 30 septembre 2024,

Déboutons le syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE de sa demande de provision à titre de dommages et intérêts à valoir sur l’indemnisation de son préjudice résultant du non-respect par l’employeur de l’accord collectif du 1er janvier 2018,

Déboutons les sociétés OVH SASU, MEDIABC SASU et OVH GROUPE SA de leur demande pour frais irrépétibles,

Condamnons les sociétés OVH SASU, MEDIABC SASU et OVH GROUPE SA à payer au syndicat SOLIDAIRES INFORMATIQUE la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles,

Condamnons les sociétés OVH SASU, MEDIABC SASU et OVH GROUPE SA aux dépens,

Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire par provision.

La présente ordonnance a été signée par la juge et le greffier.

LE GREFFIER LA JUGE DES RÉFÉRÉS

Sébastien LESAGE Carine GILLET


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Référés
Numéro d'arrêt : 24/00623
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Ordonne de faire ou de ne pas faire quelque chose avec ou sans astreinte

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-25;24.00623 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award