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04/06/2024 | FRANCE | N°22/05377

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 02, 04 juin 2024, 22/05377


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/05377 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WLSO


JUGEMENT DU 04 JUIN 2024



DEMANDERESSE :

S.A. CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE HAUTS DE FRANCE, immatriculée au RCS de LILLE MÉTROPOLE sous le numéro 766 156 000, prise en la personne de son représentant légal agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me François-xavier WIBAULT, avocat au barreau d’ARRAS


‰FENDEURS :

M. [R] [B]
[Adresse 2]
Appt 5
[Localité 7]
représenté par Me Isabelle NIVELET-LAMIRAND, avocat au barreau de LILLE...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/05377 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WLSO

JUGEMENT DU 04 JUIN 2024

DEMANDERESSE :

S.A. CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE HAUTS DE FRANCE, immatriculée au RCS de LILLE MÉTROPOLE sous le numéro 766 156 000, prise en la personne de son représentant légal agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me François-xavier WIBAULT, avocat au barreau d’ARRAS

DÉFENDEURS :

M. [R] [B]
[Adresse 2]
Appt 5
[Localité 7]
représenté par Me Isabelle NIVELET-LAMIRAND, avocat au barreau de LILLE

Madame [P] [J],
demeurant à [Adresse 4].
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me William WATEL, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Maureen DE LA MALENE, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

GREFFIER

Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 09 Février 2024 ;

A l’audience publique du 02 Avril 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 04 Juin 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 04 Juin 2024, et signé par Maureen DE LA MALENE, Président, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 14 août 2017, la société Caisse d’Épargne et de Prévoyance Hauts-de-France (ci-après dénommée la Caisse d’Épargne) a consenti à Monsieur [R] [B] et à Madame [P] [J] un prêt immobilier d’un montant de 207.388,67 euros destiné à l'acquisition de leur résidence principale sise [Adresse 3], et remboursable en 300 mensualités, au taux d’intérêt de 1,95 %.

Le bien objet du prêt a été vendu le 16 mars 2020 au prix de 235.000 euros.

Par lettres recommandées avec accusé de réception en date des 6 et 12 mai 2022 distribuées respectivement les 11 et 14 mai 2022 à Madame [P] [J] et à Monsieur [R] [B], la Caisse d’Épargne a prononcé l'exigibilité immédiate du prêt en raison de la vente de leur bien, et les a mis en demeure de rembourser le capital restant dû.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er juin 2022 distribuée le 8 juin 2022 à Madame [P] [J] mais non réclamée par Monsieur [R] [B], la Caisse d’Épargne a prononcé la déchéance du terme et les a mis en demeure de s'acquitter de la somme de 54.103,86 euros au titre du capital restant dû.

Les emprunteurs se sont acquittés d'un paiement à hauteur de 137.061,62 euros ne couvrant pas l'intégralité du solde encore dû.

* * *

Par actes de commissaire de justice en date des 2 et 26 août 2022, la Caisse d’Épargne et de Prévoyance Hauts-de-France a assigné en remboursement du prêt Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] devant le tribunal judiciaire de Lille.

Dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 octobre 2023, l'organisme bancaire demande au tribunal, au visa des articles 1103 ancien et 1315 ancien et suivants du code civil, de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes et y faire droit ;
- débouter Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions ;
En conséquence,
- condamner solidairement Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] au paiement de la somme globale de 54.103,86 euros au titre des sommes dues en vertu du prêt Primo n°4973985, outre intérêts postérieurs au taux contractuel de 1,95% l’an jusqu’à parfait règlement ;
- ordonner la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil ;
- condamner solidairement Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] au paiement des entiers frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance.

Dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 2 août 2023, Madame [P] [J] demande au tribunal de :
- débouter la Caisse d’Épargne de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la Caisse d’Épargne au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de dommages et intérêts et notamment de procédure abusive ;
- condamner la Caisse d’Épargne au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers frais et dépens.

Enfin, dans ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 16 mars 2023, Monsieur [R] [B] demande au tribunal de :
- débouter la Caisse d’Épargne de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la Caisse d’Épargne au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de dommages et intérêts et notamment de procédure abusive ;
- condamner la Caisse d’Épargne au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Caisse d’Épargne aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs dernières écritures, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Après ordonnance de clôture partielle le 17 mars 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lille a, suivant ordonnance en date du 2 juin 2023, révoqué ladite ordonnance et renvoyé l'affaire à la mise en état du 13 octobre 2023.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 9 février 2024 et l’affaire a été fixée à plaider à l’audience du 2 avril 2024.

L'affaire a été mise en délibéré au 4 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT FORMEE PAR L'ORGANISME BANCAIRE

La Caisse d’Épargne soutient avoir régulièrement prononcé la déchéance du terme aux motifs que, d'une part, conformément aux conditions particulières du prêt, les fonds se devaient d'être affectés à l'acquisition dudit bien situé à [Localité 8], et que d'autre part, conformément cette fois-ci aux conditions générales, cette vente est une cause de déchéance du terme. Elle ajoute que la bonne foi des défendeurs est sans incidence sur l'acquisition de cette clause résolutoire.

Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] contestent la régularité de la déchéance du terme prononcée par la banque aux motifs qu'aucune stipulation contractuelle prévue au contrat de prêt oblige les co-emprunteurs a recueillir l'assentiment de la banque pour procéder à la vente de leur immeuble.

L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

I. Sur le principal :

Suivant acte sous seing privé en date du 14 août 2017 et ses conditions générales, la Caisse d’Épargne a consenti à Monsieur [R] [B] et à Madame [P] [J] un prêt immobilier d’un montant de 207.388,67 euros destiné à l'acquisition de leur résidence principale sise [Adresse 3].

Il résulte notamment des conditions particulières, et plus précisément du paragraphe relatif aux garanties, que « l’emprunteur s'engage à informer le préteur et la compagnie [de caution] en cas de vente du bien financé et à rembourser le prêt ».

Il ressort par ailleurs de la lecture combinée des stipulations contractuelles « destination du(des) prêt(s) » et « transfert de prêt » des conditions générales dudit contrat de prêt que « l'emprunteur s'engage à n'employer les fonds prêtés qu’au financement de son objet défini aux conditions particulières et à réaliser cet objet », si bien que « le transfert de prêt sur un autre objet est soumis à l'accord préalable du prêteur ».

Enfin, le paragraphe « exigibilité anticipée – déchéance du terme » stipule qu’en cas notamment «d'affectation du prêt à un autre objet que celui prévu à l'offre de crédit », « le prêt sera résilié et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles par notification faite à l'emprunteur ».

En l’espèce, la Caisse d’Épargne produit aux débats les lettres recommandées avec accusé de réception des 6 et 12 mai 2022 et celle du 1er juin 2022 adressées à Madame [P] [J] et à Monsieur [R] [B] aux termes desquelles elle prononce l'exigibilité immédiate du prêt, prononce la déchéance du terme et les met en demeure de s'acquitter de la somme de 54.103,86 euros au titre du capital restant dû.

Les emprunteurs n'ont pas donné suite à ces mises en demeure.

Aussi, il résulte de ces éléments que la Caisse d’Épargne était bien-fondée à prononcer la déchéance du terme, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs. En procédant en effet à le vente de leur bien objet dudit prêt immobilier sans en informer la banque, ces derniers n'ont pas respecté tant les conditions générales que les conditions particulières du prêt du 14 août 2017 et ont donc affecté les fonds à un autre objet que celui du financement du bien situé à [Localité 8].

Or, le contrat de prêt prévoit expressément que l'affectation du prêt à un autre objet que celui prévu à l'offre de crédit est une cause de déchéance du terme une fois la notification de celle-ci faite aux emprunteurs, ce qui est le cas en l'espèce, et ce peu importe que ces derniers aient été de bonne foi dans l'exécution de leurs engagements contractuels, ou que la déchéance soit intervenue deux ans après la vente du bien.

En conséquence, il résulte de ces éléments que la Caisse d’Épargne est bien-fondée à solliciter le paiement du capital restant dû.

À la lecture du décompte des sommes dues au 1er juin 2022 produit aux débats, la Caisse d’Épargne estime que sa créance se décompose comme suit :
- 41.329,40 euros au titre du capital restant dû,
- 209,67 euros au titre des intérêts courus du 11 mai au 1er juin 2022,
- 77,42 euros au titre des accessoires courus du 11 mai au 1er juin 2022,
- et 12.487,37 euros au titre de l'indemnité de déchéance du terme.

Si les deux premiers chiffrages apparaissent justifier, ce n'est en revanche pas le cas de la somme de 77,42 euros, sollicitée au titre des « accessoires courus du 11 mai au 1er juin 2022 ». En effet, la Caisse d’Épargne n'établit pas dans ses écritures à quel titre cette somme serait due. Cela ne ressort pas davantage d'une quelconque disposition contractuelle.

S'agissant par ailleurs de la somme réclamée au titre de l'indemnité de déchéance du terme, celle-ci équivaut à 7 % de la somme de 178.391,02 euros correspondant au capital restant dû au 1er juin 2022. L'article « intérêts de retard, poursuite et frais » des conditions générales du contrat de prêt stipule en effet notamment qu'en cas d'exigibilité du prêt consécutive à la résolution contrat dans les hypothèses prévues au paragraphe « exigibilité anticipée – déchéance du terme », les emprunteurs devront rembourser « une indemnité dont le montant est fixé à 7% des sommes dues au titre du capital restant dû, des intérêts échus et non payés et le cas échéant des intérêts de retard ».

Cette clause doit toutefois s'analyser en une clause pénale soumise au contrôle du juge en son caractère excessif ou dérisoire, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article 1231-1 du code civil qui dispose que lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Or, le montant de 12.487,37 euros qui serait dû au titre de cette clause, apparaît manifestement excessif au regard des autres sommes et intérêts déjà dus au titre du contrat de prêt en raison de la vente du bien, et des sommes déjà versées par Madame [P] [J] et par Monsieur [R] [B] en remboursement du capital, si bien qu'il y a lieu de réduire cette indemnité contractuelle à 3,5 %, soit la somme de 6.243,69 euros

La créance de la banque se limite donc à la somme totale de 47.782,76 euros.

Par conséquent, Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] seront condamnés solidairement à payer à la Caisse d’Épargne la somme de 47.782,76 euros au titre du remboursement de l'emprunt.

II. Sur les intérêts :

Aux termes de l'article « intérêts de retard, poursuite et frais » des conditions générales du contrat de prêt, il est stipulé que dans l’hypothèse où le préteur prononcerait la déchéance du terme, les emprunteurs devront rembourser « les intérêts de retard calculés au taux d'intérêt du prêt sur le capital et les intérêts échus depuis le jour de l’exigibilité jusqu'à la date du règlement effectif ».

Par conséquent, Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] seront condamnés solidairement à payer des intérêts au taux de 1,95 % sur la somme de 47.782,76 euros à compter du 1er juin 2022, et ce jusqu'à parfait paiement.

III. Sur la capitalisation des intérêts :

Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. Toutefois, l'article L.312-23 du code de la consommation dans sa version applicable au présent litige (devenu L.313-52) déroge à ce principe en prévoyant que les intérêts échus ne peuvent produire d’intérêt lorsque la déchéance du terme est prononcée dans le cadre d’un crédit immobilier soumis au droit de la consommation.

Aussi, la demande en capitalisation des intérêts formulée par la demanderesse sera rejetée.

SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DES EMPRUNTEURS

Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] sollicitent la condamnation de l'organisme bancaire au titre de la résistance abusive.

Si la notion de résistance abusive ne fait l’objet d’aucune disposition juridique particulière au sein du code civil, elle est communément définie par la jurisprudence comme le comportement du débiteur tendant à refuser avec persistance à exécuter son obligation.

En l’espèce, les défendeurs ne rapportent pas la preuve du caractère abusif du comportement de la Caisse d’Épargne qui a prospéré en ses demandes.

Ils seront donc déboutés de leur demande formée à ce titre.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J], parties succombantes, seront condamnés in solidum aux dépens.

Par ailleurs, l’équité commande de condamner Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] seront condamnés in solidum à verser à la Caisse d’Épargne la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe :

CONDAMNE solidairement Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] à payer à la société Caisse d’Épargne et de Prévoyance Hauts-de-France la somme de 47.782,76 euros avec intérêts au taux de 1,95 % à compter du 1er juin 2022 et jusqu’à parfait paiement ;

DÉBOUTE la société Caisse d’Épargne et de Prévoyance Hauts-de-France de sa demande de capitalisation des intérêts ;

DÉBOUTE Madame [P] [J] et Monsieur [R] [B] de leurs demandes formées au titre de la résistance abusive ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] aux entiers dépens de l’instance ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [R] [B] et Madame [P] [J] à payer à la société Caisse d’Épargne et de Prévoyance Hauts-de-France la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

Dominique BALAVOINEMaureen DE LA MALENE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 02
Numéro d'arrêt : 22/05377
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-04;22.05377 ?
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