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27/05/2024 | FRANCE | N°23/01768

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 27 mai 2024, 23/01768


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 23/01768 - N° Portalis DBZS-W-B7H-W5C4


JUGEMENT DU 27 MAI 2024



DEMANDEUR :

Mme [S] [K], agissant en son nom qu’en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, [W] [K].
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Catherine POUZOL, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La société MACIF, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Gildas BROCHEN, avocat au barreau de LILLE

COMP

OSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 23/01768 - N° Portalis DBZS-W-B7H-W5C4

JUGEMENT DU 27 MAI 2024

DEMANDEUR :

Mme [S] [K], agissant en son nom qu’en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, [W] [K].
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Catherine POUZOL, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La société MACIF, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Gildas BROCHEN, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 14 Septembre 2023.

A l’audience publique du 14 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 27 Mai 2024.

Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 27 Mai 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 02 août 2018, M. [C] [K] a été victime d'un accident domestique à [Localité 3] (Nord). Alors qu'il aidait son voisin, M. [P] [U], à élaguer un arbre de sa propriété, à la suite d'une manœuvre de ce dernier, une branche a heurté l'échelle sur laquelle il se trouvait, le faisant chuter au sol.

Dans les suites de la chute, M. [C] [K] a été transporté au service des urgences du centre hospitalier de [Localité 3] où il a notamment été objectivé une fracture bilatérale des calcanéums, nécessitant une double ostéosynthèse réalisée le 06 août 2018.

Une expertise amiable a été diligentée à l'initiative de la société MACIF, assureur de M. [P] [U], et confiée au Docteur [F] [I].

L'expert amiable a déposé son rapport d'expertise définitif le 19 avril 2021, fixant la date de consolidation au 02 août 2020 et concluant, notamment, à la persistance d'un déficit fonctionnel permanent de 25%.

Un protocole d'accord transactionnel a été régularisé le 19 novembre 2021 entre la société MACIF et M. [C] [K], ayant porté l'indemnisation définitive de ce dernier à la somme de 239.300,14 euros, avant déduction des sommes déjà versées à titre provisionnel.

Aucun accord d'indemnisation amiable n'ayant, en revanche, été trouvé entre les parties s'agissant de l'indemnisation des victimes indirectes, Mme [S] [K], épouse de M. [C] [K], agissant tant en son nom personnel qu'ès qualité de représentante légale de leur fille mineure, [W] [K], a, par acte d'huissier de justice en date du 16 février 2023, fait assigner la société MACIF devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

La clôture des débats est intervenue le 14 septembre 2023, suivant ordonnance du même jour, et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 14 mars 2024.

* * *

Aux termes de son assignation, valant conclusions récapitulatives, Mme [S] [K] demande au tribunal, au visa des articles 1242 du Code civil et 700 du Code de procédure civile, de :

condamner la société MACIF à lui verser la somme de 12.925 euros en indemnisation des préjudices subis en sa qualité de victime indirecte de l'accident subi par son mari le 02 août 2018 ;condamner la société MACIF à lui verser la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice d'affection subi par sa fille mineure, l'enfant [W] [K], en sa qualité de victime indirecte de l'accident subi par son père le 02 août 2018 ;condamner la société MACIF à lui verser la somme de 2.000 euros au titre des frais de procédure qu'elle a engagés ;débouter la société MACIF de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;condamner la société MACIF aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 05 juillet 2023, la société MACIF demande au tribunal, au visa des articles 1242 du Code civil et 700 du Code de procédure civile, de :

prendre acte de ses propositions d’indemnisation à savoir :- l’indemnisation de 1.500 euros de Mme [S] [K] au titre de son préjudice d’affection,
- l’indemnisation de 1.000 euros de Mme [S] [K] ès qualité de représentante légale de sa fille [W] au titre du préjudice d'affection,
débouter Mme [S] [K] du surplus de ses demandes.
Pour l’exposé des moyens des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le principe du droit à indemnisation

Les demandes reposent sur les dispositions de l'article 1242 alinéa 1 du Code civil, lequel énonce que :

« On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. »

Le fondement légal de la demande n’est pas discuté.

Par ailleurs, aux termes de l'article L.124-3 du Code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L'action directe dont dispose le tiers lésé suppose que soient établis à la fois l'existence de la responsabilité de l'assuré à l'égard de la victime et le montant de la créance d'indemnisation de celle-ci contre l'assuré.

La société MACIF n'a contesté ni le principe de sa responsabilité en sa qualité d'assureur de M. [P] [U], ni le principe du droit à indemnisation intégrale de M. [C] [K], comme en témoigne le protocole d'accord régularisé entre eux le 19 novembre 2021 (pièce n°2 demanderesse).

Dans ces conditions, Mme [S] [K] et Madame [W] [K], dont il est justifié qu'elles sont, respectivement, l'épouse et la fille de M. [C] [K] (pièce n°6), ont droit, en leur qualité de victimes indirectes, à l'indemnisation intégrale de leurs préjudices, ce qui au demeurant ne fait pas débat entre les parties.

Sur l’indemnisation des préjudices de Mme [S] [K]

Sur le préjudice d'affection :

Le préjudice d'affection indemnise le préjudice moral subi par certains proches, parents ou non, mais justifiant d’un lien affectif réel, au contact de la souffrance de la victime directe. Il convient d’inclure à ce titre le retentissement pathologique objectivé que la perception du handicap de la victime a pu entraîner chez certains proches.

Il doit être indemnisé même s’il n’a pas un caractère exceptionnel. Son montant est fixé en fonction de l’importance du dommage corporel de la victime directe et sa réparation implique l’existence d’une relation affective réelle avec le blessé.

En l'espèce, Mme [S] [K] sollicite la somme de 10.000 euros en réparation de ce poste de préjudice, tandis que l'assureur offre une somme de 1.500 euros.

Sur ce, il doit être rappelé que, par suite de l'accident, M. [K], qui a présenté des fractures bilatérales des calcanéums, est demeuré hospitalisé pendant douze jours avant de pouvoir réintégrer son domicile où il a été contraint de dormir dans un lit médicalisé en rez-de-chaussée et de se déplacer à l'aide d'un fauteuil roulant ainsi que de bénéficier de soins infirmiers quotidiens pendant deux mois. L'ablation du matériel d'ostéosynthèse a nécessité une nouvelle hospitalisation le 09 octobre 2018. Les souffrances qu'il a endurées, durant la période traumatique, ont été évaluées par le Docteur [I] à 4,5 sur une échelle habituelle de valeurs de 7, étant précisé que l'accident a été à l'origine d'une décompensation transitoire d'un état antérieur anxio-dépressif pour laquelle il a dû être hospitalisé du 31 octobre au 05 novembre 2018, puis du 12 au 27 novembre 2018, en addictologie.

Il en est incontestablement résulté pour Mme [S] [K], laquelle a été témoin des souffrances tant physiques que psychologiques importantes de son époux, un préjudice moral particulier.

Néanmoins, en l'absence de toute pièce justificative permettant d'apprécier de manière plus fine la consistance nécessairement singulière et l'ampleur de ce préjudice pour Mme [K], l'indemnisation de celui-ci sera évaluée à la somme de 4.000 euros.

Sur les troubles dans les conditions d'existence :

Il s’agit d’indemniser les troubles dans les conditions d’existence dont sont victimes les proches justifiant d’une communauté de vie effective et affective avec la victime directe.

L’évaluation de ce préjudice est nécessairement très personnalisée et spécifique. On indemnisera notamment à ce titre le préjudice sexuel du conjoint (ou concubin) consécutif au handicap subi par la victime pendant la maladie traumatique et après sa consolidation.

En l'espèce, Mme [S] [K] sollicite, sous appellation de préjudice extra-patrimonial exceptionnel que caractérisent les troubles dans les conditions d'existence, une somme de 2.228 euros au titre de sa « perte de qualité de vie », ainsi qu'une somme de 2.000 euros au titre de son préjudice sexuel.

L'assureur conclut au rejet des demandes formulées au titre de ce préjudice extra-patrimonial exceptionnel, qu'il estime ne pas être justifié.

Sur ce, au soutien de sa demande au titre de la perte de qualité de vie, Mme [K] fait valoir que, suite à sa sortie d'hospitalisation, son époux a souffert d'une perte d'autonomie importante, n'étant en capacité de se déplacer qu'avec un fauteuil roulant et ayant été contraint d'utiliser une chaise percée jusqu'au 30 octobre 2018, de sorte qu'elle a été contrainte de se charger de lui faire la toilette, de l'habiller et de vidanger sa chaise percée.

S'il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas, au travers de ce poste de préjudice, d'indemniser l'assistance tierce-personne prodiguée par le proche de la victime directe, poste au demeurant déjà indemnisé par l'octroi d'une indemnité auprès de cette dernière, il peut, néanmoins, être tenu compte, comme soulevé par la demanderesse, d'une charge mentale particulière relative au fait d'avoir dû assurer l'assistance et le soutien de son époux pendant cette période de près de trois mois.

Par ailleurs, le Docteur [I] a retenu, s'agissant de M. [C] [K], l'existence d'un préjudice sexuel manifesté par une gêne positionnelle. Il est à rappeler que M. [K] souffre d'un déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 25%, compte tenu d'un enraidissement important des deux chevilles (pièce n°1).

Il est indéniable que le préjudice sexuel de M. [K], lequel a été indemnisé à hauteur de 2.000 euros par l'assureur (pièce n°2), impacte le couple en son entier.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les troubles dans les conditions d'existence subis par Mme [S] [K] seront indemnisés par l'octroi d'une somme qu'il convient d'évaluer à 2.500 euros.

Sur le « préjudice de surcroît d'activité » :

Mme [S] [K] entend, par ailleurs, faire valoir avoir subi un « surcroît d’activité » lié aux conduites à l'école de leur fille de neuf ans qu’elle a temporairement dû assumer seule alors que ces conduites étaient auparavant équitablement partagées au sein du couple. Elle évalue ce « surcroît d'activité » à 30 minutes par semaine, du 02 août 2018 au 30 septembre 2019, date de confection de chaussures orthopédiques adaptées, permettant à M. [C] [K] de reprendre la marche de manière habituelle.

En conséquence, elle sollicite une somme de 697 euros sur la base d'un coût horaire de 23 euros.

L'assureur conclut au rejet de la demande, indiquant qu'il ne s'agit pas d'un préjudice indemnisable selon la nomenclature Dinthillac.

Sur ce, sans nier le nécessaire chamboulement causé par l'accident à l'organisation familiale, le tribunal rappelle que le « surcroît d'activité » dont il est fait état caractérise en réalité un besoin en assistance par tierce-personne temporaire particulier d'aide à la parentalité, lequel indemnise la perte d’autonomie mettant la victime dans l’obligation de recourir à un tiers pour l'assister voire effectuer à sa place certains actes de la vie quotidienne, dont ceux relatifs à la prise en charge et à l'éducation des enfants.

Or, ce poste de préjudice constitue un préjudice personnel de M. [C] [K], poste qui, au demeurant, a déjà fait l'objet d'une indemnisation au terme de la transaction intervenue avec la MACIF le 19 novembre 2021.

Mme [S] [K] ne peut, dès lors, valablement solliciter une indemnisation à ce titre.

Au surplus, la preuve d'un besoin à hauteur de 30 minutes par semaine sur la base de 424 jours n'est pas rapportée, la conduite à l'école de [W] n'étant pas justifiée durant les périodes de vacances scolaires et M. [C] [K] ayant indiqué à l'expert « avoir repris la conduite en mai-juin 2019 ».

La demande sera, en conséquence, rejetée.

Sur l’indemnisation du préjudice de [W] [K]

Il est sollicité, au titre du préjudice d'affection de [W] [K], une somme de 5.000 euros, tandis que l'assureur offre de lui verser une somme de 1.000 euros.

Ainsi qu'exposé ci-dessus, les souffrances tant physiques que psychologiques importantes endurées par M. [C] [K] ont nécessairement entraîné un préjudice d'affection pour sa fille [W], laquelle était âgée, au moment de l'accident, de seulement neuf ans.

Néanmoins, en l'absence de toute pièce justificative permettant d'apprécier de manière plus fine la consistance nécessairement singulière et l'ampleur de ce préjudice pour la jeune fille, l'indemnisation de celui-ci sera plus justement évalué à la somme de 2.000 euros.

Sur les mesures accessoires

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Il résulte, en outre, des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

En l'espèce, la société MACIF qui succombe, sera condamnée à supporter les entiers dépens de l’instance.

L’équité commande, en outre, de la condamner à payer à Mme [S] [K] une somme de 2.000 euros au titre des frais de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et susceptible d’appel,

Condamne la S.A.M.C.V MACIF à payer à Mme [S] [K], en sa qualité de victime indirecte des préjudices subis par M. [C] [K] :

* 4.000 euros au titre de son préjudice d'affection,
* 2.500 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence ;

Déboute Mme [S] [K] de sa demande au titre du « préjudice de surcoût d'activité »;

Condamne la S.A.M.C.V MACIF à payer à [W] [K], prise en la personne de sa représentante légale, Mme [S] [K], en sa qualité de victime indirecte des préjudices subis par M. [C] [K], la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

Condamne la S.A.M.C.V MACIF à payer à Mme [S] [K] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la S.A.M.C.V MACIF à supporter les entiers dépens de l'instance ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Le greffier, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 23/01768
Date de la décision : 27/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-27;23.01768 ?
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