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27/05/2024 | FRANCE | N°22/06986

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 27 mai 2024, 22/06986


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
Chambre 04
N° RG 22/06986 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WQ4A

JUGEMENT DU 27 MAI 2024
DEMANDEURS :

Mme [J] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

M. [H] [C]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

M. [E] [C]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représenté par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

Mme [N] [G] épouse [Y]
[Adresse 5]r>[Localité 6]
représentée par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

DEFENDEURS :

M. [V] [M]
Polycli...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
Chambre 04
N° RG 22/06986 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WQ4A

JUGEMENT DU 27 MAI 2024
DEMANDEURS :

Mme [J] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

M. [H] [C]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

M. [E] [C]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représenté par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

Mme [N] [G] épouse [Y]
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentée par Me Anne PAINSET BEAUVILLAIN, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

DEFENDEURS :

M. [V] [M]
Polyclinique [10] [Adresse 4]
[Adresse 4]
représenté par Me Cécile MONTPELLIER, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Dorothée FAYEIN-BOURGOIS avocat plaidant au barreau d’AMIENS

La MUTUELLE ASSURANCES CORPS SANTE FRANÇAIS (MACSF), prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 9]
[Adresse 9]
représenté par Me Cécile MONTPELLIER, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Dorothée FAYEIN-BOURGOIS avocat plaidant au barreau D’AMIENS

L‘ Office National d Indemnisation des Accidents Médicaux des infections iatrogènes (ONIAM)
[Adresse 13]
[Adresse 13]
[Adresse 13]
représentée par Me Gaëlle MOQUET, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Olivier SAUMON avocat plaidant au barreau de PARIS

LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

Greffier: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :Vu l’ordonnance de clôture en date du 17 Janvier 2024.

A l’audience publique du 18 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 27 Mai 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, et mis à disposition au Greffe le 27 Mai 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

Mme [J] [Y], ayant des antécédents de greffe de cornée gauche et souffrant à compter de la fin 2007 de vertiges rotatoires et de céphalées a été adressée au docteur [V] [M], neurochirurgien, qui a préconisé le traitement chirurgical d’un kyste épidermoïde intracrânien.

L’intervention a été pratiquée le 5 mai 2008 à la clinique [10] à [Localité 12].

L’exérèse de ce kyste a été incomplète malgré trois heures d’intervention. Il est apparu dans les suites de l’intervention une paralysie faciale gauche.

Mme [Y] a ensuite été suivie par des médecins des centres hospitaliers d’[Localité 8] et de [Localité 12], ponctuellement celui de [Localité 6], principalement en ophtalmologie, neurochirurgie, otoneurochirurgie et chirurgie plastique.

Malgré ces suivis et plusieurs interventions, Mme [Y] présente toujours une paralysie faciale gauche incomplète, une surdité gauche et une cécité gauche.

Elle a saisi, le 10 octobre 2018, la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) d’indemnisation des accidents médicaux, dont le président a ordonné une expertise confiée au professeur [S] (neurochirurgien) et au docteur [Z] (ophtalmologiste).
Les experts ont achevé leur rapport le 6 juin 2019.

Sur la base de ce rapport, la CCI a considéré, le 14 novembre 2019, que le dommage subi par Mme [Y] n’est pas anormal au regard de son état antérieur et de l’évolution prévisible de celui-ci. Elle a donc rejeté la demande d’indemnisation.

Mme [Y] a sollicité et obtenu l’organisation d’une expertise judiciaire suivant ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Lille du 12 janvier 2021 confiée au docteur [A].
L’expert a achevé son rapport le 28 décembre 2021.

Par acte d’huissier des 17, 19 et 28 octobre 2022, Mme [Y] ainsi que MM. [H] et [E] [C] et Mme [N] [Y] ont fait assigner M. [M] et la société MASCF, l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux et des infections nosocomiales (ci-après l’ONIAM) et la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 11] (ci-après la CPAM) devant le tribunal de grande instance de Lille afin de faire reconnaître son droit à indemnisation et d’obtenir cette indemnisation.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 avril 2023, les consorts [Y] demandent au tribunal de :

Vu l’article L.1142-1 du code de santé publique,
Vu l’article L.1142-12 du code de la santé publique,
Vu l’article 1111-2 du code de la santé publique,
Vu l'article 276 du Code de procédure civile,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence de la C. Cass. 2ème chambre, 15 janvier 2015, n°13-27.761,
Vu la jurisprudence de la C. Cass. 1re civ., 1er juin 1999, n° 98-10.988,
Vu le rapport d’expertise judiciaire du 28 décembre 2021,

- Recevoir l’intégralité des moyens et prétentions des demandeurs ;
- Débouter l’ONIAM de toutes ses demandes ;
- Prononcer la nullité du rapport d’expertise amiable de la CCI du 6 juin 2019 ;
- Condamner l’ONIAM à verser à Mme [J] [Y] les sommes de :
3 680 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel,
35 840 euros au titre des frais d’assistance d’une tierce-personne pour les besoins de la vie courante,
20 000 euros au titre des souffrances endurées,
10 000 euros au titre d’un préjudice esthétique temporaire,
10 800 euros au titre du préjudice professionnel avant consolidation,
125 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
25 000 euros au titre de son préjudice d’agrément,
20 000 euros au titre de son préjudice esthétique,
5 000 euros au titre de son préjudice sexuel,
300 965 euros au titre de son préjudice professionnel après consolidation,
53 238 euros au titre de l’incidence professionnelle,
5 000 euros au titre de son préjudice d’établissement ;
- Condamner M. [M] à verser Mme [J] [Y] la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral d’impréparation avec garantie de la MASCF Assurances ;

- Condamner l’ONIAM à verser, au titre de leur préjudice moral les sommes de :
5 000 euros à M. [E] [C],
5 000 euros à M. [H] [C],
5 000 euros à Mme [N] [G] épouse [Y] ;

- Condamner l'ONIAM à leur verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner l’ONIAM aux entiers dépens.

Mme [Y] demande en premier lieu l’annulation du rapport des experts désignés par la CCI pour violation du contradictoire au motif que les experts n’ont pas répondu à un dire sollicitant la suspension des opérations pour demander une expertise judiciaire et la transmission du dossier au docteur [W] afin de connaître l’intégralité des soins prodigués et les conséquences de l’acte chirurgical. Elle fait encore valoir qu’un des expert n’était pas impartial comme exerçant au CH d’[Localité 8] “partie prenante à l’expertise”.

A l'appui de ses demandes au fond contre l’ONIAM, Mme [Y] s’estime victime d’un accident médical non fautif et considère que les conditions de son indemnisation par l’ONIAM sont réunies. Elle demande son indemnisation sur la base des conclusions de l’expert judiciaire.

A l’encontre de M. [M], elle fait valoir un défaut d’information sur les risques de l’intervention et réclame l’indemnisation de son préjudice d’impréparation.

Ses deux fils, MM. [E] et [H] [C] réclament l’indemnisation de leur préjudice d’accompagnement.
Mme [Y] présente la même demande.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mai 2023, la CPAM demande au tribunal de :

Vu le code de procédure civile,
Vu le code de la sécurité sociale,

- Prendre acte qu’elle ne formule aucune demande ;
- Condamner la partie succombant à l’exclusion d’elle-même aux dépens et à lui payer 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédures civile.

A l'appui de sa défense, elle fait valoir qu’elle a présenté son recours devant le juge administratif pour les débours exposés en raison de l’infection nosocomiale qu’elle estime contractée au cours ou au décours de soins prodigués par le CH de [Localité 12].

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023, M. [M] et la société MACSF demandent au tribunal de :

Vu les dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique,
1. Dire Mme [J] [Y] recevable en son action, et partiellement mal fondée en ses demandes ;
2. Dire que la somme de 2 500 € indemnise le préjudice moral d’impréparation éprouvé par Mme [J] [Y] ;
Le cas échéant,
3. Condamner M. [M] à payer à Mme [J] [Y] la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’impréparation ;
4. Condamner la MACSF à relever intégralement de garantie M. [M] contre la condamnation prononcée à son encontre.

A l'appui de leur défense, ils font valoir que l’expert judiciaire ne formule aucun reproche à l’égard des soins prodigués par M. [M] quant à l’indication, à la réalisation du geste ou au suivi. Seul demeure en débat le préjudice d’impréparation. M. [M] offre à cet égard une indemnisation.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2023, l’ONIAM demande au tribunal de :

Vu les dispositions des articles L. 1142-1 II et suivants du code de la santé publique,
Vu les rapports d’expertise,
Vu l’avis de la CCI,

- Constater que les dommages survenus ne sont pas anormaux compte tenu de l’exposition particulière de Mme [Y] à ce dernier ;
- Constater que les conditions d’intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;
- Prononcer en conséquence sa mise hors de cause ;
- Rejeter les prétentions des consorts [Y] au titre des frais irrépétibles ;
- Rejeter toutes demandes en ce qu’elles seraient dirigées à son encontre ;
- Statuer sur ce que droit quant aux dépens.

En premier lieu, l’ONIAM rappelle son rôle et le régime spécifique d’indemnisation des accidents médicaux non fautifs occasionnant des séquelles graves et des conséquences anormales au regard de l’état de santé et de l’évolution prévisible de cet état de santé.

Au soutien de sa défense, il fait valoir en premier lieu qu’il n’est établi aucune infection nosocomiale causant un taux d’incapacité permanente supérieur à 25 %.
Il considère en second lieu que l’expert a établi que sans l’intervention, l’état de Mme [Y] se serait dégradé jusqu’à la dépendance puis le décès de sorte que la condition de gravité au sens de l’article L.1142-1 du code de la santé publique ne peut pas être remplie. Quant à la probabilité de survenue de l’accident, il considère que, tant les experts de la CCI que l’expert judiciaire ont démontré que Mme [Y] présentait une exposition particulière aux complications qui sont survenues. Il ajoute une note rédigée par deux médecins pour expliquer l’exposition à ce risque.
Il conclut donc au rejet des demandes indemnitaires.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d’annulation du rapport des experts de la CCI :

Aucun des défendeurs n’a conclu sur cette demande.

Cependant, en premier lieu, Mme [Y] n’explique pas par quel mécanisme le juge judiciaire pourrait annuler une expertise non judiciaire, qui a été réalisée selon les conditions fixées par la CCI et non par un juge.

Ensuite, le rapport a été achevé par les experts le 6 juin 2019 après discussion dont il n’est pas contesté qu’elle a été tenue contradictoirement. Ils l’ont adressé à la CCI qui l’a réceptionné le 5 juillet 2019. Mme [Y] n’explique pas pourquoi les experts, qui étaient dessaisis de leur mission, auraient manqué à leurs obligations en s’abstenant de répondre à un dire qu’elle leur a fait adresser le 7 novembre 2019.

Enfin, contrairement à ce qu’elle soutient, l’expertise de la CCI concernait les soins prodigués par M. [M] et son confrère [R] exerçant tous deux au sein de la clinique [10] ainsi que le CH de [Localité 12] mais pas celui d’[Localité 8]. Elle n’allègue pas avoir été elle-même personnellement suivie par le docteur [Z] lorsqu’elle a consulté au CH d’[Localité 8].
Dès lors, elle ne justifie pas de la partialité de l’expert [Z] dont elle fait état.

Au demeurant, le tribunal note que c’est Mme [Y] elle-même qui communique le rapport et l’avis de la CCI. L’ONIAM, quant à lui, ne le verse pas au débat. Il existe pourtant une contradiction à faire état d’une expertise non judiciaire (dont la valeur probante est moindre que celle de l’expertise judiciaire) alors qu’une expertise judiciaire a ensuite été ordonnée pour demander l’annulation de la première.

La demande doit être rejetée.

Sur le principe du droit à indemnisation de Mme [J] [Y] :

Selon l’article L.1142-1 du code de la santé publique :

“ I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.

II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.”

En l’espèce, Mme [Y] ne se prévaut pas de l’infection nosocomiale à entérocoque, laquelle n’a au demeurant selon l’expert judiciaire, causé que des préjudices temporaires et aucun préjudice permanent.

Concernant l’accident médical, il n’est pas contesté qu’il n’est pas fautif. Le débat qui oppose les parties ne porte que sur l’anormalité du dommage au sens de cette disposition, donc au regard de l’état de santé de Mme [Y] comme de l'évolution prévisible de celui-ci.

Il doit être bien précisé que le tribunal n’a pas à apprécier si Mme [Y] présente un état de santé grave en lui-même, l’ONIAM ne pouvant répondre des conséquences dommageables de l’existence ou du développpement du kyste épidermoïde, quelques graves qu’elles puissent être pour Mme [Y].

Au sens du code de la santé publique, la condition d'anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.
Dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

Les experts de la CCI précisent que :

“ Le traitement du kyste épidermoïde ne pouvait être que chirurgical car cette tumeur bénigne n’est ni radio ni chimio sensible. Il n’y avait donc aucune alternative thérapeutique envisageable. Si aucun traitement chirurgical n’avait été fait, l’état neurologique de Mme [Y] se serait lentement dégradé sur plusieurs années avec des paralysies des nerfs craniens, troubles de la déglutition, atteinte du tronc cérébral avec paralysie, hypertension intracranienne pour aboutir à un état de dépendance et au décès.”

L’expert judiciaire explique pour sa part que :

“ Le kyste épidermoïde est une lésion rare (0,5 à 1% des tumeurs intracrâniennes) liée à une migration des cellules épidermiques dans la boîte crânienne et éventuellement la colonne vertébrale pendant la vie embryonnaire.
Son développement est lent, sa localisation préférentielle est l’angle ponto-cérébelleux.
La lenteur de croissance explique qu’il peut atteindre des volumes importants avant le diagnostic, refoulant les structures nerveuses (tronc cérébral, cervelet, nerfs crâniens) en les étirant et sans pour autant avoir de retentissement clinique.
Sa membrane translucide est faite de cellules épidermiques qui en desquamant, emplit la cavité kystique d’une substance blanchâtre, faite de cholestérine (avec des paillettes brillantes), cette substance est avasculaire et se laisse facilement aspirer.
La membrane peut adhérer fortement aux éléments vasculaires et nerveux, ce qui rend son ablation difficile et raison pour laquelle il est préférable de laisser des filaments en place pour ne pas créer de troubles irréversibles.
Madame [Y] était porteuse d’un tel kyste volumineux à la fois dans l’angle ponto- cérébelleux
gauche et en sus tentoriel, avec un passage pour l’incisure tentorielle, ce dernier fragment exerçait une compression temporale gauche.”

Il précise que Mme [Y] ressentait les premiers symptômes du développement de ce kyste sous forme de vertiges et troubles de l’équilibre.

Le rapport de l’expert judiciaire ne contredit pas celui des experts de la CCI et il est clair que le développement d’une tumeur localisée à la base du crâne ne pouvait, sans traitement, que conduire à une perte des facultés commandées par la zone la plus proche du cerveau.

Dans ces conditions, il ne peut pas être affirmé que l’intervention du 5 mai 2008 a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme [Y] était exposée par sa pathologie en l'absence de traitement.

D’autre part, ni les experts CCI ni l’expert judiciaire ne parviennent à la conclusion que la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Pour leur part, les experts CCI estiment que :

“Paralysie faciale et surdité sont des complications classiques de la chirurgie de l’angle ponto-cérébelleux sans qu’on puisse tirer de la littérature des statistiques surtout dans les kystes épidermoïdes, tumeur peu fréquente. En cas de paralysie faciale, surtout associée à une atteinte trigéminale, le risque de kératite neuroparalytique est majeur.
Le volume important de la tumeur augmentait le risque de complication sur le nerf facial et auditif. Il existait compte tenu des antécédents de greffe cornéenne un risque majeur de complication oculaire de la kératite.”

L’expert judiciaire est moins explicite sans toutefois contredire les conclusions des experts de la CCI :

“ Ce point est important [l’existence d’une pathologie cornéenne avec greffe du côté gauche]car le risque de paralysie faciale post opératoire existait ainsi que l’atteinte de la sensibilité cornéenne qui est sous la commande de V1 (nerf ophtalmique).
Malgré les précautions prises, est survenue à 3 mois de la chirurgie une ulcération cornéenne favorisée par l’atteinte faciale motrice et la souffrance du trijumeau au plan sensitif.
Ces atteintes des nerfs crâniens V, VII et VIII cochléaires peuvent être comme une complication liée aux soins, à savoir l’acte chirurgical non fautif, et cela même si ces atteintes sont redoutées, elles ne sont pas pour autant constantes et sont bien en rapport avec l’acte chirurgical non fautif.”

Il n’a donc pas pu davantage que les experts CCI estimer le risque en raison de la rareté des kystes épidermoïdes mais il a indiqué qu’il s’agissait d’un risque redouté et que ce risque existait.

Il n’est donc pas démontré que la survenance du dommage présentait pour Mme [Y], une probabilité faible.

A l’inverse, Mme [Y] présentait une tumeur très rare, très volumineuse, localisée à l’arrière du crâne et extrêmement difficile à retirer puisque quatre interventions chirurgicales (si l’on tient compte de celles pratiquées ultérieurement au CH de [Localité 12]) n’y sont pas parvenues. C’est donc une chirurgie risquée qui a été pratiquée pour sauver la vie de Mme [Y] et, s’il est bien compréhensible que celle-ci déplore que ce geste ait été à l’origine de complications qui lui sont préjudiciables, elle ne remplit pas les conditions de l’article L.1142-1 du code de la santé publique.

A titre surabondant, le tribunal observe que la note des médecins unilatéralement sollicités par l’ONIAM mais versée contradictoirement au débat, conclut également en ce sens :

“ La paralysie faciale
Le risque de paralysie faciale est bien connu dans les suites des chirurgies d’exérèse des tumeurs de l’angle ponto-cérébelleux. Cette complication est relativement fréquente. En effet, 15 % des patients opérés présenteront une paralysie faciale de grade II, et 20 % de grade III suite à une chirurgie de l’angle ponto-cérébelleux.

La cophose
La fréquence de survenue de la cophose suite à une chirurgie d’un kyste épidermoïde de l’angle ponto-cérébelleux n’est pas rapportée dans la littérature. Or, les experts indiquent dans leur rapport que « des atteintes faciales et auditives post-opératoires sont régulièrement signalées». Certaines séries rapportent tout de même un risque d’hypoacousie post-opératoire d’environ 20 %.

Les experts rapportent de plus que la surdité peut être inhérente à la pathologie initiale. En effet, les multiples récurrences des kystes dermoïdes exposent au risque de perte de l’audition. Madame [Y] était donc particulièrement exposée à la perte de l’audition du fait d’un kyste dermoïde multi-récidivant, majorant le risque de survenue d’une cophose”

Dès lors, les demandes de Mme [J] [Y] relatives à l’indemnisation de son préjudice corporel formées contre l’ONIAM doivent être rejetées.

Sur le principe du droit à indemnisation des proches :

L’article L.1142-1 du code de la santé publique réserve l’indemnisation, au titre de la solidarité nationale par l’ONIAM, aux proches d’une victime décédée.

Sans méconnaître la peine qu’ont pu ressentir MM. [E] et [H] [C] et Mme [N] [Y] du fait des séquelles et de la perte autonomie supportées par leur mère et fille, leurs demandes doivent donc être rejetées.

Sur l’information donnée à Mme [Y] :

L’article L.1111-2 dans sa rédaction issue de la la loi 2016-41 du 26 janvier 2016, énonce que :

“Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.
Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.
La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.
[...]

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. [...]”

Ni le principe d’un manquement à l’obligation d’information de sa patiente ni l’existence même d’un préjudice d’impréparation en lien de causalité avec ce manquement ne sont contestés.
Seul le montant fait débat entre les parties.

Ce préjudice sera justement indemnisé par l’allocation de la somme de 3 000 euros.
M. [M] et son assureur, la société MACSF qui ne conteste pas lui devoir sa garantie seront condamnés in solidum au paiement de cette somme.

Sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile :

Les articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile prévoient que :

“La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.”

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”

Les consorts [Y], qui succombent, supporteront les dépens de l’instance.
L’équité commande de ne prononcer aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et susceptible d’appel,

Rejette la demande d’indemnisation formée par Mme [J] [Y] à l’encontre de l’ONIAM relativement aux conséquences dommageables de l’acte de soin pratiqué le 5 mai 2008 ;

Rejette la demande indemnitaire formée par M. [E] [C], M. [H] [C], et Mme [N] [G] épouse [Y] au titre de leur préjudice moral ;

Condamne in solidum M. [V] [M] et la société MACSF à payer à Mme [J] [Y] la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice d’impréparation ;

Condamne Mme [J] [Y], M. [E] [C], M. [H] [C], et Mme [N] [G] épouse [Y] aux dépens de l’instance ;

Dit n’y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/06986
Date de la décision : 27/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-27;22.06986 ?
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