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27/05/2024 | FRANCE | N°22/06948

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 27 mai 2024, 22/06948


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-
Chambre 04
N° RG 22/06948 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WS6F

JUGEMENT DU 27 MAI 2024
DEMANDEUR :

Mme [B] [U]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Priscilla PUTEANUS, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Aminata SISSOKO, avocat plaidant au barreau de LIMOGES

Mme [T] [V]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Priscilla PUTEANUS, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Aminata SISSOKO, avocat plaidant au barreau de LIMOGES

DEFENDEURS :

La SA LA MEDICALE, prise en l

a personne de son représentant légal,
[Adresse 2]
[Localité 8]
représentée par Me Joséphine LALIEU, avocat au barr...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-
Chambre 04
N° RG 22/06948 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WS6F

JUGEMENT DU 27 MAI 2024
DEMANDEUR :

Mme [B] [U]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Priscilla PUTEANUS, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Aminata SISSOKO, avocat plaidant au barreau de LIMOGES

Mme [T] [V]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Priscilla PUTEANUS, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Aminata SISSOKO, avocat plaidant au barreau de LIMOGES

DEFENDEURS :

La SA LA MEDICALE, prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 2]
[Localité 8]
représentée par Me Joséphine LALIEU, avocat au barreau de LILLE

LE [10] ([10]) pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 6]
représentée par Me Jean-françois SEGARD, avocat au barreau de LILLE

LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6] [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 21 Juin 2023.

A l’audience publique du 11 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 27 Mai 2024.

Leslie JODEAU, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 27 Mai 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.
EXPOSE DU LITIGE

Le 15 août 2017, Mme [B] [U] s'est présentée aux urgences de l'hôpital [13] pour des douleurs à l'épaule droite.

Après examen clinique, sans réalisation de radiographie, il a été diagnostiqué “un étirement musculaire probablement non compliqué”. Elle a été autorisée à quitter l'établissement le jour même avec immobilisation du bras en écharpe et prescription d'antalgiques. Il a été préconisé de consulter le médecin traitant le lendemain pour discuter de l'opportunité d'une échographie.

Le 16 août 2017, Mme [B] [U] a consulté son médecin traitant, le Dr [D], lequel a préconisé le maintien de l'immobilisation du bras en écharpe.

Le 6 septembre 2017, une échographie a été réalisée à la clinique [11] et a objectivé une “fracture luxation gléno humérale avec une luxation antérieure de la tête humérale et une fracture du tubercule majeur déplacée avec début de consolidation”.

Mme [B] [U] a éé adressée au Dr [K] lequel a réalisé, en urgence, le 8 septembre 2017, une intervention sur l'épaule.

Une nouvelle intervention de réduction a été réalisée le 22 septembre 2017 à la suite d'une nouvelle luxation de l'épaule.

La rééducation a débuté le 26 septembre 2017 à la clinique des [12].

Les douleurs ont persisté et un scanner, réalisé le 6 avril 2018, a mis en évidence une luxation antéro-interne de la tête humérale.

Mme [B] [U] a dès lors bénéficié le 27 juillet 2018 d'une arthroplastie de l'épaule droite avec mise en place d'une prothèse inversée.

Par acte d'huissier en date des 24, 30 et 31 janvier 2020, Mme [B] [U] a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille lequel a, par ordonnance en date du 6 mars 2020, ordonné une expertise médicale confiée au Dr [C] [L].

L'expert a rendu son rapport le 13 octobre 2020 et a conclu à la consolidation de l'état de Mme [B] [U] à la date du 2 octobre 2018.

Par acte d'huisiser en date du 3 décembre 2020, le [10] a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille aux fins d'étendre les opérations d'expertises au Dr [D] ou subsidiairement d'obtenir la désignation d'un expert. Par ordonnance en date du 16 février 2021, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé.

Le [10] a interjeté appel de la décision et par arrêt en date du 9 décembre 2021, la cour d'appel de Douai a infirmé l'ordonnance du juge des référés et ordonné une nouvelle expertise au contradictoire du Dr [D], confiée au Dr [L].

Par ordonnance en date du 15 mars 2022, les opérations d'expertise ont été étendues à la CPAM.

Par acte d’huissier des 16 et 19 juillet 2021, Mmes [B] [U] et [T] [V] ont fait assigner le [10] (ci-après le [10]) et la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6] [Localité 9] (ci-après la CPAM) devant le tribunal judiciaire de Lille afin d’obtenir l’indemnisation d’un dommage résultant d’un retard de diagnostic d’une fracture de l’épaule sur la personne de Mme [B] [U].

L’affaire a été enregistrée sous la référence RG 21/04546.

Par acte d’huissier du 2 février 2022, le [10] a fait assigner la société La Médicale, assureur du Dr [D], afin d’obtenir sa garantie partielle.

L’affaire a été enregistrée sous la référence RG 22/00790.

Le [10] et la société la Médicale ont saisi le juge de la mise en état d’un incident.

Par ordonnance d'incident en date du 7 juillet 2022, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances et sursis à statuer dans l'attente du rapport d'expertise complémentaire ordonnée par la cour d'appel de Douai suivant arrêt du 9 décembre 2021.

L'expert a déposé son deuxième rapport le 6 septembre 2022.

L'affaire a été ré-enrôlée le 26 octobre 2022 sous la référence RG 22/06948.

Les parties ont fait notifier leurs dernières conclusions par voie électronique le 22 mars 2023 pour Mme [B] [U] et Mme [T] [V], le 6 janvier 2023 pour le [10], le 21 mars 2023 pour la société La Médicale et le 26 octobre 2022 pour la CPAM.

La clôture des débats est intervenue le 21 juin 2023, et l’affaire fixée à l’audience du 11 mars 2024.

****

Aux termes de leurs dernières écritures, Mme [B] [U] et Mme [T] [V] demandent au tribunal de :

Vu l’article L 1142-1 du code de la santé publique,

juger que le [10] est responsable d’un retard de diagnostic de la fracture de l’épaule de Mme [B] [U],condamner le [10] à réparer les préjudices résultant de ce retard à hauteur de 80%,
A titre principal :

condamner le [10]à payer à Mme [B] [U] une indemnité de 32 436,64 € en réparation des préjudices subis,condamner le [10] à payer à Mme [T] [V] la somme de 1 974,14 € en réparation de son préjudice,ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement,déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à la CPAM de [Localité 6] [Localité 9],condamner le [10] à payer à Mme [B] [U] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,condamner le [10] aux entiers frais et dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise de la procédure de référé,

A titre subsidiaire :

désigner le Dr [L] pour procéder à une expertise complémentaire avec la mission suivante :* dire si en l’absence de retard de diagnostic, Mme [B] [U] aurait présenté des séquelles et le cas échéant, les décrire ;
Concernant les postes retenus par l’Expert :
évaluer les périodes imputables au retard de diagnostic, Dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert :
réserver leurs demandes,réserver les dépens,condamner le [10] à payer à Mme [B] [U] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures, le [10] demande au tribunal de :

juger que sa responsabilité n’est pas engagée en l’absence de démonstration d’une faute caractérisée, rejeter toutes demandes, fins et conclusions de Mme [B] [U], de Mme [T] [V] et de la CPAM de [Localité 6] [Localité 9],condamner Mme [B] [U] à lui verser une somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les frais et dépens de l’instance,
A titre subsidiaire,

dire et juger que sa responsabilité n’est susceptible d’être engagée qu’au titre d’une perte de chance d’éviter le dommage actuel de 80 %,juger que SA la Médicale, assureur du Dr [D], relèvera indemne le [10] de l’ensemble des condamnations mises à la charge du [10] par le jugement au titre de cette perte de chance de 80 %,
A titre très subsidiaire,

juger que le Dr [D] a contribué par sa faute à cette perte de chance à hauteur de 75 %,condamner la SA la Médicale, assureur du Dr [D], à prendre en charge l’ensemble des condamnations mises à sa charge au titre de la perte de chance de 75 %,liquider le préjudice subi par Mme [B] [U] de la manière suivante avant application du taux de perte de chance de 80 % et avant répartition de la contribution à la dette :* DSA : rejet
* ATPT : rejet
à titre subsidiaire : 2.784,00 €
* DFTT/ DFTP : rejet
à titre subsidiaire : 2.494,80 €
* SE : rejet
à titre subsidiaire : 10.000 €
* PET : rejet
à titre subsidiaire : 500,00 €
* DFP : rejet
à titre subsidiaire : 12.480 €
* PEP : 1.000,00 €
* PA : rejet

limiter l’indemnisation du préjudice de Mme [T] [V] à la somme de 1.233,84 € après application du taux de perte de chance de 80 % et avant répartition de la contribution à la dette,limiter la créance de la CPAM de [Localité 6] [Localité 9] aux frais d’hospitalisations et rejeter le surplus de la créance ; y appliquer le taux de perte de chance de 80 % ainsi que la répartition de la contribution à la dette ;limiter la demande présentée par Mme [B] [U] au titre de l’article 700 du code de procédure civile à une somme de 1.000 €,rejeter la demande présentée par la CPAM de [Localité 6] [Localité 9] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures, la société La Médicale demande au tribunal de :

Vu les dispositions de l'article L1142-1 I du code de la santé publique,

mettre purement et simplement hors de cause son assuré, le Dr [D],débouter le [10] de l'ensemble des demandes formées à son encontre,condamner le [10] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures, la CPAM demande au tribunal de :

déclarer le [10] responsable du préjudice subi par Mme [B] [U] éventuellement à proportion de la perte de chance des 4/5 retenue par l’expert,condamner le [10] à lui payer les débours de 17 900,76 €, éventuellement à proportion de la perte de chance, soit 14 320,61 euros avec les intérêts à compter de la notification des conclusions,ordonner la capitalisation des intérêts dus pour l'année,condamner le [10] à lui payer l'indemnité forfaitaire de 1 114 euros,condamner le [10] à lui payer les frais de 2 000 euros de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,ordonner l'exécution provisoire.
Pour l’exposé des moyens respectifs des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il y a lieu de dire qu’une demande tendant à “dire constater et juger” ne constitue pas une prétention en justice devant être tranchée par le tribunal mais simplement un exposé des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.

Sur la responsabilité recherchée du [10]

Aux termes de l’article L1142-1 du code de la santé publique :
“Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.”

Une erreur ou une maladresse ne sont pas, par elles-mêmes, fautives et il incombe au patient de rapporter la preuve d’un manquement fautif de la part du praticien ou de l'établissement, notamment en raison d’un manquement aux règles de bonne pratique, ayant concouru à la réalisation d’une complication.

En l'espèce, Mme [B] [U] entend rechercher la responsabilité du [10] et non celle du Dr [D]. Elle reproche à l'interne des urgences de n'avoir pas pratiqué une radiographie qui aurait permis de constater la fracture de l'épaule et ce alors même que, contrairement à ce qu'indique le [10], elle avait évoqué un choc traumatique lors de son passage aux urgences. Elle estime que cette faute est à l'origine d'un retard de diagnostic et sollicite l'indemnisation d'une perte de chance de bénéficier d'un traitement chirurgical plus rapide de sa fracture, perte de chance qu'elle évalue, comme le fait l'expert, à 80%.

Le [10] conteste avoir commis une faute dans la prise en charge de Mme [B] [U]. Il fait valoir que, lors de son passage aux urgences, celle-ci n'a pas évoqué de traumatisme direct au niveau de l'épaule et qu'en toutes hypothèses, le compte rendu des urgences montre qu'une recherche de chute ou de traumatisme a bien été effectuée et que cela n'a pas été mentionné par la patiente. Il indique que les déclarations postérieures de celle-ci auprès des différents praticiens ne peut suffire à établir qu'elle aurait effectivement évoqué un traumatisme lorsqu'elle s'est présentée aux urgences. Il soutient que le mécanisme décrit par la patiente d'un étirement du bras alors qu'elle chassait une mite ne suggérait en aucun cas la survenue d'une fracture luxation de l'épaule et estime ainsi qu'il n'y avait aucune obligation de réaliser une radiographie de l'épaule. Il rappelle avoir donné comme consigne à la patiente de prendre des antalgiques et de consulter le lendemain son médecin traitant afin de discuter de l'opportunité de réaliser une échographie. Il ajoute que le lendemain, le Dr [D] n'a pas jugé opportun de prescrire cet examen non plus qu'une radiographie, n'ayant pas relevé de signe clinique en faveur d'une fracture.

Sur ce, il n'est pas contesté par le [10] qu'aucune radiographie n'a été réalisée lors du passage aux urgences du 15 août 2017 mais ce dernier estime que l'absence de réalisation de cet examen ne peut être considéré comme fautif. Les parties discutent particulièrement du point de savoir si la notion de chute ou de traumatisme a été évoquée lors du passage aux urgences.

Lors de la première réunion d'expertise qui a eu lieu le 13 octobre 2020, Mme [B] [U] a expliqué à l'expert les circonstances de l'accident en indiquant qu'elle se trouvait chez elle, en équilibre sur une marche d'escalier, lorsqu'elle a voulu écraser une mite se trouvant sur le mur. Elle a indiqué qu'elle avait perdu l'équilibre sur une marche et qu'elle s'était rattrapée avec le membre supérieur droit sur le mur, ce qui a occasionné une vive douleur au niveau du moignon de l'épaule droite et motivé son passage aux urgences.

S'agissant de l'examen pratiqué aux urgences, l'expert a indiqué que l'examen semblait avoir été bien conduit mais que « le mécanisme traumatique est sous-estimé puisqu'il n'est fait mention que d'un étirement violent au niveau de la coiffe des rotateurs sans notion d'un traumatisme par choc direct ».

Il a finalement retenu que l'examen réalisé aux urgences n'avait pas permis de mettre en évidence la fracture, particulièrement en l'absence de réalisation d'un bilan radiologique et que si cette fracture avait été mise en évidence, une réduction «à chaud» avec éventuellement un geste chirurgical de fixation de la fracture du tubercule majeur aurait pu être effectuée, ce qui aurait diminué nettement les séquelles suite à la mise en place d'une prothèse inversée de l'épaule droite. Il a donc retenu que le préjudice consistait en une perte de chance de bénéficier d'une prise en charge plus précoce de sa fracture.

Le tribunal observe que les conclusions de l'expert quant à la caractérisation d'une faute commise lors du passage aux urgences sont très succinctes et qu'il ne peut être fait l'économie de l'analyse du compte rendu des urgences dont Mme [B] [U] soutient qu'il est erroné et incomplet pour n'avoir pas retranscrit fidèlement ses déclarations.

Ce compte rendu contient un paragraphe « histoire de la maladie » qui mentionne « ce soir en chassant une mite, a étiré son bras trop fort, depuis douleurs épaule droite consulte aux urgences, amenée par sa fille ».

Il est ensuite mentionné, s'agissant de l'examen clinique :
« Pas de notion de chute ou de traumatisme direct
Etirement violent des muscles de la coiffe des rotateurs
Pas de douleurs à la palpation. Pas de contracture musculaire palpée.
Palpation vertébrale peu douloureuse
Impotence fonctionnelle probablement su la douleurs.
Mobilité passive conservée, douloureuse.
Pouls périphérique perçus, pas de trouble trophique, temps de coloration 3 sec ».

Il est finalement conclu à un étirement musculaire probablement non compliqué et à une absence de déformation anatomique, ce qui a motivé la prescription d'antalgiques et d'une attelle de repos.

Il se déduit de ce compte rendu que Mme [B] [U] n'a pas évoqué de choc de son épaule sur le mur mais seulement un fort étirement.

S'il est exact que lors des consultations ultérieures, elle a évoqué un choc de l'épaule contre le mur, ce qui ressort des différents comptes rendus, il ne peut être tiré de ses déclarations ultérieures qu'elle aurait nécessairement fait état d'un traumatisme lors du passage aux urgences. Et aucun élément n'est versé aux débats permettant d'établir qu'elle aurait effectivement évoqué un tel traumatisme au médecin qui l'a examinée et qu'il aurait omis de le retranscrire.

Par ailleurs, la mention « pas de notion de chute ou de traumatisme direct » dans la partie « clinique » suggère que la recherche d'un éventuel traumatisme a été effectuée.

Dans ces conditions, se pose la question de savoir si, face à une anamnèse ne faisant pas état d'un choc ou d'un traumatisme direct de l'épaule et face aux constatations médicales faites lors de l'examen clinique, il était fautif pour le praticien des urgences de n'avoir pas suspecté une fracture et de n'avoir pas fait pratiquer de radiographie.

L'expert a considéré que le mécanisme traumatique avait été sous-estimé lors de l'examen sans toutefois indiquer si, compte tenu des constatations médicales faites à cette occasion, une fracture devait nécessairement être suspectée. Il a seulement indiqué, en réponse à un dire du conseil du [10], que « l'examen clinique faisait état de mobilités articulaires normales de l'épaule droite ce qui est totalement incompatible avec les lésions de fracture luxation de celle-ci ». Pourtant, le tribunal relève que lors de l'examen clinique, il a bien été fait état d'une impotence fonctionnelle et d'une mobilité passive certes conservée mais douloureuse, ce qui ne semble pas signifier que la mobilité articulaire de l'épaule était normale.

A aucun moment l'expert n'explique en quoi l'examen clinique réalisé, sans notion de traumatisme, aurait dû nécessairement faire suspecter une fracture et ainsi conduire à la réalisation d'une radiographie.

Il n'indique pas davantage que, en présence d'un récit des faits faisant état uniquement d'un étirement et non d'un traumatisme, une radiographie devait nécessairement être réalisée.
A cet égard, il peut être observé que le Dr [D], qui a examiné la patiente le lendemain, n'a pas davantage suspecté la présence d'une fracture de l'épaule alors même qu'il a relevé que la palpation du moignon de l'épaule était douloureuse. S'il a indiqué à l'expert avoir préconisé à sa patiente de retourner aux urgences pour réaliser une radiographie, cela n'est pas confirmé par Mme [B] [U] qui n'en a pas souvenir et aucun compte rendu ne permet d'étayer les propos du médecin. D'ailleurs, dans ces conclusions, il indique lui avoir seulement recommandé de le consulter à nouveau en cas d'anormalité des symptômes ou d'apparition de nouveaux signes cliniques. A défaut, il a été convenu d'un nouveau rendez-vous quinze jours plus tard à l'occasion duquel, devant la constatation d'un hématome important allant du moignon de l'épaule droite à l'avant-bras droit, il lui a prescrit la réalisation d'une radiographie qui avait déjà été programmée, à l'initiative de la patiente, pour le 6 septembre.

Par ailleurs, l'attention de l'expert a été attirée, dans le cadre d'un dire, par le conseil du [10] sur le fait que l'information d'une chute traumatique n'avait pas été fournie au service des urgences sans pour autant qu'il n'ait jugé utile de répondre sur ce point.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que, si, a posteriori, il est évident que Mme [B] [U] a subi un traumatisme au niveau de l'épaule droite à l'origine d'une fracture et qu'ainsi le diagnostic de lésion tendineuse était erroné, il n'est pas démontré que le service des urgences aurait eu connaissance par la patiente d'un tel traumatisme puisqu'il ne ressort pas du compte rendu qu'elle l'aurait évoqué et rien ne permet d'affirmer qu'il aurait été incomplet. Il n'est pas davantage établi que, face aux constatations cliniques lors de l'examen, il devait nécessairement être suspecté une fracture et qu'il aurait ainsi dû être prescrit la réalisation d'une radiographie. Enfin, il ne ressort nullement du rapport d'expertise qu'en présence d'un fort étirement des muscles de la coiffe des rotateurs, à l'origine de douleurs, il eût été de bonne pratique de réaliser une radiographie.

Dans ces conditions, il n'est pas démontré que le [10] aurait commis une faute dans la prise en charge de Mme [B] [U] lors de son passage aux urgences de sorte qu'elle sera déboutée de l'intégralité de ses demandes, sans qu'il ne soit justifié d'ordonner un complément d'expertise, lequel n'est d'ailleurs sollicité que sur la question de l'imputabilité des séquelles au retard de diagnostic.

Les demandes formées par Mme [T] [V] et la CPAM seront dans ces conditions nécessairement rejetées.

Les demandes subsidiaires formées par le [10] à l'encontre du Dr [D] sont sans objet.

Sur la demande de jugement commun et opposable

La demande est dépourvue d'intérêt dès lors que la CPAM est partie à l'instance et que le jugement lui est réputé contradictoire.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”.

Mme [B] [U], qui succombe principalement, supportera la charge des dépens dans l'instance initiée à l'encontre du [10], en ce compris les dépens de référé et les frais d’expertise judiciaire.

L’équité commande d’allouer au [10] une somme de 1.500 euros, telle que réclamée, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans l'instance initiée par le [10] à l'encontre de l'assureur du Dr [D], le [10] sera condamné aux dépens de cette partie de l'instance et l'équité commande de rejeter la demande formée par la société La Médicale au titre des frais irrépétibles.

Aucune autre indemnité ne sera allouée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en premier ressort,

Dit que le [10] n'a pas commis de faute lors de la prise en charge de Mme [B] [U] au service des urgences le 15 août 2017,

Déboute Mme [B] [U] et Mme [T] [V] de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre du [10],

Déboute la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 6] [Localité 9] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre du [10],

Condamne Mme [B] [U] aux dépens de l'instance initiée à l'encontre du [10], en ce compris les dépens de référé et les frais d’expertise judiciaire,

Condamne Mme [B] [U] à payer au [10], la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne le [10] aux dépens de l'instance initiée à l'encontre de la société La Médicale,

Dit n'y avoir lieu à autre indemnité au titre des frais irrépétibles,

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit par provision,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/06948
Date de la décision : 27/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-27;22.06948 ?
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