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27/05/2024 | FRANCE | N°22/05899

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 27 mai 2024, 22/05899


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/05899 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WPLX


JUGEMENT DU 27 MAI 2024



DEMANDEUR :

M. [E] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Marie-hélène MANDON, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La S.A. MACIF, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Benjamin MILLOT, avocat au barreau de LILLE

La CPAM DE [Localité 8]-[Localité 7], pris en la personne de son directeur
[Adresse 1]
[Lo

calité 5]
défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Asses...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/05899 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WPLX

JUGEMENT DU 27 MAI 2024

DEMANDEUR :

M. [E] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Marie-hélène MANDON, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La S.A. MACIF, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Benjamin MILLOT, avocat au barreau de LILLE

La CPAM DE [Localité 8]-[Localité 7], pris en la personne de son directeur
[Adresse 1]
[Localité 5]
défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 24 Mai 2023.

A l’audience publique du 1er Février 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 18 avril 2024 et prorogé au 27 Mai 2024.

Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 27 Mai 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 23 juillet 2000, alors qu'il circulait à bicyclette, M. [E] [W], alors âgé de huit ans, a été victime d'un accident de la circulation survenu à [Localité 10] (Nord), ayant été percuté par un véhicule assuré auprès de la société MACIF.

Dans les suites de l'accident, M. [E] [W] a été transporté au centre hospitalier de [Localité 9] où il a été objectivé une luxation complète de la dent 11 avec fracture de la dent 21, nécessitant une réimplantation de la dent 11 sous anesthésie générale avec mise en place d'un arc de contention.

Ultérieurement, il a été constaté notamment une infection péri-apicale de la dent 12.

Une première expertise amiable a été diligentée à l'initiative de la société MACIF et confiée aux Docteur [H] [T], lequel a déposé son rapport d'expertise le 14 décembre 2009, concluant à l'absence de consolidation de l'état de santé de M. [W].

Une seconde expertise amiable a été confiée quelques années plus tard au Docteur [M] [B], spécialisé en chirurgie dentaire, odontologie et parodontologie. L'expert amiable a déposé son rapport le 03 mars 2016 concluant également à l'absence d'acquisition de la consolidation.

Par suite, M. [E] [W] a sollicité et obtenu du juge des référés de [Localité 8], suivant ordonnance en date du 12 janvier 2021, l'organisation d'une expertise médicale confiée au Docteur [Z] [P] et l'allocation d'une somme de 3.000 euros à titre d'indemnité provisionnelle, outre une somme de 1.000 euros à titre de provision ad litem et une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le Docteur [P] a déposé son rapport le 23 août 2021. Au terme de ce rapport, il a été conclu à l'imputabilité certaine, directe et exclusive à l'accident du 23 juillet 2000 de la perte de la dent 21, de la dent 11, de la dent 12, de la perte future de la dent 22, ainsi que de la perte du volume osseux en regard des sites 11 et 21. Il a, toutefois, de nouveau été retenu l'absence de consolidation de l'état de santé de M. [E] [W], des soins demeurant à réaliser.

Suivant actes d'huissier de justice en date du 13 mai 2022, M. [E] [W] a fait assigner la société MACIF et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 8]-[Localité 7] (ci-après la CPAM) devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Bien que régulièrement assignée, la CPAM de [Localité 8]-[Localité 7] n'a pas constitué avocat.

Après une mesure de radiation en raison d'un défaut de diligences en demande, l'affaire a été réinscrite au rôle des affaires en cours fin juillet 2022 et la clôture des débats est intervenue le 24 mai 2023, suivant ordonnance du même jour. L’affaire a ensuite été fixée à l’audience de plaidoiries du 1er février 2024.

* * *

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2023, M. [E] [W] demande au tribunal, au visa des articles 1 à 3 de la loi n°85-677 du 05 juillet 1985, des articles 1342-7 et 1343-2 du Code civil, 700 du Code de procédure civile et A.444-32 du Code de commerce, de :

A titre principal,
dire qu'il a droit à indemnisation totale de son préjudice à la suite de l'accident dont il a été victime le 23 juillet 2000,dire que la société MACIF est tenue d'indemniser l'ensemble de ses préjudices,
En conséquence,
débouter la société MACIF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,condamner la société MACIF à indemniser les dommages résultant de l'accident sus-évoqué comme suit :* frais divers : 28.713,11 euros :
- frais d'huissier : 121,72 euros
- provision pour expertise : 1.000 euros
- frais d'assistance du médecin conseil : 600 euros
- frais d'assistance de l'avocat : 600 euros
- assistance par tierce personne temporaire : 26.391,39 euros
* dépenses de santé actuelles : 18.263,44 euros
- soins déjà réalisés : 6.053,44 euros
- soins à réaliser : 12.210 euros
* dépenses de santé futures : 17.076,82 euros
* déficit fonctionnel temporaire : 37.347 euros
* souffrances endurées : 30.000 euros
* préjudice esthétique temporaire : 5.000 euros
soit la somme de 136.400,37 euros, déduction faite de la provision de 4.000 euros déjà versée ;
ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,condamner la société MACIF à lui payer les sommes dues au titre de l'article A 444-32 du Code de commerce ;
A titre subsidiaire,
ordonner une mesure d'information consistant en une expertise médicale judiciaire,désigner pour y procéder tel expert qu'il plaira,surseoir à statuer dans l'attente du rapport définitif,condamner la société MACIF à lui verser la somme provisionnelle de 25.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
En tout état de cause,
condamner la société MACIF à lui payer la somme de 5.000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,condamner la société MACIF aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais d'assignation, d'expertise et d'exécution forcée,prononcer l'exécution provisoire de la décision,réserver les postes de préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux permanents.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2023, la société MACIF demande au tribunal de :

A titre principal,
déclarer irrecevables les demandes de M. [E] [W] en ce qu'elles visent la liquidation définitive de ses préjudices alors que la consolidation de son état n'est pas acquise,condamner M. [E] [W] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
prendre acte de son accord quant à la mise en place d'une nouvelle mesure d'expertise judiciaire destinée à déterminer la date de consolidation de M. [E] [W] et circonscrire l'ensemble de ses préjudices définitifs,limiter à la somme de 5.000 euros le montant de la provision complémentaire à verser à ce titre par elle,
A titre infiniment subsidiaire
rejeter la demande d'indemnisation de M. [E] [W] au titre des frais divers, des dépenses de santé actuelles et des dépenses de santé futuresfixer l'indemnisation définitive due à M. [E] [W] à hauteur de 28.355 euros décomposée comme suit :- déficit fonctionnel temporaire total : 100 euros,
- déficit fonctionnel temporaire partiel : 23.655 euros,
- souffrances endurées : 4.600 euros,
dire n'y avoir pas lieu, le cas échéant, à la condamnation de l'une ou l'autre des parties sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civiledépens comme de droit.
Pour l’exposé des moyens des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’une demande tendant à « dire », « réserver » ou « prendre acte » ne constitue pas nécessairement une prétention au sens juridique du terme devant être tranchée par le tribunal. Ces demandes ne seront, par conséquent, le cas échéant pas retenues en tant que telles mais seront, le cas échéant, étudiées en leur qualité de moyens des parties.

Sur la non-constitution de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 7]

Il convient de rappeler que, conformément aux dispositions de l’article 472 du Code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur l'existence d'une fin de non-recevoir

En premier lieu, le tribunal s'étonne d'être saisi d'une telle fin de non recevoir qui ne relevait que du juge de la mise en état, mais estime devoir y répondre puisque M. [W] a lui-même conclu sur cette fin.

Ensuite, l'article 122 du Code de procédure civile énonce que “constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.”

En l'espèce, la société MACIF sollicite, à titre principal, que les demandes de M. [E] [W] tendant à la liquidation définitive de son préjudice soient déclarées irrecevables, faute pour la consolidation de son état de santé d'être acquise.

Toutefois, outre que l'assureur ne fonde cette demande sur aucun texte, force est de constater que le moyen soulevé n'est pas de nature à faire obstacle à l'exercice de l'action indemnitaire.

La demande sera, en conséquence, rejetée.

Sur le principe du droit à indemnisation de M. [E] [W]

La loi n°85-577 du 05 juillet 1985 dite « loi Badinter » a instauré un système d’indemnisation des « victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

Il s'ensuit que la loi Badinter n’institue pas un régime de responsabilité mais un régime d’indemnisation basé sur l’implication d’un véhicule terrestre à moteur.

Par ailleurs, aux termes de l'article L.124-3 du Code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L'action directe dont dispose le tiers lésé suppose que soient établis à la fois l'existence de la responsabilité de l'assuré à l'égard de la victime et le montant de la créance d'indemnisation de celle-ci contre l'assuré.

En l’espèce, il est constant que l'accident subi par M. [E] [W] le 23 juillet 2000 a impliqué un véhicule terrestre à moteur, de sorte que cet accident, qui doit dès lors être qualifié d’accident de la circulation, relève de la loi précitée, ce qui n'est pas contesté.

La MACIF ne conteste pas avoir été l'assureur du véhicule impliqué lors de l'accident.

Le principe du droit à indemnisation intégrale de M. [E] [W] n’est pas davantage discuté.

En conséquence, M. [E] [W] a droit à indemnisation intégrale de ses préjudices.

Sur la liquidation des préjudices de M. [E] [W]

Conformément aux dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

A titre liminaire, il convient de rappeler que l'indemnisation a pour objet de replacer la victime autant qu'il est possible dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n'avait pas eu lieu, de sorte qu'il n'en résulte pour elle ni perte ni profit.

En l'espèce, au terme du rapport d'expertise judiciaire du Docteur [P] (pièce n°28 demandeur), il a été conclu que l'accident du 23 juillet 2000 a été à l'origine pour M. [W] d'un traumatisme facial et dentaire responsable de :

la fracture radiculaire de la dent 21, laquelle a dû être extraite dans les suites immédiates de l'accident,l'expulsion de la dent 11 qui, malgré réimplantation le jour-même avec mise en place d'une contention maxillaire, s'est nécrosée et a également dû être extraite,la perte de la dent 12, en raison d'une résorption cervicale externe au collet mésio-palatin de cette dent constaté à distance de l'accident, ayant évolué pendant plusieurs années jusqu'à entraîner, malgré une tentative de conservation par traitement canalaire et reconstitution par inlay-core fin 2012, une fracture et une infection ayant nécessité l'extraction de la dent,la perte future de la dent 22, laquelle a développé, à distance de l'accident, une lésion radio-claire apicale de type LIPOE ainsi qu'une oblitération pulpaire partielle dans la première partie de son canal et était le siège, au jour de l'expertise, d'une résorption externe inflammatoire et d'une lésion infectieuse importante péri-radiculaire avec mobilité ARPA II et poche parodontale profonde en mésial, contre-indiquant sa conservation ;la perte d'une partie de l'os alvéolaire maxillaire, le pré-maxillaire en regard du site des dents 11 et 21 présentant un volume osseux vertical et horizontal amoindri.
Ces conclusions ne sont pas critiquées par les parties, de sorte que l'imputabilité de ces lésions à l'accident du 23 juillet 2000 sera tenue pour acquise.

Quant à l'évaluation du préjudice en découlant pour M. [E] [W], l'expert judiciaire a estimé que « l'état de M. [E] [W] n’est actuellement pas consolidé » et qu' « il pourra l'être à l’issue du traitement complet » décrit par l'expert au sein de son rapport (pages 29, 30 et 32) et consistant en :

le traitement orthodontique d'alignement des incisives mandibulaires 32, 31, 41, 42 dans le plan d'occlusion idéalla dépose des implants en 11 et 21 et la mise en place d'un appareil amovible de quatre dents,la réalisation d'un examen Cone Beam pré-greffe osseuse,la réalisation d'une greffe d’augmentation du volume osseux, verticale et horizontale, avec éventuellement une plastie gingivale au titre d'un approfondissement du vestibule, avec temporisation de 4 à 6 mois fonction de la nature du greffon,la réalisation d'un nouveau Cone beam de planification implantairela pose de deux implants,la pose des piliers et du bridge supra-implantaire « d'usage ».
Néanmoins, M. [E] [W] indique qu'il n'entend pas faire réaliser les préconisations de soins de l'expert auquel il ne peut être contraint et soutient, dans ces conditions, que son état de santé peut être considéré comme étant consolidé depuis le 15 mai 2017, date des derniers soins ayant consisté en la pose d'un implant en position 12 et d'un inlay core sur la dent 12. Il souligne que, las de la très longue procédure relative à cet accident ancien, il souhaite désormais qu'elle puisse être clôturée. Il sollicite, ainsi, à titre principal, la liquidation définitive de ses postes de préjudices pré-consolidation et que les postes de préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux permanents soient réservés.

La MACIF s'oppose à ces demandes, au regard de l'absence de consolidation de l'état de santé de M. [W].

Sur ce, dès lors qu'il appartient au tribunal de garantir, par sa décision, la réparation intégrale du préjudice sans qu’il en résulte pour la victime ni perte ni profit, il ne saurait être procédé à la liquidation définitive du préjudice de M. [E] [W] sur la base de la date de consolidation proposée par ce dernier, alors qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que d'importants soins demeurent à réaliser, étant rappelé que la consolidation de l'état de santé de la victime correspond au moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, ce qui n'est, de toute évidence, pas le cas en l'espèce. Au surplus, il est relevé que les débours définitifs de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 7] n'ont pas été notifiés à M. [W], ainsi qu'il le reconnaît lui-même (cf. conclusions, page 14), de sorte qu'un certain nombre de postes de préjudices ne peut, en tout état de cause, pas être liquidé.

Pour autant, il doit être rappelé que la victime d'un dommage ne saurait aucunement être contrainte à l'obligation de se soumettre à des soins, quand bien même ceux-ci seraient susceptibles d'améliorer son état de santé. Il s'ensuit que le refus d'une victime de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de l'accident dont elle a été victime.

Dès lors, le tribunal, prenant acte du refus de traitements supplémentaires de la victime à ce stade, ne peut, dans ces conditions, ni contraindre M. [W] à réaliser les soins préconisés par l'expert judiciaire en vue de la consolidation, ni ordonner la réalisation d'une nouvelle expertise médicale dont il est établi qu'elle ne serait pas davantage fructueuse, faute d'acquisition de la consolidation, ni conduire, par sa décision, à priver, de facto, M. [W] de son droit à indemnisation.

Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les prétentions subsidiaires du demandeur, la demande de liquidation du préjudice subi des suites de l'accident survenu le 23 juillet 2000, laquelle ne peut aboutir en l'état, sera requalifiée d'office en demande d'indemnité provisionnelle à valoir sur l'indemnisation définitive du préjudice subi par M. [W].

La demande de nouvelle expertise formulée en défense sera, en revanche, rejetée, pour les raisons sus-développées.

Sur l'indemnité provisionnelle

En droit, une provision doit, en fonction des éléments de preuve discutés, correspondre à l’indemnisation provisoire du préjudice telle que pouvant d’ores et déjà être appréhendée sans contestation sérieuse.

En l'espèce, l'indemnité sollicitée en demande à hauteur de 136.400,37 euros et requalifiée d'office en demande d'indemnité provisionnelle, est décomposée par M. [W] comme suit :

- frais divers : 28.713,11 euros :
- frais d'huissier : 121,72 euros,
- provision pour expertise : 1.000 euros,
- frais d'assistance du médecin conseil : 600 euros,
- frais d'assistance de l'avocat : 600 euros,
- assistance par tierce personne temporaire : 26.391,39 euros,
- dépenses de santé actuelles : 18.263,44 euros :
- soins déjà réalisés : 6.053,44 euros,
- soins à réaliser : 12.210 euros,
- dépenses de santé futures : 17.076,82 euros,
- déficit fonctionnel temporaire : 37.347 euros,
- souffrances endurées : 30.000 euros,
-
préjudice esthétique temporaire : 5.000 euros.

La société MACIF s'oppose aux sommes réclamées et sollicite que le montant de la provision complémentaire à verser soit limité à la somme de 5.000 euros.

Sur ce, au terme de son rapport daté du 23 août 2021, le Docteur [P] a retenu que le préjudice corporel de M. [W], tel que résultant de l'accident du 23 juillet 2000, pouvait d'ores et déjà être évalué, a minima, comme suit, s'agissant des postes pré-consolidation (seuls postes pour lesquels indemnisation est chiffrée à ce stade en demande) :

-
le déficit fonctionnel temporaire est :
-
total du 23 au 26 juillet 2000 et le 24 octobre 2000,
- partiel de classe I du 27 juillet 2000 au 23 octobre 2000 et du 25 octobre 2000 jusqu'à la consolidation ;
-
les souffrances endurées ne seront pas inférieures à 3 sur une échelle habituelle de 7 valeurs,
- le préjudice esthétique temporaire est évalué à 0,5 sur une échelle habituelle de 7 valeurs,
- au titre des dépenses de santé actuelles déjà réalisées :
-
une extraction de la dent 21,
- une réimplantation 11 + un arc de contention,
- la dépose arc de contention,
- un appareil amovible 1 dent,
- une extraction 11,
- un appareil amovible de 2 dents,
- un renouvellement appareil 2 dents (230 euros),
- un denta-scan (120 euros),
la pose de 2 implants + 2 piliers + 2 couronnes implanto-portées des dents 11 et 21 (4.400 euros),
- un traitement endodontique de la dent 12,
- l’inlay-core, une couronne provisoire + couronne d’usage de la dent 12 (970 euros),
- une extraction de la dent 12,
- la pose d'un appareil amovible de la dent 12 (300 euros),
-
au titre des dépenses de santé à réaliser : soins listés supra, chiffrés par l'expert entre 8.990 euros et 12.210 euros (page 32 du rapport).

Eu égard à ces éléments du rapport d'expertise judiciaire et en retenant une date purement théorique minimale de consolidation au jour du dépôt du rapport d'expertise judiciaire, soit le 23 août 2021, il n'est pas sérieusement contestable que l'indemnisation du préjudice corporel de M. [E] [W] sera, a minima, évaluée à la somme de 36.486,90 euros, décomposée comme suit :

* Sur le déficit fonctionnel temporaire :

Les troubles dans les conditions d’existence subis jusqu’au 23 août 2021 permettent d'évaluer que le préjudice de M. [E] [W] à ce titre ne sera pas inférieur à la somme de euros, décomposée comme suit, sur la base d’une indemnité de 27 euros par jour :

au titre du DFT total : 100% x 5 jours x 27 euros = 135 euros,au titre du DFT partiel de classe I : 10% x (89 + 7.608) jours x 27 euros = 20.781,90 euros,
soit un total de 20.916,90 euros.

* Sur les souffrances endurées :

En considération des souffrances physiques en relation avec l'accident et ses suites, des différentes chirurgies de ré-implantation et d'extraction (11, 21 et 12), des poses implantaires en 11 et 21, des épisodes infectieux sur les dents 12 et 22, des souffrances morales en ayant découlé, ainsi que de la durée particulièrement longue de la période traumatique, l'indemnisation des souffrances endurées par M. [W] peut être provisoirement évaluée à la somme de 8.000 euros.

* Sur le préjudice esthétique temporaire :

En considération des constatations esthétiques effectuées par l'expert judiciaire (ligne de sourire inversée, manque de soutien labial supérieure dans le plan sagittal, vestibulo-version de 11et 12, dents 11 et 21 non-visibles à l'élocution et au sourire, perte de papille en distale de la 22 – cf. rapport page 26), des photographies annexées aux conclusions en demande (page 21), ainsi que de la durée particulièrement longue de la période traumatique, l'indemnisation du préjudice esthétique de M. [E] [W] ne saurait être inférieure à 1.500 euros.

* Sur les dépenses de santé :

M. [E] [W] justifie de factures et de notes d'honoraires relatives à la réalisation d'examens et de soins en lien avec l'accident du 23 juillet 2000 à hauteur de 5.470 euros (pièces n°32 à 34), étant précisé que la notification provisoire des débours de la CPAM de [Localité 8]-[Localité 7] ne fait état d'aucun remboursement à ces titres (pièce n°37). L'indemnisation de cette somme par la MACIF n'est, dès lors, pas sérieusement contestable.

Quant aux soins encore à réaliser, si l'expert judiciaire les a chiffrés entre 8.990 euros et 12.210 euros et bien que rien ne fasse obligation à M. [W] de procéder effectivement aux soins préconisés, force est de constater que le montant indemnitaire à accorder à ce titre demeure sujet à contestation sérieuse, dès lors qu'aucun élément de nature à justifier du montant de la prise en charge par la sécurité sociale pour ces soins, voire par la complémentaire santé de M. [W], n'est versé aux débats. Aucune somme ne peut, dès lors, en l'état, être allouée à ce titre provisionnellement.

* Sur les frais divers :

M. [W] justifie parfaitement des frais de médecin-conseil qu'il a été contraint de régler à hauteur de 600 euros auprès du Docteur [J] afin d'être assisté dans le cadre des opérations d'expertise judiciaire, frais qui étaient nécessaires à l'appréciation de son préjudice (pièce n°30). L'indemnisation à ce titre par l'assureur n'est, dès lors, pas sérieusement contestable.

En revanche, aucun besoin en assistance par tierce-personne n'ayant été retenu par l'expert judiciaire en lien direct avec l'accident du 23 juillet 2000, l'octroi d'une somme indemnitaire à ce titre est, en l'état, soumise à contestation sérieuse.

Enfin, quant aux demandes relatives aux frais d'huissier, au coût de la consignation dans le cadre de l'expertise judiciaire et aux frais d'assistance de l'avocat à l'expertise, ils seront requalifiées en demandes, respectivement, au titre des dépens et des frais irrépétibles et seront traitées en tant que telles au sein d'un paragraphe dédié ultérieur.

* * *

L'assureur ne justifie pas de ce qu'il aurait déjà versé à la victime, à titre provisionnel, la somme totale de 7.047,75 euros au titre des dépenses de santé, non plus qu'une provision d'un montant de 1.000 euros le 13 octobre 2016, comme il le soutient dans ses conclusions.

En revanche, il est parfaitement établi que M. [E] [W] a déjà perçu de l'assureur une indemnité provisionnelle d'un montant de 3.000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice, suivant ordonnance de référé en date du 12 janvier 2021, de sorte qu'il lui sera accordé une somme provisionnelle complémentaire de 33.486,90 euros (36.486,90 € - 3.000 €).

La capitalisation annuelle des intérêts, de droit lorsqu’elle est sollicitée, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 nouveau du Code civil, sera accordée.

Sur les mesures accessoires

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Il résulte, en outre, des dispositions de l’article 700 du même code que « dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »

En l'espèce, la société MACIF, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de la présente instance, en ce compris le coût de l'assignation, ainsi qu'à prendre en charge le coût de l'expertise judiciaire (montant de la consignation compris). Sa demande au titre des frais irrépétibles sera, en conséquence, rejetée.

A cet égard, en application des articles A.444-32, R.444-3 et R.444-55 du Code de commerce, lorsque l’huissier est mandaté pour une prestation de recouvrement ou d’encaissement sur la base d’un titre exécutoire, le tarif réglementé lui permet de percevoir des émoluments sur les sommes recouvrées ou encaissées, qu’il s’agisse d’un recouvrement partiel ou total de la créance. Cette mise à la charge du créancier de tels frais de recouvrement ne peut être remise en cause par le juge, sauf dans les litiges nés du code de la consommation en application de l’article R.631-4 dudit code.

Le présent litige n’étant pas un litige de consommation, la demande tendant à voir condamner la société MACIF au paiement desdits émoluments sera rejetée, ce d'autant que le tribunal ne peut prononcer une condamnation conditionnelle, dans l'hypothèse d'un recours à l'exécution forcée de la présente décision.

L’équité commande, en revanche, de condamner la société MACIF à payer à M. [E] [W] une somme de 4.000 euros au titre des frais de l'article 700 du Code de procédure civile, ce montant tenant compte des honoraires facturés par son avocat au titre de l'assistance à expertise judiciaire (pièce n°36 demandeur). Il conviendra de déduire de ce montant la somme de 1.000 euros perçue à titre de provision ad litem, conformément à l'ordonnance de référé du 12 janvier 2021.

Enfin, l'assignation ayant été délivrée postérieurement au 1er janvier 2020, date d'entrée en vigueur du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, il convient de rappeler que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire, en application du nouvel article 514 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en premier ressort,

Rejette la demande de la S.A.S. MACIF tendant à voir les demandes de M. [E] [W] déclarées irrecevables ;

Dit que M. [E] [W] a droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice tel qu'issu de l'accident survenu le 23 juillet 2000 ;

Constate l'absence d'acquisition de la consolidation de M. [E] [W] et l'impossibilité de procéder à la liquidation définitive du préjudice corporel de ce dernier tel qu'issu de l'accident du 23 juillet 2000 ;

Dit n'y avoir lieu, en l'état, à nouvelle expertise médicale ;

Condamne la S.A.S. MACIF à payer à M. [E] [W] la somme complémentaire de 34.089,60 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation définitive de son préjudice ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

Condamne la S.A.S. MACIF à payer à M. [E] [W] une somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Dit qu'il convient de déduire de ce montant la somme de 1.000 euros perçue à titre de provision ad litem ;

Condamne la S.A.S. MACIF à supporter les entiers dépens de la présente instance, en ce compris le coût de l'assignation, ainsi qu'à prendre en charge l'entier coût de l'expertise judiciaire ;

Déboute M. [E] [W] de sa demande formulée sur le fondement de l'article A. 444-32 et R.444-55 du code de commerce ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit par provision ;

LE GREFFIER LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/05899
Date de la décision : 27/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-27;22.05899 ?
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