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27/05/2024 | FRANCE | N°22/04005

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 27 mai 2024, 22/04005


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/04005 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WIBJ


JUGEMENT DU 27 MAI 2024

DEMANDEURS :

M. [K] [I]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représenté par Me Pauline COLLETTE, avocat au barreau de LILLE

Mme [F] [V] épouse [I]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Pauline COLLETTE, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

La Caisse régionale d’assurance mutuelle agricole du nord est exerçant sous l’enseigne GROUPAMA NORD EST, prise

en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Emmanuel MASSON, avocat au barreau de LI...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/04005 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WIBJ

JUGEMENT DU 27 MAI 2024

DEMANDEURS :

M. [K] [I]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représenté par Me Pauline COLLETTE, avocat au barreau de LILLE

Mme [F] [V] épouse [I]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Pauline COLLETTE, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

La Caisse régionale d’assurance mutuelle agricole du nord est exerçant sous l’enseigne GROUPAMA NORD EST, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Emmanuel MASSON, avocat au barreau de LILLE

LA CPAM DE [Localité 10] [Localité 11], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS : Vu l’ordonnance de clôture en date du 05 Juillet 2023.

A l’audience publique du 14 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 27 Mai 2024.

Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 27 Mai 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 09 juillet 2016, Monsieur [K] [I] a été victime d'un accident de la circulation survenu à [Localité 10] (Nord). Alors qu'il circulait au guidon de sa motocyclette assurée auprès de la société GARANTIE MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES (ci-après la société GMF), Monsieur [K] [I] a été percuté par un véhicule léger conduit par Mme [H] [L] et assuré auprès de la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DU NORD-EST, exerçant sous l’enseigne GROUPAMA NORD-EST (ci-après ''la CRAMA du Nord-Est'').

Dans les suites de l'accident, Monsieur [K] [I] s'est rendu au service des urgences du centre hospitalier de [Localité 10] où il a été conclu à un traumatisme superficiel sans signes de gravité, ayant seulement été relevé une douleur en regard du sternum avec une ecchymose, une douleur à la palpation des côtes à gauche et une légère douleur à la palpation à l'épaule gauche et au poignet droit.

Néanmoins, des douleurs s'étant installées de manière persistante au niveau de l'épaule gauche, une expertise amiable a été diligentée à l'initiative de la société GMF et confiée au Docteur [S] [O], lequel a conclu, les 03 avril 2017 puis 06 février 2018, à l'absence de consolidation de l'état de santé de Monsieur [I].

Le Docteur [O] a finalement déposé son rapport d'expertise définitif le 04 décembre 2018, fixant la consolidation de l'état de santé de la victime au 05 février 2018 et concluant à la persistance d'un déficit fonctionnel permanent de 8%.

Sur la base de ce rapport, la société GROUPAMA a, par courrier daté du 19 juin 2019, adressé à Monsieur [K] [I], une première offre d'indemnisation définitive à hauteur de 21.558 euros, soit après déduction des provisions déjà versées, la somme de 19.058 euros.

Néanmoins, Monsieur [K] [I] a sollicité et obtenu du juge des référés de Lille, suivant ordonnance en date du 17 novembre 2020, l'organisation d'une expertise médicale confiée au Docteur [W] [D] et l'allocation d'une somme de 1.000 euros à titre d'indemnité provisionnelle, outre une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 12 avril 2021 et a, pour sa part, fixé la date de consolidation de l'état de Monsieur [K] [I] au 08 [Date naissance 9] 2018 et conclu à la persistance d'un déficit fonctionnel permanent de 17%.

Sur la base de ce rapport, la société GROUPAMA a, par courrier daté du 06 septembre 2021, adressé à Monsieur [K] [I] une nouvelle offre d'indemnisation définitive à hauteur de 68.517,37 euros, soit après déduction des provisions déjà versées, la somme de 56.017,37 euros.

Néanmoins, aucun accord d'indemnisation amiable n'ayant été trouvé entre les parties, Monsieur [K] [I] et Mme [F] [V] épouse [I] ont, par actes d'huissier de justice en date des 16 et 20 juin 2022, fait assigner la CRAMA du Nord-Est et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (ci-après ''la CPAM'') de Roubaix-[Localité 11] devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

La CRAMA du Nord Est a constitué avocat le 05 juillet 2022.

La CPAM de [Localité 10]-[Localité 11] n'a, en revanche, pas constitué avocat.

La clôture des débats est intervenue le 05 juillet 2023, suivant ordonnance du même jour, et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 14 mars 2023.

Le tribunal a sollicité, en cours de délibéré, la communication contradictoire des débours définitifs de la CPAM de [Localité 10]-[Localité 11], ce qui a été fait.

* * *

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 31 mai 2023, les époux [I] demandent au tribunal, au visa de la loi du 05 juillet 1985, de l'article L.211-1 du Code des assurances et de l'article 700 du Code de procédure civile, de :

les déclarer recevable et bien fondés en leur actiondéclarer la CRAMA du Nord-Est responsable des préjudices subis par Monsieur [K] [I]condamner la CRAMA du Nord-Est à lui verser la somme de 325.407,87 euros en réparation de ses entiers préjudices, en deniers et quittances, et répartis comme suit :- déficit fonctionnel temporaire : 4.537,50 euros,
- assistance par tierce personne temporaire : 5.888 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 2.000 euros,
- souffrances endurées : 4.000 euros,
- perte de gains professionnels actuelle : 10.442,37 euros,
- déficit fonctionnel permanent : 43.520 euros,
- préjudice d'agrément : 6.528 euros,
- préjudice sexuel : 5.000 euros,
- incidence professionnelle: 132.704 euros,
- assistance par tierce personne permanente: 110.788 euros,
condamner la CRAMA du Nord-Est à verser à Mme [F] [I] la somme de 20.000 euros en réparation de ses préjudices répartis comme suit :- préjudice d'affection : 10.000 euros,
- troubles dans les conditions d'existence : 10.000 euros,
condamner la CRAMA du Nord-Est à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les frais et entiers dépens de la présente instance et celle de référé,condamner la CRAMA du Nord-Est au paiement des éventuels émoluments dus en vertu de l'article A444-32 du Code de commerce en cas d'exécution forcée.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 mai 2023, la CRAMA du Nord-Est demande au tribunal, au visa de la loi du 05 juillet 1985 et de l'article 700 du Code de procédure civile, de :

limiter l'indemnisation des préjudices de Monsieur [K] [I] aux sommes suivantes :- assistance par tierce personne temporaire : 3.975 euros,
- perte de gains professionnels actuelle : 10.442,37 euros (accord),
- déficit fonctionnel temporaire : 3.800 euros,
- souffrances endurées : 3.500 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 1.000 euros,
- incidence professionnelle : débouté ; à titre subsidiaire : 2.500 euros,
- déficit fonctionnel permanent : 42.500 euros,
- préjudice sexuel : 1.500 euros,
- préjudice d'agrément : 2.500 euros,
en conséquence, débouter Monsieur [K] [I] de ses demandes plus amples ou contraires,débouter Mme [F] [V] épouse [I] de ses demandes fins et conclusions,
débouter les consorts [I] du surplus de leurs demandes, en ce compris la demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens ; à titre subsidiaire, la réduire à de plus justes proportions.
Pour l’exposé des moyens des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la non-constitution de la CPAM de [Localité 10]-[Localité 11]

Il convient de rappeler que, conformément aux dispositions de l’article 472 du Code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur le principe du droit à indemnisation de Monsieur [K] [I]

La loi n°85-577 du 05 juillet 1985 dite ''loi Badinter'' a instauré un système d’indemnisation des « victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».

Il s'ensuit que la loi Badinter n’institue pas un régime de responsabilité mais un régime d’indemnisation basé sur l’implication d’un véhicule terrestre à moteur.

Par ailleurs, aux termes de l'article L.124-3 du Code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L'action directe dont dispose le tiers lésé suppose que soient établis à la fois l'existence de la responsabilité de l'assuré à l'égard de la victime et le montant de la créance d'indemnisation de celle-ci contre l'assuré.

En l’espèce, il est constant que l'accident subi par Monsieur [K] [I] le 09 juillet 2016 a impliqué deux véhicules terrestres à moteur, le sien et celui conduit par Mme [H] [L], de sorte que cet accident, qui doit dès lors être qualifié d’accident de la circulation, relève de la loi précitée, ce qui n'est pas contesté.

Le principe du droit à indemnisation intégrale de Monsieur [K] [I] n’est pas davantage discuté.

En conséquence, Monsieur [K] [I] a droit à indemnisation intégrale de ses préjudices.

La CRAMA du Nord-Est, qui ne conteste pas être l'assureur du véhicule impliqué, sera ainsi tenue d'indemniser intégralement les préjudices de Monsieur [K] [I].

Sur l’indemnisation des préjudices de Monsieur [K] [I]

Conformément aux dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

A titre liminaire, il convient de rappeler que l'indemnisation a pour objet de replacer la victime autant qu'il est possible dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n'avait pas eu lieu, de sorte qu'il n'en résulte pour elle ni perte ni profit.

En l'espèce, la date de consolidation médico-légale retenue par l'expert judiciaire, soit le 08 [Date naissance 9] 2018, qui ne fait l'objet d'aucune contestation, sera entérinée. Il est précisé qu'à cette date, Monsieur [K] [I] était âgé de 30 ans.

Sur la créance de la CPAM de [Localité 10]-[Localité 11]

Sur ce, les débours définitifs de la C.P.A.M. de [Localité 10]-[Localité 11] s’élèvent, pour mémoire, à la somme totale de 4.389,83 euros, selon notification définitive datée du 08 mars 2017 (pièce communiquée contradictoirement en cours de délibéré, sur sollicitation du président).

Ils se décomposent comme suit :

- frais médicaux : 621,29 €,
- frais pharmaceutiques : 20,70 €,
- frais d'appareillage : 15,24 €,
- indemnités journalières : 3.732,60 €.

Ces débours ne font pas état du versement à Monsieur [I] d'une rente ou d'une pension d'invalidité.

Sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires

Le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle, le temps d’hospitalisation, les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, ainsi que le préjudice temporaire d’agrément et, éventuellement, le préjudice sexuel temporaire.

En l'espèce, le Docteur [D] retient que le déficit fonctionnel temporaire subi par Monsieur [I] a été :

total du 09 au 10 juillet 2016,partiel de 50% du 11 juillet 2016 au 1er septembre 2016,partiel de 25% du 02 septembre 2016 au 08 [Date naissance 9] 2018.
Ni les périodes retenues ni les taux d'incapacité ne sont contestés par les parties.

Il est, par ailleurs, à relever que l'expert judiciaire a retenu l'existence d'un préjudice d'agrément temporaire et d'un préjudice sexuel temporaire, du fait de ses douleurs d'épaule gauche.

Monsieur [K] [I] évalue ce chef de préjudice, sur la base d'une indemnité journalière d'un montant à taux plein de 30 euros, à la somme de 4.537,50 euros.

Le défendeur propose, pour sa part, de lui verser une somme totale de 3.800 euros, sur la base d’une indemnité journalière d'un montant à taux plein de 25 euros.

Sur ce, eu égard aux éléments du rapport d'expertise, les troubles dans les conditions d’existence subis jusqu’à la consolidation par Monsieur [I] permettent d'évaluer le préjudice de ce dernier comme suit, sur la base d’une indemnité de 27 euros par jour :
au titre du DFT total : 100% x 2 jours x 27 euros = 54 euros,au titre du DFT partiel de 50% : 50% x 53 jours x 27 euros = 715,50 euros,au titre du DFT partiel de 25% : 25% x 494 jours x 27 euros = 3.334,50 euros,
soit un total de 4.104 euros.

En conséquence, il sera alloué à Monsieur [K] [I] au titre du déficit fonctionnel temporaire la somme de :
4.104 euros.

Les souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, jusqu'à sa consolidation.

En l'espèce, l'expert judiciaire a chiffré à 2 sur une échelle habituelle de 7 les souffrances endurées par Monsieur [I], en considération du traumatisme de l'épaule gauche, de l'algodystrophie en résultant, ainsi que du retentissement psychologique de l'accident.

Cette évaluation n'est pas contestée par les parties, ces dernières étant exclusivement en désaccord sur le montant de l'indemnisation, soit 4.000 euros réclamés par Monsieur [I] contre 3.500 euros offerts par la CRAMA du Nord Est.

Il convient, également de tenir compte de la nécessité dans laquelle s'est trouvé Monsieur [I] de suivre un traitement anti-inflammatoire et antalgique, de réaliser de nombreux examens (plusieurs scintigraphies, échographies et IRM, notamment) ainsi que de bénéficier de nombreuses séances de kinésithérapie.

En considération de ces éléments et de la durée de la période pré-consolidation, il sera alloué à la victime, au titre des souffrances endurées, la somme de :
4.000 euros.

Le préjudice esthétique temporaire

Il s’agit de réparer l’altération physique subie jusqu’à la date de consolidation.

Sont considérés comme faisant partie du préjudice esthétique temporaire, l’apparence générale après les faits, les hématomes, les paralysies, cicatrices, plaies, brûlures et lésions cutanées, les troubles de la voix, de l’élocution, le port d’un fixateur externe, l'utilisation d'un fauteuil roulant, de béquilles, le port d'un plâtre, l'existence d'une boiterie, etc...

En l’espèce, l'expert judiciaire a évalué ce poste de préjudice à 1 sur échelle habituelle de 7 valeurs, en considération de son immobilisation par attelle [C].

Monsieur [I] sollicite, à ce titre, la somme de 2.000 euros.

La CRAMA du Nord Est offre, quant à elle, de lui verser la somme de 1.000 euros, estimant que les aides techniques ne sont pas constitutives d'un préjudice esthétique temporaire et soulignant, en tout état de cause, la durée limitée de l'immobilisation par [C].

Toutefois, ainsi que rappelé à titre liminaire, le port d'une attelle, qui modifie incontestablement l'apparence physique de la victime, doit être pris en compte pour l'évaluation du préjudice esthétique temporaire.

Par ailleurs, outre le port de cette attelle, il y a lieu de relever que Monsieur [I] a présenté (et présente d'ailleurs toujours) une limitation des amplitudes articulaires de l'épaule gauche (notamment en élévation antérieure et en abduction), ainsi qu'une légère ptose du moignon de cette même épaule, constatée par l'expert et nécessairement visibles a minima de l'entourage proche de la victime.

Dès lors, compte tenu de l'ensemble de ces éléments et de la durée de la période pré-consolidation, il convient de lui allouer, au titre du préjudice esthétique temporaire, la somme de :
1.500 euros.

Sur les préjudices extra-patrimoniaux permanents

Le déficit fonctionnel permanent

Il s’agit du préjudice résultant de la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime que ce soient les atteintes à ses fonctions physiologiques ou la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d'existence quotidiennes. Ce poste de préjudice doit réparer la perte d’autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.

En l'espèce, l'expert judiciaire conclut à l'existence d'un déficit fonctionnel permanent qu'il évalue à 17% en raison des séquelles douloureuses de l'épaule gauche et de la persistance d'une raideur, conséquences de l'algodystrophie, mais également du retentissement psychologique avec réminiscences et peur de repasser sur les lieux de l'accident.

Sur la base de ces conclusions, Monsieur [I] sollicite une somme de 43.520 euros, tandis que la CRAMA du Nord Est sollicite que l'indemnisation de ce poste soit limitée à la somme de 42.500 euros.

Né le [Date naissance 1] 1987, Monsieur [I] était âgé de 30 ans à la date de la consolidation.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la somme réclamée n'est pas excessive, de sorte qu'il sera alloué à Monsieur [I], au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme de :
43.520 euros.

Le préjudice d’agrément

Ce poste vise à réparer le préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs (ludiques ou culturelles), suffisamment spécifique pour ne pas avoir déjà été indemnisée au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel répare déjà les atteintes aux joies usuelles de la vie quotidienne incluant les loisirs communs.

De jurisprudence constante, ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure, de sorte que la ''simple'' limitation d'une pratique sportive ou de loisirs antérieure constitue un préjudice d'agrément indemnisable.
En l'espèce, Monsieur [I] sollicite, en réparation de ce poste de préjudice, le versement d'une somme de 6.528 euros correspondant à 15% de la somme qu'il réclame au titre du déficit fonctionnel permanent, faisant valoir qu'avant l'accident, il pratiquait notamment le vélo, ce qu'il ne peut plus faire en raison de ses douleurs. Il rajoute qu'eu égard au retentissement psychologique des faits et aux douleurs qui subsistent au niveau de l'épaule gauche, il a également été contraint d'arrêter de circuler en moto et a dû vendre sa moto KTM, alors que cette pratique était sa passion.

La CRAMA du Nord Est ne conteste pas l'existence de ce poste de préjudice en l'espèce, mais sollicite que son indemnisation soit limitée à la somme de 2.500 euros. Il rappelle qu'à travers ce poste de préjudice, il ne s'agit pas d'indemniser les simples désagréments de la vie quotidienne, lesquels sont déjà indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent. Il rajoute qu'il appartient à la victime de justifier des activités sportives ou de loisir spécifiques qu'elle exerçait antérieurement ainsi que de leur régularité. Or, il estime que Monsieur [I] n'apporte que peu d'éléments pour justifier de l'existence et surtout du quantum de son préjudice.

Sur ce, si l'expert judiciaire confirme, dans son rapport, l'existence d'un préjudice d'agrément en lien avec la pratique du vélo, compte tenu d'un appui sur le guidon douloureux, force est, cependant, de constater que le demandeur ne verse aux débats aucune attestation de son entourage ni aucun autre élément de nature à rapporter la preuve de la pratique régulière, avant l'accident, du vélo, ce qui aurait permis de conclure à l'existence, à ce titre, d'une activité sportive et de loisir spécifique dépassant les simples loisirs communs constituant les joies usuelles de la vie quotidienne, lesquels sont déjà indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent.

En revanche, Monsieur [I] justifie avoir été contraint de céder sa moto KTM le 27 avril 2022 et sa sœur et son cousin confirment que la pratique de cette activité, qui était une passion pour lui, lui générait des douleurs, outre que le traumatisme de l'accident demeurait présent. Monsieur [Y] [Z] précise que, depuis, Monsieur [I] « ressasse souvent » l'impossibilité de pratiquer cette activité (pièces n°25, 26, 42 et 43).

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de lui allouer au titre du préjudice d'agrément, la somme de :
5.000 euros.

Le préjudice sexuel

Il s’agit de l’ensemble des préjudices touchant à la sphère sexuelle :

- le préjudice morphologique, lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;
- le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;
- le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer.

En l'espèce, l'expert judiciaire a admis l'existence d'un préjudice sexuel, relevant que, du fait de la faiblesse en appui sur son membre supérieure gauche, les rapports sexuels lui sont plus compliqués en fonction des positions, ce qui doit s'analyser en préjudice lié à l'acte sexuel lui-même (d'ordre, notamment, positionnel). Cet état de fait est confirmé par son épouse (pièce n°23).

Monsieur [I] sollicite à ce titre l'allocation d'une somme de 5.000 euros, soulignant son jeune âge.

La CRAMA du Nord Est propose, pour sa part, de lui verser la somme de 1.500 euros.

Compte tenu des éléments développés par l'expert, il sera alloué à Monsieur [I], au titre du préjudice sexuel, une somme de :
3.000 euros.

Sur les préjudices patrimoniaux temporaires

L’assistance par tierce personne temporaire

Il s’agit des dépenses liées à l’emploi de tiers pour une activité que la victime ne peut effectuer seule durant cette période temporaire, tels les frais de garde d’enfants, les soins ménagers, ou encore pour les besoins de la vie courante. A ce titre, il est constant que l’indemnisation s’effectue sur la base de factures produites, sauf en cas d’entraide familiale.

En l'espèce, l'expert judiciaire a retenu un besoin en tierce personne temporaire à hauteur de :

- 1h par jour durant la période à 50% de DFT (soit pendant 53 jours), pour les besoins de l'habillage, parfois de toilette et shampoing et le ménage,
- 3h par semaine durant la période à 25% de DFT (soit pendant 494 jours et non 552), pour les mêmes usages, mais de moins en moins fréquemment.

Cette évaluation n'est pas contestée par les parties.

Monsieur [I] sollicite, de ce chef, une somme totale de 5.888 euros, sur la base d’un taux horaire de 20 €, tandis que la CRAMA du Nord Est propose, pour sa part, de lui verser la somme totale de 3.975 euros, sur la base d'un taux horaire de 15 €.

Sur ce, s'agissant d'une aide non-spécialisée et étant rappelé que l’indemnité allouée au titre de l’assistance par tierce-personne ne saurait être réduite en cas d’assistance par un proche de la victime (tel que cela a manifestement été le cas en l'espèce), l'indemnité horaire de 20 euros sollicitée n’apparaît pas excessive.

Dès lors, le préjudice subi par Monsieur [I] à ce titre peut être évalué comme suit :

- 1h x 53 jours x 20 € = 1.060 €,
- 3h x (494 jours / 7) = 4.234,29 €,

soit la somme de 5.294,29 euros, à laquelle il convient de rajouter 10% afin de tenir compte des jours fériés et congés payés, soit la somme totale de 5.823,72 euros.

En conséquence, eu égard à l'ensemble de ces éléments, il convient de lui allouer, au titre de l'assistance tierce personne temporaire, la somme totale de :
5.823,72 euros.

Les pertes de gains professionnels actuels

Il s’agit du préjudice patrimonial temporaire subi par la victime du fait de l’accident, c’est à dire des pertes de revenus éprouvées par cette victime du fait de son dommage jusqu’à la date de consolidation.

En l'espèce, aux termes de leurs conclusions récapitulatives respectives, les parties s'accordent à voir verser à Monsieur [I] la somme de 10.442,37 euros en réparation de ce poste de préjudice.

Il en sera donné acte, de sorte qu'il sera alloué à Monsieur [I], au titre de la perte de gains professionnels actuels, la somme de :
10.442,37 euros.

Sur les préjudices patrimoniaux permanents

L’assistance par tierce personne permanente

Il s’agit d’indemniser la victime du coût lié l’embauche d’une tierce personne l’assistant dans les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne. Ces dépenses visent à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d’une tierce personne à ses côtés pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie.

En l'espèce, au terme de son rapport définitif, le Docteur [D] a conclu à l'absence de besoin en assistance par tierce-personne à titre viager.

Monsieur [I] conteste, toutefois, vivement cette conclusion, faisant valoir que son épouse l'aide encore dans les actes de la vie quotidienne, notamment pour l'habillage, les courses qu'il ne peut plus porter du bras gauche, ou encore pour s'occuper de leurs filles âgées de 8 et 2 ans. Il fait observer qu'il existe une incohérence à retenir, tantôt dans le cadre d'un déficit fonctionnel temporaire de 25% un besoin en assistance par tierce-personne de 3 heures par semaine et tantôt l'absence de besoin à ce titre dans le cadre d'un déficit fonctionnel permanent de 17%. Il estime, ainsi, son besoin à 1,5 heures par semaine et en sollicite indemnisation à titre viager par l'octroi d'un capital, sur la base d'un coût horaire de 20 euros, soit la somme totale réclamée au titre de l'assistance par tierce-personne permanente de 325.407,87 euros.

La CRAMA du Nord Est conclut, pour sa part, au rejet de la demande, en considération des conclusions expertales. Il souligne que Monsieur [I] n'aurait pas entrepris et poursuivi une nouvelle formation aboutissant à l'exercice d'un travail manuel (peintre en carrosserie) s'il n'était pas en mesure de réaliser seul les gestes de la vie quotidienne. Il fait, en outre, observer que le taux de déficit fonctionnel permanent de 17% dont le demandeur se prévaut ne relève pas uniquement des séquelles douloureuses à l'épaule gauche, mais également d'un retentissement psychologique avec peur de repasser sur les lieux de l'accident.

Sur ce, il ressort du rapport d'expertise que le Docteur [D], faisant suite à un dire du conseil du demandeur, a de nouveau interrogé Monsieur [I] sur son besoin en assistance par tierce-personne. Il n'a, toutefois, pas estimé opportun de modifier ses conclusions initiales quant à l'absence d'un tel besoin, Monsieur [I] lui ayant déclaré avoir besoin de l'aide de son épouse uniquement pour enfiler de gros manteaux d'hiver et lorsqu'il réalise des activités de bricolage les bras en hauteur, ce que l'expert a estimé n'être que « très épisodique ».

Néanmoins, un besoin, quand bien même il serait très résiduel, n'en demeure pas moins existant.

L'entourage de Monsieur [I] confirme la persistance d'un besoin en assistance par tierce-personne pour « les tâches de bricolage simple nécessitant le port de charge ou la pose de matériel situé en hauteur » et indique que le couple a été, du fait des séquelles de Monsieur [I], en difficulté pendant ses déménagements (pièces n°41 et 43 notamment).

Dans ces conditions, il sera retenu un besoin en assistance par tierce-personne permanent, lequel sera évalué, en l'absence d'autres éléments permettant une analyse plus fine, à une heure par mois.

S'agissant d'une assistance non-spécialisée et étant rappelé que l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce-personne ne saurait être réduite en cas d'assistance par un proche de la victime, la même base horaire de 20 euros sera retenue.

Dès lors, les besoins permanents en tierce-personne de Monsieur [I] doivent s'évaluer comme suit :

* L’assistance tierce personne échue

Entre le lendemain de la date de consolidation (09 [Date naissance 9] 2018) et le jour où il est statué (27 mai 2024 inclus), l’assistance par tierce-personne s’élève à :

- (2331 jours / 30,5) x 1 h x 20 € = 1.528,52 €,

soit, après application d'une majoration de 10% pour tenir compte des congés payés et jours fériés, la somme de 1.681,37 euros.

* L’assistance tierce personne à échoir

Étant précisé que les parties s'accordent sur le principe d'une indemnisation en capital, le coût de l'assistance tierce-personne à échoir sera évalué comme suit :

Coût annuel de l'assistance tierce-personne : 1 h x 20 € x 12 mois = 240 euros.

Capitalisation : 240 € x 43.246 (euro de rente viager pour un homme de 37 ans au jour où il est statué) = 10.379,04 euros.

En conséquence, la CRAMA du Nord Est sera condamnée à verser à Monsieur [I], au titre des frais d'assistance tierce-personne post-consolidation, la somme totale de :
12.060,41 euros.

L’incidence professionnelle

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap.

Ce poste de préjudice recèle également des pertes de chance, étant rappelé que la perte de chance existe et présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable sérieuse.

Pour évaluer ce poste de préjudice, il convient de prendre en compte la catégorie d’emploi exercée (manuel, sédentaire, fonctionnaire etc.), la nature et l’ampleur de l’incidence (interdiction de port de charge, station debout prohibée, difficultés de déplacement, pénibilité, fatigabilité etc.), des perspectives professionnelles et de l’âge de la victime (durée de l’incidence professionnelle).

En l'espèce, Monsieur [I] fait valoir qu'alors qu'il exerçait la profession de technicien
dépanneur chez KILOUTOU à temps plein, avec opportunités professionnelles lui permettant une évolution de carrière, son état de santé des suites de l'accident l'a contraint à changer de voie, ayant dans un premier temps été reclassé sur un poste administratif dans lequel il ne s'épanouissait pas, de sorte qu'il a dû quitter l'entreprise et se réorienter vers une formation au métier de peintre en carrosserie, métier qu'il a néanmoins dû également abandonner pour des raisons, cette fois, indépendantes de l'accident (apparition de symptômes liés à une exposition aux vapeurs des solvants). Il précise que, depuis le 1er août 2022, il effectue des missions en qualité d'intérimaire pour la société LILIBO NETTOYAGE (pièces n°37, 38, 39 et 46), de sorte que, en plus d'occuper un poste étranger à sa formation initiale et à sa qualification professionnelle, il a connu une rétrogradation puisqu'il est désormais employé en qualité d'agent de nettoyage.

Il sollicite, à ce titre, l'octroi d'une somme de 132.704 euros.

La CRAMA du Nord Est conclut, à titre principal, au rejet de la demande et, à titre subsidiaire, à la limitation de l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 2.500 euros.

Elle souligne que l'expert judiciaire n'a pas jugé que l'état de l'épaule de Monsieur [I] pouvait être un frein à sa nouvelle formation de peintre en carrosserie, de sorte que si le principe d'une incidence professionnelle a été retenue par le Docteur [D], celle-ci apparaît nécessairement limitée au regard de la nouvelle formation de Monsieur [I]. Par ailleurs, elle note que Monsieur [I] avait bénéficié, dans son entreprise, d'un reclassement à un poste administratif, ce qui ne constitue pas une dévalorisation sur le marché du travail. Quant au fait que ce nouveau poste ne lui ait pas convenu, cela demeure sans incidence. Enfin, elle note que le Docteur [D] n'a constaté aucune fatigabilité accrue ou pénibilité au travail.

Sur ce, ayant repris l'historique professionnel de la victime, l'expert judiciaire a, en effet, conclu, au terme de son rapport, à l'existence d'une incidence professionnelle.

Il est constant que c'est en raison de l'accident et des séquelles en ayant résulté (faiblesse et limitation de fonction de son épaule gauche, avec douleurs), que Monsieur [I], qui exerçait le métier manuel de technicien réparateur, a été contraint d'être reclassé à un poste administratif, ce qui caractérise indéniablement une réorientation professionnelle imputable de manière directe et certaine à l'accident.

Si Monsieur [I] ne s'est pas épanoui dans ce nouveau poste qui ne correspondait ni à sa formation initiale ni à son expérience professionnelle, il doit être rappelé que la victime n'est aucunement tenue d'agir en sorte de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable.

Il doit, en outre, être fait le constat qu'à ce jour, Monsieur [I] ne dispose plus d'un emploi en contrat à durée indéterminée à temps plein, mais effectue des missions d'intérim dans un domaine éloigné de celui qui était le sien avant l'accident.

Il subit, en tout état de cause, une dévalorisation sur le marché du travail liée aux séquelles qu'il présente au niveau de son épaule et qui réduisent ses possibilités d'emploi en raison de capacités physiques amoindries, situation au demeurant reconnue par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), laquelle lui a reconnu la qualité de travailleur handicapé depuis novembre 2020 (pièce n°12).

L'existence d'une incidence professionnelle est, dès lors, pleinement établie.

Quant à la méthode d'évaluation de ce poste de préjudice, il convient de rappeler que l'incidence professionnelle ne doit pas se confondre avec le poste de pertes de gains professionnels futurs, de sorte que la solution proposée par le demandeur tendant à évaluer son incidence professionnelle en multipliant son taux de déficit fonctionnel permanent par le salaire de référence qui était le sien avant l'accident (et dont, il n'est, au demeurant, pas justifié) puis à le capitaliser en viager, n'apparaît pas pertinente, ce d'autant qu'elle ne permet pas une prise en compte des incidences extra-patrimoniales du dommage touchant à la sphère professionnelle.

Dès lors, en considération de l'ensemble des éléments pré-développés, l'incidence professionnelle de Monsieur [K] [I] sera justement indemnisée par l'octroi d'une somme de :
50.000 euros.

* * *

Les sommes allouées à la victime seront versées sous déduction des provisions déjà versées par la CRAMA du Nord Est, dont cette dernière devra justifier.

Sur l'indemnisation des victimes par ricochet

Sur le préjudice d'affection

Le préjudice d'affection indemnise le préjudice moral subi par certains proches, parents ou non, mais justifiant d’un lien affectif réel, au contact de la souffrance de la victime directe. Il convient d’inclure à ce titre le retentissement pathologique objectivé que la perception du handicap de la victime a pu entraîner chez certains proches.

Il doit être indemnisé même s’il n’a pas un caractère exceptionnel. Son montant est fixé en fonction de l’importance du dommage corporel de la victime directe et sa réparation implique l’existence d’une relation affective réelle avec le blessé.

En l'espèce, Madame [F] [I] sollicite la somme de 10.000 euros en réparation de ce poste de préjudice, faisant valoir que, depuis l'accident, elle a été témoin des souffrances endurées par son époux, évaluées par l'expert judiciaire à 2 sur une échelle de 7 valeurs, et a dû l'accompagner et le soutenir. Elle souligne la fatigue physique et psychologique qui en est découlé pour elle et verse, à cet égard, deux attestations de proches (pièces n°40 et 42).

La CRAMA du Nord Est conclut au rejet de cette demande, estimant qu'il n'est justifié ni de l'existence ni du quantum du préjudice allégué.

Il est, toutefois, suffisamment établi par les éléments versés à la cause, et notamment par les attestations, que Madame [I] a subi un préjudice moral particulier en voyant son époux souffrir, ne pas être en mesure d'effectuer un certain nombre de gestes de la vie quotidienne, alors que le couple avait de surcroît déjà la charge d'un enfant en bas âge ([B], née en [Date naissance 9] 2014 – pièce n°18) et devoir faire le deuil de sa vie d'avant, tant du point de vue professionnel que de sa passion pour la moto.

Il convient, dès lors, d'allouer à cette dernière la somme de 3.000 euros au titre de ce poste de préjudice.

Sur les troubles dans les conditions d'existence

Il s’agit d’indemniser les troubles dans les conditions d’existence dont sont victimes les proches justifiant d’une communauté de vie effective et affective avec la victime directe.

L’évaluation de ce préjudice est nécessairement très personnalisée et spécifique. On indemnisera notamment à ce titre le préjudice sexuel du conjoint (ou concubin) consécutif au handicap subi par la victime pendant la maladie traumatique et après sa consolidation.

En l'espèce, Madame [F] [I] fait tout d'abord valoir le retentissement sexuel qu'a pour elle l'accident, rappelant que l'expert a retenu un préjudice sexuel ''positionnel'' pour son conjoint, du fait de douleurs à l'épaule dans certaines positions, impactant ainsi grandement leur intimité.

Elle expose, en outre, avoir connu un changement important dans ses conditions d'existence du fait du handicap présenté par son époux, ayant été contrainte de se réorganiser pour le conduire à l’ensemble de ses rendez-vous extérieurs, de prendre en main la gestion administrative en lien avec leur assurance dans les premiers mois, puis d'assurer la coordination des soins et la prise de rendez-vous pour son époux.

Surtout, elle souligne que le mode de vie de la famille a été complètement bouleversé, notamment en raison de l'incertitude de l'avenir professionnel de son époux, à l'origine d'une inquiétude partagée. Elle rappelle que le reclassement dont Monsieur [I] a bénéficié dans un premier temps avait engendré une mutation professionnelle à [Localité 7], les contraignant à un déménagement dans le Sud de la France. Par ailleurs, la situation de précarité que présente le contrat intérimaire de son époux et la hausse du coût de la vie ont nécessité leur déménagement au sein d'un logement social en [Date naissance 9] 2023. Enfin, elle rajoute que, depuis l'accident, son mari ne peut plus s'occuper de ses filles comme il l'aurait souhaité, en raison de l'impossibilité de les porter, de leur donner le bain et de participer à certaines activités en famille (comme le vélo).

Elle sollicite, à ce titre une indemnité d'un montant de 20.000 euros.

La CRAMA du Nord Est conclut au rejet de la demande, faisant valoir que l'attestation de la demanderesse elle-même, non plus que celles des proches du couple ne sauraient avoir de valeur probante au regard de leur « subjectivité évidente ».

Sur ce, les attestations particulièrement circonstanciées des proches de Monsieur et Madame [I], lesquels sont, par nature, les mieux placés pour témoigner de leur situation, attestent du bouleversement causé par l'accident à la dynamique et à l'organisation familiale, ainsi qu'au budget du couple (pièces n°40, 42, notamment).

Par ailleurs, s'il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas, au travers de ce poste de préjudice, d'indemniser l'assistance tierce-personne prodiguée par le proche de la victime directe, poste au demeurant déjà indemnisé par l'octroi d'une indemnité auprès de cette dernière, il peut, néanmoins, être tenu compte, comme soulevé par la demanderesse, d'une charge mentale particulière relative au fait d'avoir dû prendre le relai de son époux pour organiser le quotidien et assurer les démarches administratives. Leurs proches témoignent, à cet égard, de l'investissement accru de Madame [F] [I] face à la situation de son époux, ainsi que de l'épuisement physique et psychologique singulier qui en a résulté pour elle au cours des années ayant suivi l'accident.

Enfin, l'expert judiciaire ayant reconnu l'existence, pour Monsieur [I], d'un préjudice sexuel positionnel, il est indéniable que ce préjudice a impacté le couple en son entier.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les troubles dans les conditions d'existence subis par Madame [F] [I] seront indemnisés par l'octroi d'une somme qu'il convient d'évaluer à :

7.000 euros.

Sur les mesures accessoires

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Il résulte, en outre, des dispositions de l’article 700 du même code que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

En l'espèce, la CRAMA du Nord Est, qui succombe, sera condamnée à supporter les dépens de la présente instance, ainsi que ceux de l'instance en référé, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire.

A cet égard, en application des articles A.444-32, R.444-3 et R.444-55 du Code de commerce, lorsque l’huissier est mandaté pour une prestation de recouvrement ou d’encaissement sur la base d’un titre exécutoire, le tarif réglementé lui permet de percevoir des émoluments sur les sommes recouvrées ou encaissées, qu’il s’agisse d’un recouvrement partiel ou total de la créance. Cette mise à la charge du créancier de tels frais de recouvrement ne peut être remise en cause par le juge, sauf dans les litiges nés du code de la consommation en application de l’article R.631-4 dudit code.

Le présent litige n’étant pas un litige de consommation, la demande tendant à voir condamner la CRAMA du Nord Est au paiement desdits émoluments sera rejetée, ce d'autant que le tribunal ne peut prononcer une condamnation conditionnelle, dans l'hypothèse d'un recours à l'exécution forcée de la décision à intervenir.

Enfin, l’équité commande qu’il soit fait application des dispositions de l’article précité au profit de Monsieur et Madame [I] qui ont été contraints d’exposer des frais irrépétibles non-compris dans les dépens de l'instance pour faire valoir leurs droits en Justice.

Il leur sera accordé, à ce titre, la somme de 4.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et susceptible d’appel,

Fixe la créance définitive de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 10]-[Localité 11] à la somme de 4.389,83 euros ;

Condamne la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DU NORD-EST, exerçant sous l’enseigne GROUPAMA NORD-EST à payer à Monsieur [K] [I] les sommes suivantes en réparation du préjudice résultant de l'accident survenu le 09 juillet 2016 à [Localité 10] :

- 5.823,72 euros au titre de l'assistance par tierce-personne temporaire,
- 10.442,37 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels,
- 12.060,41 euros au titre de l'assistance par tierce-personne permanente,
- 50.000 euros au titre de l'incidence professionnelle,
- 4.104 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 4.000 euros au titre des souffrances endurées,
- 1.500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
- 43.520 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
- 5.000 euros au titre du préjudice d'agrément,
- 3.000 euros au titre du préjudice sexuel ;

Dit que le paiement de ces sommes interviendra sous déduction des provisions déjà versées ;

Condamne la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DU NORD-EST, exerçant sous l’enseigne GROUPAMA NORD-EST à payer à Mme [F] [V] épouse [I] les sommes suivantes :

* 3.000 euros au titre du préjudice d'affection,
* 7.000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ;

Condamne la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DU NORD-EST, exerçant sous l’enseigne GROUPAMA NORD-EST à payer à Monsieur [K] [I] et Mme [F] [V] épouse [I] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société GROUPAMA Nord-Est à supporter les entiers dépens de la présente instance, ainsi que ceux de l'instance en référé, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;

Rejette la demande de dérogation aux articles A.444-32 et R.444-55 du Code de commerce ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Le greffier, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/04005
Date de la décision : 27/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-27;22.04005 ?
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