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21/05/2024 | FRANCE | N°23/10990

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 21 mai 2024, 23/10990


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 23/10990 - N° Portalis DBZS-W-B7H-XYYR


JUGEMENT DU 21 MAI 2024



DEMANDEUR :

La S.C. AG [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Erwan LE BRIQUIR, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Alexis SOBOL, avocat plaidant au barreau de PARIS

DEFENDEUR :

La S.A. AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Marine CRAYNEST,

avocat postulant au barreau de LILLE, Me Sabine LIEGES avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 23/10990 - N° Portalis DBZS-W-B7H-XYYR

JUGEMENT DU 21 MAI 2024

DEMANDEUR :

La S.C. AG [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Erwan LE BRIQUIR, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Alexis SOBOL, avocat plaidant au barreau de PARIS

DEFENDEUR :

La S.A. AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Marine CRAYNEST, avocat postulant au barreau de LILLE, Me Sabine LIEGES avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

Greffier

Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’assignation à jour fixe en date du 30 novembre 2023.

A l’audience publique du 19 Février 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 21 Mai 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, et mis à disposition au Greffe le 21 Mai 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

La société AG [Adresse 5] est propriétaire d’un local commercial situé [Adresse 5] à [Localité 6] sur lequel elle a consenti un bail commercial à la société Dall’carrelage.

Elle a financé l’achat de cet immeuble au moyen d’un emprunt souscrit auprès de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance des Hauts de France (ci-après Caisse d’Epargne), laquelle a pris en garantie du remboursement une hypothèque conventionnelle et a fait inscrire un privilège de prêteur de deniers.

La société AG [Adresse 5] a souscrit pour cet immeuble une assurance auprès de la société AXA France IARD (ci-après AXA).

Dans la nuit du 26 au 27 mars 2022, un incendie a gravement endommagé l’immeuble. La société AG [Adresse 5] a déclaré le sinistre à la société AXA le 28 mars 2022.

L’assureur, l’assuré et le preneur à bail ont mandaté un expert et il a été procédé à une évaluation des dommages.

L’assureur a demandé, le 25 octobre 2022, la communication de plusieurs documents dont une attestation notariée de propriété. La société AG [Adresse 5] a communiqué une telle attestation le 1er novembre 2022. L’attestation ainsi communiquée supportait la date du 1er avril 2022. L’assureur a alors fait savoir qu’il souhaitait une attestation de moins de trois mois et par un courriel du 6 novembre 2022, l’attestation a été à nouveau communiquée mais supportant la date du 1er novembre 2022, la société AG [Adresse 5] ayant, à cette occasion, selon ses termes, “actualisé” la mention de la date.

Par courrier du 12 décembre 2022, la société AXA a considéré que l’attestation envoyée le 6 novembre 2022 était un faux qui lui avait été communiqué intentionnellement ce qui la fondait à invoquer la déchéance de garantie donc à refuser toute indemnisation et à réclamer la restitution d’un acompte de 15 000 euros payé le 20 avril 2022.

La société AG [Adresse 5] a immédiatement protesté faisant valoir que toutes les informations communiquées étaient et demeuraient exactes et qu’elle n’avait fait, sans aucune mauvaise foi et pour faire avancer le processus d’indemnisation, qu’actualiser la date de l’attestation, mais en vain.

La société AG [Adresse 5] a, dans ces circonstances, demandé une provision en référé mais par une ordonnance du 21 novembre 2023, le président du tribunal judiciaire de Lille a considéré que la demande se heurtait à une contestation sérieuse excédant son pouvoir.

Sur autorisation présidentielle donnée le 28 novembre 2023, la société AG [Adresse 5] a fait assigner la société AXA devant le tribunal statuant au fond et à jour fixe par acte d’huissier du 30 novembre 2023 afin d’obtenir le paiement de l’indemnité.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 février 2024 et soutenues oralement, la société AG [Adresse 5] demande au tribunal de :

Vu les articles 1103, 1110, 1171 et 1190 du code civil,
Vu les articles L.113-1, L.113-11 et L.121-13 du code des assurances,

A titre principal :
- Juger que la clause de déchéance n’est pas applicable en l’absence d’usage de moyen frauduleux et de mauvaise foi de l’assuré ;
Subsidiairement :
- Juger que la clause de déchéance est réputée non-écrite car abusive ;
- Juger que l’application de la clause de déchéance est abusive ;

En conséquence,
- Condamner la société AXA à lui payer les sommes de :
- 702 719,81 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2022 et capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil,
- 3 000 euros par mois au titre de la perte de loyers, à compter du 1er décembre 2022 à la date du jugement à intervenir, avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2022 et capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil ;

Très subsidiairement :
- Juger que la clause de déchéance n’est pas opposable au créancier hypothécaire ;
- Condamner la société AXA à séquestrer à la Caisse des Dépôts la somme de 254 482,76 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2022 et capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil, et ordonner que ces fonds seront remis à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance des Hauts de France ;

En tout état de cause :
- Débouter la société AXA de ses demandes ;
- Condamner la société AXA à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société AXA aux dépens ;
- Rappeler que l’exécution provisoire du jugement à intervenir est de droit.

A l'appui de ses prétentions, la société AG [Adresse 5] expose que la société AXA a reconnu sa garantie, versé un acompte, et quasiment achevé le chiffrage des dommages, jusqu’à ce qu’elle tire prétexte de la transmission le 6 novembre 2022 de l’attestation litigieuse pour prétendre à l’application d’une clause de déchéance.

Elle soutient principalement que la clause de déchéance ne s’applique pas car, le contrat d’assurance étant un contrat d’adhésion élaboré par l’assureur, il s’interprète contre lui. Elle estime que, dans le contrat, l’expression “usage de moyens frauduleux” est vague et imprécise.
Elle considère que la modification de la seule date sur l’attestation de propriété, sans altération de son contenu et alors qu’elle était bien propriétaire ne peut pas être qualifiée de moyen frauduleux, de sorte que la production de cette attestation était sans incidence sur le montant de l’indemnité. Elle ajoute qu’elle n’a modifié la date de l’attestation que parce que l’assureur a exigé une attestation récente sans que cette exigence ne figure au contrat d’assurance dont l’assureur est pourtant le rédacteur. Elle avance encore qu’elle n’était pas de mauvaise foi lorsqu’elle a communiqué l’attestation litigieuse tandis que la société AXA se contente de se draper dans des déclarations de principe.

Subsidiairement, elle soutient que la clause de déchéance est abusive en ce qu’elle permet de priver l’assuré de toute indemnité au prétexte de tout acte que l’assureur entend qualifier d’usage d’un moyen frauduleux et crée ainsi un déséquilibre significatif.
Elle ajoute qu’à supposer que la clause ne soit pas abusive en elle-même, l’assureur en fait une application abusive puisqu’elle a exigé une pièce non prévue alors qu’elle savait que son assurée était bien propriétaire et qu’elle a tiré prétexte de l’actualisation de la date sur l’attestation de propriété pour se soustraire au paiement d’une indemnité qu’elle savait due.

Elle demande donc une indemnisation égale au chiffrage de l’expert avec intérêt à compter de la mise en demeure du 17 décembre 2022. Elle demande aussi l’indemnisation du dommage causé par le retard à payer l’indemnité, déclarant n’avoir pu reconstruire le local pour le remettre en location.

Encore plus subsidiairement, si le tribunal devait retenir la déchéance de garantie, elle sollicite la condamnation de la société AXA à payer le prêteur de deniers, estimant que les exceptions opposables à l'assuré mais postérieures au sinistre ne peuvent être opposées au créancier hypothécaire. Elle précise que le capital restant dû s’élève à 254 482,76 euros.

Répliquant sur la règle proportionnelle qui lui est opposée, elle invoque la jurisprudence sur les déclarations pré-imprimées et intégrées aux conditions particulières pour mettre en avant l’absence de questionnaire de souscription. Ne justifiant ni de questions précises ni des réponses de l’assuré, non plus que de déclarations spontanées, elle en déduit que la société AXA ne peut pas se prévaloir d’une fausse déclaration.

Dans ses dernières conclusions notifiées, par voie électronique le 19 février 2024 et soutenues oralement, la société AXA demande au tribunal de :

Vu les articles 14 et 31 du code de procédure civile,
Vu l’article 1104 du code civil,
Vu l’article L 113-9 du code des assurances,
Vu la police d’assurance,

- La recevoir AXA en ses conclusions ;
- Débouter la Société AG [Adresse 5] de l’intégralité de ses demandes ;
- En conséquence, condamner la société AG [Adresse 5] à lui payer à AXA la somme de 15 000 euros qu’elle lui a réglée à titre d’acompte ;

Subsidiairement :
- Faire application d’une règle proportionnelle de prime à hauteur de 20 % ;
- Dire en conséquence que l’indemnité sollicitée par la société AG [Adresse 5] ne pourra excéder la somme de 562 173,85 euros ;
- Déduire de toute somme qui serait allouée à la société AG [Adresse 5] l’acompte déjà réglé à hauteur de 15 000 euros ;

En toute hypothèse :
- Déclarer la société AG [Adresse 5] irrecevable en sa demande de condamnation d’AXA à payer à la Caisse d’Epargne la somme de 254 482,76 euros correspondant à sa dette hypothécaire ;
- Subsidiairement, faire application d’une règle proportionnelle de prime à hauteur de 20 % sur l’indemnité pouvant revenir à la Caisse d’Epargne ;
- Dire en conséquence que l’indemnité au profit de la Caisse d’Epargne ne pourra excéder la somme de 203 586,21 euros ;
- Dans ce cas, condamner la société AG [Adresse 5] à la relever et garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre au profit de la Caisse d’Epargne, avec intérêts au taux légal et capitalisation conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
- Condamner la société AG [Adresse 5] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile ;
- La condamner aux entiers dépens, qui seront recouvrés par Maître Craynest conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A l'appui de sa défense, elle fait valoir que le contrat stipule une clause de déchéance qui est justifiée par l’obligation de bonne foi et qui est valable. Elle explique que la société AG [Adresse 5] a fait un faux en falsifiant la date de l’attestation et qu’elle a fait un usage de ce faux en s’en prévalant auprès d’elle, le tout de manière clairement délibérée.
Selon elle, il n’est pas nécessaire qu’elle démontre l’intention d’obtenir une indemnisation supérieure dès lors que l’assuré a adopté un comportement déloyal et non sincère.
Elle tient donc la déchéance de garantie pour justifiée et réclame la restitution de l’acompte versé.

Concernant le caractère prétendument abusif de la clause, elle estime que la clause est validée de longue date par la jurisprudence, que l’exigence de bonne foi concerne toutes les parties et ne crée à l’évidence aucun déséquilibre significatif.

Très subsidiairement, si le tribunal devait écarter la déchéance de garantie, elle fait valoir l’application de la règle proportionnelle. Elle explique avoir constaté dans les suites du sinistre que la société AG [Adresse 5] avait commis des fausses déclarations lors de la souscription du contrat d’assurance, relatives :
- à la superficie déclarée du bâtiment : 1 000 m² au lieu de 1 195 m²,
- au fait que les locaux étaient chauffés par des aérothermes électriques alors qu’il avait été déclaré que cela n’était pas le cas,
- du fait de l’absence de vérification des installations électriques,
- du fait de l’absence de vérification des extincteurs mobiles.
Elle avance que la sanction de ces fausses déclarations non intentionnelles réside dans l’application de la règle à la fois légale et conventionnelle de la réduction proportionnelle. Selon elle, cette réduction devait être évaluée à 30 % mais après discussion elle a accepté de la ramener à 20 %.

Concernant le paiement du créancier privilégié, elle soulève en premier lieu l’irrecevabilité de la demande, la société Caisse d’épargne n’étant pas partie à l’instance tandis que la société AG [Adresse 5] n’est pas spécialement mandatée pour agir en justice en son nom.
Si le tribunal estimait néanmoins la demande recevable, elle souligne que la réduction proportionnelle est opposable aux tiers.

Enfin, si elle devait être condamnée à payer la banque, elle demande la garantie de la société AG [Adresse 5] de ces condamnations, l’inopposabilité de la déchéance aux tiers ne faisant pas disparaître la sanction contractuelle applicable à l’assuré. Elle en déduit qu’elle a une action récursoire contre l’assuré pour qu’il lui restitue les sommes réglées au tiers du fait de l’inopposabilité.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la garantie du sinistre :

Le contrat d’assurance et plus spécialement les conditions générales de ce contrat, dans leur version de mai 2021 (PC défendeur 1-1) stipule une clause de déchéance en page 10, libellée comme suit, en caractère gras dans un encadré bleu :

“ Si l’assuré fait intentionnellement de fausses déclarations, exagère le montant des dommages, prétend détruits des biens n’existant pas, omet sciemment de déclarer l’existence d’autres assurances sur les mêmes risques, use de moyens frauduleux, l’assuré est entièrement déchu de tout droit à indemnité.”

Si le contrat d’adhésion insuffisamment clair s’interprète contre celui qui l’a proposé, ici l’assureur, l’expression usage de moyens frauduleux n’est pas insuffisamment précise pour que l’assuré n’en comprenne le sens et elle inclut nécessairement l’interdiction de faire usage de documents falsifiés dans l’instruction d’une demande de garantie d’un sinistre.

Cette clause ne contredit pas l’article L113-11 du code des assurances qui énonce que :

“ Sont nulles :
1° Toutes clauses générales frappant de déchéance l'assuré en cas de violation des lois ou des règlements, à moins que cette violation ne constitue un crime ou un délit intentionnel ; [...]”

En effet, la clause ne fait pas référence à la violation de n’importe quelle loi ou règlement de manière générale mais à l’emploi de moyens frauduleux. Au demeurant, le tribunal n’est pas saisi d’une demande d’annulation de cette clause.

Comme l’indique la société AG [Adresse 5] elle-même, un moyen frauduleux est destiné à tromper mais pas nécessairement à obtenir une indemnité supérieure. En l’espèce, elle a intentionnellement altéré la vérité dans l’attestation notariée relativement à la date de sa délivrance, et s’en est prévalu comme si elle l’avait reçue ainsi du notaire.

Ceci étant, la société AXA, qui fait valoir dans ses conclusions en caractères gras et soulignés, l’exigence de bonne foi dans les relations contractuelles n’indique pas pourquoi elle a demandé une attestation de propriété délivrée depuis moins de 3 mois.

L’attestation initiale de Maître [S], exactement datée du 1er avril 2022 (PC demandeur 16), n’attestait que d’un fait unique : l’acquisition de la propriété du bien par la société AG [Adresse 5] le 15 juin 2020, soit deux ans auparavant. Elle n’attestait pas et n’avait aucune vocation à attester que la société AG [Adresse 5] était toujours propriétaire au 1er avril 2022.

Cette attestation, complétée par la fiche de l’immeuble délivrée par le service de la publicité foncière, également réclamée par l’assureur à l’assuré par le courriel du 25 octobre 2022 (PC demandeur 13 défendeur 6) et obtenue par l’assuré le 23 novembre 2022 (PC demandeur 24) permettait d’établir que la société AG [Adresse 5] demeurait propriétaire à la date précisée sur la fiche de l’immeuble. Le contrat d’assurance couvrant les biens appartenant à l’assuré, il est compréhensible que cette information, c’est à dire la persistance des droits de propriété en 2022, ait intéressé l’assureur.

L’attestation du notaire ne le permettait (en elle-même) nullement. En réclamant une nouvelle attestation de propriété datée de moins de 3 mois, c’est à dire le même document déjà obtenu mais plus récent, l’assureur ne pouvait obtenir que la réitération de l’attestation qu’il détenait déjà, donc la preuve d’une acquisition par la société AG [Adresse 5] le 15 juin 2020, sans information supplémentaire. Un tel fait attesté au 1er avril 2022 ou au 1er novembre 2022 est strictement équivalent. La nouvelle attestation ne pouvait présenter aucun intérêt pour l’assureur.

En demandant la même attestation, l’assureur a réclamé une pièce inutile et a ensuite pris prétexte de l’envoi d’une pièce à la date altérée pour refuser le paiement de l’indemnité.

Compte tenu de sa qualité de professionnel de l’assurance, la société AXA ne peut pas ignorer qu’un assuré dont l’immeuble est en grande partie détruit par un incendie est confronté à des difficultés aussi nombreuses que diverses et toutes pressantes. Il n’était donc pas juste de lui réclamer une nouvelle fois un document qu’il avait déjà fourni, en conditionnant le versement de l’indemnité à cette production, sans que ce document présente un intérêt pour l’assureur.

Il ne saurait être donné effet à la clause de déchéance parce que l’assureur s’en prévaut de mauvaise foi.

En conséquence, la société AXA qui ne fait aucune autre contestation sur la mobilisation de sa garantie, doit être condamnée à garantir le sinistre.

Sur le montant de l’indemnité :

Il n’est pas contesté que les experts ont évalué le montant total hors taxe des dommages causés au bâtiment à 702 719,81 euros (PC demandeur 29 et défendeur 4).

L’assureur invoque l’article L.113-9 du code des assurances et une clause du contrat relative aux déclarations de l’assuré (conditions générales 1.3.4) qui énoncent que :

“ L’omission ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie n'entraîne pas la nullité de l'assurance.

Si elle est constatée avant tout sinistre, l'assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l'assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l'assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l'assurance ne court plus.
Dans le cas où la constatation n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés.”

“ Toute omission ou inexactitude dans la déclaration des circonstances ou des aggravations visées aux articles 1.3.1 et 1.3.2 ci-dessus n’entraîne pas la nullité du contrat si la mauvaise foi du souscripteur n’est pas établie.
Si cette omission ou inexactitude est constatée avant sinistre, l’assureur peut, soit maintenir le contrat moyennant une augmentation de la cotisation, soit le résilier dans les délais et formes prévus à l’article 1.7 ci-après.
Dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après sinistre, l’omission ou l’inexactitude est sanctionnée par une réduction de l’indemnité du sinistre en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues si les risques avaient été exactement et complètement déclarés (article L.113-9 du code des assurances). [...]”

Il ne fait pas valoir la nullité de l’assurance pour réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré de l’article L.113-8 du même code. Dès lors, les contestations de l’assuré relatives à la preuve de l’intention sont inopérantes.

Dans les conditions particulières du contrat d’assurance (PC demandeur 6), sont mentionnés :
- la superficie du local : 1 000 m²,
- l’absence de chauffage,
- le contrôle annuel des installations électriques par un vérificateur,
- la présence d’extincteurs mobiles mis en place par une entreprise qualifiée par l’APSAD.

Le rapport de l’expert de l’assureur (PC défendeur 24) après visite des lieux, précise :
- la superficie du local : 1 195 m²,
- un chauffage par aérothermes électriques dans le show room,
- l’absence de contrôle annuel des installations électriques par un vérificateur,
- l’absence d’extincteurs mobiles mis en place par une entreprise qualifiée par l’APSAD.

Ces constatations matérielles ne sont pas contestées.

La différence de surface est quasiment égale à 20 %.

L’assureur a indiqué dans son courrier du 9 mai 2022 (PC défendeur 3) qu’il appliquait la règle proportionnelle, que la prime réglée s’élevait à 1 215,37 euros alors qu’elle aurait été de 1 745 euros si le risque avait été exactement déclaré, parvenant à un coefficient de 0,696 de sorte qu’elle entendait appliquer une réduction de 30 %.
Dans le cadre de l’instance, l’assureur fait état d’un accord avec l’assuré pour n’appliquer que 20 % sans qu’un tel accord ne soit établi.

La réduction proportionnelle, compte tenu de l’inexactitude de la déclaration sur le risque, est applicable et son évaluation à 20 % est en rapport avec l’ampleur de l’inexactitude.

Dans ces conditions, le montant de l’indemnité s’établit à :
702 719,81 - (702 719,81 x 0,2) = 562 175,85 euros.

L’acompte déjà versé (PC défendeur 2), d’un montant non contesté de 15 000 euros, doit être déduit.

L’assureur sera donc condamné à payer la somme de 547 175,85 euros.

Concernant les intérêts et leur capitalisation, les articles 1231-6 et 1343-2 du code civil prévoient que :

“ Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.”

“ Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.”

Le courrier de la société AG [Adresse 5] du 17 décembre 2022 contient une interpellation suffisante pour être analysé en une mise en demeure et faire courir les intérêts de retard.

La capitalisation des intérêts est de droit lorsqu’elle est demandée. Elle sera donc ordonnée.

Sur la perte de loyers :

La société AG [Adresse 5] invoque implicitement l’alinéa 3 de l’article 1231-6 rappelé plus haut.

Si le manquement de l’assureur à son obligation d’indemniser le sinistre est avéré, il reste à la société AG [Adresse 5] à établir le dommage subi par elle et le lien de causalité entre le manquement de l’assureur et son dommage.

Le procès verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l’évaluation des dommages n’est pas daté mais il est certain qu’il a été établi à la mi-octobre 2022.
A supposer que l’assureur ait estimé complet le dossier vers la fin novembre 2022 lorsque l’assuré a fourni la fiche de renseignement émanant du service de la publicité foncière, et qu’il ait payé l’indemnité le 12 décembre 2022 au lieu de notifier son refus, l’assuré ne pouvait en aucun cas louer le bien à compter de décembre 2022 car l’immeuble n’était pas en état d’être loué. Comme l’indique la société AG [Adresse 5] elle-même, il fallait déblayer et reconstruire, ce qui, au-delà de la nécessité de trouver les entrepreneurs compétents et disponibles pour y procéder et de supporter la durée d’exécution des travaux de reconstruction nécessite aussi l’obtention des autorisations administratives, qui n’est notoirement pas instantanée.

Ensuite, si la société AG [Adresse 5] a reçu une marque d’intérêt datée du 8 décembre 2022 émanant d’une société envisageant la création d’un magasin sur une surface de 400 m² environ (PC demandeur 30), le document qu’elle produit est explicite sur le fait qu’il ne vaut pas engagement et suppose une étude approfondie de faisabilité. Cette société n’a manifestement jamais envisagé de payer un loyer annuel de 30 000 euros HT HC dès le mois de décembre 2022 ni même à une date proche de décembre 2022.

En conséquence, la demande doit être rejetée

Sur l’exécution provisoire :

Selon les articles 514 et 514-1 du code de procédure civile :

“ Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Le tribunal ne statue que sur ce qui forme l’objet du litige sans être tenu de rappeler les dispositions réglementaires auxquelles aucune des parties ne demande de déroger et qu’il n’envisage pas d’écarter d’office.

Sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile :

Les articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile prévoient que :

“La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.”

“Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.[...]”

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”

La société AXA, qui succombe, sera condamnée à supporter les dépens de l’instance ; l’équité commande de la condamner également à payer à la société AG [Adresse 5] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe et susceptible d’appel,

Dit que la société AXA ne peut pas se prévaloir de la déchéance de garantie relativement au sinistre survenu dans la nuit du 26 au 27 mars 2022 ;

Dit en revanche que l’application de la règle de la réduction proportionnelle de l’indemnité à hauteur de 20 % est justifiée ;

Condamne la société AXA à payer à la société AG [Adresse 5] en règlement du sinistre survenu la nuit du 26 au 27 mars 2022, la somme de 547 175,85 euros ;

Dit que cette somme produira intérêt au taux légal à compter du 17 décembre 2022 ;

Dit que les intérêts échus de cette somme, lorsqu’ils seront dus au moins pour une année entière, produiront intérêt ;

Rejette la demande indemnitaire formée par la société AG [Adresse 5] ;

Condamne la société AXA à supporter les dépens de l’instance ;

Condamne la société AXA à payer à la société AG [Adresse 5] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 23/10990
Date de la décision : 21/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-21;23.10990 ?
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