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02/05/2024 | FRANCE | N°19/03746

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Pôle social, 02 mai 2024, 19/03746


1/Tribunal judiciaire de [Localité 8] N° RG 19/03746 - N° Portalis DBZS-W-B7D-UJSE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE [Localité 8]

PÔLE SOCIAL

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

JUGEMENT DU 02 MAI 2024

N° RG 19/03746 - N° Portalis DBZS-W-B7D-UJSE

DEMANDERESSE :

Mme [W] [D]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Faustine BROULIN, avocat au barreau de [Localité 8]



DEFENDERESSE :

Etablissement public FRANCE TRAVAIL, anciennement dénommé POLE EMPLOI
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Marie-Laure TREDAN, avocat

au barreau de HAUTS-DE-SEINE, substitué par Me COISNE



PARTIE(S) INTERVENANTE(S) :

CPAM DE [Localité 8]-[Localité 6]
[Adresse 1]
[Adre...

1/Tribunal judiciaire de [Localité 8] N° RG 19/03746 - N° Portalis DBZS-W-B7D-UJSE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE [Localité 8]

PÔLE SOCIAL

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

JUGEMENT DU 02 MAI 2024

N° RG 19/03746 - N° Portalis DBZS-W-B7D-UJSE

DEMANDERESSE :

Mme [W] [D]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Faustine BROULIN, avocat au barreau de [Localité 8]

DEFENDERESSE :

Etablissement public FRANCE TRAVAIL, anciennement dénommé POLE EMPLOI
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Marie-Laure TREDAN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, substitué par Me COISNE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S) :

CPAM DE [Localité 8]-[Localité 6]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Monsieur [C] [G], muni d’un pouvoir

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Anne-Marie FARJOT, Vice-Présidente
Assesseur: José BORGMANN, Assesseur pôle social collège employeur
Assesseur: Dominique DURANDAU, Assesseur Pôle Social salarié

Greffier

Déborah CARRE-PISTOLLET,

DÉBATS :

A l’audience publique du 07 Mars 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 02 Mai 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [W] [D] est entrée au service de l'établissement public administratif Pôle Emploi [ci-après Pôle Emploi] en qualité de cadre d'encadrement à compter du 15 avril 2002.

Dans le cadre de ses fonctions, Madame [W] [D] a notamment occupé le poste de Directrice adjointe de l'agence [Localité 9] Gare jusqu'au 14 septembre 2015, puis de directrice adjointe de l'agence de [Localité 10] jusqu'au 1er avril 2019, date à laquelle elle a intégré la Direction territoriale du Pas de Calais en qualité de chargée de mission.

Le 21 octobre 2016, Madame [W] [D] a complété une déclaration de maladie professionnelle mentionnant " burn out".

La Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] a diligenté une enquête administrative, sollicité l'avis de son médecin-conseil puis a saisi le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région des Hauts-de-France, le 7 septembre 2017.

Par un avis du 6 décembre 2017, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région des Hauts-de-France a retenu un lien direct et essentiel entre la pathologie présentée et l'activité professionnelle de Madame [W] [D].

Par décision en date du 4 janvier 2018, notifiée tant à Madame [W] [D] qu'au Pôle Emploi, la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] a pris en charge la maladie du 21 octobre 2016 de Madame [W] [D] comme étant d'origine professionnelle.

Par décision du médecin conseil de la Caisse, l'état de santé de Madame [D] a été déclaré consolidé au 24 avril 2018 et un taux d'IPP de 15% lui a été notifié le 4 septembre 2018 en raison de " séquelles sous forme de symptômes dépressifs résiduels qui génèrent une incapacité psychique".

Par courrier du 5 octobre 2018, Madame [D] a saisi la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] d'une demande de conciliation qui s'est soldée par un procès-verbal de non conciliation dressé le 3 décembre 2018.

Par requête du 16 décembre 2019, Madame [W] [D] a saisi le pôle social du Tribunal de grande instance de Lille aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 9 septembre 2021, la présente juridiction a notamment :
-Dit que la maladie professionnelle du 21 octobre 2016 de Madame [W] [D] est due à la faute inexcusable de son employeur, le Pôle Emploi ;
-Fixé au maximum légalement prévu la majoration de la rente d'accident du travail versé à Madame [W] [D] par la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6]
-Rappelé que cette majoration doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de l'état de santé dans la limite des plafonds prévus par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale ;

Avant-dire droit sur l'évaluation des autres préjudices :
-Ordonné, avant dire droit sur les demandes d'indemnisation des préjudices de Madame [W] [D] une expertise médicale judiciaire ;
-Commis pour y procéder le Docteur [F] [L] (…) ;
-Dit que l'affaire est renvoyée à l'audience de mise en état dématérialisée du jeudi 24 février 2022 à 9h devant la chambre du Pôle social du tribunal judiciaire de Lille, [Adresse 2], 3ème étage, salle I à [Localité 8] ;
-Dit que le présent jugement notifié vaut convocation des parties à l'audience de mise en état dématérialisée du jeudi 24 février 2022 à 9h ;

-Alloué à Mme [W] [D] la somme de 5.000€ (cinq mille euros) à titre de provision à valoir sur son préjudice définitif, cette somme sera avancée par la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] ;
-Condamné le Pôle Emploi à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] le montant de ladite provision, majoration de la rente, ainsi que l'ensemble des indemnités dont elle sera amenée à faire l'avance au titre des préjudices personnels de la victime ;
-Condamné Pôle Emploi à payer à Madame [W] [D] la somme de 2.000€ (deux mille euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
-Débouté Pôle Emploi de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
-Condamné Pôle Emploi aux dépens.

Par ordonnance de changement d'expert du 3 janvier 2022, le docteur [A] [N] a été désigné en lieu et place du docteur [F].

Par ordonnance de changement d'expert du 22 février 2022, le docteur [A] [N] a été remplacé par le docteur [O] [X].

Le 23 mars 2023, le docteur [X] a établi son rapport d'expertise médicale définitif, lequel a été réceptionné le 27 mars 2023 par le greffe de la juridiction.

Par ordonnance du 23 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été ordonnée et l'affaire fixée à plaider à l'audience du 7 mars 2024, date à laquelle elle a été examinée en présence des parties dûment représentées.

Mme [W] [D], par l'intermédiaire de son conseil, a déposé des écritures, conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour le détail de ses prétentions et moyens.

Au soutien de ses demandes, elle sollicite du tribunal de :

Fixer comme suit l'indemnisation de ses préjudices subis à la suite de sa maladie professionnelle et au regard de la faute inexcusable commise par son employeur, aux sommes suivantes :
"16 403,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
"22 400,00 euros au titre de l'assistance à tierce personne,
"25 000,00 euros au titre des souffrances endurées,
"5 000,00 euros au titre du préjudice d'agrément,
"25 000,00 au titre du préjudice sexuel,
"30 375,00 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
"20 000,00 euros au titre du préjudice d'incidence professionnelle, de la perte de chance de promotion professionnelle et de la dévalorisation sur le marché du travail,
Dire que la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] fera l'avance des indemnités allouées par la présente décision au titre de la réparation de ses préjudices personnels et qu'elle en recouvrera le montant auprès de France Travail (anciennement dénommé " Pôle Emploi "), condamné à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6] les sommes dont celle-ci est tenue de faire l'avance ;
Condamner France Travail à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner France Travail aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de consultation du Docteur [U] à hauteur de 420 euros.

En défense, l'Etablissement Public Administratif France Travail (autrefois nommé " Pôle Emploi "), dûment représenté à l'audience de plaidoirie, a formulé les demandes suivantes dans ses conclusions écrites :

-Débouter Mme [D] de sa demande d'indemnisation au titre de l'assistance par tierce personne ;
-Débouter Mme [D] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément ;
-Débouter Mme [D] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice sexuel ;
-Débouter Mme [D] de sa demande d'indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent ;
-Débouter Mme [D] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice sur son évolution professionnelle ;
-Limiter ses condamnations au titre de la réparation des préjudices à la somme globale de 19 022,50 euros décomposée comme suit :
"15 022,50 euros au titre de l'indemnisation sollicitée par Mme [D] au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
"4 000,00 euros au titre de l'indemnisation sollicitée par Mme [D] au titre des souffrances endurées avant consolidation ;
-Débouter Mme [D] de sa demande de remboursement des honoraires du Docteur [U] ;
-Débouter Mme [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8]-[Localité 6], dûment représentée, a indiqué au tribunal que le bénéficie de son action récursoire à l'encontre de l'employeur a déjà été ordonné.

Le délibéré du présent jugement a été fixé au 2 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur l'indemnisation des préjudices

Il résulte de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.
Statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, par décision du 18 juin 2010, en son considérant n°18, a jugé que les dispositions de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale ne font pas obstacle à ce que la victime d'un accident de travail causé par la faute inexcusable de son employeur, ou, en cas de décès, ses ayants-droit, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

La décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 a donc opéré un décloisonnement de la liste des préjudices énumérés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et autorise désormais, en cas de faute inexcusable de l'employeur dans la survenance d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail, la réparation de postes de préjudice absents de la liste dressée par ce texte s'ils ne sont pas couverts par le libre IV du code de sécurité sociale.

En conséquence, seuls les préjudices pour lesquels aucune réparation n'est prévue par le livre IV, à l'exclusion donc de ceux qui sont réparés forfaitairement ou même partiellement, sont susceptibles de donner lieu à une indemnisation dans le cadre d'une action en faute inexcusable.

Il sera rappelé que les postes de préjudices suivants sont couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale :
- dépenses de santé actuelles et futures : articles L 431-1,1° et L 432-1 à L 432-4,
- dépenses de déplacement : article L 442-8,
- dépenses d'expertises techniques : article L 442-8,
- dépenses d'appareillage actuelles et futures : articles L 431-1,1° et L 432-5,
- d'incapacités temporaire et permanente : articles L 41-1, L 433-1, L434-2 et L 434-15,
- perte de gains professionnels actuelle et future : articles L 433-1 et L 434-2,
- assistance d'une tierce personne après consolidation : article L 434-2.

En l'espèce, Mme [W] [D] réclame l'indemnisation des postes de préjudice suivants :
"déficit fonctionnel temporaire
"assistance tierce personne
"souffrances endurées
"préjudice d'agrément
"préjudice sexuel
"déficit fonctionnel permanent
"incidence professionnelle, perte de chance de promotion professionnelle et dévalorisation sur le marché du travail

Mme [W] [D], victime d'une maladie professionnelle en date du 21 octobre 2016, a été consolidée à la date du 24 avril 2018 avec un taux d'IPP fixé à 15%.

"Le déficit fonctionnel temporaire

Le déficit fonctionnel temporaire se définit comme la " période antérieure à la consolidation, pendant laquelle, du fait des conséquences des lésions et de leur évolution, la victime est dans l'incapacité totale, ou partielle, de poursuivre les activités habituelles qui sont les siennes, qu'elle exerce en outre, ou non, une activité rémunérée ".

L'évaluation médico-légale de l'expert relève une gêne fonctionnelle temporaire dans les actes de la vie courante de Mme [D] consécutive aux faits préjudiciables se décomposant en plusieurs périodes comme suit :
"Une gêne fonctionnelle temporaire totale du 1er avril au 21 décembre 2016 au temps d'une première hospitalisation en clinique psychiatrique ; du 12 au 13 avril 2017 pour des soins en unité de réanimation ; du 4 mai au 3 juin 2017 au temps d'une seconde hospitalisation en clinique psychiatrique ;
"Une gêne fonctionnelle temporaire partielle de classe I du 3 juin 2015 au 8 décembre 2015, date d'une évaluation par une psychologue du travail qui décrit une souffrance psychique intense ;
"Une gêne fonctionnelle temporaire partielle de classe III du 9 décembre 2015 au 30 novembre 2016 ; du 22 décembre 2016 au 11 avril 2017 ; du 14 avril 2017 au 3 mai 2017 ; du 4 juin 2017 au 27 juillet 2017 date de suspension estimée du traitement antidépresseur selon la documentation communiquée ;
"Une gêne fonctionnelle temporaire partielle de classe II du 28 juillet 2017 au 24 avril 2018 date de consolidation.

Le tribunal dispose de suffisamment d'éléments pour fixer l'indemnisation du préjudice fonctionnel total subi par Mme [W] [D] à 25 € par jour.

L'indemnisation du préjudice fonctionnel partiel sera fixée en conséquence, proportionnellement au taux de réduction des capacités.

L'indemnisation de Mme [W] [D] au titre du D.F.T. doit donc être fixée comme suit :
"D.F.T.T., durant 298 jours (265 + 2 +31), soit 298 x 25 = 7 450,00 €
"D.F.T.P. 50 % (classe III), durant 543 jours (358 + 111 + 20 + 54 jours), 543 x 25 x 50/100 = 6 787,50 €
"D.F.T.P. 25 % (classe II), durant 271 jours, 271 x 25 x 25/100 = 1 693,75 €
"D.F.T.P. 10 % (classe I), durant 189 jours, 189 x 25 x 10/100 = 472,50 €

Soit au total, la somme de 7 450,00 + 6 787,50 + 1 693,75 + 472,50 = 16 403,75 €.

L'indemnisation de ce poste de préjudice est donc fixée au montant de 16 403,75 euros, sollicité par la requérante.

"L'assistance tierce personne temporaire

Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne pendant la maladie traumatique ne saurait être subordonné à la production de justifications des dépenses effectives ni réduit en cas d'assistance d'un membre de la famille : la victime a droit à une indemnité correspondant à ce qu'elle aurait payé si elle avait fait appel à un salarié extérieur et cette indemnité doit être calculée sur une base horaire, cotisations et contributions sociales comprises.

L'expert estime dans son rapport que : " L'état de santé psychique n'impose pas l'aide d'une tierce personne pour les actes essentiels et de stimulations de la vie courante, assurer la dignité et/ou la sécurité ".

Madame [W] [D] conteste ces conclusions et produit, outre des pièces médicales (pièces n°8 à 19 de la requérante), l'attestation de sa mère, Mme [I] [Z] épouse [D], établie en date du 18 mai 2023 (pièce n°47 de la requérante) faisant état des éléments suivants :

" J'atteste avoir assisté ma fille dès le premier jour, le 2 juin 2015 où elle a été foudroyée par une dépression sévère et cela jusqu'à sa dernière cure de 2018.
En effet, nous passions tous les jours pour que ma fille mange, car elle était anéantie par les traitements et par sa dépression qui l'empêchait d'être autonome.
Je faisais et ramenais ses repas tous les jours.
Je préparais son pilulier pour qu'elle prenne son traitement (…) Je faisais le ménage de sa maison. Je l'aidais à la toilette et à s'habiller car elle n'avait goût à rien. Je l'aidais à faire ses papiers, je les faisais même car elle n'arrivait plus à réfléchir et avait une grande fatigue (…).
Je l'ai accompagné à chaque rendez-vous médical et administratif car elle avait l'interdiction de conduire et elle ne tenait pas debout pendant une longue période (…) ".

Pour autant l'expert a précisé en réponse que, Madame [W] [D] a bénéficié d'un traitement psychotrope sans effet sédatif incompatible avec les actes de la vie de tous les jours ; dès lors sans contester la réalité de l'aide apportée à Madame [W] [D] il n'apparaît pas que cette aide fut absolument nécessaire

Il convient donc de débouter , Madame [W] [D] de ses demandes.

"les souffrances endurées

Le tribunal relève que le préjudice des souffrances endurées a été évalué au troisième degré sur l'échelle à sept degrés par le médecin expert. Le Docteur [X] précise sur ce chef de préjudice les éléments suivants :

" La victime endure des souffrances psychiques tout au long de l'évolution de la maladie traumatique. On note une charge émotionnelle, un ressenti psycho traumatique, des troubles psychiques, qui imposent des soins et influencent défavorablement les interactions psychosociales. Ces troubles constituent des souffrances endurées que nous évaluons à 3 sur une échelle à 7 degrés ".

Ces éléments sont suffisants pour établir l'état des souffrances physiques et morales endurées par Mme [W] [D] et justifient que lui soit accordée une indemnisation globale pour les souffrances endurées de 8 000 euros.

"Le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure.

Dans son rapport d'expertise, le Docteur [X] renseigne que : " Il n'y a pas lieu de définir l'existence d'un préjudice d'agrément permanent, par la possibilité de reprendre des activités de loisirs et sportives déjà pratiquées ".

Madame [W] [D], par l'intermédiaire de son conseil, sollicite la somme de 5 000 euros en faisant valoir la pratique régulière de la natation avec une collègue (attestation de Mme [E] [R] - pièce n° 38) qu'elle n'a plus exercée depuis 2015 et jusqu'à présent du fait des douleurs aigues ressenties en raison d'une fibromyalgie diagnostiquée suite à sa dépression sévère (compte-rendu du docteur [K] - pièce n°35).

En l'espèce, il convient, d'une part, de relever qu'aucun lien de causalité n'a été établi entre la fibromyalgie dont souffre Madame [W] [D] et sa maladie professionnelle du 21 octobre 2016.

D'autre part, il y a lieu d'indiquer qu'aucun élément objectif probant ne tend à démontrer que Madame [W] [D] est aujourd'hui dans l'impossibilité de pratiquer toute activité sportive et de loisir - le docteur [K] mentionnant d'ailleurs dans son compte-rendu du 9 août 2022 : " J'ai encouragé la patiente à entretenir une activité physique adéquate, continuer ses séances de kinésithérapie, privilégier tout ce qui est non médicamenteux (hypnose, sophrologie…) ".

Ainsi,il convient de débouter , Madame [W] [D] de ses demandes.

"Le préjudice sexuel

S'agissant du préjudice sexuel, le médecin expert n'a renseigné aucun élément dans son rapport sur ce chef de préjudice.

Il convient de distinguer trois types de préjudices de nature sexuelle :

"le préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,
"le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),
"le préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical etc.).

Il n'existe pas de taux et l'évaluation se fait au cas par cas en fonction des conséquences précises du dommage décrit par l'expert, de l'âge et de la situation de la victime.

En l'espèce, Madame [W] [D] a communiqué à la juridiction l'attestation de sa conjointe, Mme [V] [P], afin de justifier de l'existence de ce préjudice fondé sur un défaut de libido sexuel (pièce n°39 de la requérante).Pour autant si celle-ci analyse le défaut de libido de Madame [W] [D] dans son état de fragilité psychologique imputé à la situation ,elle ne peut opérer de comparaison avec la situation existante avant la survenance de la maladie, l'ayant rencontrée postérieurement et donc établir un lien de causalité entre le défaut de libido et la maladie reconnue à titre professionnel autrement que par son appréciation subjective.

Ainsi ,il convient de débouter Madame [W] [D] de ses demandes.

"Le déficit fonctionnel permanent

Il s'agit du préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel. Il s'agit d'un déficit définitif, après consolidation, c'est à dire que l'état de la victime n'est plus susceptible d'amélioration par un traitement médical adapté.

Ce poste de préjudice est défini par la Commission européenne (conférence de Trèves de juin 2000)
et par le rapport Dintilhac comme : " la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte à la vie de tous les jours ".

Ce poste de préjudice permet donc d'indemniser non seulement l'atteinte à l'intégrité physique et psychique au sens strict, mais également les douleurs physiques et psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence. Le préjudice moral ne doit donc plus faire l'objet d'une indemnisation autonome, puisqu'il est pris en compte au titre du déficit fonctionnel permanent.

Par deux arrêts d'Assemblée plénière, la Cour de cassation a opéré un revirement de sa jurisprudence en reconnaissant que " La rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées " (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° 21-23.947).

Madame [W] [D] sollicite l'indemnisation de ce poste de préjudice en prenant en compte le taux d'incapacité évalué à 15% par décision du 4 septembre 2018 de la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 6], en fixant la valeur du point à la somme de 2 025 euros, soit un montant de 30 375,00 euros.

France Travail, anciennement dénommé " Pôle Emploi ", soutient que dans la décision avant-dire droit du tribunal, l'évaluation d'un quelconque déficit fonctionnel permanent n'a pas été demandée par la requérante.

En l'espèce, l'examen de la requérante par le médecin expert a été réalisé en date du 29 septembre 2022, soit antérieurement au revirement de jurisprudence opéré par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.

Compte tenu de ces éléments, et en l'absence de complément d'expertise ou de tout autre élément objectif permettant l'évaluation du taux de déficit fonctionnel permanent de Madame [W] [D], se distinguant du taux d'IPP fixé par le médecin conseil de la Caisse primaire d'assurance maladie, il convient de débouter la requérante de sa demande d'indemnisation sur ce chef de préjudice.

"L'incidence professionnelle - perte de chance de promotion professionnelle

En application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, seule la perte ou la diminution des possibilités de promotion stricto sensu est indemnisable dans le cadre d'une instance en faute inexcusable, l'incidence professionnelle prise au sens large ne l'étant pas en revanche puisqu'étant réputée indemnisée, bien que forfaitairement, par la rente majorée d'accident de travail.

Dès lors et pour prétendre à une indemnisation complémentaire à ce titre, le blessé doit rapporter la preuve, d'une part qu'il avait des perspectives raisonnablement envisageables de promotion sinon au sein de l'entreprise dans laquelle il travaillait, à tout le moins dans la branche d'activité considérée, d'autre part qu'il en est désormais privé du fait de l'accident et des séquelles qui en sont résultées.

Le médecin expert dans son rapport précise : " Nous notons l'absence de trouble psychique susceptible d'une dévalorisation sur le marché de travail ou une augmentation à la pénibilité de l'emploi qui selon les fiches de poste sont très proches avec des missions de responsabilité au contact des collègues ".

Madame [W] [D], par l'intermédiaire de son conseil, sollicite une indemnisation à hauteur de 20 000 euros, en faisant notamment valoir que :
"Elle était directrice adjointe à la date du 3 juin 2015, élément déclencheur de sa maladie professionnelle reconnue ;
"Les 23 février 2017 et 10 juillet 2017, la médecine du travail a préconisé un aménagement de poste sans management, un poste de direction n'était donc plus envisageable ;
"Le 1er avril 2019, elle est devenue chargée de mission, poste ne lui permettant plus de manager une équipe ni de prendre de décision - apportant seulement un appui au management, une participation à l'accompagnement des managers et une contribution à la mise en œuvre de leviers d'amélioration de la performance ;
"En qualité de directrice adjointe, elle était chargée entre autres de manager une équipe, de suppléer au directeur d'agence Pôle emploi en son absence et exercer sur délégation une autorité hiérarchique sur les responsables d'équipes et l'ensemble des agents de l'agence tout en pilotant la performance des managers ;
"Compte tenu de sa carrière et du fait qu'elle a toujours donné entière satisfaction dans l'exécution de ses fonctions, elle pouvait raisonnablement envisager de bénéficier de promotions.

L'employeur, quant à lui, considère que faute de préjudice constaté par le médecin expert missionné par le tribunal, Madame [W] [D] est infondée à solliciter des dommages et intérêts au titre de l'indemnisation du préjudice concernant l'évolution professionnel.

Sur ce, le tribunal ne peut que rappeler que la rente a vocation à indemniser la perte de revenus professionnels et l'incidence professionnelle. La perte de revenus fait l'objet d'une appréciation forfaitaire déconnectée des conséquences effectives de l'incapacité sur l'emploi puisque calculée sur la base du taux d'IPP et de la moyenne des 12 derniers mois de salaire sans considération de la perte de salaires effective future, certains salariés pouvant conserver leur emploi malgré l'incapacité et d'autres perdre toute possibilité de retrouver un travail quelconque.

L'incidence professionnelle intégrée dans la rente est appréciée de manière également forfaitaire pour les mêmes raisons ; elle recouvre le fait notamment que l'activité professionnelle conservée a vocation à devenir plus difficile du fait de l'incapacité.

Ces deux postes de préjudice se distinguent de la perte de chance ou de la diminution des possibilités de promotion visée spécifiquement à l'article 452-3 du code de la sécurité sociale à titre d'indemnisation complémentaire à la rente.

En l'espèce, Madame [W] [D] communique au tribunal les pièces suivantes :
L'avenant au contrat de travail du 7 février 2014 - poste de directrice adjointe à compter du 1er mars 2014 mentionnant une rémunération mensuelle brute de 2 604,19 euros (pièce n°40) ;

L'avenant au contrat de travail du 13 mars 2019 - poste de chargée de mission à la date du 1er avril 2019 ne précisant nullement le montant de la rémunération mensuelle brute de la requérante (pièce n°41) ;
La fiche de poste de directeur(trice) adjoint(e) d'agence pôle emploi (pièce n°42) ;
La fiche de poste de chargé(e) de mission (pièce n°43).

Ainsi, Madame [W] [D] ne développe aucun argumentaire et ne produit aucune pièce probante tendant à démontrer que l'indemnisation forfaitaire de l'incidence professionnelle dont elle bénéficie par le versement de la rente, par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8]-[Localité 6], calculée en fonction de son taux d'IPP, est insuffisante et/ou que subsiste à son égard l'existence d'une perte de chance ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

Par conséquent, défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe, Madame [W] [D] sera déboutée de sa demande d'indemnisation formulée au titre de l'incidence professionnelle et de la perte de chance ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

"Les frais divers

Madame [W] [D] justifie avoir réglé une consultation auprès du docteur [U], experte médicale et médecin conseil de victimes, afin de bénéficier d'un accompagnement technique d'un montant de 420 euros le 27 janvier 2022 (pièce n°46).

En l'espèce, compte tenu de la facture acquittée et communiquée au dossier de Madame [W] [D], il convient d'indemniser cette dernière des frais exposés pour un montant de 420 euros intégrés néanmoins au titre du poste des frais irrépétibles

En conséquence, l'ensemble des sommes dues à Mme [W] [D], au titre de l'indemnisation de ses préjudices sera avancé par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8]-[Localité 6], à charge pour elle de récupérer le montant de ces sommes auprès de l'Etablissement Public Administratif France Travail dans le cadre de son action récursoire, intégrant les frais d'expertise médicale judiciaire et déduction faite de la provision de 5 000 euros allouée à l'assurée par jugement du 9 septembre 2021.

Les sommes allouées porteront intérêts de retard au taux légal par application de l'article 1231-7 du code civil à compter du caractère définitif de la présente décision.

- Sur les demandes accessoires

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par une décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En conséquence, il convient de condamner l'Etablissement Public Administratif France Travail (autrefois nommé " Pôle Emploi ") aux entiers dépens de l'instance.

Il résulte de l'article 700 du code de procédure civile que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l'espèce, la faute inexcusable a été retenue à l'encontre de l'Etablissement Public Administratif France Travail et la présente instance a pour objet l'indemnisation des préjudices de Mme [W] [D] suite à sa maladie professionnelle en date du 21 octobre 2016.

En conséquence, il convient de condamner l'Etablissement Public Administratif France Travail à payer à Mme [W] [D] la somme de 1 920 euros(intégrant les frais divers).

PAR CES MOTIFS

Le Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe ;

FIXE l'indemnisation des préjudices subis par Mme [W] [D] comme suit :

"Le déficit fonctionnel temporaire 16 403,75 €
"L'assistance tierce personne temporaire déboutée
"Les souffrances endurées 8 000,00 €
"Le préjudice d'agrément déboutée
"Le préjudice sexuel déboutée
"Le déficit fonctionnel permanent déboutée
"Le préjudice d'incidence professionnelle, perte de chance de promotion profession déboutée

Soit un total de : 24 403,75 € dont la somme de 5 000 € allouée à titre de provision à Mme [W] [D] par jugement en date du 9 septembre 2021 doit être déduite, soit un total de : 19 403,75 € ;

DIT que ces sommes seront avancées par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8]-[Localité 6] à Mme [W] [D] et porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement devenu définitif ;

DIT que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8]-[Localité 6] peut exercer son action récursoire à l'encontre de l'Etablissement Public Administratif France Travail, afin de récupérer le montant des sommes allouées - au titre de l'indemnisation des préjudices et des frais d'expertise médicale judiciaire ;

CONDAMNE l'Etablissement Public Administratif France Travail aux entiers dépens de l'instance ;

CONDAMNE l'Etablissement Public Administratif France Travail à payer à Mme [W] [D] la somme de 1 920 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

RAPPELLE que le délai dont disposent les parties pour, le cas échéant, interjeter appel du présent jugement est d'un mois à compter du jour de sa notification ;

DIT que le présent jugement sera notifié à chacune des parties conformément à l'article R.142-10-7 du Code de la Sécurité Sociale par le greffe du Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe du Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille les jours, mois et an que dessus.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
Déborah CARRE-PISTOLLET Anne-Marie FARJOT

Expédié aux parties le
1 CE Me Broulin, cpam
1 CCC [D], France Travail, Me Tredan


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Pôle social
Numéro d'arrêt : 19/03746
Date de la décision : 02/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-02;19.03746 ?
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