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19/03/2024 | FRANCE | N°22/05702

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 02, 19 mars 2024, 22/05702


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 02
N° RG 22/05702 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WOWK


JUGEMENT DU 19 MARS 2024



DEMANDERESSE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE




DÉFENDEURS :

M. [Z] [L] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Christophe PAVOT, avocat au barreau de LILLE

Mme [N] [W] [O] épouse [Y]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Christophe PAVOT, a

vocat au barreau de LILLE




COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Anne-Sophie SIEVERS, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’artic...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/05702 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WOWK

JUGEMENT DU 19 MARS 2024

DEMANDERESSE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEURS :

M. [Z] [L] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Christophe PAVOT, avocat au barreau de LILLE

Mme [N] [W] [O] épouse [Y]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Christophe PAVOT, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Anne-Sophie SIEVERS, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

GREFFIER

Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 08 Décembre 2023 ;

A l’audience publique du 23 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 19 Mars 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 19 Mars 2024, et signé par Anne-Sophie SIEVERS, Président, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Le 28 mars 2017, la SARL Chastel-Rudant a cédé un fonds de commerce à la SARLU [Y] pour un montant de 60 000 euros.

L'acte de cession mentionnait un prêt de 70 000 euros au taux de 1,99 % remboursable en cinq ans, contracté par la société [Y] auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4].

Dans ce cadre, M. et Mme [Y] se sont portés caution du prêt à hauteur de 42 000 euros.

La société [Y] a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée ouverte le 2 mars 2020 et la clôture pour insuffisance d'actif a été prononcée le 11 décembre 2020.

Par actes d'huissier signifiés le 21 avril 2021, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a assigné M. et Mme [Y] devant le tribunal judiciaire de Lille.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 1er juin 2023 par RPVA, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] demande au tribunal de :

-condamner solidairement M. et Mme [Y] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de 37 348,35 euros avec intérêts au taux de 4,99 euros à compter de la mise en demeure du 24 février 2021,
-ordonner la capitalisation des intérêts dus pour l'année,
-condamner M. et Mme [Y] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,
-condamner M. et Mme [Y] aux dépens,
-ordonner l'exécution provisoire.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 12 octobre 2023 par RPVA, M. et Mme [Y] demandent au tribunal, au visa des articles L. 331-1, L. 332-1 et L. 333-1 du code de la consommation, des articles 1137, 1170, 1171, 1315, 1104, 1379 et 2303 du code civil, de l'article L. 622-24 du code de commerce, de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, des articles 2 à 6 du décret 2016-1673 du 5 décembre 2016, de l'article 2192-12 du code de la commande publique, de :

-prononcer la nullité des actes de cautionnement signés par M. et Mme [Y],
-rejeter l'ensemble des demandes de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à l'encontre de M. et Mme [Y],
Subsidiairement,
-condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à payer à M. et Mme [Y] la somme de 37 348,35 euros et ordonner la compensation des sommes dues entre les parties,
A titre infiniment subsidiaire,
-limiter le quantum des condamnations à l'égard des défendeurs à la somme de 28 837,59 euros,
-prononcer la déchéance du droit aux intérêts,
En toute hypothèse,
-condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] au paiement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-juger n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties pour un exposé complet des moyens.

L'ordonnance de clôture a été fixée au 8 décembre 2023. Après débats à l’audience du 23 janvier 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 19 mars 2024.

MOTIFS

I. Sur les demandes principales de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4]

Conformément à l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En l'espèce, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] produit un contrat de cession de fonds de commerce au profit de la société [Y], pour un montant de 60 000 euros.

A ce contrat de cession est intervenu le mandataire de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] et il est intégré le contrat de prêt de 70 000 euros contracté par la société [Y] auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] et remboursables en soixante mensualités de 1 235,74 euros. Il est également produit un courrier de Me Talleux, avocat au barreau de Lille, qui précise que l'acte de prêt contenant subrogation dans le privilège de vendeur en 1er rang à hauteur de 60 000 euros, nantissement de fonds de commerce en 1er rang à hauteur de 70 000 euros et cautionnement solidaire de M. et Mme [Y] à hauteur de 42 000 euros a été signé et que la garantie France Active sera recueillie par la Caisse de Crédit Mutuel par acte séparé.

Aux termes de ce prêt, il est prévu que France Active garantit le remboursement du crédit et que le constituant consent au profit du prêteur un nantissement de fonds de commerce et un privilège vendeur de fonds de commerce. Il est également stipulé que M. et Mme [Y] se portent solidairement caution à hauteur de 42 000 euros, en renonçant au bénéfice de discussion et de division. En pages 25 à 28 de l'acte d'avocat sont annexées les copies des actes de cautionnement de M. et Mme [Y], chacun à la fois en son nom propre et en sa qualité de conjoint de la caution, soit quatre actes de cautionnement.

Il n'est par ailleurs pas contesté que l'ouverture d'une procédure collective de l'emprunteur principal a emporté la déchéance du terme et que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a la qualité de professionnel.

A titre liminaire, il sera relevé que le contrat, bien que rédigé par un avocat, n'a pas la valeur d'acte d'avocat dès lors qu'il n'est pas contresigné par les avocats de chacune des parties, ni les sociétés Chastel-Rudant et [Y], ni M. et Mme [Y] n'étant d'ailleurs représentés par un avocat. Par conséquent, il n'était pas dispensé des mentions manuscrites exigées par la loi.

Il convient donc d'examiner successivement les arguments soulevés par M. et Mme [Y] pour conclure au rejet des demandes de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4].

A. Sur les arguments en défense tendant à la nullité des actes de cautionnement

1° Sur les arguments relatifs à la mention « [Y] »

M. et Mme [Y] sollicitent tout d'abord la nullité du cautionnement au motif que les mentions manuscrites des articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de commerce faisant référence à « [Y] » au lieu de « la société [Y] » seraient ambiguës et pourraient faire référence à M. [Z] [Y], se prévalant de l'article 1190 du code civil qui prévoit que dans le doute, le contrat d'adhésion s'interprète contre celui qui l'a proposé. Ils concluent également à une manœuvre dolosive de la banque dès lors que Mme [Y] pouvait croire que le montant de la caution était déduit des sommes payées par son mari ou la SARL [Y].

*

Les articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de la consommation dans sa version applicable au litige prévoient à titre de nullité que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :

"En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même."

L'argumentation des défendeurs implique que M. [Y] se serait considéré comme emprunteur principal et aurait entendu se porter caution de sa propre personne, alors que la même personne ne peut être emprunteur et caution d'un même prêt.

Il apparaît surtout qu'en pages 5 et 25 de l'acte, paraphée par M. et Mme [Y] et, s'agissant de la page 25, juste avant leurs mentions manuscrites, il est précisé que l'emprunteur est « [Y] représentée par M. [Y] [M] », tandis que les cautions ont toujours été désignées, en page 7, comme M. [Y] [M] né [X] » et « Mme [Y] [N] ». Par conséquent, la convention ne pose aucune difficulté d'interprétation et le premier argument des défendeurs ne saurait emporter la nullité de la convention.

Par ailleurs, le dol est, conformément à l'article 1137 du code civil, le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

En aucun cas la confusion alléguée par les défendeurs ne peut être qualifiée de manœuvre dolosive, alors qu'ils ont eux-mêmes rédigé la mention manuscrite et fait le choix d'écrire « [Y] » au lieu de « la société [Y] ». Cet argument sera donc également rejeté.

2° Sur les arguments relatifs à la mention dans le contrat de la garantie France Active

M. et Mme [Y] réclament également la nullité du cautionnement en faisant valoir sur le fondement des vices du consentement et des clauses réputées non écrites que dans la mesure où le prêt mentionnait une garantie « France Active », sans mentionner les conditions de cette garantie, ils étaient fondés à croire que leur engagement serait limité par cette garantie France Active. Ils considèrent que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a commis un dol ou à tout le moins un manquement à son obligation de renseignement en les laissant dans cette croyance.

*

L'article 1112-1 du code civil prévoit que la partie qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que cette dernière, légitimement, ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. La violation de cette obligation peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du code civil, à savoir lorsque le consentement a été vicié de façon déterminante.

Toutefois, le contrat que M. et Mme [Y] ont paraphé et signé stipulait clairement que les cautions ne pouvaient engager aucun recours à l'encontre de France Active, ni même se prévaloir de l'existence de cette garantie pour s'opposer à la mise en jeu de leur engagement, différer le paiement des sommes qui leur étaient réclamées par le prêteur ou en réduire le montant dès lors qu'il était expressément rappelé que la garantie France Active ne bénéficiait qu'au prêteur.

Par conséquent M. et Mme [Y] ne sauraient affirmer que malgré cette clause explicite, ils pouvaient légitimement croire à la limitation de leur engagement grâce à la garantie France Active, peu important qu'ils aient ou non reçu les conditions générales de la garantie France Active. Ces arguments ne sont donc pas de nature à emporter la conviction du tribunal et à considérer que M. et Mme [Y] aurait manqué à son obligation d'information au sens de l'article 1112-1 du code civil.

3° Sur les arguments relatifs aux conditions générales de France Active

M. et Mme [Y] soulignent par ailleurs qu'aux termes des conditions générales de France Active, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] s'était engagée à ne prendre aucune hypothèque et à ne procéder à aucune saisie immobilière pour le recouvrement de la créance garantie sur le logement servant de résidence principale au bénéficiaire du concours si le bénéficiaire du concours (à savoir le débiteur principal) est une personne physique ou une entreprise individuelle, et aux éventuelles cautions personnelles si le bénéficiaire est une société. Ils en déduisent, là encore, que la banque aurait manqué à son devoir d'information et de conseil.

*

Cependant, si le contrat de prêt stipule en page 9 que « pour obtenir ce paiement, le prêteur pourra exercer des poursuites judiciaires sur l'ensemble des biens, meubles et immeubles, présents et à venir, de la caution », il n'est pas démontré que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] aurait pris une hypothèque ou pratiqué une saisie sur le logement de M. et Mme [Y]. En toute hypothèse, à supposer qu'elle ait violé son engagement à l'encontre de France Active, cette violation ne peut emporter la nullité du contrat de cautionnement mais uniquement la déchéance de son droit à garantie auprès de France Victime.

Les défendeurs exposent également que conformément aux conditions générales de France Active, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] s'est engagée sous peine de déchéance de garantie à ce que le cumul des éventuels engagements de caution de personnes physiques n'excède pas la moitié du capital emprunté outre, dans la limite maximale de 30% du capital emprunté, les intérêts, frais et accessoires.

Cependant, leur engagement de caution à hauteur de 42 000 euros est bien inférieur à ce total de 45 500 euros. En outre, là encore cet engagement n'est prévu qu'à peine de déchéance de la garantie France Active.

Le tribunal relève à titre surabondant que M. et Mme [Y] ne sauraient se prévaloir de ces conditions générales dont ils n'avaient pas connaissance pour affirmer qu'ils ont cru être protégés et que leur consentement aurait ainsi été vicié.

Ces arguments seront donc écartés.

4° Sur les arguments tenant à l'absence de prêt

M. et Mme [Y] concluent à l'absence de validité du cautionnement au motif que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] ne rapporterait pas la preuve de l'existence de l'obligation principale, à savoir le contrat de prêt accordé à la société [Y].

*

Conformément à l'article 2289 du code civil dans sa version applicable au litige, le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable.

Cependant, ce contrat de prêt est intégré dans l'acte de cession de commerce auquel intervenu le mandataire de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4], et est intégralement repris à compter de la page 4 de cet acte, chaque page étant paraphée par M. et Mme [Y], la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] et le cédant.

L'obligation principale est donc établie et l'argument de M. et Mme [Y] sera là encore écarté.

5° Sur l'argument relatif à la déclaration de créance

M. et Mme [Y] exposent que les accusés de réception versés par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] s'agissant de la déclaration de créance ne portent aucune date de réception et qu'il n'est donc pas démontré que celle-ci a été valablement faite, si bien que la créance est éteinte et que la caution ne peut être poursuivie.

*

Il ressort de l'article L. 622-24 et de l'article L. 622-26 du code de commerce qu'à partir du jugement d'ouverture, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture doivent adresser la déclaration de leur créance à l'organe de la procédure collective dans un délai fixé par décret. A défaut de déclaration dans ce délai, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge commissaire ne les relève de leur forclusion. Les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Dans les mêmes conditions, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.

Par conséquent, et bien que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] ne justifie pas de la date de réception de sa déclaration de créance, la créance n'est pas éteinte comme le prétendent M. et Mme [Y] – étant précisé que même cette extinction n'emporterait pas la nullité réclamée dans le dispositif de leurs conclusions. En outre, la société [Y] est en liquidation judiciaire simplifiée, si bien qu'il n'y a jamais eu de plan de redressement et que la créance est opposable aux cautions, qui ne sont pas visées par les dispositions protectrices de l'article L. 622-21 du code de commerce.

Cet argument ne peut donc être retenu.

6° Sur l'absence de production de l'original signé par la caution

M. et Mme [Y] se plaignent de l'absence de production de l'original du cautionnement, sans préciser en quoi cette absence serait de nature à emporter la nullité de l'acte réclamée dans le dispositif de leurs conclusions.

En toute hypothèse, dans la mesure où ils ne prétendent pas que la copie du cautionnement serait falsifiée ou illisible, étant rappelé que Me Talleux, avocat, a envoyé un courrier attestant que le contrat de prêt incluant le cautionnement a été signé en sa présence, cette copie sera jugée satisfaisante nonobstant l'absence de production de l'original.

7° Sur le fondement de la bonne foi

M. et Mme [Y] considèrent au regard des reproches qu'ils forment à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] que celle-ci a manqué à son obligation de négocier et former les contrats de bonne foi.

Cependant, comme précédemment indiqué, aucun manquement contractuel n'a été relevé à l'encontre de la banque, qui n'était pas tenue d'obliger M. et Mme [Y] à écrire « la société [Y] » au lieu de « [Y] », ni d'expliquer de façon encore plus expresse qu'ils ne pouvaient bénéficier de la garantie France Active, et qui n'a pas même commis de faute délictuelle à l'encontre de M. et Mme [Y] au titre d'un éventuel manquement aux conditions générales de France Active.

Il convient là encore de rejeter l'argumentation de M. et Mme [Y].

En conséquence, la demande tendant à prononcer la nullité du cautionnement sera rejetée.

B. Sur les arguments tendant à limiter le quantum à 28 837,59 euros et à prononcer la déchéance du droit aux intérêts

M. et Mme [Y] se prévalent du défaut d'information annuelle et du défaut d'information quant aux premiers incidents de paiement.

*

Il ressort de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier dans sa version applicable au litige que les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

Il ressort par ailleurs des articles L. 341-1 et L. 343-5 du code de la consommation dans sa version applicable au litige que la banque est tenue d'informer la caution personne physique de tout incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement et qu'à défaut, la caution n'est pas tenue au paiement des pénalités et intérêts de retard échus entre la date du premier incident et celle à laquelle elle en a été informée.

Il appartient à la banque de démontrer le contenu et la date des informations données aux cautions, mais pas d'établir que la caution a effectivement reçu l'information envoyée.

En l'espèce, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] ne se prévaut pas d'un incident de paiement mais de la déchéance du terme pour procédure collective, si bien qu'elle n'était pas tenue d'envoyer un courrier relatif à un incident de paiement.

En revanche, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] verse des copies de courrier d'information annuelle datés de février 2018, février 2019 et début mars 2020 et se contente d'affirmer que M. et Mme [Y] ne contestent pas avoir les avoir reçus, alors précisément qu'ils contestent cette réception.

Par conséquent, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] est déchue des intérêts échus et les paiements effectués par la société [Y] sont réputés affectés prioritairement au règlement principal de la dette.

En l'espèce, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] affirme que la société [Y] aurait réglé la somme de 24 714,80 euros seulement, qui s'imputerait sur le capital emprunté de 70 000 euros, si bien que M. et Mme [Y] seraient redevables du solde de 45 285,20 euros, dans la limite de leur engagement de 42 000 euros, outre les intérêts à compter de la mise en demeure.

Cependant ces affirmations sont incohérentes avec le décompte de créance du 15 mars 2021 dans lequel elle évaluait le capital restant dû à 28 837,59 euros et le capital des échéances en retard à 5 789,33 euros, soit 34 626,92 euros.

Par conséquent et aux termes de ce décompte de créance, M. et Mme [Y] sont tenus au capital restant dû, au capital des échéances en retard et aux frais d'assurance.

En revanche, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] ne précise pas la nature de l'indemnité conventionnelle de 5%, qui ne peut être assimilée au paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard que M. et Mme [Y] se sont engagés à régler.

Par conséquent, M. et Mme [Y] seront condamnés à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de 34 663,32 euros.

Sur les intérêts :

Aux termes de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.

Par conséquent, la condamnation sera assortie des intérêts au taux légal à compter des mises en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 24 février 2021.

Conformément à l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière sera ordonnée.

II. Sur la demande à titre reconventionnel tendant à la condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à payer la somme de 37 348,35 euros à titre de dommages et intérêts

Pour rappel, les arguments relatifs au dol et à la mauvaise foi alléguée de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] ont déjà été rejetés.

M. et Mme [Y] contestent avoir reçu une mise en garde en leur qualité de caution non avertie et estiment que leur engagement était disproportionné compte tenu de leurs revenus et de leur patrimoine, étant précisé que la banque avait pris en compte leur logement alors même qu'elle s'était engagée à ne pas le saisir.

*

Aux termes de l'article L. 332-1 du code de la consommation dans sa version applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci a été appelée ne lui permette de faire face à ses obligations.

En l'espèce, l'emprunteur principal a emprunté une somme de 70 000 euros remboursable en mensualités de 1 235 euros pendant cinq ans.

M. et Mme [Y] se sont portés caution à hauteur de 42 000 euros.

Selon la fiche de renseignements qu'ils ont remplie, le couple était propriétaire d'un immeuble évalué à 179 000 euros et acheté en 2014, étant précisé qu'il remboursait la somme de 147 000 euros au titre de divers prêts, soit un actif net de 42 000 euros, et qu'après remboursement il leur restait un revenu mensuel disponible de 3 051 euros, sans enfant à charge.

Contrairement à ce qu'ils affirment et bien que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] se soit engagée auprès de France Active à ne pas saisir leur logement, celui-ci n'est pas pour autant insaisissable et continue en toute hypothèse à faire partie de leur patrimoine. Par conséquent, leur habitation principale peut être prise en compte dans leur patrimoine pour déterminer si le cautionnement est adapté à leurs biens et revenus.

En toute hypothèse, leur situation s'est améliorée au moment où ils ont été appelés en 2021, dès lors qu'il n'est pas prétendu que la valeur de leur bien immobilier aurait diminué et qu'en revanche leurs engagements aux titre des divers prêts ne sont plus que de 96 000 euros, soit un actif net de 83 000 euros pour régler 37 348,35 euros avec intérêts. Le salaire de Mme [Y], professeur des écoles, a légèrement augmenté et M. [Y] n'a pas communiqué ses revenus en 2021.

Par conséquent, il n'y a pas lieu de faire application de ce texte pour octroyer à M. et Mme [Y] les dommages et intérêts qu'ils réclament.

*

A peine de déchéance, l’établissement de crédit a un devoir de mise en garde vis-à-vis de la caution non avertie dès lors que le débiteur principal contracte un engagement inadapté à ses capacités financières ou que le cautionnement n'est pas adapté aux capacités financières de la caution au jour de l'engagement.

La caution non avertie est celle qui n’a pas les compétences pour apprécier le risque lié à son cautionnement ou qui n’avait pas d’expérience en matière de crédit et de cautionnement. La qualité de caution avertie ne peut se déduire de la simple profession du défendeur.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [Y], qui n'est ni associée, ni conjoint collaborateur, n'était pas avertie. En revanche, M. [Y] ne fournit aucun élément de nature à démontrer qu'il serait une caution non avertie.

M. et Mme [Y] ne démontrent pas que la société [Y], en rachetant pour 60 000 euros seulement un fonds de commerce alors que son gérant, M. [Y], travaillait déjà dans ce domaine, aurait réalisé une opération particulièrement risquée ou que le remboursement de mensualités de 1 235 euros pendant cinq ans était inadapté à la situation du débiteur. Il n'est d'ailleurs pas prétendu que la société [Y], bien qu'elle ait fait l'objet d'une liquidation judiciaire simplifiée au bout de trois ans, aurait eu des difficultés à régler les échéances de ce prêt les trois premières années.

Par ailleurs, il a déjà été jugé que l'engagement n'était pas inadapté aux revenus et biens de M. et Mme [Y].

Par conséquent, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] n'a pas manqué à son obligation de mise en garde et leur demande tendant à condamner M. et Mme [Y] à leur payer la somme de 37 348,35 euros sera rejetée.

III. Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

M. et Mme [Y], qui succombent, seront condamnés aux dépens.

L'article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

Compte tenu de la situation réciproque des parties, il n'apparaît pas inéquitable de rejeter les demandes réciproques à ce titre.

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable aux instances introduites après le 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

Compte tenu de l'ancienneté de la mise en demeure, rien ne justifie de faire exception à ce principe.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et en premier ressort :

DEBOUTE M. [Z] [Y] et Mme [N] [O] son épouse de leur demande tendant à prononcer la nullité de leur engagement de cautionnement,

CONDAMNE M. [Z] [Y] et Mme [N] [O] son épouse à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de 34 663,32 euros avec intérêts au taux légal à compter des mises en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 24 février 2021.

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière conformément à l'article 1343-2 du code civil,

DEBOUTE M. [Z] [Y] et Mme [N] [O] son épouse de leur demande tendant à condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à leur payer la somme de 37 348,35 euros à titre de dommages et intérêts,

CONDAMNE M. [Z] [Y] et Mme [N] [O] son épouse aux dépens,

DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

REJETTE la demande tendant à écarter l'exécution provisoire de droit.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

Dominique BALAVOINEAnne-Sophie SIEVERS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 02
Numéro d'arrêt : 22/05702
Date de la décision : 19/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-19;22.05702 ?
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