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19/03/2024 | FRANCE | N°22/00040

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 02, 19 mars 2024, 22/00040


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/00040 - N° Portalis DBZS-W-B7G-VZBX


JUGEMENT DU 19 MARS 2024



DEMANDERESSE :

Mme [J] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François RABIER, avocat au barreau de LILLE


DÉFENDEURS :

M. [A] [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Emilie GUILLEMANT, avocat au barreau de LILLE

Mme [Y] [C] épouse [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emilie GUILLEMANT, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITIO

N DU TRIBUNAL

Président : Anne-Sophie SIEVERS, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Ju...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 22/00040 - N° Portalis DBZS-W-B7G-VZBX

JUGEMENT DU 19 MARS 2024

DEMANDERESSE :

Mme [J] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François RABIER, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEURS :

M. [A] [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Emilie GUILLEMANT, avocat au barreau de LILLE

Mme [Y] [C] épouse [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Emilie GUILLEMANT, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Anne-Sophie SIEVERS, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

GREFFIER

Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 17 Novembre 2023 ;

A l’audience publique du 23 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 19 Mars 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 19 Mars 2024, et signé par Anne-Sophie SIEVERS, Président, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte authentique du 28 février 2013, Mme [J] [U] a acheté à M. [A] [V] et Mme [Y] [C] son épouse un immeuble à usage d'habitation situé [Adresse 1]. L'acte stipule que M. et Mme [V] ont réalisé eux-mêmes en 2011 des travaux d'extension avec déclaration préalable de travaux.

En 2019, Mme [U] s'est plainte d'infiltrations sur le mur de séparation entre la cuisine et la salle de bain.

Par actes signifiés le 25 juin 2020, Mme [U] a assigné à étude M. et Mme [V] devant le juge des référés qui, par ordonnance du 31 juillet 2020, a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [R] [G].

Par actes signifiés le 14 décembre 2021, Mme [U] a assigné M. et Mme [V] devant le tribunal judiciaire de Lille.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 21 septembre 2023 par RPVA, Mme [U] demande au tribunal de :
-dire Mme [U] recevable et bien fondée en sa demande,
-condamner in solidum M. et Mme [V] à payer à Mme [U] la somme de 18 302,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel (coût de remise en état), avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation ;
- condamner in solidum M. et Mme [V] à payer à Mme [U] la somme de 7 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation ;
-débouter M. et Mme [V] de l’ensemble de leurs demandes contraires,
-ordonner la capitalisation des intérêts,
-dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
-condamner in solidum M. et Mme [V] au paiement d’une indemnité de 5 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance en ce compris l’instance en référé expertise, et les frais d’expertise judiciaire, dont distraction au profit de Me [H] [Z].

Au soutien de ses demandes, elle se prévaut de la responsabilité décennale des défendeurs, exposant notamment qu'aux termes du rapport d'expertise les désordres proviennent des travaux qu'ils ont réalisés et rendent l'immeuble impropre à sa destination.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 15 novembre 2023 par RPVA, M. et Mme [V] demandent au tribunal de :

A titre principal :
-débouter purement et simplement Mme [U] de l’ensemble de ses demandes

À titre subsidiaire :
-juger que M. et Mme [V] ne peuvent être tenus qu’au paiement de la somme de 4692,87 euros, au titre des travaux de couverture de l’extension litigieuse,
-juger que M. et Mme [V] ne peuvent être tenus qu’au paiement de la somme de 2 450 euros, au titre des travaux d’embellissements de la cuisine et la salle de bain ainsi que la pose de la VMC,


En toutes hypothèses :
-débouter purement et simplement Mme [U] de l’ensemble de ses demandes,
-condamner Mme [U] à verser à M. et Mme [V] la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. et Mme [V] aux entiers frais et dépens.

A l'appui de leurs demandes, ils contestent le caractère décennal des désordres. Ils considèrent par ailleurs l'absence de VMC ne relève que l'article 1792-3 du code civil.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties pour un exposé complet des moyens.

L'ordonnance de clôture a été fixée au 17 novembre 2023. Après débats à l’audience du 23 janvier 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 19 mars 2024.

MOTIFS

I. Sur les demandes principales de Mme [U]

Aux termes de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

L'article 1792-1 2° du même code définit notamment comme constructeur toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire.

Le maître de l'ouvrage qui se prévaut de ces articles doit notamment démontrer l'existence d'une réception et de désordres non visibles à la réception, puis établir que ces désordres ont, dans le délai de dix ans à compter de la réception, compromis la solidité de l’ouvrage ou rendu celui-ci impropre à sa destination.

En l'espèce, l'acte authentique de vente stipule que M. et Mme [V] ont fait construire sans assurance dommages-ouvrage une extension de 17 m² avec déclaration d'achèvement des travaux en date du 8 novembre 2011.

1° Sur les demandes relatives aux infiltrations

En premier lieu, l'expert judiciaire a relevé une infiltration au droit de la jonction entre le bâtiment ancien et l'extension. Il considère qu'elle découle du choix d'une bande raccord inadaptée pour réaliser une telle liaison (en réalité un simple écran pour toiture tuile), d'une pente insuffisante de 1,25 % au lieu de 5% selon le DTU 40.41, de l'absence de relevé de 15 cm exigé par le DTU 43 (visant à éviter toute infiltration en cas de mise en charge de la toiture), et conclut que compte tenu de ces trois éléments, « les infiltrations constatées étaient inévitables ».

M. et Mme [V] contestent désormais la matérialité de l'infiltration, exposant plus précisément que les fuites concernent les tuiles de rive sur lesquelles ils ne sont pas intervenus. A cet égard, ils ont notamment indiqué à l'expert judiciaire que les infiltrations étaient au niveau de la toiture en tuiles, plus haute que la toiture zinc qui la prolonge, et évoquent également la possibilité que l'infiltration viennent d'une série de tuiles siliconées sur plusieurs rangées.

Le tribunal relève qu'ils n'ont jamais reproché à l'expert, avant le dépôt du rapport définitif, de ne pas avoir pris de photographie des infiltrations elles-mêmes. Par ailleurs, l'expert judiciaire, dans sa réponse à leur dire, a toujours clairement écarté ces hypothèses, rappelant le rôle déterminant de l'absence de pente et du choix de la bande de raccord non étanche avec le zinc et soulignant que si l'infiltration provenait des tuiles de rives, l'eau se serait retrouvée sur la sous-toiture et observant que les tuiles siliconées sont en parfait état et posées dans les règles de l'art.

Par conséquent, il convient de considérer que les infiltrations sont bien imputables aux travaux d'extension réalisés par M. et Mme [V].

A propos de ces désordres, l'expert judiciaire précise qu'ils sont apparus après la prise de possession de l'habitation et que le désordre a affecté la partie d'isolation et de faux plafond du côté de l'extension au droit de l'extension sur un mètre environ. Il ajoute que l'infiltration n'affecte pas la solidité de l'immeuble mais le rend impropre à sa destination.

Les attestations de Mme [W] [O], de Mme [M] [U] (mère de Mme [U]), de Mme [D] [T], de Mme [N] [L] et de Mme [J] [B] confirment que depuis les infiltrations dont se plaint la demanderesse, son habitation est particulièrement froide et humide en hiver alors même que le chauffage fonctionne, Mme [L] précisant même qu'en période de grande froid la température est entre 9 et 15°C alors que l'immeuble sert à Mme [U] à la fois d'habitation et à son activité d'assistante maternelle.

Au regard de ces éléments concordants, portant directement sur l’habitabilité normale du logement et malgré l'absence de photographies prises contradictoirement, il y a lieu de retenir le caractère décennal des infiltrations.

S'agissant de la réparation des désordres, l'expert judiciaire conclut à la nécessité de remplacer le zinc par une membrane sur support OSB sur une surface de 17 m² correspondant à la surface de l'extension, outre une bande d'un mètre sur la longueur de l'extension, soit 7,1 m². Contrairement à ce qu'affirme Mme [U] et conformément au principe de réparation intégrale du préjudice sans appauvrissement ni enrichissement de la victime, elle ne saurait réclamer la prise en charge du remplacement da sa toiture en tuile par une membrane.

Par conséquent, le chiffrage de l'expert sur la base du devis de la société Conception Bois sera retenu et M. et Mme [V] seront condamnés in solidum à payer à Mme [U] la somme de 4 692,87 euros au titre de la réparation des désordres affectant la toiture.

2° Sur les demandes relatives au mur en parpaings de l'extension

Sur ce point, l'expert judiciaire se contente d'affirmer que ce mur à nu n'est pas conforme au PLU. Contrairement à ce qu'affirme Mme [U], il ne ressort pas du rapport d'expertise que cette absence de protection serait une cause d'aggravation des désordres. Or une simple non-conformité au PLU ne saurait être considérée comme un désordre, et encore moins comme un désordre de nature décennale.

Mme [U] sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

3° Sur la demande relative à l'absence de VMC

L'expert judiciaire a relevé la présence de moisissures qu'il attribue à l'absence de VMC et précise que la bouche d'extraction dans la salle de bain est fictive compte tenu de l'absence de gaine VMC ou de moteur VMC.

Néanmoins, la présence de moisissures légères au bout de plusieurs années, alors que M. et Mme [V] soulignent que la fenêtre de la salle de bain n'était manifestement jamais ouverte, n'apparaît pas comme un désordre de nature décennale imputable aux travaux des défendeurs.

Mme [U] sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

4° Sur les demandes au titre du préjudice de jouissance

Le préjudice de jouissance indemnise l'impossibilité de jouir normalement de son bien. Au regard des attestations déjà produites, il n'est pas contestable que Mme [U] subit un préjudice pendant les mois d'hiver depuis sa déclaration de sinistre le 20 janvier 2019 dès lors qu'elle ne parvient pas à avoir une température acceptable malgré la mise en route du chauffage.

Il convient donc d'indemniser ce préjudice à hauteur de 200 euros par mois, de mi-octobre à mi-avril par an depuis janvier 2019, soit 27 mois et demi, pour un total de 5 500 euros.

En revanche, rien ne permet d'évaluer la durée des seuls travaux de toiture, qui n'ont pas vocation à gêner l'habitation de l'immeuble.

M. et Mme [V] seront donc condamnés in solidum à payer à Mme [U] la somme de 5 500 euros au titre de son préjudice de jouissance.

5° Sur la demande au titre des intérêts

Aux termes de l'article 1231-7 du code civil, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal et sauf disposition contraire, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement, à moins que le juge n'en décide autrement.

En l'espèce et compte tenu du fait que la condamnation de M. et Mme [V] est largement inférieure aux demandes formées par Mme [U] dans son assignation, rien ne justifie que les intérêts commencent à courir à une date antérieure au prononcé de la présente décision.

Les intérêts courront donc à compter de la présente décision.

6° Sur la demande de capitalisation des intérêts

Aux termes de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.

Les intérêts commençant à courir à compter de la présente décision, ils ne sont pas dus pour une année entière, si bien qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts.

II. Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

L'article 699 du code de procédure civile ajoute que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

M. et Mme [V] succombant à l'instance, ils seront condamnés in solidum aux dépens, qui comprennent les frais d'expertise judiciaire et les frais de l'instance en référé, avec faculté de recouvrement direct au profit de Me [Z] si celui-ci en a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

L'article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

Mme [U] a exposé des frais qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge. Par conséquent, M. et Mme [V] seront condamnés in solidum à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable aux instances introduites après le 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l'espèce, M. et Mme [V] n'avancent pas d'argument pour qu'il soit fait exception à ce principe, la simple absence d'urgence ne suffisant pas à écarter l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et en premier ressort :

CONDAMNE in solidum M. [A] [V] et Mme [Y] [C] son épouse à payer à Mme [J] [U] la somme de 4 692,87 euros au titre de la réparation des désordres affectant la toiture,

DEBOUTE Mme [J] [U] de ses demandes au titre du mur en parpaings et de l'absence de VMC,

CONDAMNE in solidum M. [A] [V] et Mme [Y] [C] son épouse à payer à Mme [J] [U] la somme de 5 500 euros au titre de son préjudice de jouissance,

DIT que les intérêts au taux légal courront à compter de la présente décision,

DIT sans objet la demande de capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière,

CONDAMNE in solidum M. [A] [V] et Mme [Y] [C] son épouse aux dépens, comprenant les frais de l'instance en référé et les frais d'expertise judiciaire,

CONDAMNE in solidum M. [A] [V] et Mme [Y] [C] son épouse à payer à Mme [J] [U] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,

DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de droit.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

Dominique BALAVOINEAnne-Sophie SIEVERS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 02
Numéro d'arrêt : 22/00040
Date de la décision : 19/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-19;22.00040 ?
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