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18/03/2024 | FRANCE | N°22/04556

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 18 mars 2024, 22/04556


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/04556 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WJFK
JUGEMENT DU 18 MARS 2024

DEMANDEUR :

M. [G] [U]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me William WATEL, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

Le docteur [S] [I]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Marc-antoine ZIMMERMANN, avocat au barreau de LILLE

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE, prise en son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
rep

résentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

La S.A. LA MEDICALE DE FRANCE, prise en la personne de son représentant l...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/04556 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WJFK
JUGEMENT DU 18 MARS 2024

DEMANDEUR :

M. [G] [U]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me William WATEL, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

Le docteur [S] [I]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Marc-antoine ZIMMERMANN, avocat au barreau de LILLE

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LOT ET GARONNE, prise en son représentant légal domicilié audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

La S.A. LA MEDICALE DE FRANCE, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 8]
défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 26 Avril 2023.

A l’audience publique du 08 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 18 Mars 2024.

Leslie JODEAU, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 18 Mars 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

EXPOSE DU LITIGE

En février 2015, M. [G] [U] a consulté le Dr [I] [S], chirurgien dentiste, dans le cadre d'un contrôle bucco-dentaire. Après radiographie panoramique, celle-ci a proposé la réalisation de trois couronnes solidarisées sur les dents 25, 26 et 27. Les soins ont été réalisés le 2 avril 2015.

En août 2016, M. [G] [U] a présenté un abcès au niveau des prothèses maxillaires gauches posées par le Dr [I] [S]. Le Dr [K], son successeur, lui a prescrit un traitement antibiotique et anti-inflammatoire.

Au deuxième semestre 2018, la prothèse s'est descellée.

Plusieurs devis de soins ont été proposés à M. [G] [U] par le Dr [E] et par le Dr [K] mais il ne les a pas acceptés et a continué à porter les prothèses descellées dans l'attente du résultat de la procédure engagée à l'encontre du Dr [I] [S] à compter de mars 2019.

Une expertise amiable a été réalisée le 12 octobre 2019 par le Dr [Y] [C], mandatée par l'assureur protection juridique de M. [G] [U], laquelle a retenu un manquement du Dr [I] [S] en ce que, devant la fragilité de la dent 27, elle aurait dû l'extraire et proposer de poser un implant plutôt que de la souder aux deux autres dents. Elle a considéré que l'état de M. [G] [U] n'était pas consolidé et ne pourrait l'être que lorsque la pose de l'implant 27 sera réalisée.

M. [G] [U] a ensuite saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille lequel a, par ordonnance 16 février 2021, désigné le Dr [D] [F] aux fins d'expertise.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 23 août 2021. Elle a retenu un manquement à l'encontre du Dr [I] [S] en ce que la conservation de la dent 27, qui était à l'état de racine, n'était pas indiquée au moment de la prise en charge. Elle a considéré que l'état de santé de M. [G] [U] n'était pas consolidé.

Suivant exploit délivré les 28, 29 juin et 6 juillet 2022, M. [G] [U] a fait assigner le Dr [I] [S], la société La Médicale et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Lot et Garonne devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins de voir engager la responsabilité du chirurgien dentiste et d'obtenir indemnisation de ses préjudices.

Bien que régulièrement assignée, la société La Médicale n'a pas constitué avocat.

La clôture des débats est intervenue le 26 avril 2023, et l’affaire fixée à l’audience du 8 janvier 2024.

La CPAM a constitué avocat le 5 mai 2023 soit postérieurement à la clôture.

****
Aux termes de son assignation, M. [G] [U] demande au tribunal de :

dire que le Dr [I] [S] est responsable de ses préjudices,condamner solidairement le Dr [I] [S] et son assureur à lui payer les sommes suivantes :* 580,16 euros en remboursement de la facture du Dr [E] du 21 octobre 2021
* 1.750 euros en règlement de la facture du Dr [E] du 18 novembre 2021
* 5.000 euros au titre des souffrances endurées
* 2.416 euros au titre de la gêne temporaire
* 3.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent
condamner le Dr [I] [S] à remboursement les facturations qu'elle a émises puisque les travaux qu'elle a entrepris étaient voués à l'échec et que rien n'a pu en être conservé,condamner solidairement le Dr [I] [S] et son assureur la société La Médicale à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par RPVA le 14 octobre 2022, le Dr [I] [S] demande au tribunal de :

dire et juger que l'indemnisation des préjudices de M. [G] [U] doit être évaluée à une somme globale de 2.765,68 euros décomposée comme suit :* dépenses de santé actuelles : réservé
* remboursement facturation : 176,48 euros
* souffrances endurées : 1.200 euros
* déficit fonctionnel temporaire : 1.389,20 euros
* déficit fonctionnel permanent : 0 euros
débouter M. [G] [U] du surplus de ses demandes,dépens comme de droit.
Pour l’exposé des moyens respectifs des parties, il sera fait application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile et procédé au visa des dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la qualification du jugement

La société La Médicale n'ayant pas constitué avocat, il sera statué par jugement réputé contradictoire, conformément à l’article 474 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond ; le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable, et bien fondée.

Sur la constitution et les conclusions tardives de la CPAM

L'article 802 du code de procédure civile prévoit que :
« Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture.
Sont également recevables les conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption ».

Selon l'article 803 du même code, seule une cause grave peut justifier la révocation de l'ordonnance de clôture. La constitution tardive d'un avocat ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

En l'espèce, Me De Berny s'est constitué au soutien des intérêts de la CPAM le 5 mai 2023 et a notifié ses conclusions le même jour, soit postérieurement à la clôture intervenue le 26 avril 2023. Il n'a pas sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture en invoquant une cause grave.

Dans ces conditions, ses conclusions seront d'office déclarées irrecevables et écartées des débats.

Sur la responsabilité recherchée du Dr [I] [S]

Aux termes de l’article L1142-1 du code de la santé publique :
“Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.”

Une erreur ou une maladresse ne sont pas, par elles-mêmes, fautives et il incombe au patient de rapporter la preuve d’un manquement fautif de la part du praticien ou de l'établissement, notamment en raison d’un manquement aux règles de bonne pratique, ayant concouru à la réalisation d’une complication.

Le Dr [I] [S] ne conteste pas avoir commis une faute dans la prise en charge de M. [G] [U] seule étant discutée la question du lien de causalité et de la perte de chance.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire qu'avant les soins prodigués par le Dr [I] [S], la dent 27 était à l'état de racine. Elle présentait une lésion parodontale profonde en mésial en lien avec la limite sous-gingivale du pan mésio-palatin de la dent, due, selon l'expert, à une fracture ou à une destruction carieuse antérieure. Il n'y avait plus de hauteur de parois dentaires de sorte que la dent ne permettait pas d'obtenir le cerclage nécessaire à la rétention suffisante des pièces prothétiques.

L'expert retient que la fragilité de la dent 27 était connue du Dr [I] [S], ce qu'elle ne conteste pas, puisqu'elle a choisi de solidariser les trois couronnes envisagées sur les dents 25, 26 et 27. Or, l'expert estime que « la solidarisation de pièces unitaires dento-portées est un concept obsolète qui avait pour but d'augmenter la rétention globale d'une prothèse plurale par la multiplication des points d'ancrage en cas de faibles parois résiduelles des dents à restaurer ».

Elle considère en conséquence que la conservation de la dent 27 n'était pas indiquée et que la réalisation d'une couronne sur reconstitution corono-radiculaire n'était pas conforme.

Elle ajoute que la réalisation d'une couronne sur la dent 25, qui était dévitalisée et porteuse d'une reconstitution coronaire, était indiquée.

Avant les soins réalisés par le Dr [I] [S], la dent 26 était dévitalisée et porteuse d'une couronne descellée sur reconstitution corono-radiculaire. L'expert retient que la réalisation d'une couronne et d'un inlay-core sur la dent 26 était donc indiquée.

En revanche, compte tenu de l'état de la dent 27, l'expert conclut que la réalisation de trois couronnes solidarisées sur les dents 25, 26 et 27 n'était pas indiquée.

En d'autres termes, la dent 27 aurait dû être extraite et non incluse dans une construction solidarisée dans l'espoir de prolonger sa durée de vie et les dents 25 et 26 auraient dû être reconstituées au moyen de prothèses unitaires.
Le Dr [I] [S] ne conteste pas le manquement ainsi retenu à son encontre par l'expert.

Cette mauvaise prise en charge est à l'origine du descellement prématuré de la prothèse au cours du deuxième semestre 2018. En effet, l'expert indique que « la faiblesse de l'ancrage postérieur, constitué par la dent 27, associé à la confection de couronnes solidarisées, a conduit au descellement de la dent 27 puis de la construction entière ensuite, par le mouvement de flexion induit par ce descellement ». L'expert estime ainsi que le descellement de la prothèse au deuxième semestre 2018 est imputable de façon certaine, directe et exclusive à la mauvaise prise en charge. Dans ces conditions, les dommages imputables au descellement prothétique doivent être pris en charge en intégralité par le Dr [I] [S].

Ensuite, l'expert retient que la dent 27 doit être extraite mais que la perte de cette dent n'est pas imputable à la prise en charge du chirurgien dentiste mais à l'état antérieur du patient. Dans ces conditions, aucune indemnisation ne peut être mise à la charge du Dr [I] [S] s'agissant de cette dent.

L'expert retient également que la dent 26 doit être extraite ce qu'il estime être en lien direct et certain mais non exclusif avec la prise en charge du Dr [W] [S]. En effet, elle rappelle que lorsque M. [G] [U] a consulté les Drs [E] et [K] en décembre 2018 et février 2019, la dent 26 était conservable et que sa reconstitution préalable par un nouvel inlay-core était nécessaire, ce qui avait été prescrit par les deux médecins. Or, il s'avère que M. [G] [U] n'a pas fait réaliser les soins alors préconisés de sorte que l'expert judiciaire a constaté, lors de son accédit du 29 avril 2021, une perforation du plancher pulpaire de la dent 26 causée par une carie dentaire, qui n'était pas présente fin 2018/début 2019, et qui est à mettre en relation avec le port de la prothèse descellée depuis le deuxième semestre 2018 n'assurant plus aucune herméticité. L'expert estime donc que la perte de la dent 26 est imputable à la prise en charge non conforme et à l'attitude attentiste du patient qui n'a pas débuté les soins. L'expert retient donc que la prise en charge du Dr [I] [S] a été à l'origine d'une perte de chance pour M. [G] [U] de garder sa dent 26 plus longtemps, perte de chance qu'il évalue à 50%.

M. [G] [U] conteste l'appréciation faite sur ce point par l'expert et considère qu'il a droit à la réparation intégrale de ses préjudices dès lors que l'absence de soins ne peut être retenue pour minorer son indemnisation. Le Dr [I] [S] demande quant à elle de retenir, comme l'a fait l'expert, un taux de perte de chance de 50% au motif que la carie subie par la dent 26, bien que favorisée par le descellement de la prothèse qui est imputable à son mauvais choix thérapeutique, résulte essentiellement de l'absence de soins ultérieurs, ce qui est imputable au demandeur.

Sur ce point, il résulte de l'article 16-3 du code civil que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention thérapeutique. Ainsi, le refus d'une personne, victime d'une prise en charge thérapeutique non conforme, de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de ce défaut de prise en charge quand bien même ces soins auraient permis de supprimer le dommage ou d'en diminuer l'ampleur. Ainsi, dans le cas d'espèce, il ne peut être reproché à M. [G] [U] d'avoir refusé les soins qui lui ont été proposés fin 2018/début 2019. En conséquence, il a droit à l'indemnisation intégrale des préjudices liés à la dent 26 et résultant de la mauvaise prise en charge du Dr [I] [S].

Le Dr [I] [S] doit donc être condamnée à indemniser totalement les préjudices du demandeur.

La condamnation solidaire de l'assureur, la société La Médicale, lequel n'a pas constitué avocat, est recherchée. Devant le juge des référés, la société La Médicale avait sollicité sa mise hors de cause faisant valoir que le contrat souscrit par le Dr [I] [S] avait été résilié le 18 mars 2019, soit antérieurement à la réclamation de M. [G] [U] intervenue le 23 octobre 2019. Le juge des référés a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de trancher ce litige relevant du fond.

Le Dr [I] [S] n'a pas appelé en garantie son assureur et n'a donc développé aucun moyen relatif à l'identité de l'assureur susceptible de prendre en charge le dommage du demandeur de sorte qu'il appartient à ce dernier d'établir que la société La Médicale est tenue de garantir le dommage.

Sur ce point, il verse aux débats une attestation de résiliation du contrat 003463590X souscrit auprès de la société La Médicale (dont la date de prise d'effet n'est pas mentionnée) à compter du 10 novembre 2015 puis les conditions particulières du contrat 01333452RE souscrit auprès de la société La Médicale à effet au 18 mars 2016, soit postérieurement aux soins litigieux, lequel contrat a été résilié le 18 mars 2019.

Ces seuls éléments ne suffisent pas à établir que la société La Médicale est effectivement tenue de prendre en charge le dommage causé par le Dr [I] [S], ce d'autant que le tribunal relève que, devant l'expert judiciaire, c'est la société AXA Assurances qui était représentée en qualité d'assureur et non la société La Médicale. Les demandes formées à l'encontre de la société La Médicale seront donc rejetées.

Sur l’indemnisation

Pour obtenir la liquidation définitive de ses préjudices, la victime doit établir que son état de santé est consolidé, la consolidation étant le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et où il est possible d'apprécier l'existence d'une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique.

L'expert judiciaire a, aux termes de son rapport du 23 août 2021, considéré que la consolidation de l'état de M. [G] [U] n'était pas acquise et qu'elle ne pourrait l'être qu'à la date de l'extraction pour la dent 27, à la date du soin conservateur pour la dent 25 et à la date de la pose de la prothèse d'usage pour la dent 26.

M. [G] [U] justifie de ce que, postérieurement à l'expertise, il s'est fait retirer les dents 26 et 27 le 21 octobre 2021 et poser une infrastructure coronaire, un implant et une couronne sur la dent 26 le 18 novembre 2021, raison pour laquelle il considère que son état de santé est consolidé depuis le 21 octobre 2021 et sollicite la liquidation définitive de ses préjudices.

Si ce raisonnement est admis par le Dr [I] [S], laquelle retient néanmoins une consolidation à la date du 18 novembre 2021, le tribunal ne peut suivre les parties dans cette voie. En effet, le tribunal ne dispose pas de compétences médicales en la matière et ne peut dès lors, sur la base de simples notes d'honoraires mentionnant l'avulsion des dents 26 et 27 et la pose d'une infrastructure coronaire, d'une couronne et d'un implant intra-osseux sur la dent 26, affirmer que l'état de santé de M. [G] [U] est consolidé ce d'autant qu'il n'est justifié d'aucun soin conservateur qui aurait été réalisé sur la dent 25.

En l'absence de consolidation démontrée, les demandes de liquidation seront d'office requalifiées en demandes provisionnelles.

En droit, une provision doit, en fonction des éléments de preuve discutés, correspondre à l’indemnisation provisoire du préjudice telle que pouvant d’ores et déjà être appréhendée sans contestation sérieuse.

Les préjudices patrimoniaux temporaires

Les dépenses de santé actuelles

M. [G] [U] sollicite la somme de 580,16 euros au titre de la facture du Dr [E] du 21 octobre 2021 pour l'avulsion des dents 26 et 27 et la somme de 1.750 euros au titre de la facture du Dr [E] du 18 novembre 2021 pour la pose d'une infrastructure coronaire, d'une couronne et d'un implant sur la dent 26.

Le Dr [I] [S] demande que ce poste de préjudice soit réservé dès lors qu'il n'est pas justifié des montants pris en charge par la CPAM et par la mutuelle.

Force est de constater que M. [G] [U] ne justifie ni des sommes prises en charge par la CPAM ni des sommes prises en charge par sa mutuelle de sorte qu'à ce stade, l'indemnisation de ce poste de préjudice est soumise à contestation sérieuse. Aucune provision ne pourra donc être allouée à ce titre.

M. [G] [U] sollicite en outre, aux termes de son dispositif, la condamnation du Dr [I] [S] à lui « rembourser les facturations qu'elle a émises, puisque les travaux qu'elle a entrepris étaient voués à l'échec et que rien n'a pu en être conservé ». Cette demande est indéterminée en son montant. Le tribunal relève que le Dr [I] [S] accepte néanmoins de verser à ce titre la somme de 176,48 euros telle que retenue par l'expert, correspondant au reste à charge, après déduction des remboursements effectués par la CPAM et la mutuelle AREAS, sur la pose des trois couronnes céramo-métalliques solidarisées sur les dents 25, 26 et 27 et des inlay-core sur les dents 26 et 27 réalisée par le chirurgien-dentiste.

Il convient donc de lui à allouer une provision de 176,48 euros à valoir sur l'indemnisation du poste de dépenses de santé actuelles.

Les préjudices extra-patrimoniaux temporaires

Le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

En l’espèce, M. [G] [U] sollicite la somme de 2.416 euros sur la base d'une indemnité journalière de 40 euros tandis que le Dr [I] [S] propose de verser une somme de 1.389,20 euros sur la base d'une indemnité journalière de 23 euros.

L’expert judiciaire a d'ores et déjà retenu un déficit fonctionnel temporaire débutant à la date du descellement de la prothèse, soit au deuxième semestre 2018, compte tenu des gênes fonctionnelles à la mastication et à l'élocution, engendrées par les chutes de la construction, et de l'halitose associée.

Elle indique que les gênes subies seront d'abord de 5% puis de 3% dès la prise en charge des soins et l'arrêt du port de la prothèse.

Les soins ont débuté, ainsi qu'il est justifié, le 21 octobre 2021.

Dans ces conditions, le déficit fonctionnel temporaire peut d'ores et déjà être retenu, sans contestation sérieuse, à hauteur de 5% du 1er juillet 2018 au 20 octobre 2021, soit durant 1208 jours, ainsi que le retiennent les parties.

Sur la base d'une indemnité journalière de 27 euros, une provision de 1.630,80 euros peut être accordée (1208 jours x 27 euros x 5%).

Les souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre. 

En l'espèce, M. [G] [U] sollicite la somme de 5.000 euros tandis que le Dr [I] [S] offre la somme de 1.200 euros.

L'expert a évalué les souffrances endurées à 1 sur une échelle de 7 en tenant compte des souffrances morales engendrées par la situation suite au descellement de la prothèse ainsi que celles engendrées par la perte de la dent 26 outre la survenue de l'épisode infectieux.

Compte tenu de ces éléments, il convient d'allouer au demandeur une provision de 2.000 euros à valoir sur l'indemnisation des souffrances endurées.

Les préjudices extra-patrimoniaux permanents

Le déficit fonctionnel permanent

Il s’agit du préjudice résultant de la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours. Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime que ce soient les atteintes à ses fonctions physiologiques ou la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d'existence quotidiennes. Ce poste de préjudice doit réparer la perte d’autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.

En l’espèce, M. [G] [U] sollicite la somme de 3.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 1,5 %.

Le Dr [I] [S] conclut au rejet de la demande faisant valoir qu'il n'existe pas de déficit fonctionnel permanent suite aux soins réalisés sur la dent 26.

L'expert indique qu'au vu de la situation au jour de l'expertise, le déficit fonctionnel permanent peut être évalué à 1,5% en raison de la perte de la dent 26. Il précise toutefois que ce taux deviendrait nul à la consolidation en cas de remplacement implantaire, serait réduit de moitié en cas de remplacement par prothèse amovible et serait réduit de 2/3 en cas de remplacement par prothèse fixe.

Selon la note d'honoraires du Dr [E] du 18 novembre 2021, M. [G] [U] a bénéficié de la pose d'une couronne dentaire implantoportée de sorte qu'à ce stade, il n'est pas certain qu'il conservera un déficit fonctionnel permanent.

Aucune provision ne peut donc lui être allouée à ce titre.

Sur l'exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, en vigueur depuis le 1er janvier 2020 dans sa rédaction issue du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

“ Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.”

Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire, laquelle assortit le jugement par l’effet de ce décret.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”.

Le Dr [I] [S], qui succombe, supportera la charge des dépens.

L’équité commande d’allouer à M. [G] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en premier ressort,

Déclare irrecevables les conclusions notifiées par la CPAM du Lot et Garonne le 5 mai 2023,

Dit que le Dr [I] [S] a commis un manquement lors des soins réalisés le 2 avril 2015 sur M. [G] [U] et qu'elle est tenue de l'indemniser intégralement de ses préjudices,

Constate que la preuve de la consolidation de l'état de M. [G] [U] n'est pas rapportée,

Condamne le Dr [I] [S] à payer à M. [G] [U], à titre provisionnel, les sommes suivantes à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices :
176,48 euros au titre des dépenses de santé actuelles1.630,80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire2.000 euros au titre des souffrances enduréesRéserve le surplus des demandes,

Déboute M. [G] [U] de ses demandes à l'encontre de la société La Médicale,

Condamne le Dr [I] [S] aux dépens,

Condamne le Dr [I] [S] à payer à M. [G] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit par provision.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/04556
Date de la décision : 18/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-18;22.04556 ?
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