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14/03/2024 | FRANCE | N°22/06531

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 14 mars 2024, 22/06531


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/06531 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WRPP


JUGEMENT DU 14 MARS 2024



DEMANDEUR :

Mme [R] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Arnaud BOIX, avocat au barreau de LILLE

M. [A] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Arnaud BOIX, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

M. [Z] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Marc FLAMENBAUM, avocat au barreau de LILLE

Mme [K] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]r>représentée par Me Marc FLAMENBAUM, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie J...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/06531 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WRPP

JUGEMENT DU 14 MARS 2024

DEMANDEUR :

Mme [R] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Arnaud BOIX, avocat au barreau de LILLE

M. [A] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Arnaud BOIX, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEURS :

M. [Z] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Marc FLAMENBAUM, avocat au barreau de LILLE

Mme [K] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Marc FLAMENBAUM, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 26 Avril 2023.

A l’audience publique du 11 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 14 Mars 2024.

Sophie DUGOUJON, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 14 Mars 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte authentique reçu le 26 janvier 2022, Madame [R] [W] et Monsieur [A] [X] (ci-après ''les acquéreurs'') ont acquis un bien immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 4] (Nord) appartenant à Madame [K] [P] et Monsieur [Z] [N] (ci-après ''les vendeurs'') et ce, moyennant le prix principal de 178.000 euros.

Se plaignant de la découverte d'une cuve à fioul enterrée ainsi que d'une fosse septique débordante établissant l'absence de branchement en rejet direct au réseau public d'évacuation, Madame [W] et Monsieur [X] ont, suivant lettre recommandée avec avis de réception adressée le 19 mai 2022 par l'intermédiaire de leur conseil, mis en demeure les vendeurs d'avoir à leur verser sous dizaine la somme de 8.182 euros T.T.C. aux fins de mise en conformité en réseau du système d'évacuation des eaux vannes et usées et de retrait de la cuve.

Aucune solution amiable n'ayant été trouvée, Madame [W] et Monsieur [X] ont, par actes datés du 28 juin 2022, assigné Madame [P] et Monsieur [N] devant le tribunal judiciaire de LILLE aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

Madame [P] et Monsieur [N] ont constitué avocat le 22 août 2022.

Après une mesure de radiation pour défaut de diligences en demande, l'affaire a finalement été réinscrite au rôle des affaires en cours et la clôture des débats est intervenue le 26 avril 2023, suivant ordonnance du même jour, et l’affaire a été fixée à l’audience du 11 janvier 2024.

* * *

Au terme de leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 10 mars 2023, Madame [W] et Monsieur [X] demandent au tribunal, au visa des articles 1112-1, 1137, 1240, 1604, 1611, 1641 et suivants du Code civil, L.1331-1 et L.1331-6 du Code de la santé publique, ainsi que de l’article 28 de l’arrêté du 1er juillet 2004, de :

- A titre principal :
- dire et juger que Monsieur [N] et Madame [P] ont manqué à leur obligation de délivrance conforme concernant le raccordement des eaux usées et, à titre subsidiaire, dire et juger que Monsieur [N] et Madame [P] ont manqué à leur obligation de garantie des vices cachées concernant le raccordement des eaux usées ;
- dire et juger que Monsieur [N] et Madame [P] ont manqué à leur obligation de garantie des vices cachés concernant la présence d’une cuve à fioul enterrée;

- A titre très subsidiaire, constater que leur consentement a été vicié par la réticence dolosive de Monsieur [N] et Madame [P] ;

- En conséquence :
- condamner solidairement Monsieur [N] et Madame [P] à leur payer la somme de 8.812 euros au titre des travaux de réparation, du réseau d’assainissement du bien immobilier et de dépose de la cave à fioul ;
- condamner solidairement Monsieur [N] et Madame [P] à leur payer la somme de 10.000 euros au titre du préjudice de jouissance subi ;
- condamner solidairement Monsieur [N] et Madame [P] à leur payer la somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral subi ;

- En tout état de cause :
- débouter Monsieur [N] et Madame [P] de leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner solidairement Monsieur [N] et Madame [P] aux entiers dépens de première instance ainsi qu’à une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 17 février 2023, Madame [P] et Monsieur [N] demandent au tribunal, au visa des articles 1112-1, 1137, 1240, 1315, 1641 et suivants du Code Civil et de l'article 16 du Code de procédure civile, de :

- A titre principal : débouter Monsieur [X] et Madame [W] de l’ensemble de leur demandes fins et conclusions, faute d’éléments contradictoires et de la réalité des désordres
- A titre subsidiaire :
- dire et juger que la garantie de vices cachés est exclue et en conséquence débouter Monsieur [X] et Madame [W] de leurs demandes, fins et conclusions ;
- constater l’absence de dol de leur part et en conséquence débouter Monsieur [X] et Madame [W] de leurs demandes, fins et conclusions ;
- constater l’absence de toute faute de leur part et en conséquence débouter Monsieur [X] et Madame [W] de leurs demandes, fins et conclusions ;

- A titre infiniment subsidiaire : les condamner solidairement dans les limites de la somme de 2.534,93 € ;

- En tous les cas :
- condamner in solidum Monsieur [A] [X] et Madame [R] [W] à la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner in solidum Monsieur [A] [X] et Madame [R] [W] aux entiers frais et dépens.

Il est renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties susvisées pour l'exposé des moyens, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’une demande tendant à “dire et juger” ou à “constater” ne constitue pas une prétention au sens juridique du terme devant être tranchée par le tribunal. Ces demandes ne seront, par conséquent, pas retenues en tant que telles mais seront, le cas échéant, étudiées en leur qualité de moyens des parties.

Sur la responsabilité des vendeurs au titre d'un défaut de délivrance conforme

En application des articles 1603 et 1604 du Code civil, le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme aux prescriptions contractuelles et cela quand bien même il n’aurait pas lui-même connu le défaut de conformité au moment de la vente.

Si tel n’est pas le cas, l’acquéreur est en droit de solliciter, soit la résolution de la vente, soit l’allocation de dommages intérêts, sous réserve de justifier de l’existence d’un préjudice.

La caractérisation du défaut de conformité n’implique ni bonne ni mauvaise foi du vendeur.

En l'espèce, l'acte authentique de vente dressé le 26 janvier 2022 stipule, pour sa première partie en caractères gras, s'agissant du raccordement au réseau d'assainissement, que :

« LE VENDEUR déclare que LE BIEN objet des présentes est desservi par un réseau d'assainissement collectif et qu'il est relié à ce réseau.
LE VENDEUR déclare que le réseau d'assainissement utilisé n'a fait l'objet d'aucun contrôle de conformité, mais il déclare que l'installation est en bon état de fonctionnement» (pièce n°1, page 13).

Il résulte des clauses précitées que les vendeurs se sont engagés, de manière certaine, non-équivoque et réitérée, à délivrer un immeuble raccordé au système dit de ''tout-à-l'égout'', seule la conformité de ce raccordement aux normes en vigueur, qui n'avait pas été vérifiée, n'étant pas garantie aux acquéreurs. En vendant un immeuble raccordé au réseau public d'assainissement, les consorts [P] - [N] s'étaient, ainsi, engagés à délivrer un immeuble dont l'intégralité des installations et écoulements y était raccordée et ce, de manière directe, à défaut de spécification contraire.

Or, afin de démontrer que tel n'est pas le cas, Madame [W] et Monsieur [X] versent, notamment, aux débats :

- un courriel adressé par la société SBG ASSAINISSEMENT le 31 mars 2022 aux termes duquel il est indiqué que, suite à la demande contrôle des réseaux d'assainissement de Monsieur [X] et Madame [W] au [Adresse 1] à [Localité 4], il a été constaté non seulement une non-conformité des réseaux d'assainissement, mais également l'existence d'une fosse septique débordant en tronc plein, le représentant de la société en concluant que « le réseau n'est pas branché en rejet direct à l'égout » (pièce n°5) ;
- un devis adressé à Monsieur [X] et Madame [W] le 29 mars 2022 par la société SBG ASSINISSEMENT, lequel fait état, s'agissant du « chantier » de [Localité 4], de l'existence d'une fosse septique à vidanger, curer et remblayer et chiffre l'intégralité des travaux de raccordement des eaux usées et eaux pluviales « en rejet direct à l'égout » à 5.093 euros T.T.C. (pièce n°4) ;
- un procès-verbal de constat dressé le 21 avril 2022 par Maître [U] [T], Huissier de Justice à [Localité 3], aux termes desquelles il a été constaté l'existence, au [Adresse 1] à [Localité 4], de plusieurs regards présentant de l'eau stagnante et nauséabonde, voire « fortement nauséabonde » et contenant en outre, pour certains, du papier et des excréments (pièce n°7) ;
- un rapport de diagnostic d'installation d'assainissement établi par la société SUEZ le 27 avril 2022 au terme duquel il est confirmé la présence, au [Adresse 1] à [Localité 4], d'une « fosse d'accumulation avec trop plein vers réseau public d'assainissement », un schéma de l'installation précisant que l'intégralité des regards eaux pluviales et eaux usées de l'immeuble est raccordée à ladite fosse d'accumulation, elle-même reliée au domaine public, témoignant d'un raccordement indirect des installations de l'habitation au réseau de ''tout-à-l'égout'' (pièce n°9).

Il résulte de ces documents que la réalité de l'existence d'une fosse septique toujours en cours d'usage ainsi que d'un raccordement non-direct au réseau d'assainissement collectif de l'immeuble litigieux est démontrée par plusieurs éléments objectifs dont les parties ont été mises en mesure de débattre contradictoirement. A cet égard, en réponse aux contestations en défense, le tribunal rappelle que si un élément de preuve n'a pas été réalisé contradictoirement, il n'en est pour autant pas irrecevable ou inopposable à l'autre partie, le tribunal devant, en revanche, rechercher si cet élément est confirmé par d'autres éléments de preuve débattus contradictoirement, ce qui est le cas en l'espèce.

Il est, au demeurant, relevé que les défendeurs eux-mêmes versent aux débats un devis réalisé le 20 avril 2022 par la société JACQUET CONSTRUCTIONS et chiffrant, notamment, la vidange et le curage de la fosse septique du [Adresse 1] à [Localité 4], ainsi que le raccordement des eaux usées au tout-à-l’égout, ce qui confirme d'autant l'absence de raccordement direct de l'immeuble au réseau d'assainissement collectif.

Ce non-raccordement direct au réseau collectif des eaux usées et vannes, dont il n'est pas contesté qu'il n'était pas apparent pour les acquéreurs non-professionnels, caractérise, quelle que soit la connaissance qu'avaient les vendeurs de cette situation, un manquement à l'obligation de délivrer un bien conforme aux énonciations contractuelles.

Sur la responsabilité des vendeurs au titre de la présence d'une cuve à fioul

Aux termes de l'article 9 du Code de procédure civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

L'article 1641 du Code civil dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ».

L'article 1642 précise que « Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. » et l'article 1643 que le vendeur « est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie ».

L'action en garantie des vices cachés ouvre alors droit, pour l'acquéreur, soit de solliciter la remise de la chose moyennant restitution de son prix, soit de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

En l'espèce, Madame [W] et Monsieur [X] font valoir avoir découvert, postérieurement à l'acquisition de l'immeuble, la présence d'une cuve à fioul et la nécessité de procéder à son dégazage, son lavage et son inertage. Ils estiment ainsi, à titre principal, que cette découverte caractérise l'existence d'un vice caché ouvrant droit à application des articles précités dans la mesure où ladite cuve à fioul est à l'origine d'importants risques en raison de la présence des vapeurs d'hydrocarbure qu'elle est susceptible de dégager.

Madame [P] et Monsieur [N] font valoir que le seul mail de la société SBG ne peut suffire à démontrer la réalité du désordre ainsi allégué et soulignent que, quand bien même une cuve à fioul serait présente et n’aurait pas été vidangée, dégazée et nettoyée dans les règles prescrites par les dispositions légales, ils n’en avaient jamais eu connaissance, leur propre acte d'achat n'en faisant pas état, de sorte qu'ils ne peuvent se voir opposer la garantie des vices cachés, au regard de la clause de non-garantie prévue à l'acte authentique de vente du 26 janvier 2022.

Sur ce, au soutien de leur prétention, les consorts [W] – [X] s'appuient, en premier lieu, sur le procès-verbal de constat dressé le 21 avril 2022 par Maître [T], aux termes desquelles il a été constaté l'existence, à l'extérieur du [Adresse 1] à [Localité 4], côté voirie, d'un regard à proximité de la limite séparative avec l'immeuble 14 comportant « un bouchon à vis avec chaînette, une jauge avec aiguille rouge et une tuyauterie à l'intérieur de ce regard, le tout manifestement ancien ». Sans former de conclusions personnelles, l'huissier se contente de rapporter les déclarations de Madame [W] selon laquelle « il s'agit manifestement d'une cuve à fuel », ainsi que l'en aurait informé un chauffagiste intervenu au domicile pour l'entretien de la chaudière (pièce n°7, pages 14 et suivantes).

Aucune attestation dudit chauffagiste n'est, toutefois, versée aux débats.

Par ailleurs, les demandeurs se prévalent d'un devis réalisé par la société ORTEC ENVIRONNEMENT aux termes duquel sont chiffrés, notamment, le lavage et le dégazage d'une cuve à GNR, avec transport et traitement des résidus de lavage hydrocarburé. Toutefois, il doit être relevé que rien ne permet de garantir qu'un tel devis repose sur des constatations d'un professionnel, alors qu'il n'est fait état d'aucune visite de l'immeuble, le devis indiquant avoir pour seule base la demande du client (pièce n°10, page 2).

Ces éléments ne sauraient, dans ces conditions, suffire à rapporter la preuve de la présence d'une cuve à fioul sous l'immeuble litigieux, dont l'existence effective et a fortiori l'absence de neutralisation n'ont été confirmées expressément par aucun professionnel.

Dès lors, le désordre allégué n'étant pas démontré, la demande des acquéreurs concernant la cuve à fioul ne saurait aboutir ni sur le fondement principal des vices cachés, ni sur le fondement subsidiaire du dol.

Les demandes formulées à ce titre doivent, dans ces conditions, être rejetées.

Sur la réparation des préjudices résultant du manquement à l’obligation de délivrance

Aux termes de l'article 1231-1 du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

L’article 1231-6 du même code dispose que « Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. [...] Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ».

En l'espèce, Madame [W] et Monsieur [X] sollicitent réparation des préjudices suivants :

- préjudice matériel : 8.812 euros au titre des travaux de réparation du réseau d'assainissement du bien immobilier et de dépose de la cave à fioul,
- préjudice de jouissance : 10.000 euros ;
- préjudice moral : 10.000 euros.

Sur le préjudice matériel

Il est acquis et non-contesté que le manquement des vendeurs à leur obligation de délivrance conforme les oblige à prendre en charge l'entier coût de la mise en conformité du bien aux stipulations contractuelles et, plus particulièrement, le coût de la mise en conformité du raccordement de l'immeuble au réseau collectif de recueil et d'assainissement des eaux vannes et usées.

Au soutien de leur demande de prise en charge du coût de remise en conformité, Madame [W] et Monsieur [X] versent aux débats un devis réalisé par la S.A.S. ORTEC ENVIRONNEMENT en mai 2022 décomposant ses tarifs comme suit (pièce n°10) :

- un montant forfaitaire de 1.470 euros TTC au titre du lavage et du dégazage de la cuve GNR,
- au titre du traitement des déchets hydrocarburés : 198 euros par tonne de liquide et 354 euros par tonne de pâteux,
- un montant forfaitaire de 3.700 euros T.T.C. au titre du remplacement du réseau usé,
- un montant forfaitaire de 2.460 euros T.T.C. au titre de l'inertage des cuves, fosse septique et cuve à fioul.

Ce devis n'est toutefois pas exploitable en l'espèce, puisqu'il ne détaille pas le tarif appliqué à l'inertage de la seule fosse septique et chiffre le remplacement d'un « réseau usé », sans préciser le réseau concerné, ni faire état des opérations de raccordement direct au tout-à-l'égout, seules indemnisables au titre de l'obligation de délivrance conforme, laquelle ne saurait avoir pour objet ni pour effet la rénovation totale des installations vétustes. Ce devis doit, dans ces conditions, être écarté.

Madame [W] et Monsieur [X] produisent également à la cause un devis établi le 29 mars 2022 par la société SBG Assainissement, laquelle détaille et chiffre le raccordement des eaux usées et des eaux vannes en rejet direct à l’égout à la somme totale T.T.C. de 5.093 euros (pièce n°4).

Madame [P] et Monsieur [N] contestent le montant de ce devis et produisent, pour leur part, un devis établi environ un mois plus tard, le 20 avril 2022, par la société JACQUET CONSTRUCTIONS, au terme duquel les travaux de raccordement des eaux usées au tout-à-l'égout et de vidange, curage et remblai de la fosse septique sont chiffrés à la somme de 2.534,93 euros H.T. soit, après application du même taux de T.V.A. que le devis de la société SBG Assainissement (10%), la somme de 2.788,42 euros T.T.C. (pièce n°2 défendeurs).

Le tribunal observe que les différences principales entre ces deux devis consistent en la surface concernée par la dépose-repose des pavés en façade avant de l'habitation (où se situe la fosse septique), soit 2m² s'agissant du devis de la société JACQUET CONSTRUCTIONS et 20m² s'agissant du devis de la société SBG Assainissement, ainsi que la prévision d'un terrassement au titre de ce dernier devis, manifestement non-envisagé par la société JACQUET CONSTRUCTIONS.

Or, au regard de la nature des travaux à réaliser et de la disposition des lieux, telle qu'elle transparaît du procès-verbal de constat du 21 avril 2022 (pièce n°7 demandeurs), le détail de prestation proposé par la société SBG Assainissement apparaît être le plus à même d'assurer la réparation intégrale du préjudice subi par les acquéreurs.

Ce devis sera, dans ces conditions, retenu, de sorte que les consorts [P]-[N] seront condamnés à verser aux consorts [W]-[X] la somme de 5.093 euros en réparation de leur préjudice matériel.

L’acte de vente stipulant la solidarité des vendeurs, la condamnation sera prononcée solidairement.

Sur le préjudice de jouissance

Madame [W] et Monsieur [X] soutiennent également l'existence d'un préjudice de jouissance et sollicitent, à ce titre, le versement d'une somme de 10.000 euros.

Madame [P] et Monsieur [N] concluent au rejet de la demande, faisant valoir que les acquéreurs ne sont aucunement privés de la jouissance même de leur habitation, tandis qu'ils utilisent l'ensemble des pièces en intégralité et que les seules odeurs évoquées par le constat d'huissier concernent la voirie.
S'il est exact que les constatations de l'huissier de Justice se sont concentrées à l'extérieur de l'habitation (mais sur la parcelle de l'immeuble et non sur la seule voierie), il n'en demeure pas moins que des odeurs « nauséabondes » en provenance de la fosse et des différents regards a été constatée, ce qui cause indéniablement un préjudice de jouissance aux acquéreurs.

Néanmoins, en l'absence d'autres éléments permettant de justifier de l'existence d'un préjudice olfactif à l'intérieur de l'habitation ainsi que de l'obligation de procéder régulièrement à la vidange manuelle des regards dans l'attente des travaux de raccordement au tout-à-l'égout (ce que des attestations de proches auraient pu, par exemple, rapporter), ce préjudice sera évalué, compte tenu de la durée des troubles au jour où il est statué à la somme globale de 1.500 euros.

Sur le préjudice moral

L’article 1231-6 du Code civil dispose que « Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. [...] Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ».

Madame [W] et Monsieur [X] sollicitent, enfin, la somme de 10.000 euros au titre de leur préjudice moral, faisant valoir rencontrer « une situation durablement préjudiciable en termes :
- de perte ou de trouble de jouissance de leur bien immobilier,
- de perte financière consécutive à prix d’acquisition du bien immobilier plus élevé (n’ayant pas intégré les moins-values consécutives aux travaux de remise en état à y effectuer),
- d’avoir été trompé malgré la présence de professionnels de l’immobilier,
- d’avoir dû engager et supporter une procédure judiciaire traumatisante moralement qu’ils perçoivent comme injuste, sans doute longue et coûteuse,
- d’avoir dû avancer les frais de remise en état de la maison à leurs seules charges face au silence de leurs vendeurs ».

Les défendeurs concluent au rejet, faute de justification de ce préjudice.

Sur ce, il doit être rappelé que le préjudice de jouissance des acquéreurs a d'ores et déjà été indemnisé et qu'aucune perte financière n'est à déplorer puisque le préjudice matériel relatif à la nécessité de procéder à des travaux de mise en conformité est indemnisé au terme de la présente décision.

Par ailleurs, les consorts [W]-[X] ne sauraient se prévaloir de l'avance du coût des travaux, alors que rien ne permet d'établir que ces derniers ont été réalisés, seuls des devis ayant été, au demeurant, versés aux débats.

Pour le surplus, faute pour les demandeurs de rapporter la preuve d'avoir été sciemment trompés par les vendeurs ni de démonter l’éventuelle mauvaise foi de ces derniers à s'abstenir volontairement de payer la somme due, Madame [W] et Monsieur [X] devront être déboutés de leur demande au titre d'un préjudice moral.

Sur les mesures accessoires

L’article 696 du Code de procédure civile dispose : « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Il résulte des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile que dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

En l'espèce, Madame [P] et Monsieur [N], qui succombent, seront condamnés in solidum (et non solidairement) aux entiers dépens de la présente instance. Leur demande au titre des frais irrépétibles sera, en conséquence, rejetée.

Par ailleurs, l’équité commande qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 précité au profit de Madame [W] et Monsieur [X] qui ont été contraints d’exposer des frais irrépétibles non-compris dans les dépens de l'instance pour faire valoir leurs droits en Justice. Il leur sera accordé, à ce titre, la somme de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en premier ressort,

Condamne solidairement Madame [K] [P] et Monsieur [Z] [N] à payer à Madame [R] [W] et Monsieur [A] [X] les sommes suivantes :

- 5.093 euros en réparation de leur préjudice matériel :
- 1.500 euros en réparation de leur préjudice de jouissance ;

Condamne in solidum Madame [K] [P] et Monsieur [Z] [N] à payer à Madame [R] [W] et Monsieur [A] [X] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum Madame [K] [P] et Monsieur [Z] [N] aux entiers dépens de la présente instance ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/06531
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;22.06531 ?
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