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14/03/2024 | FRANCE | N°22/03527

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 14 mars 2024, 22/03527


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/03527 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WEQM


JUGEMENT DU 14 MARS 2024



DEMANDEUR :

Mme [T] [B]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Ludovic DENYS, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

Me. [S] [X]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Gilles GRARDEL, avocat au barreau de LILLE


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOU

JON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier


DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 24 Mai 2023.

A l’audience publique du 12 Janvier 20...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/03527 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WEQM

JUGEMENT DU 14 MARS 2024

DEMANDEUR :

Mme [T] [B]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Ludovic DENYS, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

Me. [S] [X]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Gilles GRARDEL, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 24 Mai 2023.

A l’audience publique du 12 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 14 Mars 2024.

Ghislaine CAVAILLES, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 14 Mars 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

Mme [T] [B] a été embauchée par la société de secours minière d’[Localité 5], à compter du 1er juin 1981.

Considérant effectuer le même travail que ses collègues sans pour autant bénéficier de la même rémunération, elle a demandé à M. [S] [X], avocat au barreau de Béthune, de saisir le conseil des Prud’hommes de Lens, ce qu’il a fait le 28 janvier 2015.

Dans cette instance, Mme [B] a demandé la condamnation de son employeur au paiement de :
- rappel de salaires pour les années 2009 à 2015,
- 15 000 euros de dommages et intérêts pour violation du principe “à travail égal, salaire égal”,
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,
- 20 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail,
- outre 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 28 septembre 2017, le conseil de Prud’hommes a rejeté toutes ses demandes.

Elle a alors donné mandat à son avocat de faire appel du jugement, ce qu’il a fait par déclaration en date du 13 octobre 2017.

Toutefois par ordonnance du 23 février 2018, le conseiller de la mise en état de la a prononcé la caducité de la déclaration d’appel faute de respect du délai prévu aux articles 908 et suivants du code de procédure civile.

Par acte d’huissier du 30 mai 2022, Mme [B] a fait assigner M. [X] devant le tribunal judiciaire de Lille afin d’engager sa responsabilité contractuelle et d’obtenir une indemnisation.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 14 décembre 2022, Mme [B] demande au tribunal de :

Vu les articles 1217 et suivants du code civil (anciennement 1147 et suivants),
- Condamner M. [X] à lui payer la somme globale de 95 074, 13 euros en réparation des préjudices subis du fait des manquements et des fautes imputables à M. [X],
- Assortir cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du 27 août 2018 ;
- Condamner M. [X] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de l’avocat constitué ;
- Débouter purement et simplement M. [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre.

A l'appui de ses prétentions, elle expose que M. [X] a commis une erreur sur la convention collective qui lui était applicable (régime minier), qu’il ne lui a pas communiqué en temps utile les conclusions adverses, qu’il n’a pas signifié les conclusions d’appel dans le délai qui lui était imparti à peine de caducité de l’appel et qu’il ne lui a même pas communiqué la décusion de caducité.
Selon elle tous ses manquements lui ont fait perdre une chance d’obtenir la réformation du jugement en appel.

Elle explique qu’elle entendait invoquer le principe d’égalité du salaire au sens du droit du travail. Soulignant qu’elle relevait de la convention collective minière et non de l’UCANSS, c’est au regard de cette convention minière que devait être appréciée la discrimination alléguée alors que le conseil de Prud’homme a examiné toutes ses demandes au regard de l’autre convention.

Elle met en avant une étude comparative des salaires du personnel (personnes nommément désignées) dépendant de la convention minière, reprise dans ses pièces et demandait que l’employeur verse au débat leur salaire. Selon elle, s'il y a effectivement différence de traitement entre salariés bénéficiant des dispositions de la même convention collective, la différence de traitement peut constituer une différence de traitement injustifiée, à la condition qu'il soit justifié d'un travail identique ou de valeur égale, et qu'il n'y ait pas de raison objective qui justifie la différence de traitement.
Si l’appel avait pu prospérer et qu’elle avait pu obtenir la communication des fiches de paye, elle aurait pu obtenir la réformation du jugement.
Quant à ses demandes indemnitaires, elle souligne que M. [X] les avait lui-même évaluées ce qui permet de les considérer comme fiables et justifiées.

Dans ses dernières conclusions signifiées, par voie électronique par acte du Palais le 19 août 2022, M. [X] demande au tribunal de :

Vu l’article 9 du code de procédure civile,
- Débouter Mme [B] de toutes ses demandes à son encontre ;
- La condamner à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de sa défense, M. [X] s’en rapporte à la sagesse du tribunal sur la faute alléguée consistant dans le défaut de signification des conclusions d’appelant dans le délai.

Il consteste le lien de causalité et le montant du dommage soulignant qu’il ne s’agit que d’une perte de chance qui ne peut correspondre à la totalité des prétentions soumises au conseil de Prud’hommes.
Concernant le lien de causalité, il considère que la preuve de la certitude de la perte d’une chance de prouver l’existence d’une discrimination n’est pas rapportée car il est incertain que la cour aurait obligé la communication des pièces tout comme il est incertain que l’inegalité injustifiée aurait été démontrée.
Subsidiairement, il rappelle que le conseil de Prud’hommes a justement déclarées prescrites les demandes de rappel de salaire des années 2009 et 2010 tandis qu’il n’est fourni aucun élément du montant de la discrimination alléguée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de l’avocat :

Les articles 1217 et suivants du code civil énoncent que :

“ La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
[...]
- demander réparation des conséquences de l'inexécution. [...]”

“ Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.”

“Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.”

“ Dans le cas même où l'inexécution du contrat résulte d'une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.”

L’existence d’un contrat entre Mme [B] et M. [X] est certaine.

Il revient à Mme [B], en sa qualité de demandeur, de rapporter la preuve d’un ou plusieurs manquements de M. [X] à ses obligations contractuelles, d’un dommage subi par elle et d’un lien de causalité entre les manquements et le dommage.

Concernant l’erreur sur la convention collective qui lui était applicable, les conclusions récapitulatives soumises au conseil des Prud’hommes (PC 7) soutenaient que sa situation était régie par la convention collective des personnels non cadre des caisses régionales dans les mines et que la discrimination provenait de ce que l’application de deux conventions collectives différentes, la convention minière d’une part et l’UCANSS d’autre part, aboutissait à une situation dans laquelle deux salariés exécutant le même travail puissent recevoir une rémunération différente.
L’erreur alléguée n’est pas établie.
Dès lors, le manquement allégué ne l’est pas non plus.

Concernant le défaut de communication, en temps utile, des conclusions adverses, l’avocat est débiteur de l’obligation d’informer sa client sur l’avancement et l’évolution du litige et ne rapporte aucune preuve de l’exécution de cette obligation.
Le manquement est ainsi caractérisé.

Toutefois, Mme [B] n’indique pas ce qu’elle aurait voulu faire amender dans ses conclusions à la suite de celles de son contradicteur et ne démontre donc pas qu’il serait résulté pour elle un dommage de ce manquement.

Concernant le devoir de signifier les conclusions d’appel dans le délai qui lui était imparti à peine de caducité de l’appel, le manquement à l’obligation d’accomplir les diligences utiles n’est pas contesté et résulte de la décision de caducité qui a été rendue.
Le manquement est caractérisé.

La suite directe et immédiate de ce manquement ne peut consister que dans la perte d’une chance un nouvel examen de ses demandes.
Quant à l’issue de cet examen, s’il avait eu lieu, Mme [B] ne verse au débat, ni les pièces qu’elle avait produites devant le conseil de Prud’hommes, ni celles produites par son employeur, ni celles qu’elle souhaitait produire devant la cour. Le tribunal n’est donc pas en mesure d’apprécier les chances de succès de son action en appel.
A cet égard, Mme [B] se prévaut d’une “étude comparative de salaires qui concernait le personnel dépendant de la convention minière” mentionnée dans ses conclusions d’appelant et il se trouve au bordereau de pièces figurant au bas de ces conclusions la mention d’une pièce 20 “étude comparative de salaire”. Cette pièce n’est présentement pas soumise au tribunal qui reste dans l’ignorance de son contenu et ne peut donc affirmer que cette pièce aurait pu déterminer la cour à ordonner la communication des bulletins de paye de plusieurs salariés.

A ce titre, Mme [B] admet elle-même qu’elle ne détenait pas la preuve de la discrimination alléguée puisqu’elle entendait demander en appel qu’il soit enjoint à l’employeur de communiquer les fiches de paie des salariés soumis à la même convention minière et elle en déduit qu’elle a perdu une chance de de prouver une différence de traitement, ce qui un dommage tout à fait différend de la perte de la totalité de ses prétentions (au sens procédural de ce terme).

D’ailleurs, Mme [B] n’explique pas comment elle a évalué les rappels de salaires de 2010 à 2017. A cet égard, le tribunal doute qu’un rappel de salaire après correction des effets d’une discrimination puisse aboutir, sur une année, à la somme de 5 000 euros comme Mme [B] le réclamait dans les conclusions d’appelant qu’elle souhaitait soutenir, au titre des années 2015, 2016 et 2017, la somme paraissant forfaitaire. Et ce alors qu’elle fonde ses demandes dans la présente instance sur le total des sommes dont elle entendait demander le paiement en appel.

Enfin, à supposer que les salariés [Y], [J], [N], [U], [D], [M], [G] et [Z] aient été soumis à la même convention collective qu’elle, qu’ils aient exercé les mêmes fonctions qu’elle, que la cour aurait effectivement ordonné la communication de leurs fiches de paye sur 8 ans, que cette communication ait révélé qu’ils ne percevaient pas le même salaire que Mme [B] (toutes choses que le tribunal n’est pas, en l’état, en mesure d’affirmer), encore aurait-il fallu que l’employeur échoue à démontrer que les différences étaient motivées par des éléments objectifs exempts de discrimination.

Quant aux demandes indemnitaires pour violation du principe “à travail égal, salaire égal”, pour discrimination et pour exécution déloyale du contrat de travail, non seulement le tribunal ne dispose d’aucune pièce pour en apprécier les chances qu’avait Mme [B] de les obtenir en appel, mais observe que les demandes telles que Mme [B] entendait les soumettre à la cour ne reposaient sur aucun élément tangible d’appréciation.
Le fait que M. [X] ait mentionné de tels montants dans les conclusions ne signifie pas nécessairement qu’ils auraient été adoptés par la cour d’appel.

Dans ces conditions, Mme [B] échoue à rapporter la preuve de la perte certaine d’une éventualité favorable d’obtenir la réformation du jugement du 28 septembre 2017.

Relativement à la communication de la décision de caducité de l’appel, M. [X] devait l’aviser des suites données à son recours et ne justifie pas l’avoir fait.
Le manquement à l’obligation d’informer sa cliente sur l’avancement et l’évolution du litige est caractérisé.
Toutefois Mme [B] ne démontre pas que ce manquement lui aurait causé un dommage.

Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, la demande indemnisatire de Mme [B] doit être rejetée.

Sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile :

“La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.”

“Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.[...]”

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”

Mme [B] succombe et supportera donc les dépens de l’instance.
L’équité commande de ne prononcer aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Rejette la demande formée par Mme [B] ;

Condamne Mme [B] à supporter les dépens de l’instance ;

Dit n’y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/03527
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;22.03527 ?
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