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14/03/2024 | FRANCE | N°22/03272

France | France, Tribunal judiciaire de Lille, Chambre 04, 14 mars 2024, 22/03272


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/03272 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WD2H


JUGEMENT DU 14 MARS 2024



DEMANDEUR :

La S.E.L.A.S. MJS PARTNERS, ès qualité de liquidateur de M. [F] [Y]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La S.C.P. Maîtres [K] [H] et [P] [T], notaires associés
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Véronique VITSE-BOEUF, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président

: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Gr...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 04
N° RG 22/03272 - N° Portalis DBZS-W-B7G-WD2H

JUGEMENT DU 14 MARS 2024

DEMANDEUR :

La S.E.L.A.S. MJS PARTNERS, ès qualité de liquidateur de M. [F] [Y]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Benoît DE BERNY, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La S.C.P. Maîtres [K] [H] et [P] [T], notaires associés
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Véronique VITSE-BOEUF, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président: Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur: Leslie JODEAU, Vice-présidente
Assesseur: Sophie DUGOUJON, Juge

GREFFIER: Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 30 Juin 2023.

A l’audience publique du 12 Janvier 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 14 Mars 2024.

Ghislaine CAVAILLES, Juge rapporteur qui a entendu la plaidoirie en a rendu compte au tribunal dans son délibéré

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 14 Mars 2024 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

M. [F] [Y], menuisier, inscrit au répertoire des métiers à Longpre dans la Somme a été placé en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Abbeville du 9 novembre 2007, la société Soinne (ultérieurement MJS Partners) étant désigné comme mandataire judiciaire.
Les créanciers ont déclaré leurs créances pour un passif total de 49 123,12 euros. D’après le fichier immobilier, M. [Y] était en indivision avec son père sur une maison située à [Localité 5] depuis la succession de sa mère.

Le père de M. [Y] est décédé le [Date décès 2] 2017 ce qui a permis la réunion de la nue-propriété et de l’usufruit. M. [Y] a vendu ce bien le 6 juillet 2018 par un acte reçu par Maître [H], notaire.

Par courrier du 15 octobre 2021, le liquidateur a indiqué au notaire qu’il était contraint de faire constater l’inopposabilité de la vente à la procédure collective et lui a demandé les dispositions qu’il entendait prendre.

A défaut d’issue amiable, par acte d’huissier du 17 mai 2022, la société MJS Partners a fait assigner la société [K] [H] et [P] [T] devant le tribunal judiciaire de Lille en responsabilité.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2023, la société MJS Partners demande au tribunal de :

- Declarer la société [K] [H] et [P] [T], responsable du préjudice subi par elle ès qualités de liquidateur de M. [Y] ;
- La condamner à lui payer la somme de 65 000 euros de dédommagement ;
- Ordonner l'exécution provisoire ;
- La condamner à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les frais et dépens.

A l'appui de ses prétentions, le liquidateur invoque l’ancien article 1382 devenu l’actuel article 1240 du code civil. Il fait valoir que le notaire était personnellement avisé par ses soins de la liquidation judiciaire de M. [Y] (et de son intention de patienter pour vendre l’immeuble une fois que M. [Y] en aurait la pleine propriété), outre qu’il lui appartient, avant de recevoir une vente de vérifier ce point. Il considère donc qu’à l’occasion de cette vente, le notaire a commis une faute.
Selon lui la vente a préjudicié à la procédure collective qui n’a pu recevoir le prix pour servir un dividende aux créanciers. Il ajoute que M. [Y] est insolvable et n’a pas d’autre bien immobilier.

Répliquant à son contradicteur, il tient pour inparfaite la consultation du BODACC faite par le notaire comme limitée à l’année 2018 sans vérification des années antérieures, outre qu’un extrait K bis aurait révélé l’existence de la procédure collective. Il ajoute que non seulement il l’avait avisé de la procédure collective mais que le notaire lui avait répondu le 15 mai 2008.
Concernant la durée de la procédure collective, le liquidateur rappelle que le délai de 18 mois n’était que prévisible et que le tribunal n’a pas ordonné la clôture, laquelle n’a d’ailleurs jamais été requise par le procureur, puisque précisément, la réunion de la nue-propriété et de l’usufruit était attendue pour procéder à la vente.
Quant au montant du dommage, il expose que les contestations de créances sont virtuelles, s’agissant des créances déclarées par les administrations et converties en dettes définitives.
Relativement au délai écoulé, il souligne qu’il attendait la reconstitution de la pleine propriété et qu’il a agi dès qu’il a appris le décès du père de M. [Y], sans savoir que celui-ci s’était précipité chez le notaire pour vendre.

Dans ses dernières conclusions notifiées, par voie électronique le 24 avril 2023, la société [K] [H] et [P] [T] demande au tribunal de :

- Rejeter toutes prétentions, fins et conclusions de la société MJS Partners, l’en débouter ;
- La condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- La condamner aux entiers frais et dépens de l’instance ;
- A titre subsidiaire, écarter l’exécution provisoire.

Au soutien de sa défense, elle conteste que soit rapportée la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Concernant la faute, elle soutient que le notaire est tenu à une obligation de moyen et non de résultat. Elle dit avoir procédé, dans la perspective de la vente, à une recherche au BODACC qui s’est avérée négative et ajoute avoir à nouveau procédé à cette recherche dans le cadre de l’instance qui s’est avérée tout autant négative. Elle ajoute que ni le site pappers.fr, ni le SIREN ne mentionnent la procédure collective. Enfin, elle souligne que M. [Y] a reçu le projet d’acte, qu’il était présent le jour de la signature et qu’il a déclaré ne faire l’objet d’aucune mesure civile ou commerciale suceptible de restreindre sa capacité ou de mettre obstacle à la libre disposition de ses biens, alors qu’il est tenu par une obligation de loyauté et de bonne foi.
Répliquant à l’allégation d’une information personnelle du notaire, elle s’étonne qu’il lui soit reproché de ne pas s’être souvenu d’un courrier reçu presque 10 ans plus tôt.
Concernant le dommage et le lien de causalité, elle estime qu’aucune pièce ne justifie que les opérations de liquidation seraient toujours en cours, d’autant que le liquidateur ne communique aucun jugement de prorogation, alors que le jugement d’ouverture du 9 novembre 2007 prévoyait un délai de clôture fixé à 18 mois sauf jugement de prorogation. Quant au montant du passif, elle souligne que le liquidateur se contente de verser au débat une liste de créances élaborée par ses soins, outre que plusieurs créances sont contestées sans que les suites données aux contestations par le juge commissaire ne soient précisées. Elle en déduit qu’il n’est pas prouvé que le dommage allégué serait certain, né et actuel.
Enfin, elle considère que le liquidateur a contribué à son propre préjudice en se désintéressant pendant 10 ans de cette liquidation alors qu’il pouvait céder la nue-propriété dès l’ouvertude de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité du notaire :

L’article 1240 du code civil énonce que :

“Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

Il revient au liquidateur de rapporter la preuve d’une faute commise par le notaire, d’un dommage subi par lui (ès qualités) et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Concernant la faute, le liquidateur justifie que la liquidation a été publiée au BODACC le 16 décembre 2007 (PC 17) et dans un journal d’annnonces légales locales : Picardie La gazette (PC 19).

Pourtant le notaire justifie du résultat de la consultation faite par ses soins du BODACC et qui s’est avérée négative en 2018 mais également en 2023 (PC 1 et 2).

Le notaire n’ayant pas à soupçonner que l’information reçue du BODACC était incomplète, il reste à déterminer s’il devait nécessairement savoir que la liquidation judiciaire avait été ouverte par un autre moyen.

La consultation du registre du commerce et des sociétés, invoquée par le liquidateur est inopérante dans la mesure où il ne justifie pas qu’un artisan inscrit au répertoire des métiers verrait nécessairement sa liquidation judiciaire mentionnée sur un registre auprès duquel il n’était pas inscrit. Il ne verse d’ailleurs pas d’extrait K bis de M. [Y].

Quant à l’information personnellement reçue par le notaire de l’existence de la procédure collective, le liquidateur établit effectivement avoir reçu de Maître [H] les 6 février et 15 mai 2008 des informations relatives à la valeur de l’immeuble et à la faisabilité de la vente des droits indivis (PC 6) puis avoir lui-même écrit non pas à Maître [H] mais à son associée de l’époque, le 3 novembre 2009, pour lui demander si des membres de la famille de M. [Y] pourraient être intéressés par l’acquisition des droits indivis.

Puis le liquidateur n’allègue nullement avoir repris contact avec le notaire ni en 2010, ni en 2011, ni en 2012, ni en 2013, ni en 2014, ni en 2015, ni en 2016, ni en 2017, ni en 2018, année au cours de laquelle la vente a été reçue.

Dans ces conditions, il ne peut pas être considéré comme fautif pour le notaire de ne s’être pas souvenu d’une information qu’il avait reçue 10 ans plus tôt.

En conséquence, aucune faute n’étant caractérisée, la demande indemnitaire doit être rejetée.

Sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile :

Les articles 696 et 700 du code de procédure civile prévoient que :

“La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.”

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; [...]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. [...]”

Le liquidateur ès qualités, qui succombe, supportera les dépens de l’instance.
Sa situation économique de représentant d’une liquidation impécunieuse commande de dire qu’il n’y a pas lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Rejette la demande indemnitaire ;

Dit n’y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société MJS Partners ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [F] [Y] à supporter les dépens de l’instance ;

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Lille
Formation : Chambre 04
Numéro d'arrêt : 22/03272
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;22.03272 ?
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